Chapitre 22 - Baiser ou se faire baiser, il faut choisir (partie 5)

Quentin observait avec la même curiosité, en profitant pour examiner le tissage de Noé. Une fois que le jeune homme eut terminé le cadre, il posa sa main sur la porte, au centre, et envoya sa magie en pensant à la destination. Aussitôt, tous les signes magiques se mirent à luire.

— On va voir si ça marche.
— Tu as eu ça où ?
— C'est Capucine qui m'a offert le parchemin après que tu l'aies si gentiment accusée d'être un monstre dévoreur d'enfants.

Quentin leva les yeux au ciel à cette remarque.

— Capucine et toi... C'est assez impressionnant, dit Bo en observant Noé.

Personne n'aimait Capucine. Sauf Gwen et Noé. Mais Noé avait une façon de la défendre ou de s'inquiéter, intrigante.
Lorsqu'il ouvrit la porte, il vit bien la chambre de Capucine.

— Yes !

Noé triomphait. Pour un premier essai, c'était une réussite totale !

— C'est vraiment la chambre de Capucine ? demanda Dimitri.
— Oh oui !
— Tu peux utiliser ça pour aller partout ?

Dimi se disait que ce serait bien pratique pour retourner à Port Hallen et rentrer chez eux, même temporairement.

— En théorie, oui. C'est juste une histoire de calculs, d'angles, de vecteurs. Des maths, quoi.

Et il adorait les maths. La chimie le passionnait, mais les autres matières scientifiques aiguisaient toujours son intérêt. Alors, allier magie et maths, c'était le pied total.

— Garder la porte ouverte surtout, fit-il en passant dans la chambre de Capucine.

Quentin souriait légèrement en regardant son frère gagné par l'enthousiasme. Il reconnaissait cette lueur de fierté dans son regard. Il se revoyait, un peu plus jeune que Noé, quand il réussissait à épater son père ou à démontrer qu'il était meilleur qu'Eric pour réaliser un nouveau sortilège.

Bo fit un "tsstsstss" en regardant Quentin.

— Range ce regard tout de suite où il va encore croire que t'es son père.

Noé se rendit compte qu'il connaissait bien Capucine et même l'historique de sa garde robe. Il trouva sans mal dans son premier tiroir son chemisier préféré en flanelle vert de gris, sa couleur préféré avec le rose poudré. Juste à côté se trouvait une déclinaison très impressionnante de lingerie dans des couleurs très différentes mais toujours dans un style très érotique, transparent ou avec des coupes en triangle.

Quentin eut l'air un peu perplexe.

— C'est à ce point-là ?

Noé sentit sa gorge se serrer un peu en admirant la lingerie. Ce n'était pas tant qu'elle soit affriolante qu'elle stimulait grandement son imagination en visualisant Capucine dedans. Comme tous les garçons de son âge, il avait écumé youporn et la nudité féminine n'avait guère de secret pour lui. Mais jusque là, la lingerie avait toujours été très accessoire, d'autant plus que Clémentine, ou sa précédente petite-amie, étaient plutôt classiques dans leurs choix. Noé commençait à se dire qu'il avait loupé quelque chose en regardant la lingerie de Capucine et il referma le tiroir avant que le souvenir de la jeune femme dans son soutien-gorge transparent lui fasse de l'effet.
Il récupéra un pantalon dans l'armoire, une paire de chaussures à hauts talons, hésita, puis retourna dans le tiroir pour choisir un ensemble en triangle rose poudré qu'il dissimula dans le chemisier. Il passa aussi par la salle de bain pour récupérer de quoi se préparer un bain.

Lorsque Noé revint, il n'eut guère que cinq minutes pour tout laisser dans la salle de bain avant qu'Ahmed et Capucine n'entrent à leur tour dans l'appartement.

— C'est tout sauf accessoire, répondait la jeune femme avec agacement.

Elle soupira en voyant que tout le monde était là et dans un parfait silence. Elle défit sa pince à cheveux et passa sa main nerveusement dedans.
Bo s'était attendue à ce qu'elle soit pleine de boue ou quelque chose du genre. Mais visiblement, elle s'était aussi pris un coup et pas que dans son orgueil.

— Tout va bien ? lui demanda-t-elle un peu inquiète.

Capucine était décorative et gracieuse. Elle ne l'imaginait pas se battre. Tout comme Kelly avait été un très mauvais punching ball.

— "Elle risque rien". C'est ce que tu as dit, hein ? fit Noé entre ses dents.

Olivier avait frappé Capucine. Il avait OSE frapper Capucine ! Il serra les poings et franchit aussitôt les quelques mètres qui les séparaient.

— Et je peux même pas te soigner...

Quentin avait espéré que Capucine se contente de dénicher Olivier sans l'approcher, pas qu'elle aille à l'affrontement.

Capucine fit un bond en arrière et l'arrêta d'une main.

— Je vais à la salle de bain. Je voudrais juste un truc à me mettre. Si possible rien de synthétique... Ou en très petite quantité de tissu, dit elle en regardant chaque personne présente.

Mais en regardant le look de Bo, elle se sentit encore plus abattue d'autant que c'était ma seule femme présente.

— Une serviette fera l'affaire, soupira-t-elle en les laissant pour filer à la salle de bain.

Ahmed regarda Quentin.

— Elle a rien voulu me raconter... A part qu'elle avait jeté une de ses godasse à la tête d'Olivier et que maintenant il voulait la tuer... Enfin un truc de ce style.

Parce qu'après elle l'avait un peu perdu avec les égoûts qui avait volé le cuir le plus précieux de l'univers.

— On n'en saura pas plus tant qu'elle ne sera pas changée et remise, soupira Quentin qui sentait que cela allait prendre du temps.

Il jeta un coup d'oeil à son frère qui avait décidé de faire la gueule et s'était trouvé une seconde bière. Noé n'était pas vexé par la réaction de Capucine. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle avait besoin de se reprendre, de retrouver ses repères. Il avait donc bien fait d'aller lui chercher ses affaires. Cependant, il était en colère contre Olivier, contre Quentin et contre lui-même.

— Seulement, Olivier est dans la nature maintenant...

Quentin réfléchissait. Olivier avait été blessé par les Lumières en Bo, il était affaibli, peut-être gravement. Il irait certainement voir son créateur. Qu'allait donc faire Gauthier ?

Après quelques minutes à entendre la douche couler. Ils entendirent la porte s'entrouvrir.

— Noé, viens-voir, lança Capucine. Et ramène mon sac à main.

Bo se dit qu'elle aussi, elle ne savait pas dire "s'il te plait". Mais elle sentit que elle, personne ne lui ferait la remarque.
Ahmed et Quentin étaient sortis sur la terrasse pour parler de la traitresse. Dimitri ronflait sur le canapé devant un téléfilm en français que le sortilège de Bo transformait en pakistanais et en chinois. Enfin il lui semblait, elle ne parlait aucune des deux langues.

Noé ne se le fit pas dire deux fois. Il attrapa le sac à main et rejoignit Capucine. Il espérait que cet enfoiré de Dark Olivier n'avait pas blessé la jeune femme ailleurs.

Elle referma la porte derrière lui mais elle avait ouvert la petite fenêtre pour faire sortir la vapeur. Elle s'était changée et avait rattaché ses cheveux.

— C'est toi les vêtements, non ?

Elle fouilla dans son sac pour sortir son maquillage. Elle avait au moins ça même si dans la bagarre elle avait perdu son rouge à lèvre fétiche. Elle estompa le bleu qui se formait sur sa mâchoire avec le fond de teint en surveillant sa réponse dans le miroir.

— C'est pas Quentin, fit-il en s'adossant à la porte, lui renvoyant son regard à travers le miroir. Il aurait pris n'importe quoi, lui.

Elle avait l'air d'aller bien si on exceptait cette horrible marque sur son visage.

— J'ai réussi à ouvrir une porte jusqu'à ta chambre à la maison, fit-il avec un sourire.

Elle lui sourit.

— Ça ne m'étonne pas. Tu es doué.

Elle poudra le tout et ce fut comme si rien ne s'était passé. Elle vérifia son reflet et parut se détendre sensiblement.

— Y a que pour les chaussures que tu t'es trompé. Le reste était parfait, dit elle en se tournant vers lui.

Les yeux de Noé restèrent fixés à l'endroit de la marque. Elle avait beau être parfaitement cachée, il savait qu'elle était là et cela lui déplaisait toujours.

— J'ai hésité avec les dorées.

Il détourna les yeux de sa joue pour capter son regard. Il se forçait à rester contre la porte, les bras croisés sur la poitrine, pour ne pas la serrer dans ses bras. Il avait eu peur pour elle. Certes, Olivier n'avait eu aucune chance avec une attaque magique, mais il aurait pu la tuer en employant d'autres moyens.

Elle fouilla encore dans son sac à main.

— Arrête de faire cette tête. Je vais bien. Et à vrai dire, c'est lui qui va mal. Je suis juste un peu vexée de ses manières douteuses pour s'enfuir.

Sans aucune classe. Balancer des poubelles comme une petite racaille de banlieue. Elle espérait qu'il avait super honte de sa sortie.
Elle sortit quelque chose d'une petite poche intérieur et marcha jusqu'à lui. Elle lui attrapa le poignet et y noua un bracelet. Trois liens de cuir tressés avec une tortue sculpté en os, réhaussé par quelques infimes traits de dorure.

— C'est un porte bonheur. Il n'est pas magique bien sûr... Ou s'il l'a été, il ne l'est plus, tu t'en doutes... C’est plus un symbole.

Elle leva ses yeux vers les siens et lui sourit.

— Joyeux anniversaire, Noé, dit elle doucement.

Elle avait vraiment eu peur de l'avoir perdu aussi quand son sac s'était renversé mais il n'en était rien.

Noé s'était rendu compte qu'il était en colère aussi contre Capucine d'avoir pris autant de risques. Il aurait bien voulu le lui faire savoir, mais son geste l'en empêcha. Il ne la quitta pas des yeux le temps qu'elle fixe le bracelet à son poignet. Un porte-bonheur qui ressemblait beaucoup à son bracelet de cheville et à son tatouage. Un symbole commun. Fallait-il y voir un sens caché ? En tous cas, cela lui plaisait énormément, évidemment.

— Merci, fit-il en regardant un peu plus le bracelet à son poignet.

Son regard rencontra celui de Capucine encore une fois. Elle n'y vit aucune malice contrairement à d'habitude, ni même la moindre lueur d'hésitation. Sans attendre, il l'attira contre lui et l'embrassa avec plus de fougue qu'il n'en avait démontré sous le ponton.

— Noé ! ...Non ! chuchota-t-elle en posant ses mains sur son torse pour écarter son visage du sien.

Elle ne s'y était absolument pas attendue même si le sérieux de son visage l'avait alerté quelques millième de secondes avant qu'il ne se lance. Pour une fois, ses joues avait viré écarlates sans qu'elle puisse le dissimuler. Elle lui fit les gros yeux en montrant du regard la porte derrière lui.

— Tu peux pas faire ça ici, murmura-t-elle.

Elle fronça les sourcils et corrigea :

— Je veux dire... du tout... Tu peux pas faire ça.

Même s'il avait dix huit ans depuis quelques minutes. Elle pria pour qu'il ne lui sorte pas cet argument fallacieux. Et comme il était contre la porte, elle ne pouvait même pas fuir lâchement. D'ailleurs, à bien y réfléchir elle devrait commencer par cesser d'être collée à lui sur cette porte.

Noé lui sourit, content de lui. Il avait réussi à la faire rougir et il trouvait que cela lui allait bien. Il faudrait qu'il recommence.

— Et pourquoi pas ? On ne fait pas de bruit. ça ne risque rien, murmura-t-il.

Il avait bien conscience qu'il ne pourrait pas passer trop de temps ici sans qu'on en vienne à se demander ce qu'ils trafiquaient.

Gagner du temps. Et le protéger aussi. Après elle verrait.

— Parce que tu as une petite amie et que je ne veux plus de ça. Débarasse-toi de Clementine et on pourra en discuter.

A l'instant même où elle disait ça, elle s'en voulut de faire ce qu'elle voulait éviter avec lui : des manigances. Comme si elle pouvait se focaliser sur ce genre de détails...
Elle espérait même qu'il la connaissait suffisamment pour voir qu'elle cherchait à le manipuler.

Il la regarda longuement sans cacher ce qu'il ressentait à l'avoir toujours contre lui. Il n'en était pas vraiment capable de toute façon. Il ne paraissait ni fâché, ni déçu et sans doute savait-il ce qu'elle essayait de faire.
Il frôla encore ses lèvres des siennes, mais s'écarta avant de l'embrasser plus franchement au prix d'un gros effort de volonté. Puis, il écarta une mèche de ses cheveux pour la glisser derrière son oreille. Curieusement, il se sentait moins intimidé à cet instant. Peut-être que cela ne durerait pas, mais pour le moment, il se sentait plein d'assurance.

— Je sors sinon Quentin va venir voir ce que je fabriques.

Il lui sourit encore et la relâcha.

Capucine ne le quitta pas des yeux. Elle ne savait pas. Elle ne savait vraiment pas ce qu'il allait faire. Est-ce qu'il la prenait au sérieux et qu'il comptait larguer Clementine sans sourciller alors qu'il la bassinait avec elle depuis des semaines ? Est-ce qu'il préférait renoncer à l'embrasser pour rester avec cette petite gourde de dix sept ans obsédée par les agrumes et les pâquerettes ?
Elle le regarda sortir avec ce sourire indéchiffrable. Non. Elle ne pouvait pas se faire coincer deux fois avec un type aussi glissant entre ses doigts qu'un poisson.
Sauf qu'elle ne pouvait pas lui ordonner de rester là et de lui dire ce qu'il allait faire. C'était trop... trop pas elle.
Elle le laissa sortir, se jeta un oeil dans le miroir et sortit à la suite.

Noé s'était installé devant la télé et consultait son portable. Les sms pour lui souhaiter un bon anniversaire commençaient à arriver, ainsi que les messages sur les réseaux sociaux. Il était plongé dans les réponses à envoyer comme s'il ne venait pas d'embrasser Capucine quelques minutes avant. Se concentrer sur son écran lui permettait de ne pas trop y penser. La demande de Capucine l'avait pris par surprise et il ne savait pas si elle le testait, si elle était sérieuse ou si elle s'attendait à ce qu'il fasse marche arrière, alors il avait gagné du temps. Elle lui avait parlé de manigances, avait voulu lui donner des leçons et peut-être que c'en était une nouvelle.

Capucine rejoignit Quentin et Ahmed sur le balcon.

— Je l'ai brûlé. Il a perdu la moitié de sa main gauche, dit elle en guise de préambule.

Ahmed la regarda surprise.

— Tu l'as... brûlé ?
— Oui et comme il est fait d'ombre, la chaire a disparu... Il n'y a que du vide. Cela va le pousser à retourner auprès de son créateur puisqu'il n'est plus humain mais possédé par une ombre comme Eric, dit elle en s'allumant une cigarette pour la peine.

Quentin jeta un oeil à la flamme du briquet de Capucine en imaginant cela. C'était donc ce qu'il se passait quand une ombre était brûlée.

— Cela le poussera peut-être à faire une erreur et à se dévoiler.

Il jeta un oeil à Ahmed. Il n'avait pas encore parlé du grimoire et encore moins de ce qu'il était à son ami. Il aurait du faire une conférence, cela aurait été plus simple.