Chapitre 21 - Urgence et manigances (partie 2)

Dans les jours qui avaient suivi leur arrivée à Carnac, Bo avait pu se relaxer. Quentin avait visiblement fait passer une consigne à Joanna, à moins que cette dernière suite à leur discussion eut d'elle-même compris que la jeune femme avait besoin de se retrouver seule.
Tous les matins après le petit déjeuner, elle allait marcher le long de la plage jusqu'à une crique où elle était la seule à pouvoir accéder en écartant les eaux. Là, elle s'asseyait sur un rocher et elle pouvait passer plus d'une heure à simplement se laisser envahir par ce qu'elle appelait "le chant de la mer".
Quand elle faisait ça, elle avait la sensation qu'elle pourrait faire ce qu'elle voudrait de toute l'eau qui l'entourait mais également de tout ce qui constituait son environnement : le sable, les algues, les coquillages, les poissons... Chaque séance lui donnait la sensation de nouer un lien plus intime et plus fort avec chacun.
Le reste du temps, elle le passait le plus souvent à dormir sur un transat sur la terrasse ou sur le canapé devant la télévision. Si cela avait inquiété son frère au début, la voir dévorer à table, leur parler et plaisanter normalement, avait fini par le rassurer un peu. Il s'était également mis à la soupçonner de sortir certaines nuits pour aller se baigner. Il ne l'avait jamais vu faire mais avait retrouvé des vêtements trempés un matin où il s'était réveillé avant elle.
De son côté, il avait par la force des choses pris son parti de passer du temps avec Joanna. Quand elle n'était pas stressée par la présence de Bo, elle était plutôt de compagnie agréable. Elle ne se prenait pas la tête, du moins en surface, il n'était pas certain que sous son apparence un peu "je m'en foutiste", il n'y avait pas quelqu'un craignant de tout perdre. Du moins, le peu qu'elle possédait. Elle avait évoqué être orpheline et ne plus avoir que sa petite soeur. Pour autant, elle bossait tellement qu'elle ne la voyait pas tant que ça mais elles semblaient avoir une relation très complice et Kelya était visiblement très indépendante et responsable pour son âge.
Quand elle lui avait pris à tenir une arme et à s'en servir, ils s'étaient finalement plutôt bien amusés et il s'était retrouvé à lui raconter son adolescence à Port Hallen. Il avait plus d'une fois eu la sensation qu'elle avait eu envie d'en faire autant mais un truc l'empêchait de se livrer. C'était alors devenu un jeu, un peu comme ils avaient emmerdé Eric avec sa famille dont il refusait de parler, mais là Dimitri était le seul à essayer de faire parler Joanna.
Bo était d'une totale neutralité à son égard et c'était réciproque. Elles étaient presque trop aimable l’une envers l'autre pour que ça ne devienne pas un peu gênant pour lui.
Même si la cohabitation n'était pas désagréable et qu'il occupait assez bien ses journées, il en venait à espérer que Quentin les libère de cette retraite bretonne. Mais pour faire quoi et aller où... Cela restait un mystère auquel ni lui, ni Bo, ni même Joanna ne semblait avoir de réponse.

Jo appréciait les moments avec Dimitri. Quand Bo n'était pas là, c'était plus facile de se détendre et de profiter des instants en sa compagnie. Dimi était drôle et tellement plus simple que les gens qu'elle fréquentait depuis des années. Elle aimait l'écouter de sa passion pour la photo, de comment elle lui était venue, ses sujets de prédilection, de ses premières expos et de ses premiers boulots, de celle de New York. Quand il avait parlé de sa vie, elle y avait vu le miroir de la sienne et plus d'une fois, elle avait failli lui raconter comment elle avait perdu ses parents biologiques, l'orphelinat où elle avait atterri, son adoption, tout le reste. Mais elle avait tout ravalé. Trop dangereux. Trop près de ce secret qu'elle avait de plus en plus de mal à garder et qui lui semblait près à exploser. Elle savait bien que le jour où cela arriverait - et cela arriverait - tout serait terminé encore plus sûrement qu'après avoir couché avec Quentin. Finalement, dans cette histoire, c'était peut-être cela qui l'avait fait réagir de cette façon le premier soir.

Ce matin-là, Bo avait mis un peu plus de temps à émerger que d'habitude. Elle avait passé une bonne partie de la nuit à parler avec Quentin et cela lui avait fait autant de bien qu'il pouvait lui manquer. Entendre sa voix, ses mots aussi rassurant qu'agréable et même évoquer avec lui tout ce qu'ils pourraient faire lorsqu'ils se retrouveraient. Ses heures de sommeil avaient été troublée par des rêves assez plaisant jusqu'à que Dark Eric y débarque pour tuer tout le monde joyeusement.

— 'lut, dit elle à Joanna.

Cette dernière était attablée devant la table du petit déjeuner. Dimitri venait d'en partir pour aller se doucher. Il avait annoncé qu'il allait laver sa magnifique chevelure et que ça lui prendrait du temps pour lustrer tant de beauté.

— Salut.

Jo était toujours un peu tendue quand elle se retrouvait seule avec Bo et Dimi avait trouvé le bon moment pour disparaître.

— Y a du café, si tu veux, fit-elle en désignant la cafetière sur la table.

— Bonne idée, marmonna Bo.

Elle s'en remplit un bol, y rajouta une cuillère de cacao et du lait. Puis deux sucres. Peut être qu'entre le sucre et le café, il y aura un truc qui lui lisserait le cerveau. Il fallait vraiment qu'elle arrête de se coucher si tard. Et puis de faire des rêves à la con aussi.

Jo glissa vers elle la panière avec le pain frais coupé. Elle s'appuya contre le dossier de sa chaise en buvant son bol, observant Bo.

— On doit aller faire quelques courses aujourd'hui, dit-elle au bout d'un long moment.

— Ah bon ?

Des courses. C'est vrai que ces derniers temps, elle n'était pas très au fait de ce genre de choses. Elle avait essayé de faire des pâtes-boulettes mais pour la première fois de sa vie, elle les avait cramés. Même Dimitri n'en était pas revenu.

— On y va tous ? Genre au supermarché ? Demanda-t-elle en prenant le pain pour y tartiner du beurre.

— ça serait bien, oui.

Jo voulait bien ne pas fliquer Bo tant qu'elle restait au bord de mer, mais elle ne voulait pas prendre le risque de la laisser seule ici s'ils partaient tous les deux faire des courses avec Dimitri.

— On peut faire ça cet aprem. ça nous sortira un peu.

— Oui. Pourquoi pas.

Une sortie supermarché, ce serait pas plus bizarre que le reste de toutes manières.

— Je peux aller dans ma crique avant le déjeuner ? Tu viens me chercher si je zappe l'heure ?

Joanna flippait quand même moins que son frère quand il fallait s'approcher de la plage où elle faisait ses expérimentations.

Jo se resservit du café en hochant la tête.

— ça marche. C'est ton frère qui fait à manger ce midi. On a tiré à pile ou face et il a perdu.

Depuis deux jours, c'était devenu un jeu entre Dimi et Joanna, pour tout et n'importe quoi.

Bo hocha la tête. Elle sentait que ça ne serait pas très compliqué alors. Genre saucisses-purée. C'était pas très grave, la magie, la mer et le manque de Quentin lui ouvrait l'appétit.
Elle but son café et trempa sa tartine dans le bol vide sans en avoir vraiment conscience. Elle songea à ce que Quentin lui avait raconté pour Capucine. Il avait encore foutu les pieds dans le plat. Cela lui avait fait tellement de peine pour lui, de le sentir si dépité. Enfin comment aurait il pu deviner qu'elle était maudite parce qu'elle avait fait sa langue de pute. Et ça, Eric s'était bien gardé d'en parler dans son journal.

— Tu sais que tu n'as plus de café ? fit Joanna en la regardant. Y a quelque chose qui va pas ?

Jo savait que Bo passait beaucoup de temps au téléphone avec Quentin. Son ami avait toujours été souvent pendu au téléphone, mais c'était pour le boulot. Les appels personnels avaient toujours été brefs, il n'envoyait pas de sms et n'utilisait pas les smileys. Sauf que c'était ce qu'il faisait maintenant et Jo se doutait bien que lorsqu'il appelait Bo, ce n'était pas pour parler travail et elle préférait ne pas imaginer de quoi ils pouvaient bien discuter pendant des heures.

Bo regarda son bol. Elle soupira et mâcha sa tartine.

— Non. Il me manque c'est tout.

Et c'était ça le pire. Elle tournait à l'envers mais n'avait pas d'autres excuses que ça.

— Il attend Nhill... Et moi je l'attends lui.

C'était frustrant. Surtout depuis qu'il lui avait dis qu'ils pouvaient s'approcher sans risque maintenant.

— Je suis pas aussi pénible que Bella avec Edward ? Demanda-t-elle brusquement.

— Bella et Edward ?

Cela disait quelque chose à Jo, mais quoi ?

— J'en sais rien, j'ai vu que le premier film, répondit-elle en se souvenant.

Et encore ne l'avait-elle regardé que pour Robert Pattinson, mais elle avait trouvé cela tellement mauvais qu'elle ne s'était pas infligé les opus suivants.

Bo réfléchit en terminant sa tartine si elle connaissait un autre exemple plus parlant. Elle ne trouva pas et se contenta d'attraper un paquet de Cookies au chocolat à la place. Double chocolat.

— J'espère que "Nhill" ne mettra pas 3 semaines à réapparaître, soupira Jo en se levant pour poser son bol dans l'évier.

Elle s'appuya contre le rebord pour sortir ses clopes. Elle en tapota une sur le paquet.
A elle aussi, Quentin lui manquait. Terriblement. Son ami lui manquait. Ils s'appelaient peu depuis qu'il était en Norvège. Il lui parlait comme avant, c'était déjà ça, elle lui envoyait des vannes à nouveau, mais elle le sentait distant. A moins que ça ne soit elle qui le soit.

— Ah mais moi je reste pas ici, 3 semaines. J'ai regardé sur une carte, je peux marcher jusqu'en Norvège à travers la mer, dit elle.

Ça pouvait même être sympa. Mais Quentin avait dit que ça manquerait de discrétion. Elle pouvait refermer le tunnel au-dessus d'elle. Si elle croisait un sous-marin, ce serait pas de veine mais bon...

Jo haussa un sourcil, se demandant si elle était sérieuse. Elle craignait que oui.

— Même si ça doit être fun, on prendra plutôt l'avion.

— C'est moins sûr. Les sangsues maléfiques peuvent le perndre alors qu'elles peuvent pas me suivre dans la mer, fit remarquer Bo en haussant les épaules.

Elle étouffa un bâillement et se demanda si Quentin masquait mieux le manque de sommeil. Sûrement.

Si Jo était restée à Paris, elle aurait pu enquêter là-dessus. Sa famille était forcément impliquée, mais aucun de ses contacts n'avait pu lui donner la moindre information. Il fallait espérer que sa frangine n'ait pas franchi l'Atlantique...
Elle regarda la lumière de Bo et repensa à celle de Quentin. Ils représentaient tellement de magie à eux deux. Le clan de psychopathes serait tellement ravi de leur mettre la main dessus alors pourquoi ne bougeaient-ils pas s'ils étaient sur Paris et que l'un d'entre eux avait sûrement attaqué Bo en Angleterre ?

— T'es sûre que tu vas pas t'endormir sous l'eau ou dans la crique ? T'es crevée.

— Oh ce serait pas grave. Je crois que Dark Eric avait raison. Je peux pas mourir comme ça... Je me suis endormie dans mon bain y a deux jours et...

Bo réfléchit. Joanna ne savait pas ce qu'elle et Quentin étaient. Elle ne pouvait pas entrer dans les détails des ombres protégeant leur hôte.

— L'eau c'est pas un problème, conclut elle.

— Si tu le dis.

Vu ce dont elle était capable de faire, Jo voulait bien la croire sur parole.

— Je vais m'habiller et j'y vais. J'ai trouvé une grotte sous-marine à quelques mètres qui est super chouette. Je vais essayer de la vider de son eau. Peut être que je trouverai des chouettes cailloux pour Quentin.

Elle abandonna son bol dans l'évier et quitta la cuisine.

Quand Bo disait les choses comme ça, Jo avait l'impression d'avoir à faire à une enfant ramenant des trésors pour son petit copain d'école. Le pire étant qu'elle était sûre que Quentin devait penser la même chose dès qu'il voyait du sable et des coquillages. C'était totalement surréaliste !
Jo fit la vaisselle et rangea la table du petit-déjeuner. Elle attrapa son portable et envoya un sms à Quentin.

"Tu devrais avoir honte de toi. Laisse Bo dormir la nuit, elle a l'air d'un zombie.

Elle sourit légèrement en appuyant sur "envoyer". ça, c'était son genre. Il fallait qu'elle retrouve ses vieux réflexes et tout roulerait.

"Des nouvelles de Nhill ?" envoya-t-elle à la suite.

"Dois-je faire une déduction sur ton salaire pour t'apprendre à dire bonjour ?" eut-elle comme réponse. "Toujours rien. Je vais finir par croire qu'il m'a oublié."

"C'est Ahmed qui est poli. Pas moi."

"C'est pour ça qu'il est mieux payé."

Le sourire de Jo s'étira un peu plus. Cet échange était tout à fait normal et cela lui mit du baume au coeur.

Dix minutes plus tard, Bo passa pour lui dire qu'elle y allait. Elle s'était changée pour un simple bas de jogging noir. Elle avait son maillot de bain deux pièces en dessous. Les gens qu'elle croisait sur la plage la prenait pour une simple joggeuse. Arrivée près des rochers, elle laissa son pantalon et ses tennis. Elle faisait ainsi tous les matins. Elle était juste un peu en retard ce matin là.