Chapitre 17 - Destination Carnac

Elle eut un rire nerveux en réponse.

— Je suis pas désolée. Enfin, si, je suis désolée qu'elle l'ait vu. Bref...

Elle écarta ce qu'elle venait de dire en buvant une longue gorgée de sa bière.

— T'as raison : je lui parlerai. Je suis pas là pour foutre la merde. Je suis là pour éviter qu'on vous tue.

Elle le regarda et lui sourit.

— Pour ce que tu disais tout à l'heure sur le fait d'être surveillés et enfermés, je comprends. On peut en discuter tous ensemble et trouver comment faire au mieux.

— Oui. Mais je pense pas que ça tiendra longtemps. Bo arrive à ses limites.

Il arrêta le four et sortit la pizza. Sa soeur arriva à ce moment.

— Y a de la bouffe et le loup en profite pour sortir du bois, dit il en lui souriant.

Elle avait enfilé un pyjama qu'elle avait trouvé dans un placard et une robe de chambre. Ses cheveux étaient encore mouillés.

— Ça sent bon, approuva-t-elle.

Elle s'installa à table et attrapa un soda à son tour.

Joanna s'appuya contre le plan de travail et but une nouvelle gorgée de sa bière. Elle attendit que Dimitri ait coupé la pizza.

— Bo, on est parties du mauvais pied, toutes les deux, et vu ce qui est arrivé hier...

Elle approcha de la table et posa une autre bouteille de bière. Elle jeta un oeil à Dimi avant de revenir à Bo.

— Je vais être honnête avec toi. Oui, je suis amoureuse de Quentin depuis que je le connais ou presque, et même si j'étais envoutée, je regrette pas ce qui s'est passé hier. J'ai vraiment pris le pied de ma vie. Si c'était à refaire, je signe de suite. Mais je suis vraiment désolée que tu ais assisté à ça.

Elle glissa la bière vers Bo.

— De toute façon, on sait toutes les deux que Quentin en a rien à foutre de moi. Si l'autre l'y avait pas forcé, jamais il m'aurait touchée. Y a que toi qui comptes à ses yeux.

Bo resta à siroter son soda sans la quitter du regard.

— J'ai jamais rencontré quelqu'un qui puisse être aussi méchant dans ses propos en affichant un air cool, dit elle finalement.

Elle regarda son assiette où Dimitri avait déposé une part de pizza. Ce dernier avait serré les dents quand Joanna avait insisté sur le fait qu'elle avait pris du plaisir et le reste. Quand il avait parlé de franchise, il n'avait pas pensé qu'elle entrerait dans les détails.
Bo tira sur un morceau de pizza en regardant le fromage filer comme de l'élastique.
Elle vit Kelly sous la pluie lui dire "Il n'y en a jamais eu que pour toi ! Mais je l'ai eu ! Il ne t'appartient plus ! Il est à moi ! Tu as compris maintenant ? Il a couché avec moi. Moi ! Il me voulait, moi ! Et on aurait continué à baiser si ton putain de frère n'avait pas essayé de le tuer !". Ce n'était pas pareil. Ce n'était pas la même histoire. Elle sentit les larmes rouler sur ses joues et les essuya d'un revers de main.
Hier elle s'était mise en colère. Maintenant, elle se sentait juste triste. Pourquoi les filles avaient elles besoin de blesser en disant qu'elles avaient pris quelque chose qui comptait pour elle et que si ça vous faisait de la peine et ben c'était tant pis pour vous ? Pourquoi l'étaler de cette manière ? Est-ce que c'était juste une façon de lui faire comprendre qu'elle ne valait pas grand chose ?
Elle tira un morceau de gruyère et le grignota du bout des lèvres. Elle aurait bien aimé pouvoir être amie avec une fille sans qu'il y ait toujours cette concurrence qu'elle ne recherchait pas.

Joanna soupira. Elle aurait encore préféré qu'elle lui gueule dessus. Elle s'éloigna pour sortir de la cuisine.

— J'ai pas voulu être méchante, je suis franche, je l'ai toujours été. De toutes façons, dis-toi bien que je ne serais pas là longtemps. J'ai tout perdu hier. Notre amitié est foutue, je l'ai vu dans ses yeux.

Et Quentin n'avait même pas à eu à perdre son pari pour ça. Elle aurait encore préféré. Cela aurait été sans doute moins douloureux.

— Garantir votre sécurité ici sera ma dernière mission pour lui. Après, je me casse.

Elle avait dit ça sur un ton las. Elle attendrait que Kelya ait passé son bac et ensuite, elles quitteraient Paris. Elles retourneraient peut-être aux Etats-Unis. Elles iraient loin en tous cas.

— T'as pas besoin de ta casser. Peu importe ce qu'il advienne, Bo ne restera pas à Paris, dit Dimitri.

Il ne s'avançait pas des masses en disant ça.
Il sentait que l'ambiance serait vraiment pesante. Il détestait voir Bo pleurer mais il fallait bien que ça sorte.

— Après je suis un mec alors si t'es okay avec le truc, Quentin le sera aussi. C'est vous les filles qui croyaient qu'une amitié est foutue juste pour un câlin ou un bisou. Le truc c'est que vous dites " nan c'est bon, c'était une fois et c'est cool" et puis en vrai vous attendez plus... C'est vous qui faites merder l'amitié.

Bo continua de dépioter sa pizza, mangeant chaque ingrédient les uns après les autres.

Les filles... Peut-être que ça faisait bien trop longtemps que Jo était dans cette peau-là.

— J'ai jamais rien attendu de lui de ce côté-là. Y avait rien de possible entre lui et moi. Quentin est le mec le plus droit que je connaisse. Il doit se sentir responsable de ce qui s'est passé, même si c'était loin d'être sa faute. Dans sa petite tête, il a blessé Bo et il a abusé de moi... Sans doute aussi qu'il a du comprendre que je l'aimais et il ne saura jamais quoi faire de ça.

— Ben tu lui dis cash. Que tu étais consentante, que t'as pas compris que lui ne l'étais pas mais que tu as conscience que ça ne se reproduira pas. Et qu'il n'y a pas de malaise pour toi. Ce sera bizarre au début et puis ça passera.

Dimitri soupira et regarda sa soeur.

— Et toi, arrête de chialer. On mange pas sa pizza comme ça... Il te restera plus que la pâte et la sauce tomate, ce sera dégueulasse au possible.

Il n'en avait vraiment pas envie mais il sentait qu'elle allait lui refaire le coup de Londres et il n'avait pas Géraldine sous la main pour l'aider à la dérider. Parce que bon Joanna n'était pas du genre à mettre de l'ambiance non plus. Il sortit son portable et envoya un sms à Quentin.

"Ce serait vraiment bien que t'appelles à Karnac pour parler à Bo."

Il détestait être si faible en demandant à ce type de faire ce qu'il aurait dû pouvoir faire tout seul. Il n'aimait vraiment pas sentir les limites de sa relation avec sa soeur.

Joanna regarda Dimitri longuement. C'était vraiment un mec bien lui aussi.
Elle se tourna à nouveau vers Bo. Elle paraissait bien plus fragile avec ses joues sillonnées de larmes.

— J'ai jamais eu de copines, alors je sais pas ce qu'on fait dans ces cas-là, mais j'ai rien contre toi. On peut essayer de repartir du bon pied, t'en penses quoi ?

— Te force pas, murmura Bo. Je sais que tu ne m'apprécies pas. Tout le monde se demande ce qu'Eric pouvait me trouver et c'est la même rengaine avec Quentin.

Elle grignota un carré de jambon.

— Et peut être que tout le monde sera satisfait quand on aura trouvé que c'est une raison magique ou maléfique.

Elle était incapable d'expliquer la puissance de ce qui la liait à Quentin. Tout était évident quand ils étaient ensemble mais le regard des autres semblait rendre les choses... mauvaises, condamnables. Pour Connor, on l'avait accusée d'être une selki ou une dépravée qui l'avait attrapé dans ses filets. Elle était certaine maintenant que si Eric ne l'avait ramené à paris c'est qu'elle aurait entendu des choses du même acabit. Personne ne se réjouissait jamais qu'elle puisse entrer dans la vie d'un homme.
Elle soupira et essuya ses yeux encore une fois. Elle détestait se sentir à marée basse ainsi.

Jo finit sa bière en retournant s'appuyer contre un meuble.

— On se connait pas. On a à peine échangé quelques mots. Comment tu peux dire que je t'apprécie pas ?

Bo leva ses yeux vers les siens. Observant comme elle le faisait toujours son visage en même temps qu'elle pouvait parler.

— Parce que je débarque de nul part et que Quentin change. Parce que je prends le lien que tu voulais, dit elle à voix basse.

Et qu'en contrepartie, elle avait pris avec plaisir ce que Quentin ne pouvait lui donner.

— Je n'ai rien de spécial.

Et elle savait combien ça pouvait énerver les gens qu'une fille comme elle arrive à faire des trucs qu'ils ne comprenaient pas.

— C'est vrai que ça m'inquiète de le voir changer comme ça, aussi vite je veux dire. Mais je te l'ai dit : y aurait jamais rien eu entre nous. Notre amitié est importante pour moi, plus qu'une partie... plus que le reste.

Elle haussa les épaules.

— Mais ce qui se passe entre vous, je crois que c'est bien parce que tu es spéciale.

Joanna ne mentait pas sur ce point. Si Bo n'était pas une luciole comme Quentin, s'il n'y avait pas cette fréquence magique similaire, les choses seraient certainement bien différentes.

Le téléphone de Dimitri sonna, affichant le numéro de Quentin.

Dimitri se leva pour décrocher, laissant un instant les deux filles. Elles ne semblaient pas prêtes à se sauter à la gorge.

— Enfin. Heureusement qu'on est pas tous mort. Enfin à part le portable de Bo.

— Je suis avec Nhill. Mon portable passe mal. Qu'est-ce qui se passe ? Elle va bien ?

— Non sinon je t'aurais pas envoyé de message. Bien entendu, ça ne se passe pas bien avec le T-X féminin qui te sers d'assistante.

Il aimait bien Joanna mais ses méthodes étaient expéditives. Et encore il était certain qu'en ce moment, elle faisait des efforts de dingue.

— Bref va falloir que tu joues les mecs prévenants et essaie d'être convaincant. Je suis sûr que le téléphone c'est pas ton truc à part pour gérer ton boulot mais là t'es à deux doigts qu'elle plaque tout.

Dimitri regrettait de lui dire mais si sa frangine voulaient qu'ils s'en aillent, il préférait qu'elle le fasse en étant sûr d'elle et pas pour que Roméo court derrière le train.

Dimitri entendit un long soupir un peu lointain, signe qu'il devait être en haut-parleur et au volant.

— Passe-moi Bo.

Dimitri revint près des deux filles et tendit le portable à sa soeur.

— C'est Satan.

Elle leva les yeux vers lui et il détesta cette lumière qui sembla y naitre instantanément. Elle prit le téléphone et sortit sur la terrasse.

— Allo, dit elle.

— Bo.

Rien qu'à cette syllabe, elle put entendre combien il était heureux de l'entendre et combien elle lui manquait.

— Raconte-moi.

— Euh... Ben on est arrivés. Tout va bien. La mer est là. On mange une pizza surgelée. Mais on l'a fait réchauffer avant.

Elle se sentait peu convaincante. Que pouvait elle dire alors qu'il était si loin ? Elle ne voulait pas l'inquiéter ou lui faire du mal. Il suffisait bien qu'elle fasse souffrir son frère sans en rajouter.

— Bo... Je suis vraiment désolé que ça ne se passe pas bien avec Jo. Je sais qu'elle est un peu expéditive et directe. J'aurai tellement préféré t'emmener avec moi ici.

— C'est pas grave. Tu fais ce que tu peux, murmura-t-elle. Et moi, j'aurais pas dû vouloir aller sur la plage seule. J'ai plus de téléphone. Je ne pourrais même pas t'envoyer des messages...

Au moins pourrait il se concentrer sur son travail ainsi.

— Si c'est grave. Je le sens bien à ta voix... Pour le téléphone, vous n'aurez qu'à aller en acheter un neuf à Carnac demain.

— J'ai juste besoin d'être un peu seule, si je ne peux pas être avec toi. Je sais que ma sécurité passe avant tout... Mais j'ai besoin de me recentrer, dit elle. Je veux pas qu'on me suive partout ou qu'on imagine le pire dès que je me connecte à la mer...

Mais c'était comme Quentin... Elle le faisait d'instinct sans pouvoir prévenir ou expliquer ce qu'elle allait faire.

Quentin ignorait ce qui s'était passé, mais il pouvait plus ou moins deviner à ce qu'elle venait de dire.

— D'accord. De toutes façons, tu es capable de te défendre. Tu as les ombres et la magie de l'eau. Je crois même que tu ne peux pas être plus en sécurité que sur la plage. Je passerais le message à Jo.

Elle l'entendit ralentir.

— Je sais très bien que toutes les mesures que j'ai prises jusqu'ici t'ont étouffée. Je fais au mieux, mais soyons réalistes : ça ne fonctionne pas comme je l'espère.

Nhill avait pu pénétrer les défenses de la maison aussi simplement que s'il n'y en avait pas eues. Il avait pourtant tout inspecté à l'arrivée de Bo, rien n'avait été laissé au hasard. Sa seule consolation était qu'avec cette intrusion comme prétexte, il allait pouvoir tout revoir et s'assurer de dénicher ce que Gauthier avait pu placer comme mouchards et sortilèges pour les espionner.

— Comme tu l'as dit : je ne suis pas très doué comme héros, fit-il avec un léger sourire dans la voix malgré tout.