Chapitre 17 - Destination Carnac

Mercredi 16 mai

Joanna arrêta la voiture devant l'entrée du parc et fixa longuement la maison des de Lyonesse derrière ses lunettes de soleil. Elle n'aurait pas dû attendre hier. Elle aurait du faire sa valise, celle de Kelya et partir en vacances, couper son portable, et disparaître quelques jours. Ainsi, Quentin n'aurait pas pu la joindre pour lui demander de se jeter dans la gueule des loups anglais et elle n'aurait pas accepté. Mais évidemment, il avait eu besoin d'elle et elle avait répondu présente. Elle était incapable de lui dire non, même après ce qui s'était passé. Peut-être même à cause de ça.
Elle avait passé une bonne partie de la nuit à repenser à comment Quentin l'avait prise sur ce bureau, ce qui n'était pas l'idée du siècle si elle souhaitait dormir. Elle ne pouvait même pas se dire que cela lui ferait un beau souvenir... Pourtant, elle avait grave pris son pied. Elle n'avait jamais connu un orgasme pareil, sous aucune de ses formes, avec personne. Est-ce que cela venait de Quentin ? De la possession qui les avait complètement désinhibés ? En même temps, Jo l'était toujours au pieu. Elle n'avait jamais eu froid aux yeux de ce côté-là. Et il y avait eu ce shoot magique. Puissant. Incommensurablement puissant. La petite dose qu'elle avait prise sur Clochette 5 ans plus tôt lui avait coupé les jambes et le souffle. Cette fois, elle avait bien cru qu'elle allait défaillir ou exploser tellement la magie avait irradié dans tout son corps. La montre dans sa poche était surchargée de la magie de Quentin au point que le verre s'était fendu. Elle l'avait tournée et retournée dans sa main une bonne partie de la nuit, sentant qu'elle avait à disposition une réserve de magie lui permettant de pallier au manque pour un bon moment, d'autant plus que la magie de Quentin flottait toujours en elle, lui donnant une pêche d'enfer. Elle se sentait capable de tout, de réussir n'importe quel rituel ou sort d'un claquement de doigt.
Enfin... L'objectif premier d'aujourd'hui n'était pas de faire de la magie, mais de rester en vie. Quentin avait beau dire que Bo savait qu'ils avaient été manipulés - puisqu'elle l'avait été aussi sinon pourquoi laisser Alexis l'embrasser ? -, Jo n'était pas tranquille. Un accident était vite arrivé...
Elle redémarra et gara la bagnole au garage, notant qu'une Audi dernier modèle flambant neuve l'attendait devant le perron. Elle prit une grande inspiration et se décida à rejoindre la maison.
Elle était habillée plus simplement aujourd'hui, d'un jean et d'un chemisier, des boots à talons aux pieds. Les valises des uns et des autres étaient déjà dans l'entrée. Elle se rendit sans attendre dans la salle à manger.

— Bonjour.

Les Hendricks étaient à table avec Quentin, Capucine et Noé. Ils terminaient leur petit-déjeuner. Gwen avait déjà fini le sien et était partie se préparer pour le départ. Alexis ne s'était pas encore montré. Ahmed était déjà reparti. Il était venu apporter l'Audi pour Joanna et avait filé avec l'une des voitures d'Eric après que Quentin lui ai expliqué brièvement la situation.
A la tête des uns et des autres, personne ne s'attendait à la voir débarquer. Il fallait dire que ça faisait une bonne demie-heure que Quentin tentait d'expliquer à Bo et Dimitri qui allait les accompagner à Carnac et qu'il n'avait pas trouvé comment le leur dire sans que la vaisselle ne finisse façon puzzle sur le parquet.

Capucine reposa sa tasse et repoussa sa chaise pour s'éloigner de Bo, de l cafetière, de la confiture et de tout ce qui pouvait tâcher. Elle tenait beaucoup à la tunique short qu'elle avait passé. Comme c'était de la soie sauvage teinte naturellement, elle savait que ce ne serait même rattrapable au pressing.

— Bonjour Joanna, dit Gwen en lui souriant ne comprenant pas le brusque froid qui était tombé sur la table.

Bo regarda Quentin et leva un doigt vers lui.

— Non ! dit elle avec une voix menaçante.

Capucine préféra se lever et voyant la fenêtre s'en éloigna pour l'étagère. Peut être qu'elle devrait carrément trouver un prétexte pour sortir de la pièce. Elle avait passé tellement de temps à lisser ses cheveux avant de les attacher en queue de cheval basse.

Noé attrapa son bol de céréales et se recula aussi. Il n'aurait pas cru son frère si inconscient.

— Si, répondit Quentin à Bo.
— Tu leur as même pas dit... T'abuses... soupira Joanna en surveillant la vaisselle et Bo.

Le regard de Dimitri s'était fait acéré et allait de Quentin à Joanna.

— Joanna assurera votre sécurité à Carnac, précisa Quentin avant que Bo ne pense qu'elle allait l'accompagner en Norvège.

Bo se leva en posant ses mains sur la table sans le quitter des yeux.

— Tu veux nous mettre dans la même voiture. Tu es sûr que c'est bien ça que tu veux.

Gwen regardait tout le monde et sentit que personne n'allait lui expliquer ce qui s'était passé.

Voilà pourquoi il n'avait pas réussi à lui en parler ce matin...

— Bo, je sais très bien que personne n'en a envie, mais si je veux que vous soyez en sécurité là-bas, Joanna est la plus à même de vous protéger.

Jo se demandait s'il disait ça pour lui passer de la pommade ou pour mieux faire passer la pilule.

— Ce n'est pas ce que je te demande. Ma question est : tu mesures les conséquences. Tu sais ce que tu me demandes et ce qui va se passer me laissant enfermer avec... elle.

Bo avait fait un effort considérable pour employer le pronom personnel et pas une injure.
Capucine essaya d'apaiser les tensions :

— Le bon côté des choses, c'est que je serai la seule femme avec lui là où on va.

Bo la fusilla du regard.

— Oui et toi non plus, tu n'aspires pas à ce qu'il t'écarte les cuisses...

Gwen adressa un regard aussi choqué que perplexe à son fils. Mais avant que ce dernier puisse dire quelque chose Bo lâcha la table.

— Okay. Je vais pas faire une scène. Je vais être raisonnable. Je vais fermer ma gueule et me laisser expédier au fin fond de la Bretagne parce que c'est déjà assez pénible pour tout le monde, dit elle en levant les mains.

Elle le regarda en pointant à nouveau son doigt vers lui.

— Mais c'est bas... C'est vraiment très bas, sache-le. Et tu mériterais d'aller en voyage avec Connor comme garde du corps.

Quentin aurait préféré que Capucine n'ajoute rien, ce qui lui aurait évité la réponse de Bo. La mention de Connor lui déplut fortement et cela se vit.

— Si ça permettait de te garder en vie, je le ferais, fit-il néanmoins. Et je pars déjà avec Alexis, tu te souviens ?

Certes, il y avait une marge entre un baiser avec ce dernier, même long et passionné, et avoir couché avec Joanna...

— Je crois que je vais attendre dans la bagnole, fit Jo.

Bo planta ses yeux dans ceux de Quentin.

— Très bien. Alors tu ne confieras pas de tatouage à Alexis comme ça quand Nhill aura besoin de revenir traficoter des trucs en moi il saura qui prendre... A moins qu'il ne fasse traverser la manche à Ewen. Grand, roux avec de beaux yeux verts...

Il se leva à son tour, posant lui aussi ses mains à plat sur la table.

— Ne commence pas avec ça. La bouche d'Alexis restera loin de la tienne et je ferai en sorte que ça soit pareil pour cet Ewen ou Watson.

Noé dévorait ses céréales comme s'il était au cinéma.

— On ira jamais voir mes parents alors si je comprends bien, dit elle en croisant les bras.

— Je ne vois vraiment pas comment tu peux déduire ça de ce que je viens de dire, répliqua-t-il sur le même ton. D'où tu sors ça ? Que je sache, Watson ne vit ni chez ton père, ni chez ta mère.

Jo avait lâché l'affaire même si voir les deux lucioles clignoter au même rythme aurait été fascinant en temps normal. Elle préférait retourner dehors fumer une clope en attendant que l'orage passe et que l'attende une ambiance glaciale pour le voyage.

— Mais je compte bien inviter Watson tous les dimanches au barbecue familiale. Il fait parti de la famille au moins autant que TA Joanna, dit elle en décroisant ses bras.

Cela se vit qu'utiliser l'argument de la famille lui déplaisait, d'autant plus qu'il ne pouvait rien redire là-dessus et elle le savait.

— ça, c'est un coup bas. C'est formidable comme ça, on réunira tout le monde : TON Connor, Jo, Alexis, Ewen...

— N'inverse pas le rôle, Quentin de Lyonesse, le coup bas c'est toi qui vient de le faire en me cloitrant avec Joanna sous couvert de ma sécurité.

Elle quitta la pièce. Capucine regarda autour d'elle, presque surprise qu'il n'y ait rien eu de cassé. Même pas une petite assiette. Dimitri sortit ses clopes et en coinça une entre ses lèvres.

— Tu sais qu'à ce rythme, tu risques de plus l'embrasser du tout... Magie ou pas. Même si elle en a envie, elle est hyper butée dans son genre... T'aurais mieux fait de mettre Olivier dans la bagnole, au moins l'ambiance aurait été un peu plus légère... D'ailleurs, Noé, je veux bien une potion euphorisante parce que le voyage je le sens moyen et j'ai pas envie de compter les points et de soigner les bobos, dit il faisant bouger légèrement sa cigarette.

Quentin était resté debout et se faisait violence pour ne pas poursuivre Bo. Il ne voulait pas alimenter cette dispute. Il ne voulait pas non plus qu'ils se quittent fâchés, mais il savait qu'il finirait par la toucher ou la prendre dans ses bras. Il valait certainement mieux attendre que les choses se calment, autant pour elle que pour lui.

— Capucine, on part dans 1h, dit-il finalement en regardant sa montre avant de quitter la pièce.

Noé se rapprocha de la table maintenant que le danger était passé.

— Moi qui croyais que mon voyage allait être tendu... Je crois que je vais te filer tout mon stock, Dimi. Tu vas vraiment en avoir besoin.

Dimitri le regarda.

— Fais comme moi... Profite surtout qu'ils soient séparés. Quand ils se retrouveront, ils le feront sur la table du petit déjeuner sans même se rendre compte qu'on est là.

Il soupira en songeant qu'il trouvait déjà que Bo exagérait quand elle se faisait peloter par Connor sur le canapé familiale le dimanche ou quand ils s'enfermaient dans la salle de bain avec le seul chiotte de la baraque mais en fait, il se rendait bien compte qu'avec Quentin c'était pire encore. Ils suffisaient qu'ils se regardent pour que plus rien n'existe du tout. La pudeur encore moins que le reste.

— J'espère que nous n'aurons pas à vérifier cette hypothèse, Dimitri, dit Gwen en reposant son toast.

Elle regarda Noé.

— Mais je pense que nous aurons une petite discussion sur la route. Il est visible que "intrusion" n'est pas la seule version aux débris de glace dans notre maison, dit elle un peu âprement.

Noé baissa les yeux au ton de sa mère et se mordit la lèvre pour ne pas répliquer qu'il y avait pourtant bien eu "intrusion", juste que c'était dans tous les sens du terme. Il n'y était pour rien si Quentin n'avait pas raconté les détails.

— Je vais finir mon sac, fit-il précipitamment avant de sortir à son tour.

Ce n'est qu'une demie-heure plus tard que Quentin retrouva Dimitri.

— J'ai quelque chose à te donner avant que vous partiez.

Il venait de remettre à Joanna l'objet de pouvoir qu'il lui avait destiné. La jeune femme lui avait reproché de l'avoir mis encore plus dans la merde en ne prévenant pas Bo et Dimitri.

Dimitri était installé sur la terrasse pour fumer ses cigarettes tranquillement. Sans filles pour piailler ou s'envoyer des piques. Il préférait quand sa soeur y allait plus franco en donnant un bon coup de poing. Comme ça on en parlait plus. Sans les ombres si possible. Mais là, la situation était pourrie et elle serait pesante. Bien sur, ce serait encore à lui de détendre l'atmosphère. Ça le gonflait un peu de jouer les animateurs radio au lieu d'envoyer lui aussi tout valser.

— Encore un joli tatouage pour mettre mon physique en valeur ? Si c'est le cas, t'aurais du mettre un autre mâle dans cette bagnole...

— Je suis en rupture de stock, sinon je l'aurai fait bien volontiers. Contrairement à ce que tout le monde pense, je n'ai pas assigné Jo à votre protection par gaité de coeur ou par inconscience.

Mais même s'il savait maintenant que Gauthier était derrière tout ça, Quentin ne pouvait pas baisser sa garde face à Olivier. Il était trop proche de Sophie, avait tenté un rapprochement avec Bo...

— Je n'ai pas suffisamment confiance en Olivier pour en faire votre garde du corps et mes autres hommes peuvent être compromis, volontairement ou non.

Quentin n'avait encore jamais parlé avec Dimitri seul à seul depuis son arrivée ici.

Dimitri éclata de rire et regarda son mégot avant de l'écraser sur la table de jardin.

— Ah mais mec, tu te trompes si tu crois que j'imagine que tu l'as fait de gaieté de coeur ! Je pense que toi et ta famille vous n'avez pas toutes vos cases là dedans, dit il en se tapant la tête de son index.

Il haussa les épaules :

— Je dis pas que ma famille vaut mieux... Mais si t'excepte Irina, c'est beaucoup plus sain. Ce qui commence à me gonfler sérieusement c'est que toi et ton frère, vous avez toujours une bonne raison pour foutre la merde dans la vie de ma soeur. Limite, je préférais le cas Connor parce que lui, il était juste con. Mais vous... Vous faites les choses en grand. Vous agressez, vous tuez, vous violez... Mais c'est jamais vous. C'est LA MAGIE.

Il soupira et s'alluma une nouvelle clope en le regardant dans les yeux.

— J'aurais fais la moitié de ce que toi et Eric vous avez fait à Bo à ton p'tit frère, tu m'aurais enfermé à vie dans une de tes cellules magiques. Maintenant, je peux rien dire... Bo ne m'a jamais beaucoup écouté avant mais là... Elle est complétement "envoûtée" justement. Alors je vais rester là, tranquille, dans l'ombre. A surveiller, à ramasser les pots cassés comme toujours... Mais va falloir arrêter d'attendre de moi que je comprenne ou que je compatisse à toutes vos embrouilles. Je suis là pour Bo. C'est tout.

Quentin aurait bien eu des choses à redire sur le discours de Dimitri, mais tenter de le convaincre qu'il ne voulait aucun mal à Bo et qu'il ne l'avait pas envoûtée prendrait du temps et il n'en avait pas. Que Dimitri soit sur le qui-vive n'était pas plus mal de toute façon. Sans faire aucune remarque, il lui demanda simplement son zippo. Il y glissa un peu de son fluide magique et y ancra un sortilège avant de le rendre à Dimitri.

— Quand tu l'allumeras, ça déclenchera une barrière protectrice autour de toi et de la personne qui te touche. C'est efficace contre les attaques physiques et magiques. Les sorts ricocheront dessus. Si tu souhaites quelque chose de moins magique, Joanna t'apprendra à te servir d'un revolver.

Il avait déjà vu ça avec la jeune femme un peu plus tôt.

Dimitri esquissa un léger sourire en rangeant le briquet.

— Je vais éviter de dire à Bo qu'il y aura un flingue dans cette bagnole.

— Il sera dans le coffre.

Quentin confia également à Dimitri le petit miroir de poche que Capucine avait préparé, ainsi que les instructions qui allaient avec. Puis, il le laissa, jetant un coup d'oeil à sa montre. Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant de partir et il ne pouvait se permettre d'être en retard. Il y avait un horaire à respecter.
Il se mit en quête de Bo. Il ne souhaitait pas la quitter sur une dispute.

Elle était assise sur les marches du perron devant la maison. Elle serrait son gilet contre elle. Elle semblait perdue dans ses pensées, son sac à bandoulière devant elle. Elle avait attaché ses cheveux à la va-vite.

Quentin descendit les quelques marches pour être en face d'elle. Il avait mis les mains dans ses poches.

— Je vais y aller, Bo, dit-il doucement.

C'était comme la veille au matin. Il avait l'impression de marcher sur un fil, ne sachant pas comment elle allait réagir.