Chapitre 2

Le lendemain - Port Hallen

Maître Hurley était vraiment un notaire efficace. Il n'avait pas fallu 24h pour que l'acte de propriété de la maison soit au nom de Bo Hendricks. Pour la pêcherie, ce serait un peu plus long, mais cela suffisait déjà à Quentin pour retourner voir la jeune femme.

Quentin terminait son petit-déjeuner dans sa chambre d'hôtel. L'établissement était loin de correspondre à ses standards habituels. A peine avait-il les pré-requis pour être un 3 étoiles. Ils auraient pu retourner à Bristol pour un meilleur confort, mais pour quelques nuits, cela ferait l'affaire. Alexis avait évidemment trouvé à redire, comme pour tout.
Quentin lisait le journal, sa tasse de café en main et son portable posé sur la table, y jetant régulièrement des coups d'oeil. Il avait eu sa mère au téléphone la veille au soir, mais n'était pas rentré dans les détails, simplement que le premier contact n'avait pas été aussi facile qu'il l'aurait pensé.

Le téléphone de la chambre sonna. Alexis décrocha, reposant son smartphone où il faisait un jeu.

— Je voulais juste vous prévenir que Mademoiselle Hendricks montait à votre chambre... Souhaitez vous que j'appelle l'agent Stenwick ?

— C'est qui l'agent Stenwick ? demanda Alexis un peu perdu.

La porte s'ouvrit brutalement et Bo marcha jusqu'à la table de Quentin pour lui jeter une enveloppe à la figure.

— Qui a eu cette idée à la con ? demanda-t-elle furieuse.

Elle avait abandonné le tee shirt licorne pour une petite robe noire, sa veste en jean et ses docs marteens couvertes des guêtres de sa grand-mère. Les noirs et grises cette fois.

Quentin n'eut pas eu le temps de reposer sa tasse de café qui se renversa sur sa chemise blanche, éclaboussant au passage le gilet aux boutons argentés qu'il avait laissé ouvert et son pantalon. Il se releva d'un bond, constatant les dégâts en fronçant les sourcils et en maugréant quelque chose en français sur un ton plus que contrarié. Il avait eu de la chance, son café n'était plus aussi brûlant que lorsqu'il se l'était servi, mais il n'appréciait guère qu'on lui crie dessus, ni qu'on ruine ses vêtements.
Ce matin, il avait suivi les conseils de sa mère qui lui avait demandé de paraître moins sévère pour aller voir sa belle-soeur et avait choisi de mettre son costume bleu foncé. Au final, seule la cravate et la veste avaient échappé à la furie qui venait de débarquer dans sa chambre, étant encore sur leur cintre.
D'un geste sec, il reposa sa tasse de café désormais vide sur le journal froissé.

— Bonjour, Miss Hendricks. Puis-je vous demander ce qui me vaut un costume complètement fichu ? fit-il en montrant l'enveloppe dans sa main.

Quentin ayant pensé que Maître Hurley lui ferait parvenir les papiers pour qu'il les remette à Bo, il n'avait aucune idée du contenu de l'enveloppe.

— Il était hideux, vous devriez me remercier.

Elle revint à l'enveloppe.

— Sois disant que nous étions locataires... La bonne blague ! Et quand j'appelle ce notaire à la noix pour avoir des précisions, il me dit que la pêcherie aussi appartient aux Hendricks qu'il me recontactera bientôt !

Elle leva un doigt qu'elle appliqua en petite piqure régulière sur le torse de Quentin.

— Si Eric était là, c'est lui qui aurait pris. Mais si vous, vous prenez la relève de ses bonnes œuvres, je vous assure que vous prendrez aussi cher.

Ça la mettait d'autant plus en colère que des tas de gens bossaient là bas et que si elle refusait alors ils seraient à nouveau au chômage. C'était déplaisant au possible comme façon de faire.

Il attrapa son doigt pour qu'elle arrête ce qu'elle faisait. C'était quelque chose de franchement désagréable.

— Tout appartenait à Eric, c'est logique que cela vous revienne. Je ne vois pas en quoi c'est un problème d'être propriétaire de votre maison. Quant à la pêcherie, vous n'êtes pas obligée de la gérer vous-même.

Il ne comprenait vraiment pas ce qui la mettait autant en colère.

— Si Eric l'a fait dans mon dos c'est bien qu'il n'avait pas la conscience tranquille.

Elle tira pour récupérer son doigt et lui mettre cette fois sous le nez.

— Il savait qu'il n'y a rien que je déteste plus que l'argent facile. Nous n'avons pas besoin de sa pitié et encore moins de la vôtre. Je vais voir avec les employés de la pêcherie pour qu'ils puissent créer une structure d'auto-gérance et c'est au nom de ce groupe que vous mettrez les papiers pas au mien.

Il recula légèrement la tête.

— Vous ferez bien ce que vous voudrez avec, elle est à vous, mais il n'est pas question de pitié. D'où est-ce que vous sortez une idée pareille ? Eric souhaitait que vous soyez à l'abri en étant propriétaire de cette maison, c'est aussi simple que ça. Quant à la pêcherie, en quoi est-ce un mal de donner un coup de pouce à votre famille ? Quand il me l'a demandé, je crois que tout ce qu'il voulait, c'était aider des gens qu'il appréciait réellement. Et arrêtez avec votre doigt, c'est agaçant.

— Non non non c'est pas ça, protesta-t-elle en éloignant son doigt mais pour l'agiter comme une mouche agaçante autour de Quentin.

Elle s'approcha même pour ajouter :

— La première fois qu'il est entré chez moi, il a failli ne pas s'en remettre parce que Môôssieur de Lyonesse ne savait même pas qu'un mur pouvait être couvert de moisissure ! Limite il croyait que c'était une invasion magique d'une autre dimension.

Le pire c'est que ça lui avait semblé plus logique qu'un champignon dû à l'humidité.

— Et ensuite, il n'a pas compris pourquoi moi et dans un autre répertoire mon père vivions dans des endroits pareils... Alors la pitié et les regards affligés, c'est bon j'ai déjà donné !

Elle s'écarta cette fois mais pour quitter la chambre.

Ce qu'elle racontait ressemblait déjà plus au Eric qu'il connaissait. Bien évidemment, Quentin n'avouerait pas qu'il aurait certainement réagi de la même manière.
Il soupira et la suivit, essayant d'oublier le café qui maculait ses vêtements.

— Vous voyez le mal là où il n'y en a pas, Miss Hendricks. La pitié ne fait pas partie des habitudes de la famille.

— Ça je m'en suis rendue compte récemment, oui !

Elle se retourna pour le regarder.

— Sérieux, laissez-moi tranquille, demanda-t-elle plus calmement.

Il s'était arrêté net, ne comprenant pas sa première remarque.

— ça, je ne peux pas. Pas avant que nous ayons discuté de ce qui s'est passé ce jour-là.

Il pointa son ventre du doigt brièvement.

— Et pas avant d'être sûr que cet enfant ne soit pas celui d'Eric. S'il s'agit de son fils, alors il aura une place importante dans notre famille.

Elle lui adressa un regard noir et dit en détachant chaque mot :

— Je ne suis pas une pouliche.

— Loin de moi cette idée.

Quentin soutint son regard. Ses yeux étaient presque de la couleur des siens, une teinte plus sombre peut-être.

— Mais il y a des choses que vous ignorez sur notre famille, dit-il plus posément. Je ne suis pas votre ennemi.

Il voulait vraiment qu'elle ait confiance en lui. Cela ne pouvait s'expliquer que parce qu'Eric lui avait demandé de la protéger et qu'il tenait à respecter la promesse qu'il avait faite à son frère.

— Si je vous écoute, vous me laisserez tranquille ensuite ? Demanda-t-elle en croisant ses bras.

Elle voyait bien que la fuite ne fonctionnerait pas avec lui.

Il se sentit curieusement soulagé à ce qu'elle baisse un peu sa garde.

— C'est une possibilité. Voulez-vous entrer ? ou préférez-vous qu'on se retrouve ailleurs ?

— Retrouvez-moi sur la plage dans une heure. Et Si Chad vous appelle, dites lui bien que je vous ai pas agressé.

Elle s'en alla sans lui préciser où sur la plage, ni quel endroit précis.

Il la regarda s'éloigner, avec la curieuse envie de la retenir. C'était vraiment à ne rien y comprendre !
Il retourna à la chambre et se désintéressa de ce qui restait de son petit déjeuner pour se changer.

— Il s'est passé quoi ? Demanda Alexis. Elle est complétement folle cette fille !

— Elle n'a pas apprécié que je mette la maison à son nom. Eric l'avait achetée sans lui en parler.

Il prit une chemise propre et soupira en voyant l'état de ses vêtements. Il fallait espérer que l'hôtel ait un service de nettoyage correct.

— Mais c'est pas une raison pour débarquer chez les gens comme ça. Normalement on dit merci quoi ! dit Alexis outré.

— Oui, surtout que je ne vois vraiment pas où est le problème. Elle croit que j'ai eu pitié d'elle...

Il passa sa chemise et remit les boutons de manchette en place.

— Elle accepte tout de même que nous discutions. Au moins, elle n'a pas ruiné mon costume pour rien.

— Bon cela dit, elle a pas tord... Il était pas terrible ce costume.

Il se passa la main dans les cheveux.

— On va où pour lui parler ? Demanda-t-il.

— Tu veux m'accompagner ?

Il revint près d'Alexis, portant à nouveau son costume gris foncé. Il nouait sa cravate.

— Elle m'a donné rendez-vous sur la plage.

— Ben oui, bien sûr. Je veux entendre ce qu'elle a à dire sur Eric ! Et puis elle l'a peut être tué, elle te donne rendez-vous au même endroit... Alors ça peut être dangereux pour toi ! dit il en gonflant le thorax.

Visiblement Alexis s'imaginer pouvoir protéger Quentin.

Quentin était dubitatif sur ce point, bien évidemment, mais ne le lui fit pas remarquer. Il se détourna pour finir de s'habiller.

— Très bien. Mais si jamais elle préfère me parler seul à seule, ne te vexe pas. Elle est tellement méfiante...