Chapitre 38 - La nuit des loups

— Tout va bien, murmura-t-elle à son oreille plus par réflexe que parce qu'elle le pensait réellement.

Elle caressa briévement ses cheveux sur sa nuque de sa main indemne. Elle aurait aimé pouvoir le serrer plus fort ou l'embrasser mais c'était impossible.
Bo n'avait toujours pas reprise connaissance et Quentin sentit qu'elle avait dissimulée ses ombres pour une bonne raison : le serpent de lumière était éveillé. Il fut obligé de la relâcher pour ne pas attirer son attention.

— Normalement y a de la lumière, la voiture n'est pas dans la maison et il n'y a pas de cadavres d'animaux, dit la voix d'Ewen à la femme qui l'accompagnait.

La femme en charges des servilités avait accepté de les laisser passer et même de les accompagner de sa voiture lorsqu'ils s'étaient présentés un peu plus bas. Peut être parce qu'elle s'était inquiétée de ne joindre personne à la villa alors qu'elle n'avait vu passer aucun véhicules.

Les yeux de Noé plongèrent dans ceux de Capucine alors qu'il se forçait à s'écarter. Une seconde, il avait failli l'embrasser devant tout le monde, mais la voix d'Ewen le ramena à la réalité : ils n'étaient pas seuls.

— Nhill...

Quentin avait rallongé Bo sur le canapé, frustré de ne pas pouvoir la garder dans ses bras et ne pas pouvoir l'aider à reprendre conscience. Il regardait l'Huldre et la femme à ses côtés. Celle-ci était grande, avec de longs cheveux bruns. Elle se tenait très droite, les mains posées l'une sur l'autre, et observait les lieux d'un oeil critique et un air fortement supérieur. Quand ses yeux se posèrent sur Quentin, il eut l'impression d'y voir une lueur presque dédaigneuse.

— Apoh n'a vraiment aucun sens artistique, dit-elle en fronçant légèrement les sourcils.

Le travail était propre et efficace, c'était certain, mais c'était brut, sans délicatesse, froid.

— Oui mais ça fonctionne parfaitement avec le vôtre. Vous verreiz les aménagement qu'il a fait à l'intérieur de...

Nhill s'interrompit en voyant Bo. Il prit un air plus inquiet et s'approcha d'elle pour prendre sa main.

— C'est lui encore, demanda-t-il à Quentin.

Le jeune homme hocha la tête.

— Une attaque d'envergure cette fois. Des golems à Paris et ici...
— Des loups et cet enfoiré a encore mis une ombre dans le corps d'Eric, enchaina Noé.

Ils avaient eu peur de le trouver ici, mais l'Oaf avait disparu. Les deux frères ne comptaient pas le laisser se promener dans la nature très longtemps.

— Mais qu'est-ce que vous avez fait ? s'exclama Sif en approchant de Bo d'un air fortement scandalisé.

Il était difficile de savoir à qui elle s'adressait réellement. Peut-être à tout le monde.

— Oh ça... Ce sont les Lumières du Nord, dit Nhill comme si c'était une broutille.

Il regarda Quentin.

— J'ai l'impression que toutes ces ombres les ont fait vibrer... Heureusement que j'avais baissé la fréquence.

Sif posa sur Nhill un regard aussi scandalisé que dégouté.

— Tu l'as vraiment fait... Mais tu ne respectes donc rien ? Ni le sacré, ni mon travail ? Tu as toujours été déviant, mais là, cela dépasse l'entendement ! Comment as-tu osé ? Et...

Elle se pencha au-dessus de Bo et recula comme si elle avait vu la pire des horreurs.

— Tu as tout emmêlé ! reprit-elle en montant dans les aigus. Tu appelles ça "réparer" ?

Jonas regarda Dimitri. Il était de plus en plus pâle.

— J'emmène Dimi et Allan à l'hosto. Kelya, tu viens avec moi.

Jo aurait bien demandé à Quentin d'aider l'Anglais, mais il avait déjà pris ses blessures plus tôt et l'arrivée des Huldres allait l'occuper un moment.

Ewen soupira et contracta un peu sa mâchoire en l'entendant monter dans les aigus.

— Il fallait bien détruire le grimoire des ombres... C'était une solution comme une autre, murmura-t-il.

Même si depuis quelques temps c'était de moins en moins évident. Il regarda Syf et demanda :

— Tu peux la sauver non ?

Capucine se rendit dans la cuisine en disant qu'elle allait chercher un peu d'eau pour tout le monde. Même s'ils allaient probablement tous traverser pour Saint-Germain en Laye. Elle ne voulait pas tomber dans les pommes devant autres. Un peu d'eau lui ferait du bien en attendant de soigner sa main.

Syf regarda Nhill comme s'il était le dernier des imbéciles.

— Bien entendu, mais pas dans ces conditions, fit-elle en désignant son corps.

Elle se pencha vers lui en plissant les yeux.

— J'ai accepté de venir dans ce... corps, uniquement parce que tu as promis qu'ils en avaient trouvé un à ma convenance. Je ne supporte plus d'être dans celui-ci. Elle a transpiré. On a à peine marché qu'elle sent cette horrible odeur de transpiration ! Et je ne sais pas ce qu'elle a mangé avant que je l'habite, mais c'est très désagréable.

Elle se redressa en croisant les bras, refusant de donner plus de détails sur ce point.

— C'est insupportable.

Quentin suivait la conversation d'un air aussi abasourdi que celui que sa mère affichait.

— Je vais faire venir les candidates à Saint-Germain, fit-il à l'adresse de Sif.

Noé les avait laissés pour suivre Capucine, grandement inquiet.

— Oh oui ! Elle va beaucoup aimer le petit château. Elle sera dans de meilleures dispositions, approuva Nhill en se levant.

Et il aimait autant que Syf soit dans de bonnes dispositions, cela la rendait plus supportable.
Capucine ouvrit le frigo et sortit une bouteille d'eau. Elle marcha jusqu'à l'étagère pour attraper un verre mais elle dût se rattraper au plan de travail en sentant sa tête tourner. Elle savait que son bandeau pour cheveux avait depuis longtemps englouti le sang de sa blessure encore et encore mais elle se disait naïvement que ça finirait bien par s'arrêter.

— Oh la. Reste avec moi, fit Noé en glissant un bras autour de sa taille pour la soutenir.

Il l'obligea à se tourner et la souleva pour l'asseoir sur le plan de travail. Il posa sa main sur sa joue, un pli inquiet barrant son front, puis regarda sa main qu'il prit délicatement.

— Je suis désolé. Je ne peux même pas te soigner, fit-il à voix basse.

Il revoyait encore Dark Eric II tourner le poignard fiché dans la main de Capucine. Quels dommages avait-il fait ? Seraient-ils réparables ?

— Un peu d'eau sucré et ça ira mieux, murmura-t-elle.

Elle soupira de frustration en sentant les sensation désagréable du vertige en elle. Elle se raccrocha un peu plus à lui et ferma les yeux pour reprendre lentement sa respiration afin de ne pas sombrer.

— Il faut qu'on aille vite à l'hôpital pour ta main.

Il frôla ses lèvres des siennes. Il aurait voulu faire plus, mais sa mère pouvait les surprendre.

— Je resterais avec toi.

— Y a plus urgent et tu le sais...

Elle attrapa la bouteille d'eau pour en boire une longue gorgée et versa le reste sur sa tête. Elle n'était pas présentable de toutes manières. L'eau glacée du frigo eut au moins le mérite de l'ancrer dans la réalité. Elle repoussa ses cheveux en arrière et approcha son visage du sien pour l'embrasser. Il était en vie et entier. C'était toujours ça de pris.

— Je suis désolée... C'est de ma faute, murmura-t-elle. Si Thana avait été là...

— Personne sait où il est.

Quentin lui avait certifié ne pas l'avoir invoqué à DLS.

— J'aurai pas dû provoquer Dark Eric. Il t'aurait pas blessée.

Elle caressa sa joue.

— Il est parti à cause de moi. Pour m'aider à te sauver de Miu. Je ne pensais pas que ça lui prendrait si longtemps...

Elle plongea ses yeux dans les siens.

— Et tu n'as pas besoin de provoquer une ombre déviante pour qu'elle fasse du mal, tu le sais bien...

Il soupira à la mention de la démone et se concentra sur la présence de Capucine, sur le fait qu'elle soit en vie plutôt que sur Miu. D'ailleurs, elle n'était toujours pas revenue. Comme quoi, il avait bien fait de ne pas attendre dans le labo comme un con.

— Oui, je sais.

Il caressa doucement son visage de ses doigts.

— Noé ? Capucine ?

Il s'écarta à regret en entendant la voix de sa mère. Gwen apparut à la porte de la cuisine.

— Nous partons pour Saint-Germain. Noé, aide Capucine.
— Oui, Maman.

Noé remarqua enfin son étrange tenue. Il n'avait pas eu le temps de s'en apercevoir avant, ni de se poser la question de sa présence.

— Gwen, l'interpella Capucine en se laissant glisser du plan de travail.

Elle s'approcha et lui demanda :

— Tu as retrouvé Gauthier, non ?

Gwen la regarda longuement.

— Il ne fera plus de mal à personne, annonça-t-elle finalement.

Elle jeta un coup d'oeil à Noé. Elle ne comptait pas raconter à ses fils comment elle s'y était prise, mais peut-être le raconterait-elle à Capucine un jour prochain.

— Quentin vient de me dire que les Velikans sont morts ou arrêtés. Tout est terminé.

Capucine glissa sa main dans celle de Noé et entremêla ses doigts aux siens.

— Alors rentrons sauver Bo, dit elle doucement.

Ensuite, peut être pourraient ils tous avoir un peu de vacances. Du moins quand elle se serait chargée de Miu. Ils retrouvèrent les changelins et les Huldres à la porte. Capucine remarqua alors dans quel état Allan était. Elle espérait qu'elle n'était pas maculée de sang comme lui. Son regard croisa celui de Syf. C'était étrange de se dire que sous cette femme élégante mais assez banale pouvait se trouver un être avec autant de pouvoir.

— Merci d'être venue, dit elle.

Personne n'avait guère eu l'occasion de lui dire.

Sif plissa les yeux en observant Capucine de la tête aux pieds. Elle avait toujours son air guindé, mais son expression se faisait pensive. Son regard glissa sur la main blessée de la jeune femme et elle soupira en pensant qu'il était bien dommage que cette humaine soit abimée, toute chiffonnée et trempée.

— Enfin quelqu'un qui me montre un peu de respect.

Mais elle n'était guère étonnée. Les humains étaient des rustres et spécialement les mâles. Ils avaient beau avoir évolué, la plupart du temps, ils ne valaient guère mieux que s'ils étaient encore dans leurs cavernes.

— Pouvons-nous quitter cet endroit ? Cela sent horriblement mauvais, fit-elle en retroussant le nez.

Cet endroit était terriblement crasseux. Ils avaient laissé des morceaux de cadavres partout et l'odeur du sang était réellement dérangeante pour son nez délicat. Sif espérait bien qu'ils prendraient tous un bain pour s'en débarrasser. C'était encore plus insupportable que l'odeur de transpiration de son hôte.

— Bien entendu. Je vous en prie, lui répondit Quentin en lui désignant la porte magique.

Il avait du laisser Bo aux bons soins de Nhill à contrecoeur.

Capucine passa la porte la dernière par sécurité, elle craignait toujours malgré tout que les portes fonctionnent moins bien après son passage.
Elle savait que le danger pouvait être là aussi mais rentrer à la maison lui fit du bien.

— Je vais prendre une douche et ensuite j'irais à l'hôpital. Je prendrais un taxi, annonça-t-elle comme si elle se rendait simplement chez une amie.

Gwen renonça à lui dire de ne pas attendre plus pour se rendre à l'hôpital. Capucine était intraitable sur son apparence, même dans ces circonstances, et elle n'avait pas envie de se battre avec elle pour cela.
Elle fit le compte des présents et décida de prendre les choses en main. Jonas était déjà parti pour l'hôpital le plus proche avec Dimitri et Kelya.

— Noé, accompagne Capucine jusqu'à sa chambre et veille à ce qu'elle ne s'évanouisse pas dans la salle de bain. Quentin, emmène Nhill jusqu'à celle de Bo. Ensuite, tu emmèneras Capucine et Allan à l'hôpital.

L'Américain s'était effondré sur une chaise de la cuisine. Il avait très envie de boire un alcool fort après toutes ces émotions. Sans compter qu'il avait du laisser tout son matériel à la villa !

— Noé, tu m'aidera à installer nos invités. Jonas et Kelya devraient revenir ici une fois Dimitri pris en charge.

Ses deux fils allaient protester, Quentin parce qu'il souhaitait rester près de Bo, Noé parce qu'il voulait rester près de Capucine à l'hôpital, mais elle les en dissuada d'un regard.

— Dame Syf, je vais vous montrer votre chambre. Nous en avons une avec une baignoire confortable et j'ai quelques produits de bain qui, j'espère, conviendront à vos goûts. Je les fabrique moi-même, uniquement avec des ingrédients naturels, des essences de fleurs.

A cette idée, le regard de l'Huldre s'éclaira. Le bain était inespéré, mais cette femme avait le sens pratique. Les femmes ici semblaient bien plus intelligentes que les hommes. Syf suivit donc Gwen, intriguée par l'odeur d'eau et de magie ancienne qu'elle dégageait.

— Je vous suis.

Capucine monta laissant Noé la suivre. Quand elle fut dans sa chambre, il vit ses épaules et sa poitrine tressauter alors qu'elle avait porté la main à sa bouche. Il se rendit compte qu'après quelques secondes qu'elle ne pleurait pas mais riait.
Elle le regarda et répéta entre deux éclats de rire :

— Veille à ce que je ne m'évanouisse pas dans ma salle de bain...

L'idée que Gwen puisse envoyer son cadet la surveiller pendant qu'elle prenait une douche était tellement drôle après la nuit effroyable qu'ils avaient passer. Enfin c'était ça où ses nerfs craquaient ce qui n'étaient pas impossible non plus.

Le fou rire de Capucine fut communicatif et très vite, Noé lui répondit. A chaque fois qu'il la regardait, il repartait de plus belle.

— Elle... ne se rend... pas... compte, réussit-il à dire sans arrêter de rire.

Il en avait mal aux zygomatiques et avait du mal à respirer, mais qu'est-ce que ça faisait du bien après ces dernières heures. Il essuya les larmes qui perlaient à ses yeux.

Elle s'approcha et enroula son bras autour de son cou pour l'attirer contre elle. Elle ferma les yeux avec un sourire. Elle se sentait un peu mieux maintenant.

— Au moins, elle n'a pas demandé que tu me frottes le dos sous la douche.