Chapitre 13 - Révélations

Samedi


Après sa douche, Quentin avait retrouvé Joanna dans la salle à manger. Il ne savait pas trop à quelle heure, elle avait pu arriver mais elle avait mauvaise mine. Il sentait qu'elle avait dû utiliser beaucoup de magie mais ne soupçonnait pas à quel point cela pouvait lui faire défaut. Elle lui avait tendu une pochette plastique dans lequel avait été glissé un parchemin ancien remontant probablement à plusieurs siècles en amont.
Joanna ne lui avait pas révélé comment elle avait mis la main dessus mais elle avait lâché qu'il y avait un contre-sort assez violent. Ils avaient longuement débattu sur la nécessité ou non de faire le rituel pour lier Alexis à Quentin. Ils en était arrivés à une seule conclusion : s'ils le faisaient, il fallait faire vite. Joanna avait placé le leurre que Quentin lui avait fourni mais elle ignorait si le contre-sort ne serait pas détecté.
Annie leur apporta un solide petit déjeuner. Elle hésita avant de demander :

— Mademoiselle Bo aurait elle utilisée la cuisine cette nuit ?

Il releva la tête vers Annie.

— Elle a cuisiné quand nous sommes rentrés, oui. Pourquoi ?

Bo lui avait dit qu'elle redescendrait faire la vaisselle, mais peut-être s'était-elle endormie avant.

— C'est...Que je n'y suis pas habituée. Certaines choses n'étaient pas à leur place et il en manquait... Cela n'a aucune importance, Monsieur, dit elle en lui souriant.

Elle quitta la pièce les laissant seuls.

— Comment ça se passe avec Bo ? Demanda Joanna en prenant son acfé entre ses mains. Ahmed m'a dit que son frère arrivait bientôt...

Et bien entendu, elle s'était proposée pour assurer le trajet de l'aéroport. Elle était tellement curieuse à son sujet.

Il revint à Joanna, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

— Oui, j'ai fait accélérer son retour. D'ailleurs, je pense que pour compenser, je pourrais lui permettre d'exposer quelque part à Paris. On connait bien une galerie ou deux.

Son regard s'attarda sur Joanna. Elle avait vraiment l'air épuisée. Il avait beaucoup demandé en la chargeant de ramener ce parchemin.

— J'ai découvert des choses sur elle, sur Eric, reprit-il plus bas. Je t'en parlerai après le petit-déjeuner.

Il ne voulait pas que certaines choses arrivent aux oreilles de sa mère tant qu'il n'en savait pas plus.

Joanna but une gorgée.

— Des trucs liés à sa mort ?

Elle ne savait toujours pas s'il fallait se méfier de Bo ou pas.

— Très certainement.

Sous la douche, il avait eu le temps de repenser à ce qu'avait dit Thanaclop sur la protection magique de Bo. Est-ce qu'elle aurait pu se déclencher contre Eric s'il s'en était pris à elle ? Mais le démon avait dit que cela ferait disparaître toute magie et le cadavre de son frère en portait toujours les traces...

— Elle accepte de tout me dire en présence de Dimitri.

Joanna attrapa un toast pour y mettre de la confiture.

— Tu as réussi à gagner sa confiance... Tu l'as fait assez rapidement.

Mais ça ne l'étonnait pas plus que ça, dans le fond.

— Ce n'était pourtant pas gagné au départ, fit-il en se souvenant de leurs débuts en Angleterre. Mais il y a quelque chose entre nous. Et je ne parle pas dans le sens romantique du terme.

Quoi que là aussi, mais ce n'était pas la question, et ce sujet-là non plus, il ne voulait pas l'aborder ici. Maintenant qu'il commençait à reconnaître son attirance pour Bo, il se demandait ce que sa mère et Noé pourraient penser de cela alors qu'elle était la compagne d'Eric. Gwen devait savoir qu'il dormait parfois avec Bo, mais n'avait rien laissé transparaître.

— D'après Thanaclop, nos magies sont similaires, ce qui expliquerait sans doute les paroles d'Eric à Noël. Mais je n'en sais pas plus pour l'instant.

Joanna fut soulagée au fond d'elle, qu'il puisse le découvrir seul. Cela lui pesait un peu d'être la seule à les voir briller de concert comme des lucioles. Cela lui semblait même encore plus fort quand ils étaient au contact l'un de l'autre.
Gwen entra avant qu'elle puisse ajouter quelque chose. Elle les salua avant de s'attabler.

— Tu es rentré tard, avec Bo. Vous n'êtes même pas passer au salon, fit elle remarquer en se servant une tasse de thé.

— C'est vrai, je suis désolé.

Il ne l'était pas tant que cela à vrai dire. S'il était passé au salon en rentrant, il aurait sans doute perdu la magie du moment qu'il avait vécu avec Bo dans la cuisine.

— Je n'ai pas vu l'heure hier soir, encore une fois, et on mourrait de faim. Elle a voulu faire des pâtes.

— Annie vous avez conservé un repas sous cloche. Tu n'as plus l'âge de manger que des pâtes... Surtout vu tes journées.

Elle regarda Quentin avec un mélange de perplexité et d'inquiétude.

— Je l'emmène cet après-midi pour son échographie. Il vaut mieux que je sois seule avec elle.

Elle craignait qu'il ne se surprenne avec des envies de paternité s'il entendait le coeur du bébé. Elle voyait bien combien Quentin aimait endosser des responsabilités qui n'étaient pas les siennes.

Il hocha la tête. Il n'allait pas lui dire que cela n'aurait pas fait grande différence vu comment son repas avait fini, ni qu'il avait apprécié de voir Bo cuisiner.

— Je vous laisse volontiers entre femmes. Jo et moi avons du travail de toute façon. Ah, le frère de Bo devrait arriver d'ici peu.

Il observa sa mère. Il avait des choses à lui dire sur Eric, sur la situation. Il faudrait bien qu'il la mette au courant de ses avancées, mais comment lui avouer ce que son fils aîné avait fait subir à Bo ? Comment lui expliquer qu'il était incapable de savoir pour le moment si c'était bien Eric ou, comme l'avait dit Jo, quelqu'un d'autre ou la faute d'un sortilège ?

— Est-ce que ça a été avec Noé hier soir ?

— Oui. Nous avons eu une discussion. Une discussion de mère à fils, parce que je peux encore gérer cela, dit elle en regardant Quentin.

Elle but une gorgée de thé.

— Je ne compte pas me mêler des affaires de DLS. Je sais que tu gère cela à la perfection. En revanche, je te serai grè de ne pas me déposséder de mon rôle de mère de famille.

Quentin se sentit pris en faute. C'était assez désagréable quand cela venait de sa mère. Jo le vit se raidir un peu.

— Ce n'était pas mon intention, répondit-il en posant sa tasse. Je ne voulais pas que tu t'inquiètes.

— Je sais et c'est pour ça que je te le dis sur ce ton, dit elle calmement.

Elle le regarda dans les yeux.

— De toutes manières, tu as bien assez à faire sans avoir à gérer les bêtises d'adolescent de Noé.

Il approuva d'un signe de tête.

— ça, je ne vais pas le nier.

Mais cela ne l'empêcherait pas d'avoir une discussion avec son frère. Quand il aurait le temps. C'est à dire pas avant des années si ça continuait comme ces dernières semaines.

— Est-ce qu'il est toujours consigné à la maison ou pas ? J'ai son portable d'ailleurs. Je vais te le donner.

— Pour le moment oui.

Bo entra à son tour dans la pièce. Elle portait encore sa chemise de nuit, ayant juste passé son gilet de laine par-dessus. Elle avait dû lisser ses cheveux avec ses doigts avant de descendre, ils restaient totalement désordonnés sur ses épaules.

— Bonjour, dit elle.

Ses yeux se posèrent tout de suite sur Quentin. Il était déjà habillé et ne semblait pas trop souffrir de sa gueule de bois. Ou alors il avait remisé ça quelque part pour être efficace. Elle s'était dépêchée de descendre, ayant peur qu'il parte sans elle.

— Bonjour, Bo.

Il aurait voulu rester égal à lui-même, mais il s'était détendu à son arrivée, retrouvant un sourire, qui, s'il était léger, en disant long sur ce qu'il ressentait à la voir. Cela ne dura néanmoins qu'une poignée de secondes et il se reprit.

— Il est encore tôt. Tu aurais pu rester dormir.

— J'étais pas sûr que tu sois encore dans le coin si je m'étais réveillée plus tard, dit elle en s'installant sur une chaise en face de lui.

Elle glissa une jambe sous elle, mettant un de ses pieds nus au chaud.

— Quentin va aller travailler mais vous le verrez ce soir, dit Gwen en lui souriant.

Avant que la jeune femme puisse dire quoique ce soit elle ajouta :

— Nous irons déjeuner en ville avec Capucine et ensuite nous irons toutes les deux au cabinet privée du docteur Missonnier. Elle vous fera une échographie et un bilan sanguin afin de s'assurer que tout va bien. Vous ne vous ménagez pas et avec toutes ces émotions, vous devez être loin du poids escompté pour une grossesse entrant dans son second trimestre. Combien de kilos avez vous pris depuis le début ?

Bo parut pris au dépourvu par ce discours. Ses yeux glissèrent sur la table. Elle détestait qu'on lui parle de sa grossesse. Elle détestait encore plus qu'on lui rappelle devant Quentin qu'elle était enceinte d'Eric. Pas la meilleure version d'Eric en plus.

— Je ne sais pas, je ne suis jamais montée de ma vie sur une balance, dit elle.

Quentin suivit l'échange, mais prit bien garde de ne pas s'en mêler. Bo lui avait dit qu'elle n'aimait pas l'idée d'aller chez le médecin, mais son avis rejoignait celui de sa mère : il fallait au moins qu'elle s'assure que tout aille bien.
Il tendit son pied sous la table pour chercher celui de Bo. Un simple contact rassurant, l'air de rien, alors qu'il jetait un oeil à sa montre.

Elle releva la tête en sentant son pied. Elle faible sourire passa sur ses lèvres.
Elle se servit un verre de jus d'orange.

— Tu ne rentreras pas tard ? Demanda-t-elle à Quentin.

Gwen les regarda tour à tour avant de se couper une part de quatre quart. Elle avait parfois l'impression que rien ne comptait pour Bo à part Quentin et elle ne comprenait pas comment la jeune femme avait pu se raccrocher ainsi à son beau-frère. Bien entendu, Quentin ne pouvait qu'être ravi qu'une personne témoigne ainsi avoir besoin de lui. Mais elle craignait qu'il ne s'y brûle les ailes. Elle avait tellement peur qu'il pousse le vice jusqu'à ce se penser amoureux et épouser Bo pour élever le fils de son frère comme le sien.

— Non, pas cette fois. Je vais surveiller l'heure.

Il lui offrir un sourire rassurant.

— Et pour être sûr de respecter ça, nous allons y aller. Jo ?

— Quand tu veux, chef, dit elle en lui souriant.

Elle posa sa tasse pour se lever et attraper son blouson.
Les yeux de Bo s'ouvrirent et une angoisse palpable passa sur son visage. Elle reposa son verre sans quitter Quentin des yeux. Il allait de nouveau disparaitre et la laisser seule avec Gwen et Capucine. Elle n'avait aucune envie de vivre cette journée toute seule. Elle voulait savoir comment il se sentait, pouvoir le regarder, elle lui avait à peine adressé la parole. Mais elle ne pouvait pas justifier ça et était condamnée à se taire.

Il se leva, sa veste sur le bras et le parchemin dissimulé dessous. Encore une fois, il ne souhaitait pas que sa mère s'inquiète de ce projet, ni de comment il se l'était procuré.
Il fit le tour de la table pour poser sa main libre sur l'épaule de Bo.

— On se voit ce soir. Tout va bien se passer. J'essaye de t'appeler tout à l'heure.

Il n'avait aucune envie de la laisser, surtout quand il la sentait si angoissée. Il aurait bien profiter de ce contact pour l'apaiser, mais il devait garder à l'esprit l'avertissement de Thanaclop.

— Le portable de Noé est dans le tiroir du bureau de Papa, dit-il à sa mère. Bonne journée.

Il quitta la pièce pour rejoindre Joanna.

— On va récupérer deux ou trois trucs dans la bibliothèque et on y va.

Bo se sentit malgré son geste, complétement abandonné. Elle s'ordonna mentalement de ne pas bouger de cette chaise. Elle ne devait pas courir après Quentin et encore moins le supplier de l'emmener au moins ce matin. Elle ferma les yeux, se concentrant pour ne pas envoyer promener la vaisselle du petit déjeuner devant Gwen. C'était pourtant le meilleur moyen de ne pas laisser son angoisse prendre de l'ampleur.