Chapitre 38 - La nuit des loups

La gorge de Noé se serra autant que son estomac en voyant comment Eric traitait Capucine. Il se répéta que ce n'était pas son frère, que c'était uniquement une chose qui profanait son corps.
Il attrapa le papier et lut les coordonnées. C'était en France, près de Paris s'il ne se trompait pas.

— ça prend du temps. Je peux pas faire ça en 10 minutes si tu veux pas arriver dans un mur.

Quoi que c'était là une idée : le faire arriver en pleine mer.

— C'est pas comme si Capucine avait besoin de ses dix doigts. Elle n'en a jamais fait grand chose, dit l'Oaf.

Il la regarda et émit un sifflement.

— Eric avait tendance à penser que tu te servais bien mieux de ta bouche apparemment.

Les ombres se matérialisaient par moment, tournant autour de Bo, Dimitri et Kelya avec un appétit évident.

La jeune Américaine s'était collée à Bo et Dimitri, les regardant évoluer autour d'eux comme si elles étaient des requins prêts à leur fondre dessus, ce qui n'était sûrement pas loin de la vérité.
Elle jeta un oeil à Noé qui serra les dents. Il revint à son papier et sortit son portable pour commencer à faire ses calculs. Il s'agenouilla pour écrire sur la table du salon, attrapant un carnet et un stylo que Kelya avait laissés là. Il ne devait pas penser à ce que l'Oaf venait de dire. Il devait se concentrer.

De son côté, Allan restait aussi silencieux et invisible que possible. Il ne pouvait pas intervenir même si l'envie l'en démangeait. Il avait vu les ombres et n'avait aucune envie de s'y frotter. Il sortit son portable et pianota quelque chose rapidement. Dehors, ses drones sortirent de leurs chargeurs et prirent leur envol. Il pouvait peut-être offrir une diversion à ceux dont il était censé assurer la sécurité.
Les drones entrèrent en trombe dans le salon via la porte vitrée et se jetèrent sur Eric.

Eric les attrapa et les détruisit. Son visage avait pris de plein fouet l'un d'eux et un pan de sa joue pendait sans que cela ne semble le déranger. Une de ses ombres sortit et commença à réparer sa chaire abîmée.

— Je vois que le petit Allan est encore dans le secteur, soupira-t-il. Il va falloir qu'il comprenne que s'il joue encore avec moi, il n'y a pas que ses doigts que Capucine perdra.

Il regarda ses jambes avec une attention non dissimulée. Elle était de plus en plus pâle mais ne disait rien malgré le sang qui dégoulinait de sa main clouée au mur.

— Ne le provoquez pas, murmura Bo. On ne peut pas le blesser autrement que par le feu...

Ou avec des ombres mais elle n'était pas assez forte. Elle était tellement inutile à cet instant. Sauf si elle lâchait les lumières... Mais elle en mourrait et plus jamais elle ne reverrait Quentin...

Le silence répondit à Bo, mais Allan comprit le message. Il se contenterait donc d'observer.
Pendant ce temps, Noé continuait ses calculs, dessinant ses runes sur le carnet de Kelya. Il continuait à appeler Miu.

- S'il te plait. S'il te plait. Reviens. Il faut que tu m'aides.

— Bon si on parlait du grimoire... Parce que si vous me le donnez directement, il va sans dire que j'ai pas besoin d'emmener Bo, dit Eric en s'amusant à faire bouger un peu le manche du poignard.

Capucine laissa échapper un gémissement et se mordit la lèvre.

— On l'a déjà détruit... Pourquoi le garder ? dit elle finalement en se reprenant.

Eric la regarda et sourit.

— C'est con ça. Il n'aura vraiment aucune raison de garder un survivant...

Noé releva la tête de ses calculs en entendant le gémissement de douleur de Capucine. Il était de plus en plus glacé à l'idée de la perdre, qu'elle meure devant ses yeux sans qu'il ait rien pu faire. Voir ce poignard dans sa main, sa main si délicate, sa main qu'il tenait encore dans la sienne quelques heures plus tôt, le mettait dans une rage folle si bien qu'il dut se retenir de ne pas tenter quelque chose d'inconsidéré.

— Pourquoi tu lui obéis ? Tu sais qu'il te supprimera dès qu'il en aura l'occasion ? fit-il à Dark Eric tout en réitérant ses suppliques à la démone, lui assurant qu'il lui donnerait tout le sang qu'elle voudrait en échange.

— C'est un risque à prendre. Pour le moment je suis là et je vais bien. Mais je commence à m'ennuyer... Je croyais que tu étais doué...

Il poussa un long soupir et tendit la main pour caresser le vide. Une ombre noire se lova sous ses doigts comme un gros chat.

— Elles aussi... Elles s'ennuient.

Bo tressaillit et son regard croisa celui de Dimitri. Ils ne risquaient pas d'être possédé mais les ombres pouvaient malgré tout les tuer.

— J'ai presque terminé, répondit le jeune homme précipitamment en retournant à ses calculs.

Il avait hésité, mais finalement, Noé n'avait pas cherché à flouer Eric Zombie. C'était trop risqué. Il sentait que l'Oaf ne passerait pas cette porte le premier. Il ferait un test d'abord et Noé ne souhaitait pas que l'un d'entre eux finisse dans la Méditerranée ou coincé dans un mur. C'était terriblement frustrant, encore une fois, mais il n'avait pas le choix.

La porte du placard à balais fut choisie. Eric demanda à Kelya d'aller l'ouvrir. Elle fut escortée par une ombre qui avait pris la forme d'un loup noir qui frôlait sa jambe, provoquant des vagues glacées dans tout son corps.

— Noé, tu vas venir avec moi. En contrepartie les ombres, nous suivrons et tes amis seront saufs par la force des choses. Nous irons voir si notre frère a survécu aux golems de pierre et s'il est prêt à négocier.

— Pourquoi vous ne m'emmenez pas moi ? Demanda Bo en se redressant.

Eric la regarda avec un rire sec.

— Parce que tu es mourante et que tu n'en vaux pas la peine. Tu es une erreur de parcours et tu es la cause de malheur de tout ceux qui t'ont aimé... Qui voudrait s'encombrer d'un chat noir comme toi ? Répliqua-t-il.

Noé détestait quand Dark Eric parlait comme s'il était vraiment Eric, comme s'il était son frère alors qu'il n'en était rien. Il se servait uniquement de sa mémoire contre eux, il fallait qu'il le garde à l'esprit.

— Ne l'écoute pas, Bo. Tout ça, c'est Gauthier, c'est pas toi.

Tous leurs malheurs venaient de Gauthier et de son ambition. Bo avait été mêlée à cela bien malgré elle.

— Quentin va te tuer, ajouta-t-il à l'adresse de l'Oaf.

— Quentin est probablement mort. Et si tu continues t'es le prochain.

— Qu'est-ce que tu parles... Tu n'oserais pas le tuer, il est trop puissant pour toi, dit Capucine avec dédain.

Elle espérait qu'il s'en prendrait au sorcier, là Miu serait bien obligée d'intervenir.
En guise de réponse, Eric fit tourner un peu plus la lame lui arrachant un cri.

— Capucine !

Noé fit deux pas dans leur direction, mais s'arrêta à cause des ombres menaçantes. La magie crépita au bout de ses doigts. S'il n'y avait pas le risque que les ombres soient plus rapides, que ses flammes brûlent Bo et les autres...

— Ta magie ne peut rien tant que je suis près d'elle. Axelle m'a aussi dit ça... Quelle bavarde cette fille. Cela dit, plus vite on aura passé cette porte et plus vite tu pourras me tuer... En attendant, tu perds du temps et si ça continue, elle perdra l'usage de sa main juste parce que vous me pétez les couilles ! dit il en finissant par crier sa fin de phrase.

Le regard de Noé promettait bien des choses douloureuses à l'Oaf, mais sa magie cessa. Il plaqua sa main sur la porte.

— Voila. T'es content ? fit-il en activant le portail magique. Relâche les.

— Tu veux que je relâche mes ombres ?

Cette idée fit rire Eric. Il reprit une expression sérieuse.

— Kelya va ouvrir cette putain de porte où tu vas finir par faire mourir Capucine.

Kelya sursauta, mais obéit. Le portail donnait sur une pièce sombre. Noé distingua ce qui semblait être des étagères. Surtout, ils entendirent grogner et gratter.

Les ombres retournèrent lentement dans la pièce. Eric poussa Noé pour qu'il en fasse autant. Il tomba au sol et sentit une mâchoire se refermer sur sa cheville, le maintenant là où il était.
Eric effaça plusieurs signe en les coloriant avec le marqueur.

— Je vous laisse un peu de compagnie, dit il en rangeant le feutre dans sa poche.

Ce fut comme un nom de code car aussitôt des chiens et des loups passèrent le seuil pour entrer dans la villa, faisant reculer les autres.
Eric fit un signe de main à Capucine et claqua la porte pour se retrouver seul avec Noé.
Il alluma la lumière, révélant au sorcier où il se trouvait. Il était entouré de deux gros loups au pelage gris et blanc et aux yeux rougeoyants. Le troisième relâcha sa cheville mais restait prompt à serrer à nouveau.

— Donne-moi ton téléphone, on va appeler Quentin. Il me tarde qu'on se retrouve tous les trois... Cela n'est pas arrivé si souvent.

Noé avait regardé la porte se refermer avec effroi sur les loups qui venaient de la passer, craignant le pire pour les autres restés là-bas. Lui-même n'était pas en bonne posture. Il se releva lentement, la peur au ventre. Sa cheville lui faisait mal, le loup l'avait mordu au travers de son jean.

— Arrête. T'es pas Eric, fit-il en lui tendant son portable.

— Non. Mais je sais ce qu'il pensait. Il y a encore des trucs dans sa caboche tu sais.

Il prit le téléphone et appela Quentin sans le quitter des yeux.
C'est à cet instant que Miu apparut à côté de Noé. Elle était habillée d'un pantalon en cuir noir et d'un chemisier de brocard rouge avec des broderies chinoises.

— Je viens juste m'assurer que tu restes en vie, dit elle à Noé.
— Ça ne me dérange pas, approuva l'Oaf. Du moins tant que vous ne faites pas de dégâts.

La démonte haussa les épaules.

— J'ai pas de raison d'en faire si vous ne vous en prenez pas directement à lui.

Ce fut comme si Noé se sentait à nouveau complet maintenant que Miu était là, comme si le manque qu'il avait éprouvé toute la journée était comblé.

— Miu ! Débarrasse toi d'eux !

Mais il doutait qu'elle lui obéisse après ce qui s'était passé. Elle voulait qu'il comprenne la leçon, qu'il regrette son comportement.

— Noé ? fit Quentin en décrochant.

Miu regarda Noé, stoïquement.

— Ce n'est pas ma fonction. Je suis là pour trouver des objets, des formules... Je me débrouille aussi pour que tu restes en vie. Mais je ne suis pas là pour tuer ou blesser, rappela-t-elle.

Elle se baissa et caressa la tête du loup. Il se frotta contre elle.

— Non. Noé est occupé. C'est Eric. On a pas eu l'occasion de se parler la dernière fois.

Derrière Quentin, on entendait le moteur d'une moto. Jonas s'était garé dès le moment où il lui avait montré le nom de Noé s'affichant sur l'écran de son smartphone.

— Eric...

Quentin se glaça en reconnaissant la voix de son frère. Il allait massacrer Gauthier lui-même dès qu'il lui mettrait la main dessus.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Il ne demanda pas après Noé. Il l'entendait dire à Miu qu'elle changeait les règles comme cela l'arrangeait et la supplier d'intervenir. Il pensa à Bo, Dimitri, Capucine et Kelya, s'interdisant d'imaginer qu'ils puissent être déjà morts ou agonisants.

— Le grimoire bien entendu.

Miu croisa les bras.

— Absolument pas. Je vole pour toi. C'est ça la règle. Je ne suis pas ta boniche, ni ton garde du corps. Et visiblement, je ne suis pas ton amie non plus. J'en ai assez d'être responsable quand je n'ai rien fait. Si tu veux me détester alors je t'en donne enfin de bonnes raisons.

Elle trouvait ces loups superbes. Elle se demanda si elle pourrait en garder un... Au moins, elle aurait un ami. D'un autre côté si tout le monde mourrait, Noé serait bien obligé d'être plus coulant avec elle puisqu'elle serait tout ce qui lui resterait... Cette idée lui plaisait beaucoup.

Noé regarda Miu avec autant d'effarement que de supplication, puis se tourna vers Dark Eric.

— Il a lâché des loups à la villa ! T'occupe pas de moi ! cria-t-il à Quentin.

Il revint à la démone.

— Tu as bien tué le Prêtre Rouge parce qu'il nous menaçait. C'est pareil, là !