Chapitre 26 - Ce que nous sommes

Bo avait commencé à préparer des crêpes. Annie lui avait expliqué que ce n'était pas très différent des pancakes mais avec une pâte plus fine dans la poêle. Et apparemment c'était très apprécié ici.

— Tu peux presser les oranges, lui dit elle. Le presse agrume est électrique, tu es un p'tit veinard.

L'odeur des crêpes était alléchante.

— J'aime quand tu crois que je n'ai jamais fait ce genre de choses de ma vie.

Cela lui était arrivé parfois, quand il était plus jeune, en vacances.
Il s'empara d'un couteau pour découper les oranges.

— Tu n'as jamais fait cuire de pâtes, tu l'as avoué et rien ne prouve que tu ne savais pas que les oranges ne poussaient pas dans des bouteilles.

Elle retourna une crêpe.

— Je pense bien avoir lu dans un bouquin qu'elles poussent sur des arbres.

Il plaçait les demies oranges les unes à côté des autres, bien alignées, au fur et à mesure qu'il les découpait.

Ils montèrent le petit déjeuner dans la salle alors que Gwen arrivait. Elle parut un peu surprise de voir ce qu'ils amenaient.

— Annie n'est pas là?

— Non, je l'ai envoyé passé une journée avec un bon pour un SPA de Capucine. Ça lui fera du bien. Quentin et moi on se charge des repas.

— Elle se charge des repas et j'essaye de l'y aider, plus exactement, répondit-il à l'air surpris de sa mère.

Il posa le plateau sur la table et ajouta :

— Et nous irons au marché pour faire les courses.

Ce devait relever de la science-fiction pour Gwen d'entendre son fils dire ce genre de choses.

— Et à la superette aussi, approuva Bo.

Elle était ravie à cette idée.

— Quentin poussera le caddie...

— Quentin poussera le caddie, répéta Gwen en les regardant tour à tour.
— Elle me pousse vers des expériences inédites.

Quentin sourit à Bo en disant cela. Elle avait l'air tellement heureuse qu'il se plie à son programme qu'il n'y voyait aucun inconvénient, bien au contraire. A dire vrai, son enthousiasme était communicatif.

— Si vous avez besoin de quelque chose, vous nous dites.

Dimitri arriva tout ensommeillé. Il regarda les crêpes avec perplexité.

— Ton séjour en Bretagne t'a laissé traces... T'as des nouvelles de Steven ?

Il avait essayé d'avoir un ton détaché en posant la question à Quentin.

— Ahmed l'a assigné à un autre poste, sous sa supervision.

Autant pour protéger Steven que pour le garder à l'oeil bien que l'Anglais ait l'air clean. Olivier n'avait pas reparu depuis sa fuite et tout le monde restait sur ses gardes. Il était blessé et en colère, il finirait par revenir à la charge, que ce soit pour Bo ou pour Capucine. A moins, évidemment, que Gauthier n'ait décidé de le supprimer puisqu'il avait bousillé sa couverture.

Il avait d'ailleurs eu un message de Capucine lui confirmant le départ en taxi avec les références du chauffeur pour le lycée pour Noé.
Plus tard, le garde du corps de Noé et Kelya avait confirmé les avoir sous surveillance. En revanche, personne ne savait où était Capucine et elle avait éteint son portable une nouvelle fois.

— Ah. Vous lui avez donné une prime pour avoir sauvé nos miches... Enfin les miennes ?

— C'est possible, oui. Je l'aurai bien assigné à ta protection personnelle, mais nous devons nous montrer prudent.

Au moins, Steven n'était pas une ombre. Quentin s'en était assuré la veille. Une simple poignée de mains et il avait envoyé les siennes vers l'Anglais pour n'en rencontrer aucune. Ahmed lui avait fait passer toute une batterie de tests pour s'assurer qu'il n'était pas manipulé par un sortilège quelconque et il s'était plié à un sort de vérité. A priori, Steven ne trempait pas dans les magouilles de Gauthier et Olivier.

— Ça ne fonctionnerait pas. Il vaut mieux que tu me mettes des gens où je m'en fiche s'ils me trahissent, dit il en se servant du jus de fruit.

Bo mit de la confiture dans sa crêpe et la plia en quatre.

— Tu pourrais passer voir Jo.

Dimitri leva les yeux vers sa soeur.

— Pourquoi faire ? Se foutre encore un peu plus de ma poire ?

Quentin comprenait la position de Dimitri.

— Peut-être a-t-elle... a-t-il, corrigea aussitôt Gwen qui n'arrivait pas à se faire à l'idée que la jeune femme qu'elle connaissait depuis 3 ans était en réalité un homme. Peut-être a-t-il des circonstances atténuantes pour n'avoir rien dit.

Son regard glissa de son fils à Dimitri.

— Si la famille de Jo est mêlée à toute cette histoire, il a sans doute voulu régler ça tout seul. Et ça, Quentin, tu ne peux pas complètement le lui reprocher.

Son fils était comme ça, lui aussi. A tout prendre sur ses épaules.

— Sauf que s'il avait au moins mis Quentin sur la bonne piste après que j'étais été agressée par la fausse Kelly... On aurait perdu moins de temps, dit Bo.

Gwen hocha la tête.

— Oui, bien sûr, mais tout le monde fait des erreurs, surtout quand on garde un secret.

Elle le savait mieux que quiconque.

— Jo est sous probation pour le moment, répondit Quentin. Elle... Il aide Ahmed à débusquer les Velikan.

Jo avait l'air de vouloir rattraper ses erreurs. Ahmed le pensait en tous cas.

— Faudra que vous en souveniez quand Quentin arrêtera de faire des secrets, fit remarquer Bo à Gwen.

Ils terminèrent le petit déjeuner avant de partir pour le centre-ville. Le samedi le marché avait lieu Place Christiane Frahier. Bo était ravie d'y aller seule avec Quentin sans personne pour les suivre.

La conversation du petit déjeuner restait en tête de Quentin. Cela faisait presque deux semaines maintenant qu'il avait dit à Bo qu'il lui parlerait du contenu du journal d'Eric. Deux semaines qu'il lui cachait ce qu'ils étaient tous les deux. Certes, les événements s'étaient enchainés à une telle vitesse qu'il n'avait pas eu le temps de se poser pour lui parler. Il avait été hors de question de le faire alors qu'ils ne pouvaient se toucher et encore moins par téléphone. Comme Eric, ce secret lui pesait de plus en plus.
Alors qu'ils arpentaient les étals du marché et qu'il écoutait Bo commenter joyeusement ce qu'ils allaient acheter, il se demandait comment elle prendrait la nouvelle et il se disait surtout qu'il était temps qu'elle sache.

Bo continuait de babiller en remplissant le panier qu'ils avaient emprunté à Annie avant de partir. Pour une fois, Quentin avait le plaisir de pouvoir tout payer.

— Oh regarde des vêtements !

Elle s'arrêta et commença à passer en revue petits hauts, robes ou short.

Quentin avait rarement vu Bo aussi heureuse depuis son arrivée à St Germain si on exceptait leur escapade à Etretat et cela le sortit de ses préoccupations.
Comme il s'y attendait, les vêtements en vente sur le marché n'avaient rien à voir avec ce dont il avait l'habitude en terme de qualité, mais il commençait à se faire à l'idée que jamais Bo n'accepterait d'entrer dans une boutique de luxe avec lui pour qu'il lui offre quelque chose. Peut-être que s'il axait sur le fait qu'il souhaitait l'avoir à son bras lors d'un vernissage ou une soirée caritative ou qu'elle l'accompagne plus souvent au bureau accepterait-elle.

— Celui de gauche, fit-il sans hésitation quand elle lui montra deux hauts. Tu ne vas vraiment pas l'essayer ?

D'un autre côté, il ne voyait pas de cabine, si ce n'était quelques tissus tendus autour d'un portant. Il eut un sourire ironique pour lui-même, se sentait totalement en décalage avec tout ce qui l'entourait.

- Tu veux que je me déshabille ici ? Demanda-t-elle avec malice.

— Le pire, c'est que je t'en sens capable, répondit-il avec un sourire amusé.

Il l'observa alors qu'elle allait d'un portant à l'autre, d'un short à un débardeur, et il se demanda un instant à quoi pourrait ressembler leur vie quand tout serait fini. Il écarta vite cette idée. Cela ne servait à rien d'y penser maintenant alors qu'il y avait tant d'inconnues et de risques. Décidément, il n'arrivait pas à s'ôter toutes ces choses de la tête et à simplement profiter de sa matinée.

— Tu as eu des nouvelles de ton père ? demanda-t-il finalement.

— Muhummm... Je crois qu'il se languit de nous mais il ne l'avoue pas.

Elle mit devant elle, des robes longues, courtes, tunique toutes avec des tissus légers et fleuris faisant assez bohème.

— Elles me plaisent toutes...

— Prends-les toutes alors.

Quentin se doutait bien qu'elle y trouverait à redire, mais si tout lui plaisait, pourquoi choisir ?

— Je vais te faire de la place dans mon dressing.

Elle éclata de rire et s'approcha pour lui susurrer :

— Avoue que tu prends ton pied rien qu'à cette idée...

Elle les regarda à nouveau. Et choisit une de chaque genre. Elle y ajouta un short et un pantalon en toile ample.

— Voilà, ce sera bien assez.