Chapitre 26 - Ce que nous sommes

Samedi 25 mai

Bo émergea du sommeil d'une bien agréable façon en sentant la bouche et les mains de Quentin parcourir sa peau avec douceur. Encore une fois, après l'amour, ils s'étaient endormis ensemble pour se retrouver dans cet endroit hors du temps où leurs magies se rejoignaient, leurs pieds dans cette eau bleue ourlée d'or dans laquelle étaient plantés des récifs de galets empilés. Leurs ombres ne cessaient de les y conduire alors que leurs corps se reposaient entre deux étreintes, ainsi même endormis, ils n'étaient jamais séparés.
Toutes leurs nuits se ressemblaient. Dès l'instant où ils refermaient la porte de la chambre de Quentin, plus rien n'existait à part eux. Leurs peaux s'appelaient en permanence, leur envie de l'autre semblait se faire plus forte à chaque étreinte. Bo avait la sensation qu'à chaque fois qu'ils faisaient l'amour et que leurs ombres se rencontraient, se fondaient les unes avec les autres, celles de Quentin apportaient toujours plus de force aux siennes et qu'elle continuait à dénicher celles qui se cachaient encore en lui. Le plaisir physique mêlé à celui né de la connexion entre leurs ombres n'aidait pas à ce que leur désir de l'autre s'atténue, bien au contraire.
En journée, c'était plus facile de ne pas y céder à cause de leurs occupations ou de la présence des autres, mais il était rare qu'ils ne se touchent pas, comme si ce contact entre eux était devenu aussi indispensable que respirer.

— Bonjour, mademoiselle Hendricks, lui murmura-t-il à l'oreille alors qu'il sentait qu'elle allait ouvrir les yeux.

— Bonjour, dit elle en souriant.

Elle ouvrit les yeux et caressa ses cheveux.

— Tu es en week end ou tu vas travailler ? Demanda-t-elle.

Il quitta la naissance de ses seins pour embrasser ses lèvres.

— Week-end. Aussi étrange que ça soit.

Depuis quand n'avait-il pas pris un vrai week-end ? Il n'en avait aucune idée. S'il lui était arrivé de rester à la maison le samedi et le dimanche, il finissait invariablement dans le bureau de son père, à travailler quand même.

— C'est pas étrange... Beaucoup de gens font ça, tu sais, dit elle en souriant de plus belle.

Elle s'étira et lui annonça :

— On va aller au marché pour acheter des produits frais et on passera aussi au supermarché. J'ai donné congé à Annie pour la journée. C'est nous qui feront tous les repas.

S'il avait arrêté de l'embrasser, ses mains continuaient à caresser son corps lentement.

— Quand tu dis "nous", c'est toi et Dimitri ?

Mais il sentait qu'il était compris dans le lot.

— Toi et moi. Dimitri il doit mettre la pâtée à ton frère et à son pote Chris aux jeux vidéos.

Elle réfléchit.

— Tu crois que ma malédiction va marcher pour Chris... Je savais pas que j'avais de la magie quand je l'ai lancé...

Il posa sa tête sur un coude, son autre main continuant ce qu'elle faisait.

— C'était quoi déjà ? Impuissance ? Aucune idée. Il faudrait vérifier. D'autant plus qu'il n'y a que toi qui puisse la lever.

— Je lui demanderai tout à l'heure s'il arrive à bander.

Elle caressa sa joue, en plongeant ses yeux dans les siens.

— Et toi, la cuisine ça t'inspire ?

— Avec toi, bien sûr, et puis, ça ne doit pas être trop différent de la préparation d'un rituel, fit-il avec un sourire tendre.

Les ingrédients étaient différents, le résultat aussi, mais la magie ressemblait bien souvent à de la cuisine si on en croyait les tantes de sa mère.

— Bien tu trouves ça approprié alors...

Elle lui vola un baiser.

— Tu pousseras le caddie au supermarché.

— Le caddie ? Vraiment ?

Est-ce qu'il avait déjà fait ça de sa vie ? Si oui, cela devait remonter à son enfance.
Il regarda l'heure à son réveil.

— Si tu veux faire tout ça, il va falloir se lever.

Mais il n'en avait pas très envie.

— Oui !! s'écria-t-elle en bondissant sur le lit.

Elle resta debout et se mit à danser.

— On va aller au Marché... Acheter des tomates, des courgettes, des carottes, des tomates, du fromage, du pain... On prendra un caddie et on le remplira de bière, de pâte, de farine, d'oeuf, de glaces... Et on ira aussi à la BOU-CHE-RIE ! chantonna-t-elle sur un air aussi improvisé qu'improbable.

Quentin la regarda faire, d'abord perplexe, puis franchement amusé. Il se redressa sur le lit pour l'attraper par la taille.

— Si j'avais su que ça te rendrait aussi heureuse, on y serait allés avant.

— Menteur... T'aurais jamais trouvé le temps.

Elle passa ses bras autour de son cou.

— Tu le trouves maintenant parce que tout le monde cherche à me tuer tout le temps et dans le doute... Tu te dis que c'est maintenant ou jamais...

— Profite, alors. Parce qu'une fois que tu ne seras plus menacée, je reprendrais mon rythme infernal de travail.

Mais en réalité, il ne pensait pas encore à tout cela, à ce que serait leur vie une fois cette histoire réglée. C'était encore trop hasardeux, il pouvait se passer tellement de choses. Cependant, il avait bien conscience que Bo ne serait pas heureuse ici.

Elle lui offrit un sourire et murmura :

— Je ne crois pas non...

Elle se sauva de ses bras et attrapa des vêtements.

— Il va falloir que je m'achète quelques fringues au marché aussi. Je pensais pas rester si longtemps... Bon, je me douche, je m'habille sinon personne n'aura de quoi petit déjeuner ce matin !

Acheter des vêtements au marché. Quentin était perplexe sur bien des points : le style, la qualité, la coupe, l'intérêt...

— Nous pourrions aussi aller faire les boutiques, tu sais ? lança-t-il en se levant à son tour.

Il entra dans son dressing. Peut-être devrait-il faire un peu de place pour les vêtements de Bo maintenant qu'il était évident qu'elle n'irait plus dormir ailleurs.

— Non c'est bon. J'ai pas besoin de grand chose non plus. Je vais même pas essayer tu sais, dit elle.

Elle fila dans la salle de bain.

— Tu ne vas même pas essayer ? fit-il en la suivant.

Elle pouvait sentir à sa voix que cela paraissait de la science-fiction. Toutes les femmes qu'il connaissait essayaient les vêtements avant de les acheter. Elles pouvaient y passer des heures, parfois même pour ressortir de la boutique les mains vides.

Elle se déshabilla en le regardant avec un sourire amusé.

— Je n'avais pas plus essayé en Angleterre si tu te souviens bien.

Elle soupira et alluma la douche.

— Cette époque où tu me regardais comme une chose étrange et pas comme une femme...

— Et même pas encore comme un chaton.

Un instant, il se replongea dans ses souvenirs, se rappelant parfaitement de leur première rencontre si protocolaire sur le pas de sa porte et de la deuxième, quand elle avait ruiné son costume en renversant son café dessus.  A cette époque, pas si lointaine finalement, il n'aurait jamais cru qu'elle serait si importante dans sa vie, ni qu'il l'aimerait à ce point. Il y avait pourtant déjà eu quelque chose entre eux dès le premier instant où ils s'étaient vus, simplement il n'avait pas su ce que c'était et il lui avait fallu du temps pour le comprendre.

Elle entra sous la douche et se mit à chantonner avec bonne humeur.
Elle ne resta pas très longtemps sous la douche. Rapidement, elle sortit pour s'enrouler dans une serviette et vint lui voler un baiser.
Elle lui sourit.

— Tu es sûr que je peux vraiment te garder pour toute la journée ? Ce n'est pas mon anniversaire...

Il avait commencé à se raser. C'était rare qu'il ne le fasse pas, même le week-end.

— Sauf apocalypse, je suis à toi. Demain aussi, j'espère.

La veille, Quentin avait retrouvé le chemin de DLS après dix jours d'absence. Jamais n'avait-il pris autant de jours d'affilée depuis qu'il avait soigné Kelya et une montagne de choses urgentes l'attendaient sur son bureau. Jamais encore elles ne lui avaient paru aussi peu importantes alors qu'il avait tant à gérer pour préserver les gens qui comptaient vraiment pour lui. Heureusement qu'il pouvait compter sur Ahmed pour se concentrer sur l'essentiel : trouver comment sauver Bo, protéger sa famille de Gauthier, de ses ombres et des Velikan et les mettre hors d'état de nuire.
Le matin, l'actualité lui avait donné un semblant de piste. Il s'était rendu avec Ahmed sur le lieu de cet étrange incident, dans le XIVe arrondissement et avait trouvé des traces de magie, évidemment. Quentin aurait bien eu besoin de Jo sur le coup, mais il se refusait encore à lui parler, toujours en colère qu'il n'ait rien dit sur sa famille et sa soeur alors qu'il les avait suspectés depuis le début. Finalement, c'était cela bien plus que la dissimulation de son passé et de sa véritable identité qui contrariait Quentin. En ne parlant pas, Jo avait trahi sa confiance et mis tout le monde en danger et spécialement Bo. Cela, le sorcier n'était pas encore prêt à le lui pardonner. Pour le moment, il préférait donc qu'Ahmed s'occupe de son cas. Libre à lui de laisser Jo en résidence surveillée ou de le faire bosser.
Quentin avait ensuite retrouvé Bo pour le déjeuner et elle ne l'avait plus quitté du reste de la journée. Comme la première fois, ils s'étaient installés sur le canapé, l'un à côté de l'autre, et il avait liquidé les innombrables signatures en attente et quelques dossiers urgents que Ahmed n'avait pas pu gérer à sa place. L'avoir à proximité en travaillant était on ne peut plus apaisant bien que, parfois, un simple contact ou un regard avait manqué lui faire oublier ses priorités immédiates pour l'allonger sur le canapé et lui faire l'amour.

— Bien... Bien.

Elle approuva d'un sourire et lui donna une tape sur les fesses. Mais c'était louche. Ça, elle en avait conscience. Elle allait cependant en prendre tous les bénéfices et elle aviserait ensuite. Elle quitta la chambre pour enfiler sa robe noire à bouton.

Comme elle fut prête avant lui, elle quitta la chambre la première. Il la rejoignit dans la cuisine un quart d'heure plus tard, douché, et vêtu d'un jean et d'une de ses habituelles chemises blanches.
Ils étaient les premiers levés.