Chapitre 26 - Ce que nous sommes

— Pourquoi ? Tu en as d'autres où tu couches avec Capucine ? fit Noé en dardant un regard mécontent sur lui.
— Noé !

Gwen trouva le ton de son fils un peu trop cassant, mais Noé attendait la réponse d'Alexis.

Alexis devint blême avant de virer écarlate, très gêné que Gwen entende ça.

— Mais non... C'est pas ça... Je fais pas ça... Je l'aime pas cette fille, bafouilla-t-il.

— Tu as toujours voulu ce qu'avait Eric, alors pourquoi pas ?
— Noé, ça suffit maintenant.

Noé n'arrivait pas à se défaire de l'image d'Alexis et Capucine couchant ensemble. Il était sûr que Miu l'avait fait exprès.

— Ok, ok. De quels secrets tu parlais ? fit-il à Alexis.

Il valait mieux se concentrer sur autre chose, même si c'était probablement une connerie.

Alexis regarda fixement Noé.

— T'es qu'un môme. Tu comprends rien et tu sais rien. T'as grandi avec tout ce que tu voulais et la seule claque tu t'ais pris dans la gueule c'est la mort de ton père et de ton frère.

Il se leva sans le quitter des yeux.

— Capucine est une garce. Jamais je lui aurai couru après. Mais elle a voulu me donner une bonne leçon et je me suis fais avoir en beauté. C'est son truc... Montrer aux mecs qu'elle peut les mener par le bout de la queue juste pour se venger de celui qui s’est foutu de sa gueule quand elle avait seize ans.

Noé n'apprécia guère de se faire traiter de môme. Il n'apprécia pas plus qu'il lui balance que la mort de son père et de son frère ne comptaient quasiment pour rien.

— Forcément, c'est sa faute. Parce que jamais t'aurais pu bander si elle t'avait pas tendu un piège. Assume un peu pour changer.

Noé se leva à son tour alors que Gwen avait pâli.

— Noé, Alexis, cela suffit maintenant, fit-elle fermement malgré tout.
— C'est jamais ta faute, continua Noé en l'ignorant. C'est jamais tes décisions. Tu n'as jamais choisi de suivre Eric dans ses conneries. Tu n'as jamais choisi de baiser avec Capucine. C'est tellement plus facile comme ça. Tu sais rien d'elle. Tu la détestes uniquement parce qu'Eric la préférait à toi. Peut-être même bien parce qu'il couchait avec elle et pas avec toi.
— Noé !

Gwen s'était levée en tapant du plat de la main sur la table.

Alexis fit le tour pour l'attraper par son tee shirt, bien qu'il soit plus petit que lui.

— Me traite pas de pédale d'accord, cria-t-il.

Dimitri se leva prestemment pour les séparer alors qu'Alexis continuait :

— Je connais Capucine mieux que personne dans cette baraque. Toi et ta mère, elle vous embobine avec son rôle de fille de bonne famille qui boit du bio et surveille sa ligne ! De la foutaise ! Elle t'a jamais rien dit quand tu prenais des shoots de potion ou que tu fumais de l'herbe parce qu'elle carburait à bien pire ces dernières années ! C'est une menteuse ! cria Alexis.

Noé écarta Dimitri et balança son poing dans la gueule d'Alexis alors que Gwen lui criait d'arrêter.
Le jeune homme ne s'était jamais battu, ou seulement quand il était môme, dans la cour de récré, mais il y avait mis toute sa rage. Il en avait accumulé tellement ces derniers temps sans s'en rendre compte !
Noé avait essayé d'oublier qu'Alexis avait transporté l'ombre qui avait tué Eric parce que Quentin avait insisté sur le fait qu'il avait été manipulé.
Il avait ravalé la douleur et ce sentiment de trahison que cela avait généré parce qu'Alexis avait suffisamment souffert entre la culpabilité et la folie.
Il avait pris sur lui pour accepter la vérité sur Quentin, Thomas, leur père et Eric et ne pas devenir dingue à force de se poser des questions.
Il avait relégué aussi loin que possible sa trouille née de toutes ces menaces successives qui ne cessaient de s'abattre sur eux : les Velikan, l'assassin de son père et d'Eric, Nhill qui pouvait revenir posséder n'importe qui, ce truc qui tuait Bo, les ombres possédant Olivier et son frère...
Il avait fait de son mieux pour ne pas se sentir dépassé et à la traîne en permanence, pour avoir le sentiment de compter et pas celui d'être un boulet pour les autres.
Sans compter tout le reste, tellement insignifiant au regard de la situation actuelle mais qui l'avait préoccupé ces derniers mois : la relation entre sa mère et Gauthier, la sienne avec Clémentine, ses interrogations sur son avenir, ses futures études dont il rêvait et ce qu'on pouvait lui imposer par respect pour la tradition familiale...
Et la seule chose qui lui faisait oublier tout ça était ce qui se passait avec Capucine, ce qui se dessinait entre eux depuis quelques jours. Capucine lui faisait tellement de bien et Alexis salissait tout.

Noé voulut frapper à nouveau, mais Dimitri s'interposa pour le bloquer alors que Quentin débarquait en courant pour arrêter Alexis avant que l'irréparable ne se produise.

Miu soupira et regarda Alexis :

— Tu n'es pas en colère. Tu vas t'excuser tout de suite. Tes mots ont dépassé tes pensées, tu vas aller marcher un peu pour te calmer.

Alexis la regarda en voulant protester mais finalement hocha la tête.

— C'est ça... Je suis désolé Noé... Je suis pas dans mon assiette en ce moment. Lâche-moi Quentin, je vais aller faire un tour.

Dimitri retenait toujours fermement Noé mais il regarda Miu avec un sentiment de malaise. Est-ce qu'elle leur faisait ça à eux aussi ?

Noé était toujours en colère. Les excuses que prononçaient Alexis n'étaient pas sincères, elles n'étaient que le résultat de la manipulation de Miu. Elles ne valaient rien. De toute façon, ce n'était pas à lui qu'il devait des excuses, mais à Capucine.

Quentin relâcha Alexis, regardant Miu en se posant la même question que Dimitri.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ? demanda-t-il à la démone.

Elle regarda Quentin.

— Je protège Noé comme tu me l'as demandé. Personne ne doit lui faire de mal, non ?

A sa manière de lui demander, il ne pouvait que se souvenir que c'était sa consigne.
Dimitri relâcha Noé lorsqu'Alexis quitta les lieux.

Noé vit que les paroles de Miu faisaient écho à quelque chose dans l'esprit de Quentin.

— Evidemment que non, mais là, c'est de la manipulation mentale, dit-il avec désapprobation.
— On ne se bat pas dans cette maison, intervint Gwen, en colère.

Elle s'approcha de Noé.

— Qu'est-ce qui t'a pris ?
— Je devais le laisser dire des saloperies sur Capucine et se foutre de moi, c'est ça ?
— La violence ne résoue rien, Noé.

Miu regarda Quentin.

— Alors la prochaine fois, je laisserai des gens le frapper et je ne toucherai pas à leur esprit, dit elle en haussant les épaules.

Ça ne faisait pas grande différence pour elle.

— Ce n'est pas ce que...
— Qu'il essaye de me frapper, je lui en recollerais une, répliqua Noé avec hargne.
— ça suffit ! Je ne veux plus jamais de violence dans cette maison !

Mais qu'est-ce qu'il se passait ici ? Gwen en avait assez. Tout allait de mal en pis depuis des semaines.

— Sinon on pourrait tous se changer en blaireau et aller creuser des trous dans le jardin pour nous détendre, déclara Dimitri.

— Peut-être que c'est Bo qui a raison là-dessus, soupira Gwen avec lassitude.

Noé soupira et se laissa tomber sur sa chaise. Il ne voulait pas s'engueuler avec sa mère, ni lui causer du souci et il voyait bien que c'était ce qu'il faisait.

— Je suis désolé, Maman. Je voudrais que tu n'ais pas vu ça...

Il regarda sa main. Elle lui faisait un peu mal, mais c'était supportable.

Gwen se passa la main sur le visage puis sourit à son fils.

— Tiens... Alexis est parti. Bon... Si on perd un invité à chaque fois, le repas va se finir en tête à tête avec Dimitri, dit elle en riant.

Elle regarda Quentin.

— Vous avez préparé un dessert avec Bo ?

Miu regarda Noé.

— En général, je ne fais pas trop les voeux mais ça c'était simple, dit elle.

Elle regarda Quentin et Dimitri pour éviter qu'ils ne paniquent :

— Heureusement que Gwen n'était pas là un peu plus tôt et qu'elle n'a pas vu la dispute.

Voilà tout le monde serait content.

Noé fixa sa mère avec des yeux ronds.

— On a acheté de la glace, répondit Quentin. Je vais aller la chercher.

Il se disait que maintenant que sa mère était là, il était inutile de l'inquiéter en évoquant la dispute entre Noé et Alexis. L'orage était passé, Noé était calmé, c'était l'essentiel pour l'instant, même s'il trouvait que son frère avait surréagi aux paroles d'Alexis et qu'il faudrait peut-être qu'ils aient une discussion.

— Mais...

Noé regardait Miu maintenant. Est-ce qu'il avait dit quelque chose ? Il réalisa que oui. Il avait dit vouloir que sa mère n'ait pas vu cette engueulade et Miu l'avait exaucé. Et elle avait à nouveau manipulé les esprits de Quentin et Dimitri pour qu'ils s'accordent à ce qu'elle venait de faire à sa mère.
Il détourna le regard pour se servir un verre de whisky. Il l'avait vue faire toute la matinée, se frayer un chemin dans l'esprit des autres, réaccorder les souvenirs des gens pour justifier sa place et son existence auprès de lui. Il avait trouvé cela fascinant, bien pratique, et même amusant par moment, et maintenant cela prenait une autre dimension. Cela l'effrayait.

Miu sourit à tout le monde.

— J'adore la glace, dit elle avec plaisir.

Elle regarda Noé avec amitié. Elle semblait réellement inoffensive et il sentit qu'elle accentuait ça.

Il avala son verre d'un coup, l'alcool brûlant sa gorge, détournant les yeux.

— Je vais chez Thana, décréta-t-il.
— Tu ne veux pas de glace ? s'étonna sa mère qui savait qu'il adorait ça.

Il lui sourit gentiment.

— Non merci. Je n'ai plus faim.

Il revint à Miu.

— Tu restes ici.

Il vit que cela lui déplaisait profondément mais elle hocha la tête.

— Je vais m'installer dans ta chambre, dit elle.

— Ok. On se voit tout à l'heure.

Noé fut soulagé qu'elle n'insiste pas pour venir avec lui. Il avait besoin d'être seul pour réfléchir.
Il regarda à nouveau sa mère qui avait tout oublié, un pincement au coeur, et les laissa. Il passa dans la cuisine chercher de la glace pour le démon et actionna son tatouage pour se rendre chez lui.