Chapitre 21 - Urgence et manigances (partie 2)

Clémentine et Noé ne rentrèrent qu'à l'heure du déjeuner à la maison. Une bonne odeur de rôti embaumait les lieux.

— Je meurs de faim ! fit-il en sentant la bonne odeur de viande.

Il tenait toujours Clémentine par la main.

— C'est bientôt prêt, fit Viviane de la cuisine où elle était occupée avec Gwen.

Gauthier n'était pas avec elles et devait être dans le salon.

— Tu veux que j'aille chercher Capucine, dit Clem.

Elle voyait bien qu'il n'avait pas trop envie d'être avec elle depuis qu'elle avait proposé de le faire travailler. Elle pouvait comprendre, c'était jamais drôle les révisions avec les plus vieux.

Noé lui sourit et lui vola un baiser rapide.

— J'y vais. Sinon elle va dire que je t'ai exploitée parce que j'avais la flemme d'y aller.

Il la laissa et sortit de la maison avant de courir vers le ponton. Cette fois, elle ne le déstabiliserait plus.

Une serviette et ses affaires étaient sur le ponton. Tous ses vêtements, un livre sur les bienfaits de la relaxation, un paquet de menthol. Mais Capucine était hors de vue.

Il avança jusqu'au bout pour regarder les environs, mais il ne la voyait pas dans les roseaux. C'était bien trop vaseux de toute façon pour qu'elle aille par là.

— Capucine !

La surface de l'eau était paisible et seul un canard s'envola en l'entendant appeler. Il lui sembla entendre un clapotis près du ponton mais en se baissant, il ne vit rien non plus. C'était presque inquiétant, comme l'avait dit Clem les eaux étaient profondes... Puis il y avait toutes les histoires des tantes sur ce qui vivait dans le lac. Capucine avait réussi à se mettre à dos un couple de sorcier dans la jungle, pouvait-elle en vexer ici aussi ?
Quand il se redressa pour faire demi-tour, il la vit juste derrière lui. Il était juste au bord et elle ne semblait pas disposer à lui laisser plus de place.
Ses cheveux étaient trempés mais attachés avec la pince. Elle était en sous-vêtements blanc irisés, mouillés également et ne dissimulant rien de son corps.

— C'est l'heure ou tu viens te baigner ? Demanda-t-elle en lui souriant.

Il avait sursauté.

— Putain, tu m'as foutue la trouille ! Je croyais que t'étais au fond du lac.

Râler lui permettait de ne pas bafouiller. Parce qu'il sentait bien que cela revenait alors que ses yeux ne pouvaient pas s'empêcher de glisser sur le corps de Capucine.

Elle avança avec un sourire espiègle, le faisant reculer alors qu'elle posait ses mains sur son torse.

— Au fond du lac... Tu veux voir à quoi ça ressemble ?

Elle lui laissa pas le temps de protester qu'ils y tombaient tous les deux. Si les tantes l'avaient réchauffé, il restait un peu froid pour Noé. Capucine émergea de l'eau en essuyant son visage et en riant.

Il s'ébroua, repoussant ses cheveux en arrière.

— Mais t'es pas bien ? J'ai mes fringues !

Et encore des baskets neuves qui prenaient la flotte et la vase.

— Putain, elle est froide en plus.

Mais quand ses yeux se posèrent sur Capucine, il sentait que cela valait mieux. Son coeur fit un bond dans sa poitrine. La façon qu'elle avait de rire, sa peau mouillée, sa poitrine qu'il devinait à la limite de l'eau lui rappelaient le rêve de cette nuit et le regard qu'il porta sur elle se fit plus intense, son visage plus sérieux.

— Le fait qu'elle soit froide, ne peut que te servir à cet instant.

Elle nagea jusqu'à lui et le fit reculer sous le ponton. Il y avait un peu moins d'eau mais surtout on ne les voyait plus d'en haut.

— Je pense que la première leçon est passée, dit elle doucement. Est-ce que tu veux qu'on passe à la deuxième ? Comme je l'ai dit ce matin, ce sont des clés que je peux te donner et qui te garantisse le succès n'importe où...

Noé sentit qu'il allait encore perdre ses moyens. Elle était pourtant si près. Il n'avait qu'à tendre la main pour l'attirer contre lui.

— La deuxième ? demanda-t-il en déglutissant.

En fait, il ne pouvait que reconnaître qu'il avait perdu depuis hier. Il avait joué, l'avait provoquée un peu et elle lui démontrait qu'il n'était pas à la hauteur. C'était dur à encaisser tout de même.

Elle lui offrit un franc sourire. Capucine souriait souvent mais elle avait une manière bien différente de le faire quand c'était naturel et pas juste par politesse.

— La première avait pour fonction de te montrer qu'on jouait pas dans la même cour tous les deux. La deuxième est sûrement plus intéressante pour un mec de ton âge... Le contrôle.

Elle leva la tête pour regarder la lumière qui passait entre les lattes du ponton.

— Ce ne sont que des manigances tu sais, Noé... En réalité, je suis pas si excitante que ça. C'est comme un sortilège d'illusion. Tu prends des ingrédients, tu fais ton rituel et tu lances la magie... Mais si on t'apprend les ficelles... Tu vois que ce n'est pas grand chose, murmura-t-elle.

Noé n'en était pas certain. Il fantasmait sur Capucine depuis bien avant qu'elle se mette en tête de lui donner une leçon. Ce qui était vexant d'ailleurs, surtout qu'elle avait démontré qu'en effet, ils ne jouaient pas dans la même cour, qu'il était à la traîne... et qu'il n'était donc qu'un gamin en comparaison d'elle ou même de son frère. Parce qu'il ne doutait pas qu'Eric n'aurait jamais bafouillé ou perdu ses moyens si une nana plus âgée était venue le tenter, même à 18 ans.

— J'ai compris la leçon, va... soupira-t-il.

— Ok... Alors on arrête là, si tu ne veux pas aller plus loin, dit elle en s'écartant.

Elle voyait bien qu'il était vexé. Il ne fallait jamais insister avec un homme si son orgueil en avait pris un coup. En plus, elle ne voulait pas blesser Noé.

Il se rapprocha d'elle.

— Tu me prends pas au sérieux une seule seconde.

Il n'était pas contre apprendre des choses avec elle, mais pas si elle le prenait juste pour un gamin.

Elle le regarda longuement dans les yeux.

— Qu'est-ce que tu veux dire, Noé ? Est-ce que je prends tes remarques sur mon physique, sur le fait d'assurer avec moi mieux que ton frère ou que Thierry comme n'étant pas sincères ? Ou bien est-ce que tu penses que je te vois juste comme un petit garçon ?

Elle soupira et leva les yeux à nouveau vers le haut du ponton. Ils allaient avoir froid à rester statiques.

— Je ne toucherai pas un enfant comme je l'ai fait hier. Mais je ne t'y pousserai pas non plus sérieusement...

Elle le regarda pour qu'il voit qu'elle pensait ce qu'elle disait.

Noé était faible face à son regard, surtout quand il s'attardait ainsi dans le sien, mais il ne voulait pas lâcher cette fois. Au moins, elle reconnaissait qu'elle ne le voyait pas comme un gamin, c'était déjà ça et cela lui redonnait un peu de courage.
Il avança encore d'un pas et glissa ses mains sur sa taille pour l'attirer vers lui. Ses vêtements trempés lui collaient désagréablement à la peau et il voyait sur la peau de Capucine qu'elle commençait à avoir froid.

— Parce que tu crois que j'ai besoin d'être poussé vers toi ?

Il sut que s'il ne faisait rien, elle le repousserait encore. Peut-être même le ferait-elle s'il faisait quelque chose, mais au moins l'aurait-il tenté. Il pencha son visage vers le sien pour l'embrasser plus franchement qu'il ne l'avait fait hier.

Elle sut que c'était une très mauvaise idée, justement parce que ça allait à l'encontre de ce qu'elle voulait lui apprendre. Mais une part d'elle se disait qu'un seul baiser... Un simple baiser pouvait être accordé. Un peu comme un présent parce qu'il passait à l'âge adulte.
Ensuite, il retournerait à son histoire avec Clem et ils en plaisanteraient plus tard. Elle serait de toutes manières assez occupée avec Quentin et Bo dans les jours à venir. Cela faisait trop longtemps que l'anglaise n'avait pas eu d'ennuis...Un peu de distance et tout rentrerait dans l'ordre.
Elle répondit à son baiser, entrouvrant ses lèvres sous les siennes pour se faire une idée plus précise de sa manière d'embrasser. A première vue, c'était vraiment loin d'être désagréable.

Encouragé par sa réponse, Noé se montra plus audacieux, approfondissant son baiser. Certes, il n'avait pas l'expérience d'Eric ou d'un homme plus âgé, mais sa spontanéité compensait. Elle le sentait qui tentait de freiner son impatience malgré tout, savourant ce baiser qu'il avait si souvent fantasmé, surtout ces dernières 24 heures.
Dans le même temps, il la serra plus fort contre lui, passant ses bras autour d'elle, touchant la peau nue de son dos.

Elle enroula ses bras autour de son cou pour le prolonger un peu plus qu'elle n'aurait dû. Cela la changeait un peu de ses derniers échanges tièdes et plus intéressés par l'idée de créer un lien social que par une véritable envie physique. Comme elle l'avait dit, les baisers de Thierry étaient à son image. Assez mou et timoré, lui donnant plus envie de lui tapoter le bras ensuite que de le déshabiller.
Elle écarta légèrement ses lèvres pour reprendre son souffle mais garda les yeux fermés. Cela lui évitait aussi de se prendre de plein fouet la connerie qu'elle était entrain de faire.

Noé n'en revenait toujours pas de ce qui était en train d'arriver. Son coeur battait la chamade, cognant si fort dans sa poitrine qu'il était sûr que Capucine l'entendait. Ce qu'il ressentait maintenant n'avait rien à voir avec l'excitation qu'il avait eue avec Clémentine un peu plus tôt. Il y avait comme un goût d'interdit qui rendait cela plus savoureux. Un brin de fierté aussi peut-être.
Il l'embrassa encore, plus lentement cette fois. Bien heureusement pour lui, son cerveau était bien trop focalisé sur les sensations qu'il vivait plutôt que sur le fait qu'elle pouvait comparer ses talents avec ceux de son frère.

Elle s'accorda aussitôt à son rythme. Sa bouche se fit aussi caressante que ses doigts se mêlant à ses cheveux sur sa nuque. Ses lèvres s'écartaient légèrement pour venir caresser les siennes avant de reprendre le baiser avec langueur.
C'était horriblement agréable, elle ne pouvait pas le nier. Pourquoi c'était aussi bien alors que Noé... était Noé. Le contrôle. Elle essaya de le visualiser rentrant tôt le matin, puant l'alcool et la clope, les cheveux indociles avec ses fringues froissées et son air désinvolte d'ado faussement rebelle.

— C'est bon... Je veux dire... On arrête, murmura-t-elle entre deux nouveaux baisers.

Noé n'en avait aucune envie. Bien au contraire, il aurait voulu pousser plus loin, goûter sa peau de ses lèvres, la toucher encore, découvrir son corps pressé contre le sien. Mais il se souvint de ses premiers conseils, ce qui était extraordinaire vu l'état nébuleux de son cerveau.
Il frôla encore ses lèvres des siennes, glissant ses mains au creux de ses reins, s'interdisant de descendre plus bas pour ne pas céder à son envie.
Il écarta finalement sa bouche, puis son visage pour lui sourire doucement.

— On va être en retard pour déjeuner, fit-il en la regardant dans les yeux.

Puis, il sortit de dessous le ponton pour remonter dessus, la laissant se reprendre. Intérieurement, il avait envie de sauter partout. Pour se calmer, il s'éloigna de quelques mètres pour tenter le sortilège qu'il avait utilisé pour sécher les livres inondés par Bo et s'occuper de ses vêtements. Ses baskets étaient noires de vase, mais leur sacrifice avait largement valu le coup.

Elle resta un instant mais pas trop longtemps. Il n'avait pas protesté pour arrêter. Il avait toujours été bon en cour, bosseur, assidu et avec un fort esprit de compétition. Cela ne devrait pas l'étonner qu'il ait pu retenir ce qu'elle lui avait dit. Elle ferma les yeux. Elle avait roulé des pelles à Noé dans le lac. Parce que là, elle ne pouvait plus se raconter qu'elle lui avait juste donné un baiser d'anniversaire en avance.

— C'était juste une fois, se murmura-t-elle. Ça n'arrivera plus.

Elle respira profondément plusieurs fois et remonta à son tour. Elle se sécha en se frictionnant. Elle ôta son soutien-gorge pour enfiler sa robe blanche.

Noé la regarda en douce alors qu'il était occupé à sécher son jean. Il avait ôté ses chaussures pour se débarrasser de ses chaussettes. Il devrait rentrer pieds nus jusqu'au manoir et se les laver avant de passer à table.
Il espérait vraiment que cette tactique fonctionnerait, que Capucine ne ferait pas marche arrière, et arrêta d'y penser avant de lui sauter dessus.

— T'es prête ? lança-t-il en se recoiffant comme il le put.

En guise de réponse, elle ôta sa petite culotte. Elle la jeta sur la serviette avec son soutif et enroula le tout. Elle s'accroupit pour mettre en plus dans le sac, son livre, son téléphone et s'alluma une cigarette pour le rejoindre après avoir enfilé ses chaussures.

— C'était bien ta promenade botanique, ce matin ? Demanda-t-elle en tirant sur sa clope.

Reprendre la cigarette ne lui avait jamais semblé aussi essentiel qu'à cet instant. Respirer lentement. Et réaliser qu'elle avait déconné. Parce que son corps n'en était pas encore aussi convaincu que sa tête et ça l'inquiétait un peu.