Chapitre 21 - Urgence et manigances (partie 3)

L'heure passa sans que Bo ne revienne. Dimitri s'était lancé dans une purée maison, mettant Joanna à contribution pour éplucher les pommes de terre et émincé les oignons allant avec les saucisses.

— Bon tu veux pas aller la sortir de la flotte parce que là c'est cuit, j'ai juste à écraser à la fourchette les patates avec le lait, le truc qui sent bon et le lait...

Un mec qui faisait la cuisine, c'était tout de même vachement sexy, même si ce n'était que de la purée et des saucisses.

— "Le truc qui sent bon". On voit tout de suite le professionnel, s'amusa-t-elle en se levant.

Elle approcha du plan de travail et le regarda, esquissant un sourire charmeur.

— Fous pas le feu à la baraque en mon absence, tu veux, Boucles de bronze ?

Depuis qu'elle savait qu'on l'appelait comme ça chez lui, elle ne s'en privait pas.

— Je vais à la pêche et je reviens, fit-elle en lui donnant une petite tape sur le cul avant de prendre la direction de la sortie.

— Fais gaffe, tu prends des libertés, Voegel qui pourrait se payer cher ! Je sais que mes fesses ont un champ gravitationnel irrésistible mais tu te fais du mal...

Il trouva la muscade et lui montra le flacon avec un sourire.

— Truc qui sent bon ! dit il en lui montrant.

Elle éclata de rire.

— Tout ça parce que tu n'arrives pas à le dire en français. Tu devrais t'entraîner : muscade.

Quant à ses fesses, il n'avait pas tort, mais elle pouvait tout de même en profiter un peu pour tâter.

— Si t'as pas filé pour ramener Ariel ici dans les cinq secondes qui viennent, je t'assure que ton nouveau surnom ce sera "Miuscaide", dit il avec son accent anglais.

Il lui montra la porte et fronça les sourcils en sentant que les saucisses grillaient. Il jura et fila à sa poële.

— J'y vais, j'y vais !

Elle sortit de la maison pour filer vers la plage. La crique n'était pas très loin, mais il fallait espérer que Bo ne serait pas sous l'eau sinon elle allait encore finir trempée.

Mais quand elle arriva sur la plage, un mauvais pressentiment lui saisit les tripes. En direction de la cricque mais bel et bien sur la grève, il y avait une lumière rouge. Elle contaminait le ciel, les rochers, le sable, la mer comme si on avait braqué un faisceau de cette couleur dans cette direction. Il n'y avait plus personne et à vrai dire, cette magie donnait aussi envie à Joanna de déguerpir.
Sauf qu'elle voyait sans mal Bo allongée sur le sol, éloignée de la mer qui dans sa colère se heurtait à la lumière pour se dissoudre aussitôt en écume pixellisée, avec une jeune femme installée à califourchon sur elle.
Elle ne l'avait pas revu depuis longtemps mais il s'agissait bel et bien de Lexie. Lexie avec la même coupe de cheveux, ayant même poussé le vice jusqu'à être habillée à l'identique.
Elle était trop loin pour entendre ou voir dans les détails ce qui se passait. Mais elle reconnut à l'expression de sa sœur que cette dernière avait dû réussir à faire une entaille à la jeune femme pour absorber sa magie.

Joanna se figea l'espace de quelques secondes. Un instant, elle avait cru se voir dans un miroir avant de se rappeler que c'était elle le reflet en réalité.
Jo se mit à courir vers Bo, la peur au ventre d'arriver trop tard. Bo ne devait pas mourir. Bo ne devait surtout pas mourir.
Dans sa course, elle retrouva sa véritable apparence, autant parce que l'émotion était si forte qu'elle en perturbait son sortilège que parce que Jo voulait éviter toute confusion.

— Lexie ! Lâche-la !

Sa voix était soudain plus grave et masculine. Cela faisait tellement longtemps que Jonas n'était pas redevenu lui-même qu'il en avait presque oublié le son de sa propre voix.

— Tiens, tiens... Mais tu ressembles enfin à quelque chose que t'as pas copié ! lança Lexie en reprenant pied.

Ce n'était pas facile pour autant. Jamais encore elle n'avait senti autant d'énergie et de magie en elle. Tous les pores de sa peau devaient la recracher. Elle n'en avait pas pris beaucoup et pourtant elle sentait que tout était possible. Plus encore qu'en Angleterre, comme si la magie de Bo s'était décuplée. C'était bien pour ça qu'elle avait autant patienté en la laissant faire mumuse avec l'eau comme une gamine.
D'un geste ample de la main, elle entailla le haut du buste de Bo qui ne portait que son maillot de bain. Le sang coula et la magie se libéra. Jo n'en avait pas besoin mais il sentit sans peine, la faim se réveiller en lui.

— Je veux bien partager avec toi. J'ai toujours voulu partager avec toi, dit Lexie avec douleur.

Jonas savait très bien ce que Lexie expérimentait comme shoot à cet instant. Lui-même avait du mal à l'oublier après avoir goûté à la magie de Quentin grâce à Nhill.
Il eut du mal à déglutir en sentant la magie de Bo s'échapper. Malgré ce qu'il avait emmagasiné, malgré la magie qui coulait dans ses veines et qui ne semblait pas vouloir s'en échapper, il ressentait la soif, la faim.

— Partager quoi, Lexie ? Les souffrances et les meurtres ? Bo ! Tu m'entends ? Debout ! cria-t-il sans quitter sa jumelle des yeux.

Il tenta d'approcher Lexie. Elle ne lui avait jamais voulu de mal et il fallait qu'il profite de cet avantage. Dans son esprit se bousculaient les formules des sortilèges qu'il pouvait lui envoyer pour la mettre hors d'état de nuire. Il en connaissait plusieurs et avec la magie de Quentin flottant en lui, il devrait pouvoir en lancer un sans faire appel à sa montre qui n'était pas dans sa poche pour une fois.

— Elle ne t'entend pas. Elle ne voit rien non plus. Et grâce à la lumière, elle ne peut pas lancer ses satanées ombres... C'est un super sortilège et plus je me nourris d'elle... Plus la lumière est vive et s'étend, dit Lexie avec satisfaction.

Elle regarda son frère et lui lança une poignée de sable. Les grains devinrent des abeilles qui lui foncèrent dessus.

— Ne te laisse pas piquer, frangin, tu risquerais de ne plus pouvoir penser par toi-même.

Elle inspira une nouvelle vague de magie et se raccrocha à Bo pour ne pas défaillir sous le plaisir.

— Merde !

Il fit un geste du bras et les abeilles s'embrasèrent pour disparaitre en cendres. Il fut étonné que cela fonctionne alors qu'il n'avait fait qu'y penser. Il n'avait même pas eu à prononcer la formule. S'il était capable de cela alors que cela faisait une bonne semaine qu'il avait aspiré la magie de Quentin, alors que pouvait faire Lexie en s'en gavant maintenant et en cette quantité ?
Mais il n'avait pas le temps d'y penser, ni même de s'en inquiéter. Il fallait qu'il écarte Lexie de Bo, qu'il empêche sa jumelle de tuer l'âme soeur de Quentin. Si elle disparaissait, il n'y survivrait pas et Dimitri ne s'en remettrait jamais. Empêcher cela était le plus important à ses yeux.
Cette pensée lui donna un regain d'énergie et de combativité. Aussitôt, il tendit sa main vers Lexie et lança sa magie vers elle pour l'écarter brutalement de Bo. Jonas savait d'expérience qu'elle serait le plus vulnérable au moment où la décharge de plaisir la tenait entre ses griffes.

Lexie poussa un rugissement d'agacement quand elle bascula. Elle en avait assez de ces hommes qui l'empêchait de prendre ce qui lui revenait de droit. Elle écarta Jo d'un geste et le regarda.

— Tu me touches encore une fois et tu ne revois plus Kelya. Je serai navrée de lui apprendre que tu es mort en protégeant des gens qui n'en ont rien à foutre de toi.

Elle désigna de la tête un véhicule un peu plus haut sur la jetée. Jo reconnut sa petite sœur qui frappait de toutes ses forces contre la vitre passager.

Jo avait mordu la poussière et cracha du sable. Lexie aurait pu lui faire bien pire, il le sentait au fond de lui.
Il pâlit en voyant Kelya. Illusion ou réalité ? Il ne pouvait pas le savoir ni prendre le moindre risque.

— Laisse Kelya en dehors de ça ! rugit-il en se redressant.

Il jeta un oeil à Bo. Elle était à sa portée, si proche... La magie qui s'échappait d'elle saturait l'air et il commençait à en trembler. Pourquoi ce qui l'avait protégée d'Eric ne s'était pas déclenché ?

Lexie se redressa et attrapa Bo pour la tenir contre elle comme si elle n'avait été qu'une enfant toute légère.

— On fait un échange si tu veux... A ta place, Quentin n'hésiterait pas une seconde, dit la sorcière en lançant à son frère les clés.

Il n'eut pas le temps de réagir qu'il y eut un coup de feu. Lexie bascula en arrière, se tenant l'épaule. La lumière rouge se fendit en deux alors qu'Olivier approchait d'une démarche lente et assurée. Il avait relevé son arme prêt à tirer une deuxième fois.

Jo ne pouvait même pas contredire Lexie. Oh, bien sûr, Quentin chercherait à tous les sauver, mais sa priorité serait Bo, il n'avait aucun doute là-dessus.
Le coup de feu le figea. Olivier. Et merde. Il allait évidemment croire que Lexie était lui et comme il ne le connaissait pas, il ne pouvait que le prendre pour l'ennemi.

Il tira une deuxième fois en l'air cette fois lorsque Lexie se releva. Il n'était plus qu'à quatre cent mètres et il était un bon tireur.

— Joanna, ça suffit ! Je préfererai te garder en vie pour que Quentin puisse te tuer lui-même, dit il avec un sérieux qu'une légère lueur amusée dans ses yeux contrastait.

Seule Lexie pouvait s'en rendre compte. Il préférait jouer avec elle mais il n'aurait aucun scrupule à la tuer. Elle aspira encore une gorgée de magie et partit en courant, bousculant son frère.
Dans sa fuite, elle croisa Dimitri qui descendait en courant. Il bafouilla son prénom en voyant son épaule en sang. Elle repéra son petit miroir de poche dans la main. Elle eut un sourire cruel en comprenant son usage. Elle se plaça dans l'angle pour qu'il la voit bien et lui murmura :

— On s'amusait bien mais... Il me manquait un truc pour que ce soit vraiment satisfaisant pour l'un comme pour l'autre.

Les yeux de Dimitri glissèrent sur la surface du miroir. C'était bien Joanna. Il n'eut pas le temps de réagir qu'elle lui jetait une vague de magie qui le fit voler dans les airs, le faisant retomber durement contre un rocher. Il sentit une douleur fulgurant dans son épaule et le haut de son dos mais au moins sa tête avait évité de heurter la pierre.

Jonas n'avait guère le choix. S'il restait, Olivier risquait de le prendre à parti ou, pire, comme cible. Il courut à la poursuite de sa soeur et cria quand il la vit s'en prendre à Dimitri, hurlant le nom du jeune homme.
Il s'arrêta à sa hauteur, s'accroupissant pour vérifier qu'il était toujours vivant.

— J'suis désolé, Dimi...

Avec un regret évident, il ne resta pas et courut après sa soeur. Il devait rattraper Lexie, la mettre hors d'état de nuire, la ramener à Paris pour tout expliquer.

La lumière rouge s'étant éteinte, la mer contenue et en furie fonça droit sur la plage. Bo n'ayant pas retrouvé pleinement conscience, elle ne pouvait l'arrêter et l'aurait elle fait.
Jo avait presque rattrapé Lexie lorsqu'ils virent la vague gigantesque au-dessus d'eux. Ils furent happés par les flots alors qu'Olivier avait soulevé la jeune femme dans ses bras et aspirait le sortilège pour qu'elle puisse reprendre conscience avant que la mer ne les touche à leur tour ainsi que Dimitri.

— Qu'est-ce qui...
— Tout va bien, tu es en sécurité Bo ! Mais arrête le Tsunami avant que la mer n'emmène ton frère, dit il en lui tournant la tête vers ce dernier.

Bo repoussa la mer, créeant une plage à marée basse et ne soupçonnant pas qu'elle avait écarté sur des kilomètres Lexie et Jo. Olivier eut un sourire satisfait.

— Vite, allons chercher ton frère et partons... Elle n'était pas seule et je ne sais pas combien de sorciers sont venus aider Joanna.

Dimitri était encore à moitié sonné quand il vit la vague gigantesque disparaître avec plus que du soulagement. Il se releva, chancelant, avec des douleurs partout. Il voyait Bo dans les bras de ce type qu'il ne connaissait pas et n'était pas sûr que ça ne soit pas un complice de Joanna.
Il chercha le revolver des yeux. Il l'avait avec lui quand il était descendu après avoir entendu le coup de feu, mais il avait du le perdre quand Joanna l'avait envoyé valdinguer dans les airs.
Son regard se fit plus sombre à la pensée de la jeune femme. Joanna les avait tous eus. Elle s'était attaquée à Bo. Elle les avait bernés en beauté et Quentin le premier. Il allait le tuer pour les avoir mis en danger encore une fois !

— Bo !

Il détesta le ton affolé de sa voix alors qu'il courait en serrant les dents pour la rejoindre.

Bo marchait, soutenue par Olivier. Elle saignait encore un peu mais la coupure n'avait pas été profonde. Elle se sentait surtout vaseuse.

— Ça va, dit elle à son frère.

Elle montra l'homme près d'elle de la tête.

— C'est le voleur d'orgasmes.

Elle savait que ça lui parlerait plus que le prénom d'Olivier.

Le sorcier jeta un oeil à Dimitri. Il voyait bien qu'il devait avoir des contusions.

— ça va aller ? La voiture n'est pas loin. On est à découvert, il vaut mieux pas traîner.

Il regarda autour d'eux comme s'il s'attendait à ce que Joanna ou d'autres sorciers débarquent. Cette petite pute avait bien failli le coiffer au poteau ! S'il ne l'avait pas repérée en train de farfouiller à DLS ce matin, elle se serait gavée de la magie de Bo sans même lui en proposer une goutte. Il aurait du savoir qu'elle n'était qu'une ingrate.

Dimitri prit sa place pour escorter Bo jusqu'à la voiture. Ils grimpèrent dans le véhicule.

— Y a toutes nos affaires là bas, dit Bo.

Dont son téléphone portable pour aller Quentin et le prévenir.

— C'est trop dangereux d'y retourner, répondit Olivier en prenant place au volant.

Il lui tendit son portable.

— Appelle Quentin. Dis lui ce qui s'est passé et que je vous ramène à Paris. Putain, j'ai toujours su qu'elle était pas nette, mais à ce point... fit-il en démarrant pour quitter la plage.

— Il faut que tu soignes, Dimitri, dit elle en acceptant le téléphone.

Son frère chassa cette idée d'un geste de la main.

— C'est bon... J'ai vu pire.

Mais il craignait de s'être déboité l'épaule et tant que ce serait pas remis à sa place, il morflerait sévère.

— Je nous éloignes un peu avant. Serre les dents.

Il s'éloigna de la plage et de la maison. C'était vraiment une aubaine. Gauthier ignorait toujours que Bo était un changelin, ce qui lui laissait une belle opportunité maintenant qu'il s'était débarrassé de Lexie. Si le tsunami ne l'avait pas tuée, il espérait qu'elle soit suffisamment mal en point pour mettre du temps à revenir lui casser les couilles. C'était tout de même dommage, il s'était bien amusé avec elle, mais s'ils se revoyaient, c'était six pieds sous terre qu'il la mettrait et pas dans son lit.