Chapitre 21 - Urgence et manigances (partie 1)

Mercredi 22 mai

Lorsque Noé se réveilla, il resta un moment au lit. Il avait entendu la musique Zen de Capucine qui visiblement commençait aussi la journée par une séance de relaxation/méditation. Puis il l'avait entendu se lever, croiser Clémentine dans le couloir où elle lui avait raconté être tombé sur un connard comme chauffeur blablacar et avait préféré revenir. Après les rêves qu'il avait fait, rien que d'entendre sa voix de bon matin, l'avait mis dans une position délicate.
Finalement, à force de penser à Alexis, la pression était redescendu et il avait pu se lever. Il l'avait croisée sortant dans la salle de bain dans un simple peignoir de satin qui avait absorbé un peu de l'humidité de sa peau par endroit, ses cheveux s'échappant de sa pince avec plus de sauvagerie que d'habitude. Elle lui avait offert un grand sourire en lui disant bonjour avant de rentrer dans sa chambre.
Noé était retourné se coucher directement. Il avait attendu qu'elle soit descendue en bas avant d'aller prendre une douche froide. Froide parce que Capucine avait vidé le ballon d'eau chaude juste après Clem.
A la table du petit déjeuner, il y avait tout le monde. Gauthier et sa mère qui parlaient d'une sortie culturelle. Les tantes qui parlaient de ce qu'elles prépareraient pour le déjeuner et le dîner. Clem qui lui fit un sourire chaleureux. Et Capucine.
Elle portait une robe blanche qui mettait en valeur le blond très pâle de ses cheveux, sa peau légèrement hâlée par ses dernières séances de bronzage à la piscine. La coupe était parfaite, mettant en valeur tout ce qu'il fallait mais avec une pointe d'élégance et de romantisme faite pour elle. Elle lisait un magazine en tenant dans sa main sa tasse de thé. Ses cheveux étaient encore légèrement humide mais elle les avait attachés avec plus de rigueur. Elle portait à son cou le collier d'Agathe et des boucles d'oreilles assorties.

— C'est à cette heure que tu te lèves ? dit Gauthier.

Noé lui aurait bien répondu d'un doigt d'honneur ou qu'il n'était pas son père, mais ça aurait été un très mauvais calcul vu que tout le monde était là, qu'il ne voulait pas mettre sa mère dans l'embarras et qu'il ne voulait pas passer pour un petit con devant Capucine.

— Je suis levé depuis un moment, j'attendais que la salle de bain se libère, répondit-il plutôt en prenant place à table après avoir salué tout le monde d'un signe de la main.

Il se laissa tomber sur sa chaise plus qu'il ne s'assit et se servit un bol de café au lait.
Il avait souri à Clémentine, plus par réflexe que par réelle envie, mais après tous les rêves qu'il avait fait cette nuit, ce n'était pas étonnant. A chaque fois que Capucine se retournait dans son lit, le sommier grinçait affreusement et cela l'avait réveillé, alimentant un nouveau songe où la jeune femme avait le rôle principal. A croire que quelqu'un lui avait refilé une potion sans qu'il le sache !
Alors qu'il s'emparait d'une tartine et de la confiture, ses yeux se portèrent sur Capucine. Même au milieu de la campagne bretonne, dans un manoir défraichi et vieillot, elle resplendissait.

Son portable sonna. Elle lut le sms sous les yeux exorbités de Clementine.

— T'es chez quel opérateur ?

Capucine haussa les épaules en reposant son téléphone.

— C'est pas important. Je capte toujours. Même dans la jungle où personne captait, je n'avais aucun soucis. C'est mon truc chance à moi.

Elle se demandait avec du recul si c'était parce qu'elle était une zone blanche pour la magie... Et une zone plein pot pour les réseaux téléphoniques.

— Vous êtes une jeune femme pleines de surprises, dit Gauthier en la dévisageant. C'était Quentin ?

Capucine reposa sa tasse et lui sourit poliment.

— Je ne travaille pas à DLS et je ne sors pas avec Quentin. Donc il n'a pas de raison de m'envoyer de message, vous savez.
— Je pensais que vous souhaitiez le rejoindre...
— J'ai décidé de passer du temps avec Noé et de le faire un peu travailler. Ses examens approchent.

Cette idée ne sembla pas plaire à Clementine.

— Ah oui ? fit l'intéressé.

En temps ordinaire, Noé aurait dit qu'il n'avait pas besoin de réviser, qu'il était premier de sa classe, ou deuxième quand la Fouine lui passait devant, et qu'il aurait ses examens les doigts dans le nez.

— Ah oui, reprit-il en approuvant. J'ai pas la chance d'être déjà reçu en prépa. J'ai un concours à passer.

Même si ce n'était sûrement pas très crédible que Capucine puisse l'aider à réviser pour entrer dans une prépa scientifique.

Gauthier le releva aussitôt :

— Mais... Il me semblait que c'était dans les lettres que Capucine était en passe d'être spécialiste... Cela fait plusieurs années déjà que tu fréquentes la Sorbonne.

La jeune femme le regarda sans se départir de son sourire mais elle trouvait vraiment que l'air de la Bretagne ne lui réussissait pas.

— Peu importe le domaine d'apprentissage quand c'est une méthode qu'on veut enseigner. Et c'est justement ce que je suis entrain de faire avec Noé... Lui donner les clés vers la réussite. Grâce à mon entrainement, rien ne lui résistera.

Elle aurait bien ajouté "Pas même les filles à papa, séquestrée chez elle" mais cela aurait manqué de subtilité.
Elle reposa sa tasse et à la place, regarda le jeune homme.

Noé se demanda si elle parlait bien de ses études de chimie ou d'autre chose. Il détourna les yeux quand ils rencontrèrent les siens. Le souvenir de ce long regard échangé la veille lui collait à la peau et il sentait qu'il rougirait s'il recommençait. Lui ! Rougir ! A la table du petit dej !

— Les clés. Oui. C'est ça. Je... Faut pas que...

Et merde. Il recommençait. En plus, il sentait bien le regard de Clémentine se poser sur lui et qu'elle n'était pas vraiment contente de la proposition de Capucine. Il prit son courage à deux mains et se lança avec bravoure dans l'étalage de la confiture sur sa tartine de pain.

— Noé-chou, on dirait que tu n'es pas bien réveillé, fit remarquer Lénaig. Tu as de la confiture qui coule sur ta main.
— Hein ? Ah oui. Merde. Enfin zut. Pardon.

Gwen observait son fils sans un mot. Quelque chose le perturbait, c'était évident.

— Tout va bien, Noé ? demanda-t-elle.
— Mais oui. Pourquoi tu demandes ça ? Tout va très bien, assura-t-il en se reprenant.

S'il ne regardait pas Capucine, c'était plus facile d'être comme d'habitude.

— Est-ce que ce serait possible de réchauffer un peu l'eau du lac... J'aimerai bien me baigner mais comme en plus je n'ai pas de maillot de bain, dit elle en regardant les deux tantes.

Elle leur sourit.

— Parce que vu vos silhouettes, je ne doute pas que votre surnom provienne de cette belle étendue d'eau.

Enfin cela dit s'il était vraiment magique, elles allaient peut être lui en vouloir de le changer en flaque d'eau à canard.

— Et je doute que les nôtres t'aillent, ma jolie, fit Lénaig en riant.

Viviane l'imita, ce qui se termina invariablement en rire de petit cochon.

— J'espère que la Dame du Lac ne prendra pas ombrage d'une jolie naïade.
— Dommage qu'il n'y ai plus de chevaliers dans les parages pour venir voir le spectacle, s'amusa encore Viviane.
— Comme si tu avais eu besoin de chevaliers alors que le bûcheron du coin te suffisait, répliqua sa cadette d'un air malicieux.

Noé soupira en se plongeant dans son petit déjeuner, n'ayant aucune envie de visualiser ce que les tantes étaient en train d'insinuer. Déjà qu'il avait failli devenir rouge en imaginant Capucine se baignait toute nue...

— Je vais aller m'occuper de ça. De l'eau chaude, pas du bucheron, fit Lénaig en se levant avec un clin d'oeil à Capucine.

— Surtout que si cela remonte à quelques années, il doit être un peu vieux... Je les préfère jeune et vigoureux, dit Capucine avec un sourire.

Elle referma son magazine, en disant qu'elle devrait peut être avoir un peu pitié de Noé malgré tout. Mais le voir gêné, le rendait... assez sexy. Peut être parce que jamais, elle n'avait vu un de Lyonesse se comporter avec ce genre de naturel.

— On pourrait aller chercher des plantes pour des potions, Noé, lui proposa Clem.

— Vous ne voulez pas vous baigner ? Demanda Capucine faussement surprise.

Clem la regarda des pieds à la tête. L'idée de mettre son corps à côté de celui de Capucine était le pire de ses cauchemars.

— Quel genre de potions ? demanda Gauthier, suspicieux. Il me semble que vous avez des révisions.
— Laisse les en profiter un peu, tempéra Gwen en posant sa main sur la sienne avec un sourire indulgent. Ils auront tout l'après-midi pour étudier. Si ça peut te rassurer, Noé travaille à une potion à la demande de Quentin.

Gauthier ne sembla pas se détendre pour autant, mais capitula, non sans jeter un regard d'avertissement à l'adolescent qui l'ignora superbement. Il était bien trop occupé à ne pas s'imaginer dans le lac avec Capucine et Clémentine.

— Je sais pas trop... J'ai pas de maillot non plus...

Il aurait voulu rentrer sous terre à cet instant vu comment son imagination s'emballait. Il comprenait tout d'un coup un peu mieux Quentin dans la voiture l'autre fois. Et encore, son frère était sous l'effet de sa potion, alors que lui, il n'en avait pas besoin pour que tout s'emballe.

— ça te dit ? demanda-t-il à Clémentine.

— Non... L'eau a l'air profonde. On en voit pas le fond, je n'aime pas ça, murmura Clem.

Capucine se leva.

— Tant pis, j'irais seule alors.

Elle s'étira et regarda Noé.

— Tu viendras me prévenir quand ce sera l'heure du déjeuner ? Je suis bien capable de perdre la notion du temps dans un lieu aussi idyllique.

Noé ne sut pas trop s'il était soulagé ou déçu que Clém refuse.

— Ouais. Bien sûr.

Il revint à Clémentine. C'était plus simple. Moins dangereux. Il se sentait surtout bien moins couillon.

— C'est une bonne idée, les plantes.

Voilà. Parler à Clémentine ne le mettait pas dans tous ses états. Il pouvait être lui-même.

Capucine quitta la pièce et il put reprendre le contrôle des choses.
Une fois dans le jardin, Clem l'embrassa et lui donna la main bien sagement mais avec un bonheur évident. Elle lui montra ce que les tantes lui avaient montré les jours précédents et ils ne rentrèrent qu'à l'heure du déjeuner à la maison.
Une bonne odeur de rôti embaumait les lieux.

Noé se sentit bien mieux tout le long de la mâtinée.
Embrasser Clémentine, la prendre dans ses bras lui redonna cette confiance en lui qui semblait s'être évaporée ces dernières heures. Il était à nouveau lui-même, avec son sourire charmeur, son assurance, sa gouaille. Il en profita pour l'entrainer dans un coin tranquille, à l'écart, bien caché derrière la végétation. Clém refusa de faire plus que de longs baisers et des caresses de crainte de se faire surprendre, mais cela redonna à Noé l'impression d'être à nouveau aux commandes et pas comme la mouche prise dans la toile de l'araignée. Mais est-ce qu'il le fit par réelle envie ou parce qu'il voulait se rassurer sur son charme et sa capacité à séduire, il préféra ne pas se poser la question, bien évidemment.