Chapitre 22 - Baiser ou se faire baiser, il faut choisir (partie 1)

Ahmed lui ouvrit et l'entraina dans son salon. Sa femme était sortie avec leur fille. La maison était en désordre mais calme.

— J'ai eu Olivier au téléphone, dit il. Bien sûr il n'a rien lâché sur l'endroit où il emmenait Bo.

— Bien sûr. Tu as eu des nouvelles de Jo ?

Il ôta sa veste et la posa sur le dossier du canapé avant de s'y asseoir. Il se tortilla, sentant quelque chose sous ses fesses, et y trouva un anneau avec de grosses clés en plastique.

— Aucune. J'ai envoyé quelqu'un jeter un oeil dans l'équipe de secours des naufragés bretons. Pour elle ou pour l'autre.

Il soupira et regarda Quentin.

— On a deux options. Soit Joanna nous a baisé depuis le début... Elle en avait après ta magie et voulait te vider le moment venu. Soit elle a pris l'identité de celle qui a tenté de tuer Bo.

Il y avait une pochette sur la table basse avec le nom des Sheridan dessus.

Quentin avait joint les mains pour les poser sur sa bouche, regardant le dossier. Il hésitait encore à l'ouvrir.

— Je penche pour la seconde option.

Il releva les yeux vers Ahmed.

— Si j'avais insisté pour qu'elle me parle, on en serait pas là.

Il avait parié et il avait perdu. Comme avec Eric.

Ahmed ouvrit la pochette et dévoila une photo de famille.
Il pointa le garçon.

— Jonas. Et voici sa jumelle Lexie.

Il observa en silence le visage de son ami.

"Appelle-moi Jo et tu ne seras pas loin de la vérité"
Joanna lui avait dit cela après qu'il ait empêché Kelya de mourir des suites de ses brûlures, quand leurs parents étaient morts dans l'incendie de leur maison près de Chicago.

— Jo est un homme.

Quentin aurait du savoir qu'avec la magie tout était possible. Changer d'apparence n'était pas le sort le plus simple, mais pas le plus complexe non plus. Ce n'était bien souvent qu'une illusion plus ou moins stable, un mirage, mais Quentin savait que le sortilège de Jo allait bien au-delà de ça. Son tissage était autrement plus compliqué qu'une illusion et pour cause : le changement était réel, complet, et visiblement, il allait même jusqu'au changement de sexe. Il était bien placé pour le savoir : c'était avec une femme qu'il avait couché, pas avec un homme.

— Ouais.

Ahmed n'était pas mécontent de ne pas avoir laissé Joanna se foutre de lui en le mettant dans son lit.

— C'est donc lui que je cherche. Et elle aussi mais pas pour les mêmes raisons. A vrai dire, on cherche 3 personnes.

Ahmed ouvrit son ordinateur pour voir les messages qu'il avait eu. Il mobilisait tout le monde et ce n'était pas une mince affaire.

Quentin espérait bien que Jo... Jonas allait réapparaître pour qu'ils aient une discussion. Il devait entendre sa version de l'histoire.

— Trois ?
— Je cherche Bo aussi. Je n'ai aucune confiance dans Olivier. Vraiment aucune, murmura Ahmed.

C'était plus son instinct qui parlait que des faits qu'il pouvait montrer à Quentin.

C’était la merde. C’était grave la merde.
Jonas n’arrêtait pas de se répéter ces mêmes mots alors que le taxi roulait jusqu’à Saint Colomban et la maison des de Lyonesse.
Il avait été emmené très loin par la vague créée par Bo. Il avait eu de la chance de ne pas se noyer. Il avait bien cru qu’il allait y passer et, balloté par le courant, il avait fini par perdre connaissance pour se réveiller loin de tout, coincé par la marée. Il avait fallu plusieurs heures pour que les pompiers le trouvent et le ramènent au port, emballé dans une couverture de survie dissimulant ses vêtements de femme aux regards curieux. Il était bien trop fatigué et instable émotionnellement pour que le sortilège de son piercing fonctionne correctement. Il avait opté pour la gêne plutôt que pour changer de tête ou de sexe en public. La situation était déjà suffisamment merdique sans en rajouter.
Comment il allait se sortir de là ? Et comment allait Bo ? Dimitri ? Et Kelya ?
Il se pencha en avant sur la banquette et posa son front sur ses mains jointes. Il priait depuis tout à l’heure pour que Kelya soit toujours à Paris, pour que ce qu’il avait vu ne soit qu’une illusion, pour que Lexie n’ait pas mis la main sur elle. Sa jumelle avait disparu, emportée par la vague elle aussi, mais il ne se faisait pas d’illusions : Lexie était aussi coriace que lui, elle réapparaitrait. Il fallait au moins qu’il assume ses conneries et l’empêche d’aller siphonner Bo ou Quentin.
Le taxi le laissa devant la maison vide. La porte était grande ouverte et tout était resté comme Dimitri l’avait laissé avant de descendre sur la plage en plein chaos. Le repas gâché les attendait toujours sur la table de la cuisine. Leurs affaires étaient un peu partout dans le salon.
Jonas se mit en quête d’un téléphone. Le sien avait fini à la flotte. Il trouva celui de Bo et pria pour qu’elle n’ait pas mis de code de sécurité pour le déverrouiller. Il appela aussitôt Kelya, mais tomba sur la messagerie.

— Ma puce, c’est Jonas. Dès que tu as ce message, tu vas chez Ahmed. Je viens te chercher. Je ne suis pas encore à Paris, mais j’arrive.

Il fila aussitôt dans la chambre de Dimitri pour se changer. Retrouver son corps d’homme lui paraissait étrange après tout ce temps. Cela lui arrivait pourtant régulièrement, le week end à la maison, quand il traînait avec Kelya devant la télé, mais là, il se sentait curieusement à découvert. Comme un imposteur. Son plus gros secret venait d’être exposé et de la pire des façons.
Il récupéra les affaires des uns et des autres, ferma la maison et grimpa en voiture. Il essaya de contacter à nouveau Kelya, mais en vain. L’angoisse au ventre, il envoya un sms à Ahmed après avoir hésité cinq bonnes minutes sur le contenu. Il ne pouvait pas l’envoyer à Quentin. Il aurait dû, mais il en était incapable. Il se sentait si lâche !

"Je suis sûr que tu le sais déjà, mais c'était pas moi.
Protège Kelya stp. J'arrive pas à la joindre et ma frangine va vouloir la récupérer. Méfie toi de Lexie.
Jo"

"Comme si je t'avais attendu pour ça, crétin."

La réponse le soulagea. Ahmed prendrait soin de sa petite sœur. C’était un souci de moins auquel penser.

"Merci. Je quitte Carnac et j’arrive. Comment vont Bo et Dimi ?"

Il n’attendit pas pour démarrer. Il sentait qu’il allait battre un record de vitesse pour rentrer à Paris.

« Pousse pas ma générosité trop loin. Tu me parles et après je te dirais où en est. Si Quentin est chez moi, t'attend sagement qu'il se barre avant de monter. »

A Paris, Ahmed soupira. Au moins, il avait un moyen de la joindre maintenant. Enfin le joindre. Il allait avoir du mal à s'y faire. Il garda cette info pour lui pour le moment et regarda encore la photo des adolescents Sheridan. Il allait enfin rencontrer Jonas. Le vrai Jo.