Chapitre 20 - Capucine

Mardi 21 mai

Les jours se suivirent et se ressemblèrent.
Quentin attendait des nouvelles de Nhill, craignant de plus en plus que cela prenne un temps fou. Bo lui manquait terriblement, même s'ils s'appelaient tous les jours. Il s'était mis à lui envoyer spontanément des textos dans la journée et commençait à gérer les smileys.
Ahmed gérait très bien DLS sans lui, même si l'enquête sur les meurtres piétinaient toujours. Il arrivait à Quentin d'avoir quelques appels professionnels qui pouvaient s'éterniser, mais dans l'ensemble, il avait du temps pour lui, ce qui n'était plus arrivé depuis longtemps.
Il en profitait alors pour se plonger dans les documents d'Olfarson ou dans les recherches de son père que Thanaclop avait extraites du journal d'Eric, comme convenu. Cela lui semblait cependant de plus en plus vain, ayant l'impression de lire et relire les mêmes contes et les mêmes histoires écrites différemment selon les époques.
Le reste du temps, il travaillait sur sa perception des tissages magiques et s'exerçait avec ses ombres. Quand il faisait cela à l'extérieur, en général au bord d'une plage ou dans un coin isolé, il arrivait à les trouver facilement et à les manipuler. Mais quand il essayait à l'hôtel, elles ne voulaient rien savoir. Elles restaient cachées bien profondément. Il en était de même quand il retentait un essai dans le bureau du professeur et cela devenait frustrant.

Ils étaient sur le chemin pour retourner une dernière fois dans le bureau du professeur lorsque Capucine annonça à Quentin.

— J'ai un soucis avec le collier d'Agathe.

Elle ne savait pas comment le dire autrement que comme ça :

— Il est défaillant...

— Défaillant ? Comment ça ? Il a perdu son pouvoir ou le sortilège est corrompu ?

Quentin avait l'intention d'examiner magiquement le bureau d'Olfarson. Il se demandait si on ne l'avait pas piégé pour empêcher qu'on y fasse de la magie. La veille, il avait tenté un simple de sort de localisation sur un livre pour aider Capucine et il n'avait simplement pas fonctionné.

— Il ne marche plus. Quand j'essaie de suggérer quelque chose en le portant... La personne me regarde comme si j'étais une malade mentale.

Elle l'ôta de son cou et le donna à Quentin.

— Je l'ai gardé tout le temps sur moi contrairement à la bague alors personne n'a pu y toucher...

Il l'examina, le faisant tourner entre ses doigts, et fronça les sourcils.

— Il n'y a plus de magie dedans, lui répondit-il. Plus une goutte.

Encore une fois, il ne comprenait pas ce qui se passait.

— Tu es sûre de l'avoir gardé tout le temps avec toi ? Personne n'a pu le toucher ?

Le vide qu'il ressentait dans le collier lui rappelait celui chez les sorciers tués par les complices de Gauthier. Aspirer la magie d'un objet de pouvoir ou d'un artefact magique n'était pas impossible, mas il fallait être en contact avec.

Capucine fit non de la tête.
- je l'ai même gardé sous la douche...
Elle le regarda en ajoutant
- même Alexis ne l'a pas touché.

Il se retint tout juste de faire remarquer qu'on ne gardait pas un collier aussi ancien sous la douche.

— ça t'est déjà arrivé avant ?

Capucine réfléchit avant d'avouer :

— Eric me prêtait quelques objets mais il les reprenait tout de suite après son usage. Il ne m'a jamais fait confiance pour ne pas les perdre.

Elle avait toujours trouvé ça très vexant.

— Tu as la bague d'Amonera avec toi ?

Capucine n'était pas du genre à perdre quoi que ce soit. A la rigueur, Eric pouvait craindre qu'elle ne les lui rende pas, surtout s'il s'agissait de bijoux.

Elle chercha sa trousse dans son sac et en sortit le bijou. Lorsque Quentin la toucha, il sentit le pouvoir mais plus faible que la première fois qu'il l'avait eu entre les mains.

Alors, là, c'était de plus en plus étrange, et le seul dénominateur commun était Capucine. Mais elle n'était pas une sorcière. Du moins tout le monde s'était-il accordé à le dire. Il n'avait jamais vérifié par lui-même.
Il réfléchit un instant et scruta la jeune femme. S'entraîner à voir les tissages et les sortilèges chez les autres n'avait pas été très compliqué. C'était quelque chose qu'il avait toujours fait. Plus jeune, c'était ainsi qu'il apprenait comment reproduire les sortilèges de son père. C'était aussi de cette façon qu'il avait remarqué Joanna la première fois, en repérant le sortilège de modification d'apparence qu'elle utilisait grâce à son objet de pouvoir. Sans le savoir, il utilisait déjà ses aptitudes de changelin, mais il ne l'avait jamais fait qu'en surface en réalité. Ces derniers jours, il s'était entraîné avec Alexis, étudiant le tissage de leur lien en profondeur ou en lui demandant de se placer des sortilèges sur lui-même pour qu'il puisse les dénicher et les analyser.

— Quoi ? Demanda-t-elle dans sa manière de le regarder.

Pendant un bref instant, il crut voir le début d'un tatouage noir et argent sur le haut de son décolleté. Puis tout disparut. Il eut la sensation que ses ombres s'étaient planquées en lui coupant le souffle au passage et qu'il ne pouvait pas lancer de sortilège.

Cela recommençait, comme à chaque fois qu'il tentait de remonter le cours du temps dans le bureau d'Olfarson. Et à chaque fois, Capucine était là. Comme lorsqu'il s'exerçait à l'hôtel.
Son esprit réfléchit à toute allure.
Thana ne voulait pas qu'elle reste très longtemps chez lui.
Eric ne voulait pas lui laisser les objets de pouvoir trop longtemps.
Elle était incapable de faire la moindre petite potion, ni le moindre rituel.
Et quand Nhill s'était introduit chez eux, elle était dans la maison.
Nhill lui avait dit aussi qu'il y avait au moins l'un de ses sorciers mangeurs de magie autour de lui. L'un des complices de Gauthier.
Est-ce que c'était pour cela qu'instinctivement, il n'avait jamais pu supporter qu'elle le touche ? Parce que la magie dont il était constituée sentait qu'elle pouvait l'absorber ?

— On va chez Thanaclop, fit-il d'un ton sec en lui attrapant le poignet sans douceur.

— Aïeuh, glapit elle. Mais tu me fais mal !

Elle avait la peau très sensible et elle sentait qu'il allait lui laisser une marque avec ses manières de flic pas sympa.

— Je peux savoir ce qui te prend, dit elle alors qu'ils basculaient chez Thanaclop.

Noé et Thanaclop relevèrent la tête dans un bel ensemble. Le petit frère de Quentin était arrivé chez le démon depuis un moment, trouvant là une agréable récréation à l'ambiance de Bretagne. Noé était d'une grande curiosité et ne cessait de poser des questions à Thanaclop sur la vie qu'il avait pu avoir. Contrairement à Quentin qui n'en posait que rarement, le petit dernier des de Lyonesse ne se prenait pas la tête avec le concept d'ndiscrétion.

— Quentin ? Mademoiselle Capucine ? Que se passe-t-il ? Demanda le démon, surpris de sentir une telle tension entre eux.

Noé fronça les sourcils en voyant comment Quentin tenait Capucine et combien la jeune femme n'avait pas l'air ravi.

— Capucine ? ça va ? fit-il en se levant.

Quentin soupira à la présence de son frère qui allait tout compliquer.

— Noé, retourne immédiatement au manoir, ordonna-t-il d'un ton fort peu aimable sans quitter Capucine des yeux, ni la lâcher bien que tout son corps lui criait de le faire.
— Alors, là, sûrement pas.

— Lâche-moi ! Je ne sais pas ce qu'il y a avec la bague mais je n'y suis pour rien ! cria-t-elle en essayant de se libérer.

Elle ne voyait que ça au brusque changement d'attitude de Quentin.

— Arrête, Capucine. ça ne prend plus. Mais quel imbécile ! Tu as toujours été au coeur de notre famille, de notre maison, et je n'ai rien vu.

Et cela faisait deux fois. Gauthier et elle. Il se faisait l'effet d'être un enfant qu'on aurait floué avec une telle facilité ! Le pire étant qu'il avait tout raconté à Capucine. Il espérait qu'elle n'avait pas eu le temps de rapporter ça à l'assassin d'Eric et de son père, qu'il n'avait pas mis Bo en danger !

— Et dire que tout le monde pense que tu n'as aucun pouvoir. Depuis quand te nourris-tu de notre magie ?
— Tu sais que tu racontes n'importe quoi ? fit Noé en empoignant la main de son frère. Lâche-la maintenant. Tu lui fais mal.
— Je t'ai dit de ne pas t'en mêler et de rentrer. Cette affaire ne te regarde pas.
— Lâche Capucine. Maintenant.

Capucine posa son autre main sur Noé et le regarda.

— Ça va aller, Noé, lui assura-t-elle. Il est juste entrain de péter un câble...

Elle écrasa le pied de Quentin avec le talon de chaussure. Elle ne portait que des talons aiguilles, il fallait bien qu'il y ait un avantage.

Quentin fut bien obligé de la relâcher, retenant à peine un cri de douleur. Son regard se fit assassin et Noé s'interposa aussitôt.

— Tu vas te calmer, putain ?
— ça suffit, Noé, fit l'aîné d'un ton tranchant comme la glace. Tu t'éloignes d'elle immédiatement et tu me laisses gérer ça.
— T'es devenu dingue ou quoi ?

Quentin soupira. Noé ne savait rien de la situation. Il ne savait pas qu'Eric avait été assassiné. Du moins s'il l'avait deviné, il ignorait comment et quand cela était vraiment arrivé et de qui on s'était servi. Il ne savait pas non plus la vérité pour leur père.

— Capucine absorbe la magie, Noé. Elle s'en nourrit comme un vampire.

Il regarda la jeune femme.

— Elle a sûrement aussi annulé toutes les protections de la maison pour qu'on soit à découvert. Elle est complice des meurtres de Paris. Peut-être même responsable, n'est-ce pas ?

— Je me nourris de quoi ? répéta-t-elle en ouvrant de grands yeux.

Elle s'écarta de lui comme s'il était devenu fou.

— Tu crois que j'ai absorbé la magie du collier et de la bague ? Mais je ne suis pas une sorcière ! Comment j'aurais pu faire un truc pareil !

Alors ça c'était quand même fort, elle qui rêvait d'avoir des pouvoirs magiques, on l'accusait de voler ceux des autres...

— Maintenant ça suffit ! fit Noé plus fermement. Je sais pas ce qui te prend, mais Capucine n'a rien fait. Elle ne peut pas faire de magie, tu le sais très bien !

Quentin se désolait de la naïveté de son frère. Mais c'était sa faute. S'il lui avait tout raconté avant, sans doute comprendrait-il mieux la situation.

— Thanaclop, veuillez renvoyer Noé en Bretagne.
— Alors, là, sûrement pas ! fit l'adolescent en regardant le démon. Je ne bouge pas d'ici ! Et toi, tu arrêtes tes conneries.

Thanaclop était terriblement gêné par la situation. Il ne voulait pas affligé encore plus mademoiselle Capucine en dévoilant sa disgrâce devant des hommes. Surtout elle qui rêvait d'épouser un de Lyonesse.

— Je vais nous faire du thé... Ce sera mieux que de la tisane, dit il en déployant sa grande carcasse. Le joli service, il ne faudra pas le casser...

Il en profita pour éloigner les objets de pouvoir de Capucine au passage.
Cette dernière massait son poignet en traitant Quentin de brute épaisse. Elle s'assit sur une chaise en dardant sur lui un regard noir.

— Je ne suis pas la meurtrière que tu recherches, Sherlock Holmes. Je comprends que tu fasses du surplace quand je vois les conclusions hâtives auxquelles tu peux arriver...

— Alors explique moi comment ça se fait qu'à chaque fois que tu es dans les parages, je suis incapable du moindre sortilège ? Comment les objets de pouvoir que tu as perdent leur magie ?

Noé ne quittait pas son frère des yeux. Quentin était aussi froid que de la glace, raidit à l'extrême et le regard qu'il adressait à Capucine ne présageait vraiment rien de bon.

— J'hallucine... soupira-t-il.
— Réfléchis un peu, Noé : tes potions ne marchent pas quand tu en fais avec elle. C'est bien qu'elle fait quelque chose.

Noé se souvint qu'il n'avait pas réussi à soigner le pied de Capucine l'autre jour, mais il n'avait rien senti d'étrange. Juste que cela n'avait pas fonctionné. Les vitres de sa chambre n'avaient pas non plus été bien réparées contrairement au reste de la maison.

— Hé bien, peut-être que c'est juste une coïncidence. Et si tu as des pannes, faudrait peut-être consulter. Le problème vient sans doute de toi.
— Je ne vois pas pourquoi je discute avec toi. Tu n'es pas objectif sur la question. Elle t'a retourné le cerveau depuis le temps, cingla Quentin.

Noé éclata de rire.

— Moi ? Capucine m'a retourné le cerveau ? A moi ? Hé ! Commence par te regarder en face, parce que si y en a un qui a la cervelle complètement mélangée en ce moment, c'est pas moi.
— Tu crois que je n'ai pas vu ce qui se passe ?
— Et qu'est-ce qui se passe ? Vas-y, dit le cadet en croisant les bras sur le torse d'un air de défi.
— Elle t'a complètement charmé. Tu n'as jamais les yeux où il faut quand elle est là. Tu louches sur son décolleté ou ses fesses en permanence, mais bon, à ton âge, les hormones te travaillent, elle n'a sûrement pas eu beaucoup à faire pour ça.
— Comme si t'en savais quelque chose, se moqua Noé. Toi, le bloc de glace impénétrable.
— J'ai eu ton âge, Noé. Je sais très bien de quoi je parle.
— Ouais, c'est ça. T'étais déjà chiant comme la mort à mon âge. Tu aurais donné envie de se pendre à n'importe qui. Et t'es plutôt mal placé pour me dire ça, putain. Tu t'es vu à patauger dans le bassin avec Bo ? Tu crois pas que s'il y en a une qui retourne le cerveau de quelqu'un, c'est elle ?

— C'est bon ! les interrompit Capucine en élevant un peu le ton.

Elle poussa un long soupir et se passa la main sur le front. Elle détacha ses cheveux comme souvent quand elle réfléchissait. Elle s'interrompit devant le regard de Quentin. Comme si juste de passer sa main dans sa chevelure allait lancer un sortilège.

— Au lieu d'accuser ton frère d'avoir les pensées que tu n'as jamais eu en me regardant, on pourrait parler calmement des éléments qui te poussent à m'accuser.

Elle montra Thana qui faisait le thé.

— Tu crois franchement que si j'avais fais tout ce que tu dis, il me laisserait encore venir ici et qu'il serait aussi détendu...

— Exactement, renchérit Noé d'un ton assuré.

Quentin regarda le démon et croisa à son tour les bras. Les deux frères ne s'étaient jamais autant ressemblés dans leur attitude qu'à cet instant.

— Thanaclop n'a pas l'air de vouloir de ta présence très longtemps chez lui, il me semble.

Noé en avait marre. Il n'avait jamais vu Quentin aussi buté.

— Putain, c'est complètement dingue. Si c'était n'importe qui d'autre que Capucine, tu ne réagirais pas comme ça. Mais forcément, puisque c'est elle, tu te butes. Tu te dis même pas que ça pourrait être un complot pour foutre la merde ? Qu'on se sert d'elle pour, je sais pas moi, te distraire de ce que tu peux foutre en Norvège et dont tu parles à personne ?