Chapitre 19 - Destination Brocéliande

Il mit un doigt sur ses lèvres et Clém le vit murmurer un truc tout en traçant un signe dans l'air. Il toucha ensuite chacune de ses baskets et les chaussures de la jeune fille.

— Sortilège de discrétion. On ne fera aucun bruit en descendant l'escalier, murmura-t-il.

S'il avait eu le temps de faire la potion d'invisibilité, ça aurait été encore mieux, mais il n'allait pas faire le difficile.
Il entraîna Clém derrière lui et ils descendirent l'escalier, cette fois sans faire grincer une seule marche. En arrivant au rez-de-chaussée, ils entendirent la voix de Viviane qui protestait contre une nouvelle proposition de Gwen de faire venir des artisans pour la dépendance. Ils filèrent sans demander leur reste, s'éloignant du manoir pour disparaitre dans la végétation folle du jardin.

— Je te passe la visite du second manoir. Il ressemble au premier et plus personne y vit. C'est là que ma mère a grandi, fit-il en désignant la bâtisse.

Clementine regarda le bâtiment avec curiosité.

— Je crois que vous devriez organiser des visites pour les touristes américains... Ils adoreraient ça.

— Je crois que la cousine de Maman, celle qui vit à Rennes, l'a proposée, mais elle s'est fait engueuler par Lenaig et Viviane. Elles sont un peu folles.

Il continua la visite du jardin. Clémentine n'avait jamais vu autant de plantes différentes si ce n'était dans les serres du Jardin des Plantes. Il y avait également beaucoup d'insectes et de papillons.

— Tout ça, ça leur sert pour leurs potions. Certains de mes ingrédients viennent d'ici.

Clementine se tendit à cette mention.

— La potion... Tu sais ce qui a pu provoquer ça ? Tu crois vraiment que c'est le mélange ?

Ils n'avaient jamais vraiment eu l'occasion d'en reparler.

Noé cueillit de l'achillée qui poussait sur une rocaille. Il connaissait quasiment toutes les plantes de ce jardin et la plupart de leurs usages pour les avoir étudiées dans ses bouquins.

— Qu'est-ce que tu as vu, toi ?

La potion avait merdé, leur collant des hallucinations, mais ils n'avaient jamais comparé leurs visions. De plus, il y avait les événements de la veille, avec l'ombre de Bo, qui ne cessait de revenir à son souvenir.

Clementine serra ses bras autour d'elle.

— Des serpents. Je déteste ces bestioles.

Mais ce n'était pas juste des serpents. C'était des ombres. Des peurs d'enfant.

— Tout le reste me semblait intouchable. Je crois que plus jamais j'en avalerai une...

Noé regarda le brin d'achillée entre ses doigts.

— C'est ce que j'ai vu aussi. Des serpents noirs, ils sifflaient aussi. C'était hyper réaliste... Plus j'y pense, plus je me dis que c'était comme des ombres vivantes qui rampaient au sol.

— Oui. Je ne veux plus jamais voir ça.

Elle haussa les épaules.

— Je vais rester à essayer de faire pousser des fleurs.

— Je ne suis pas sûr que le mélange soit en cause... C'était peut-être autre chose.

Tout cela ressemblait bien trop à ce que Dimi lui avait raconté des ombres de Bo et à ce qu'il avait vu hier. Mais comment cela pourrait-il être possible ? ça ne pouvait pas être la magie de Bo.

— C'était peut-être quelqu'un qui nous a lancés un sort d'ombre. J'ai lu des trucs là-dessus. C'est de la magie élémentaire. Pas la plus courante et pas la plus simple à maîtriser, cela dit...

Quentin avait parlé de cette sorcière qui les avait attaqués à Port Hallen, celle qui pouvait prendre l'apparence des autres. Peut-être que ça avait à voir avec les meurtres de Paris ? Ou avec cette voleuse d'apparence qui courrait toujours ?

Clémentine le regarda perplexe :

- Pourquoi on nous attaquerait ? Et qui ferait une chose pareille... On connaissait tout le monde là bas.

— J'en sais rien, mais c'est bien pour ça qu'on a tous fini ici. Ton père a été attaqué, mon frère a été tué, on a eu des soucis à la maison...

Clem resta songeuse mais ne dit rien de plus. Ils finirent le tour du propriétaire et rejoignirent Gwen qui les appelait pour le dîner.
Le repas fut très long pour les deux adolescents et ils furent chacun longuement interrogés sur leurs projets scolaires à venir. Gauthier répondit plus d'une fois à la place de sa fille et Clem essayait de ne pas en prendre ombrage.
Finalement c'est Lenaig qui les libéra en leur disant qu'ils pouvaient prendre des livres dans la bibliothèque personnel avant d'ajouter la triste nouvelle : la télévision était morte dans le dernier orage.

Noé avait suivi les conseils de Capucine envers Clém. Il était resté fidèle à lui-même, mais sans faire aucun geste vers elle. Il se comportait en bon copain, comme il le ferait avec n'importe qui.
Il conduisit Clem jusqu'à la bibliothèque.

— Je monte, moi, fit-il une fois qu'ils furent seuls. J'ai amené ce qu'il faut en bouquin.

— Ah oui. Tu restes pas ? dit elle un peu déroutée.

Elle avait pourtant eu l'impression que tout était comme avant.

Il mit les mains dans ses poches.

— Tu as dit que tu voulais faire une pause. J'ai réfléchi et tu n'as pas tort. Du coup, je vais aller me coller dans mon lit avec ma console ou devant un film.

Il lui sourit comme d'ordinaire, plus amical que charmeur.

— Mais si jamais tu te sens seule, n'hésite pas à me rejoindre. Tu sais où est ma chambre.

Il fit demi-tour et s'arrêta à la porte.

— Bonne nuit, Clém. A demain.

Et il la planta là pour monter l'escalier, tout fier de lui. Il avait lancé l'hameçon, il restait à voir si le poisson allait mordre. Capucine n'avait pas tort : c'était plaisant de mener le jeu.

Dans les jours qui suivirent, Noé eut la satisfaction de voir que ce petit jeu là fonctionnait très bien avec Clem. Elle cherchait sa compagnie et avait même tendance à poser sa main sur son bras ou lui faire des compliments. Mais comme c'était une fille timide et que la présence familiale n'arrangeait pas les choses, elle n'allait guère plus loin.
Un soir, elle frappa à la porte de sa chambre. Elle portait simplement sa chemise de nuit avec un petit pull par-dessus parce que la maison restait assez fraiche et humide.

— Ta proposition pour le film tient toujours ? Demanda-t-elle.

Gauthier et Gwen étaient sortis dîner en ville et n'étaient pas encore rentrés. Les deux tantes faisaient une partie d'echec et aucun des deux n'avaient voulu se joindre à elles.

Noé lui sourit et se redressa dans son lit où il était installé avec sa console. Il lui fit une place sur le lit et attrapa son ordinateur.

— Bien sûr. Entre.

L'adolescent avait tenu bon. C'était de plus en plus plaisant de mener la danse, même s'il avait espéré que Clém se décide plus vite à revenir vers lui. Le sexe lui manquait et en dehors de réviser ses cours pour le bac et les concours, il n'y avait pas grand chose à faire ici. Heureusement qu'il pouvait appeler Capucine régulièrement.

Elle ferma la porte et s'installa à côté de lui.

— Tu mets pas un truc qui fais peur ou de serie Z...

Elle savait que c'était un spécialiste des films de ce genre et vu la maison dans laquelle ils dormaient, elle sentait qu'elle ne fermerait pas l'oeil de la nuit.

— Pas de fantôme ni de zombie ? s'amusa-t-il.

Il aimait bien ce genre de films, mais il devait bien avouer que c'était encore mieux d'en regarder avec une fille. Surtout Capucine. Elle ne supportait pas ça, mais faisait la brave, et elle finissait toujours par se coller à lui.

— Et pas ce film bizarre avec les vieux et les ados qui vont dans leur maison...

C'était vraiment pas le lieu pour ça. Elle cala un oreiller dans son dos et tourna son visage vers le sien pour lui sourire. Il n'eut pas de mal à voir que peu importait le choix du film dans le fond.
Mais contre toute-attente, cela ne lui apporta pas autant de satisfaction qu'il aurait cru.

Il lui rendit son sourire et choisit un thriller américain pas très original, mais sportif. Une fois l'ordi calé devant eux sur le lit, il s'installa dans la même position qu'elle.
Il aurait cru être plus content que ça a voir Clem revenir vers lui, mais il n'allait pas trop se prendre la tête, surtout s'il y avait possibilité de finir sans leurs vêtements.

Clem finit par poser sa tête sur son épaule et sa main sur la sienne mais elle ne fit rien de plus. Elle ne commentait pas non plus les films et n'aimait pas trop qu'on fasse ça.

Le regard de Noé allait du film aux jambes de Clém. Il finit par poser sa main sur sa cuisse, juste comme ça, pour prendre la température, la caressant doucement, l'air de rien.

Il n'eut pas de résistance à ce stade. Mais comme elle avait sa tête sur son épaule, il ne voyait pas son expression.

Il remonta un peu sa main dans une lente caresse.

— T'as pas froid ?