Chapitre 16 - Nhill

Quentin avait préféré ne pas rebondir sur Eric. Comment réagirait-elle quand il lui expliquerait pourquoi son frère l'avait abordée ? Ce qu'il avait cherché ?

— Comme si je n'y étais pas...

Il ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire. Pour sa part, il avait vu toutes les composantes de Bo, mais il était habitué à voir la magie et à la sentir.

— Tu peux essayer de me décrire ce que tu as vu ?

Si le tissage de Bo était intimement lié à la mer, aux embruns, il se demandait à quoi ressemblait le sien. Il n'avait pas encore eu le temps de se pencher sur la question et ne savait pas s'il pourrait arriver à voir comment son propre tissage était constitué.

Elle approcha ses lèvres de son cou. Elle respira son odeur. C'était bien elle qu'elle avait perçu même si à celle de son corps se mêlait celle de savon ou de la lessive de ses vêtements.

— C'est comme une caverne mais ouverte sur la nuit. Une nuit sombre mais où on se sent bien. Il y a un noir intense et brillant qui me rappelle le verre et cela se mêle à l'argent du métal au gris de la pierre... Tout est comme... minéral. Ce n'est pas froid pour autant c'est comme si tout regorgé d'un savoir ancien... Et j'ai cru qu'il y avait des ombres qui voulaient faire vibrer cette magie mais... elles n'étaient pas là. J'en avais suivi une en t'embrassant mais c'est comme si on lavait capturé pour qu'elle n'entre pas là bas...

Elle embrassa doucement sa peau.

— C'est ridicule je sais et j'ai sûrement tout imaginé... Mais c'était tellement toi... Tellement ce que j'ai perçu de toi dès que je t'ai vu... Si fort et ancré dans la terre, souterrain mais ouvert vers le ciel...

Il tendit le cou pour lui laisser plus de latitude. Il adorait sentir sa bouche sur la peau fine à cet endroit.

— C'est une belle image que tu as de moi.

Il aurait cru qu'elle aurait vu ses ombres. Est-ce qu'elles n'étaient pas apparues parce qu'il était alors au creux de ce qu'était Bo ? Est-ce qu'elles s'étaient fondues dans la magie des de Lyonesse quand il l'avait copiée et fait sienne ? Ou est-ce qu'elles se tapissaient quelque part ailleurs à cause de son éducation qui les avaient empêchés de se manifester jusqu'ici ?

— J'ai toujours su que j'avais un lien avec le minéral, fit-il en jetant un oeil vers les pyramides de cailloux qui avaient tenu malgré les années qui avaient passé.

Il en avait eu la confirmation quand il avait commencé à étudier la magie élémentaire. Il n'avait eu aucun mal à maîtriser les sortilèges impliquant les roches, la terre, un peu comme Bo avait su d'instinct avec ceux sur l'eau. Avec ce qu'il avait vu de Bo et ce qu'elle lui disait, il en déduisait que les Huldres construisaient les changelins à partir d'un élément. Est-ce que cela influait sur leur personnalité ? Bo pouvait se montrer aussi apaisante que le bruit des vagues et en même temps aussi imprévisible que la mer. Quant à lui, on lui avait souvent reproché d'être froid et d'avoir un coeur de pierre...

— Je ne crois pas que ce soit une image... Pas seulement.

Elle aurait voulu toucher ce qu'elle avait vu et elle avait eu la sensation de pouvoir s'y mêler mais Quentin l'avait repoussée avant. Elle continua d'embrasser son cou, remontant jusqu'à son oreille.

— Qu'est-ce que tu fais aujourd'hui ? Demanda-t-elle à voix basse.

Plus elle parlait de ce qu'elle avait vu et plus elle avait envie de retrouver cette sensation qu'elle avait ressenti quand ils s'étaient embrassés.

— Je vais retourner m'enfermer dans la bibliothèque, répondit-il dans un soupir. Noé m'a beaucoup aidé cette nuit, on a écarté beaucoup de grimoires, mais on en a encore à explorer.

Il avait des coups de fil à passer, des gens à contacter. Il ne comptait pas faire autre chose avant de trouver une solution pour que cette arme de lumière ne soit plus une menace pour Bo.

— Tu veux rester avec moi ?

— Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr d'être capable d'arrêter de te toucher. Tu aurais mieux fait de me laisser bouder dans mon coin si tu voulais travailler de manière efficace, dit elle avec un léger sourire.

— C'est vrai. J'y penserai la prochaine fois, répondit-il, un sourire dans la voix.

Il devait retourner là-bas, rouvrir les livres, trouver une solution et pourtant, il n'arrivait pas à bouger, même si la margelle du bassin n'était pas très confortable.

Elle approcha doucement ses lèvres des siennes.

— Je t'aime, Quentin, murmura-t-elle à voix basse.

Elle ne le laissa pas répondre, l'embrassant à nouveau.

Elle n'eut aucun mal à sentir ce que ces trois mots lui faisaient. Il resserra ses bras sur elle encore un peu et répondit à son baiser avec plus de fougue. Son coeur s'était emballé et il sentait à nouveau cette chaleur l'envahir tout entier.
Malgré leur lien, leur attirance, tous les mots qu'ils avaient échangé, il se rendait compte qu'il avait encore eu la crainte qu'elle ne partage pas ses sentiments. C'était peut-être pour cela qu'il ne les lui avait jamais dit de cette façon, même s'il avait été plutôt explicite à Etretat. Peut-être aussi parce qu'il ne les avait jamais dit à personne avant elle.

— Moi aussi, je t'aime, Bo, souffla-t-il avant de revenir frôler ses lèvres des siennes.

Il devait se montrer raisonnable, même si cela lui coûtait terriblement de ne pas prolonger leur baiser et de s'y laisser aller.

Elle sentit son coeur bondir dans sa poitrine en l'entendant lui dire cela. Elle se rapprocha un peu plus de lui pour que sa bouche s'attarde plus volontiers sur la sienne mais cela les déséquilibra et ils finirent à moitié dans le bassin.
Bo se mit à rire et préféra y basculer complétement. Elle s'y assit et le regarda en souriant. Au moins, ainsi elle pouvait voir ses yeux.

— Je crois que je vais rajouter ce bassin sur la liste des endroits à explorer avec toi.

Quentin avait accompagné le mouvement bien malgré lui. Il avait bien tenté de se rattraper en posant la main contre le fond du bassin, mais il avait glissé sur la vase et s'était étalé dans l'eau. Il s'assit à son tour.

— On a une piscine, tu sais ?

L'éclat de ses yeux était rieur, son sourire plus large. Il se fichait d'être complètement trempé. Il se sentait tellement bien après avoir été si mal cette nuit de cette distance qu'ils s'étaient infligés.

— C'est une suggestion ou c'est juste un moyen de rappeler le nombre de tes possessions sur ce domaine ? Demanda-t-elle en souriant.

Elle remonta un peu sa robe pour venir s'assoir à califourchon sur lui.

— Embrasse-moi, murmura-t-elle en approchant son visage du sien.

Il rendit grâce au ciel d'avoir un pantalon parce que ce genre de proximité ne pouvait que lui donner des idées. Il l'enserra de ses bras, évitant d'empoigner ses fesses.

— Je sens que je ne pourrais jamais rien te refuser.

Mais ce n'était pas quelque chose qui semblait le préoccuper.
Il lui donna un baiser rapide.

— Sauf peut-être cette fichue banquette arrière, s'amusa-t-il avant de l'embrasser pour de bon.

Si Quentin sentit à nouveau les ombres de Bo, bien qu'il eut à nouveau conscience avec une acuité étrange qu'elles étaient trop peu nombreuses à son goût, il sentit qu'il ne serait pas en danger s'il ne les suivait pas. Il pouvait simplement se contenter de la bouche de Bo, de la caresse de sa langue contre la sienne et de son souffle plus court. Il savait ce qu'il y avait derrière et c'était une tentation terrible mais il lui suffisait de rester en surface même si cela éveillait en lui bien plus que du désir. Pour la première fois, il eut réellement conscience de ses ombres. Il sut exactement où il les avait enfermé en lui et elles ne lui semblèrent plus si dangereuses, surtout dans leur volonté de venir combler Bo.
Il sentit les doigts de la jeune femme glisser à nouveau dans ses cheveux.
Lointainement, son esprit sembla également noter la présence d'une personne et il sut grâce à son lien, même si c'était brut et imparfait contrairement à celui qu'il avait avec Bo, qu'il s'agissait d'Alexis.

Prendre conscience de ses propres ombres fut autant une surprise qu'un soulagement. Elles étaient là, nombreuses, bien vivantes, et elles voulaient se mêler à Bo. Plus encore, il se sentait capable de les maîtriser, d'en explorer leur pouvoir.
Se rendre compte du lien avec Alexis était moins agréable. En 24h, le sortilège avait pris de l'ampleur, le lien s'était renforcé, la connexion empathique aussi certainement. Il avait évité d'y penser depuis qu'il lui avait mis le marché en main, mais maintenant qu'il le sentait, il se demandait quelles implications cela aurait sur lui et Alexis. Si son Substitut avait conscience de ses sentiments si forts pour Bo. Il ne voulait vraiment pas que cela pose plus de problèmes que la méfiance d'Alexis en avait eu jusque-là.
Pendant qu'il pensait à cela d'une manière de plus en plus lointaine, son baiser s'était fait plus passionné, ses lèvres plus exigeantes, son étreinte plus forte et une de ses mains s'était aventurée sous la robe de Bo pour trouver enfin sa peau.

Comme à chaque fois, cela sembla attiser un peu plus l'attitude de Bo dont les mains s'aventuraient aussi sous son tee-shirt. Ne plus avoir à frôler simplement sa bouche mais pouvoir sentir le souffle de Quentin en elle, lui donnait un vertige plus grand. Elle avait envie de le sentir au plus profond d'elle, tout comme leurs vêtements lui semblaient être une gêne terrible.
Elle reprit sa respiration et lui murmura combien elle avait envie de lui, fiévreusement avant de revenir à sa bouche.
Quentin sentit une ombre en lui s'aventurer loin de cet endroit où il l'avait enfermée des années plus tôt. Il la sentit s'enrouler autour de celle de Bo. Ils en ressentirent un plaisir qu'aucun des deux n'avaient jamais connu. Il était plus que physique ou psychique. C'était une zone qui n'existait pas chez les autres. Quentin était le seul à cet instant à réaliser qu'elle appartenait uniquement aux changelins, les ombres étaient plus qu'une âme, elles avaient une capacité à éprouver des sentiments ou des sensations comme aucun humain ne pourrait le faire. Et dépassant même le plaisir, Quentin sut que son ombre avait donné de sa force à celle de Bo.
Elle lui avait raconté comment celles d'Eric dévoraient les siennes mais il comprit en le faisant naturellement qu'il pouvait restaurer celles de Bo sans perdre pour autant de ses forces.

Réaliser cela lui fit reprendre pied alors que le plaisir intense qu'il avait ressenti l'avait emmené plus loin que jamais auparavant. Ses mains continuaient leur ballet enfiévré sous sa robe, ses doigts voulant parcourir le moindre millimètre carré de sa peau.
Avec plus de douceur que de précipitation, il essaya d'envoyer une autre de ses ombres s'enrouler autour de celles de Bo.
Sentir ce qu'étaient les ombres, ce qu'elles ressentaient lui donna la conviction que ses sentiments et ceux de Bo étaient pleins et entiers, qu'ils n'étaient pas que des échos. C'était peut-être le cas quand il s'agissait de ce qu'ils ressentaient pour un humain, mais pas pour ceux qu'ils avaient l'un pour l'autre. Il sut aussi qu'ils étaient uniques, qu'il n'aurait jamais ressenti la même chose pour un autre changelin. Il l'aimait parce qu'elle était elle et personne d'autre et l'inverse était également vrai. Cette certitude était aussi grisante que satisfaisante.

Comme si l'ombre de Bo avait compris, elle vint à la rencontre de celle de Quentin. Elle s'enroula de la même manière qu'il l'avait fait un peu plus tôt et là encore ils ressentirent une vague de plaisir si intense que leurs lèvres se séparèrent un instant, les laissant haletant.
Ils s'embrassèrent à nouveau pour ne pas perdre le lien qui se formaient entre leurs ombres. Là encore, la force de Quentin se transféra à Bo et il eut la satisfaction de voir l'ombre de Bo se dédoubler. Grâce à ce qu'il lui avait donné, une nouvelle ombre avait pu se former avec celle initiale de la jeune femme.

— Vous allez vraiment vous mettre à poils dans le bassin des poissons ? Demanda Alexis.

La voix sonna désagréablement aux oreilles de Quentin. Visiblement, il devait être assis sur la margelle.

— Je dis ça parce que je crois que plus personne ne va oser aller dans le jardin. Enfin à part moi. J'ai jamais vu les joues de Gwen aussi écarlates. En fait, je ne savais pas que ta mère pouvait rougir.

En plus de commenter, il avait l'air de manger des chips.

La satisfaction et la joie qu'il avait ressenties en constatant que ses propres ombres étaient la solution pour rendre son énergie à Bo, pour prolonger sa vie, disparut presque en entendant Alexis. Cela faisait deux fois qu'il les surprenait dans le bassin, mais Quentin avait effectivement complètement oublié où ils se trouvaient et qu'ils étaient en pleine après-midi. En fait, rien n'avait eu d'importance à part Bo et ce qui se passait entre leurs ombres. Le monde aurait pu s'écrouler autour d'eux qu'il ne s'en serait certainement pas aperçu.
Quentin dut faire un redoutable effort pour ne pas revenir aux lèvres de la jeune femme et écarter ses mains de son corps. Le plaisir qu'il avait ressenti planait encore un peu en lui.
Il garda Bo contre lui, comme si elle n'était qu'à lui, et posa son menton sur son épaule pour regarder Alexis. Son regard était moins aimable.

— Alors que toi, tu te crois au spectacle.

Quentin soupira longuement. Il n'était pas sûr de pouvoir regarder sa mère en face après ça et voyait déjà l'air goguenard de Noé s'il avait, lui aussi, assisté à cela.

Alexis était habillé en jean et en tee-shirt, avec une barbe de quelques jours qui lui donnait un air étrange. Cependant dans ses yeux, Quentin retrouvé celui d'avant. Il était plus lucide mais semblait plus sombre aussi.

— Il parait que tu as des recherches à faire dans la bibliothèque. Capucine a crée un inventaire, il y a quelques années, je connais le sortilège pour le faire apparaitre.

Il ajouta :

— Il parait que tu voulais que je m'implique... Et je suis malgré moi impliqué dans... ça, dit il en désignant Bo du menton.

Elle était restée dans les bras de Quentin, ne cherchant pas à se dégager, ni même à esquissé un seul mouvement. Il la sentait encore haletante, le souffle court entre l'intensité de ce qu'ils venaient de vivre et cette nouvelle ombre en elle. Jamais encore elle n'avait ressenti quelque chose d'aussi étrange que ce regain d'énergie. C'était comme avoir pris un mélange de vitamines, de café et d'euphorisant.

Après tous ces mois à voir un Alexis perdu et fragile, le changement ne put qu'interpeller Quentin. Il ne s'était pas attendu à ce que leur nouveau lien fasse effet aussi vite, mais cela le soulageait autant pour le jeune homme que pour sa famille. Tout cela n'avait donc pas été inutile.

— Tu as senti quelque chose ? Il y a vraiment un lien empathique ? demanda-t-il en repensant à la manière dont lui-même avait vu leur lien.

Il avait bien noté cette histoire d'inventaire. Encore quelque chose qu'eric avait gardé pour lui et que les deux autres n'avaient jamais trouvé utile de leur dire. Quelle perte de temps !

- Tu veux vraiment que je te dise ce que je ressens en vous voyant dans ce bassin, dit il sans que ça semble le réjouir.

Bo finit par s'écarter de Quentin, elle se leva et remit sa robe en place. Elle aurait bien des questions à lui poser mais pas devant Alexis.

Quentin préféra ne pas répondre. Il se leva à son tour et ôta son t-shirt pour l'essorer tout en sortant du bassin. Il aida Bo à le rejoindre.

— Je te retrouve en bas dès que je suis changé. Tu me montreras cet index, fit il à Alexis.

Il prit la main de Bo dans la sienne et ses chaussures dans l'autre, et ils repartirent vers la maison.

Des qu'ils furent seuls, elle lui demanda :

-Comment t'as fait ça ?

Il prit ses mains dans les siennes pour les embrasser et posa sur elle un regard assuré et confiant.

— J'ai trouvé mes ombres et elles ont aidé les tiennes.

C'était aussi simple que cela et pourtant, cela allait soulever tellement d'explications, de questions.
Quentin ne voulait cependant pas s'emballer. Que ses ombres puissent raviver celles de Bo et même les aider à se dupliquer redonnait de l'espoir, mais ce n'était qu'un premier pas. Il fallait encore trouver un moyen de séparer l'arme de lumière du sortilège dont la jeune femme était constituée et tant que Quentin ne savait comment s'en protéger lui-même, il ne pourrait pas intervenir. Cela n'enlevait donc rien à l'objectif qu'il s'était fixé de trouver Nhill.