Chapitre 16 - Nhill

Joanna s'approcha de la voiture. Le type ouvrit la portière en descendit et l'embrassa sur la bouche. La jeune femme ne mit pas longtemps en s'en écarter, en jurant et en crachant.
Le chauffeur n'attendit pas pour monter dans sa 205 et partir. Joanna sut que le pire était là. Sa moto était encore dans le parc des de Lyonesse. Quentin était à quelques pas, à moitié désappé.
Elle se souvenait de qui s'était passé dans le bureau... Ça elle sentait qu'elle metterait des années à l'oublier... Elle l'avait embrassé mais loin de la repousser il lui avait donné plus qu'elle n'avait espéré... Et Bo les avait surpris. Il y avait eu une scène dans le couloir mais c'était flou à cause de la décharge de magie qu'elle s'était prise en même temps que le pied du siècle... Il lui semblait vaguement que Bo s'était vengée en embrassant Alexis et que ce dernier avait pété un câble pour venir lui rouler une pelle aussi... Ensuite Quentin l'avait raccompagnée jusque là et... elle avait encore embrassé le type bizarre qui sentait l'anis.

— Je peux prendre des vacances ? Demanda-t-elle en risquant un oeil vers lui.

Des vacances longues et loin d'ici si possible.

Quentin ne se sentait pas mieux qu'elle maintenant que Joanna était redevenue elle-même. Il avait eu des réponses et de l'aide, mais Nhill avait laissé un sacré bordel derrière lui et évidemment, c'était à lui de remettre les choses en ordre. Il ne savait pas ce dont Jo se souvenait et il n'allait certainement pas lui poser la question maintenant. De plus, s'ils étaient sous surveillance, il valait mieux ne rien dire.

— Prends quelques jours si tu veux, mais reste joignable. Je t'appelle demain.

Il n'aimait pas ce malaise qu'il ressentait entre eux. Avec Joanna, les choses avaient toujours été claires et simples. Désormais, il craignait que ce soit beaucoup plus compliqué entre eux et ce n'était pas quelque chose qu'il était habitué à gérer.

— Ouais... On va faire ça.

Joanna faillit lui demander si elle pouvait récupérer sa culotte mais elle se souvenait vaguement qu'elle était restée dans le bureau. Avec Bo.

— Je peux prendre une bagnole, tenta-t-elle à la place.

— Ce n'est pas ce qui manque ici. Sers toi.

Il regarda vers la maison. Il fallait qu'il y retourne.

— Je t'appelle demain, répéta-t-il. Fais attention à toi.

Il lui adressa un dernier regard, toujours mal à l'aise, puis retourna vers la maison. Bo avait du dévaster le bureau de son père et quelque part, il l'enviait de pouvoir laisser exploser sa colère comme elle le faisait.

En retournant vers la maison, il put voir que toutes les vitres sans exceptions avaient volé en éclat. Visiblement de l'intérieur vers l'extérieur ce qui laissait sur l'herbe et la terrasse un amoncellement de débris de verre.
Dans l'entrée, il trouva Alexis et Noé qui remontait Dimitri jusqu'à son lit. Le substitut avait usé d'un sortilège pour le calmer et l'endormir dès que l'adolescent l'avait sorti de la zone d'isolement. C'était provisoire mais avec un peu de chance Bo se chargerait de lui à son réveil.

— Elle est toujours dans le bureau, lui lança Alexis en continuant de monter les marches avec la version masculine des Hendricks.

Quentin préféra ne pas s'attarder sur le souvenir de Bo embrassant Alexis, comme il essayait d'oublier qu'il avait couché avec Joanna.
Il avait beaucoup de choses à dire aux uns et aux autres, tellement à penser...

— Noé, tu sais où est Maman ?
— Elle a filé avec Annie il y a un moment. Bien avant tout ce bordel.

Il hocha la tête, soulagé, mais elle allait avoir un sacré choc en rentrant.

— Assurez-vous que Capucine va bien, leur dit-il en les laissant continuer de monter les escaliers.

Quentin porta la main à sa mâchoire en remontant vers le bureau. Maintenant que le calme était revenu, la douleur commençait à se faire sentir là où le frère de Bo avait frappé. Dimi avait une bonne droite et il n'y avait pas de main morte. Il ne lui en voulait pas.
Il s'arrêta sur le pas de la porte du bureau.

Les bibelots, les cadres de photos, quelques peintures, la cafetière et ses petites tasses, les dossiers... tout était par-terre dans un chao des plus totale. Quentin se souvint cependant que ce qui était sur le bureau avait été balayé par Joanna bien avant.
Bo était assise par terre, au milieu de tout ça. Ses genoux ramenés contre sa poitrine, ses bras serrant le tout. Ses yeux étaient fixés sur le sol.
Elle se sentait terriblement vide maintenant qu'il n'y avait plus rien à casser. Cette destruction lui avait fait un bien fou mais elle se sentait terriblement mal de s'en être prise aux affaires de Quentin et surtout du père de ce dernier. Elle n'aurait pas aimé qu'on s'en prenne aux affaires de Gills.
Elle releva les yeux vers lui lorsqu'elle sentit sa présence. Le voir lui serra le coeur autant que cela lui fit du bien. Elle aurait voulu faire un pas vers lui mais les paroles d'Ewen résonnait encore dans sa tête.

— Tu ne dois pas me toucher, murmura-t-elle. Ça pourrait te blesser.

Elle avait détesté la façon dont il lui avait fait comprendre qu'ils n'étaient que des enfants prêts à se détruire pour le simple plaisir de se toucher. Pourtant elle ne pouvait le nier. Là encore, elle aurait pu céder à ce besoin de retourner au fond de lui, de se fondre dans cet environnement minéral tout en sentant son corps vibrer sous ses mains. Et forcément, penser à cela lui rappela qu'une autre en avait profité sans remords.
Elle serra la machoire pour refouler son envie d'attraper quelque chose pour le briser de ses mains.

Quentin n'avait d'yeux que pour Bo. Les affaires de son père n'étaient que des possessions matérielles, des souvenirs. Elles comptaient bien moins que ce que la jeune femme ressentait.

— Je sais, répondit-il doucement.

Il entra dans le bureau et écarta quelques objets du pied pour s'asseoir par terre, le dos contre le mur. Cette distance qu'ils devaient s'imposer faisait plus que lui déplaire alors qu'instinctivement, il ne voulait qu'une chose : la prendre dans ses bras et la rassurer, lui démontrer qu'il n'y avait qu'elle qui comptait.
Gardant à l'esprit que Gauthier pouvait les espionner, il s'enferma avec Bo dans sa zone d'isolement.

— Mais ce n'est que pour quelques jours.

Cela lui semblait toutefois un challenge insurmontable s'ils restaient en présence l'un de l'autre.

Elle posa son menton sur ses genoux sans le quitter des yeux.

— Il dit que j'ai brûlé des zones en toi. Des choses qui n'existeront plus jamais.

Cette idée lui donnait envie de pleurer. Elle n'avait jamais voulu ça et elle ne savait même pas quand elle l'avait fait. Lorsqu'elle l'avait soigné ? Lorsqu'elle l'avait embrassé ?

Il posa sa tête contre le mur, une jambe relevée et son bras sur son genou.

— ça n'a aucune importance. Je ne me sens pas différent. Comment tu te sens ?

— Bien sûr que c'est important... C'est pas parce que tu peux te passer de quelques doigts que je dois te les trancher...

Elle soupira et baissa les yeux.

— Pas très bien. Je suis... Malade de jalousie. Et je pourrais encore tout casser rien que d'y penser. Ou vomir.

Elle avait entendu du bruit dans le bureau et elle s'était inquiétée car elle savait que Quentin et Joanna y avaient été pour discuter boulot. Mais c'était pas vraiment une discussion de ce genre qu'elle avait découvert.

— Je sais. Il m'a eu par surprise...

Mais rien de ce qu'il pourrait lui dire ne réparerait ce qu'elle avait vu. Quentin n'avait rien pu faire et Bo le savait certainement, mais cela ne l'empêchait pas de se sentir coupable. Lui qui avait tant répété qu'il n'était ni Eric, ni Connor avait finalement agi de la même façon.

Elle resta un moment silencieuse.

— J'ai toujours cru que j'avais perdu ma virginité avec Connor... Mais c'était probablement lui. Je ne sais pas quand il a cessé d'être là... Et j'ai aussi trompé Connor pour l'embrasser a une soirée. Je lui ai même menti en disant que si je n'avais pas parlé d'Ewen c'était parce que ce n'était qu'un ancien copain du lycée... Il sait très bien vous pousser à faire ce qui l'arrange. Tout comme, Connor ne m'aurait pas sauté dessus au débarcadère si Ewen ne l'y avait pas poussé pour qu'il mette le truc magique dans mon ventre...

Elle soupira et se passa la main sur le visage.

— Je n'arrête pas de me repasser dans la tête toutes les fois où ça m'a semblé bizarre pour savoir si c'est lui ou pas...

Quentin fronça les sourcils à son récit. Ainsi, l'Huldre avait toujours veillé sur Bo bien avant qu'Eric ne vienne à sa rencontre. A moins qu'il ait juste un intérêt pervers pour elle, vu ses méthodes, ce n'était pas à exclure.

— Il s'appelle Nhill en réalité.

Il soupira, épuisé par tout ce qui s'était passé. Il n'avait plus mal au crâne, mais il ne se sentait pas non plus au meilleur de sa forme.

— Il n'est pas humain, mais ça, je pense que tu le sais. Il est venu pour nous aider, mais ses méthodes sont plus que discutables. L'important, c'est qu'il ait redonné de l'énergie à tes ombres, qu'il ait calmé cette chose en toi et que dans quelques jours, j'en serai protégé.

— Je ne sais pas vraiment si c'est l'important...

Elle soupira et se leva. Elle regarda la pièce autour d'elle.

— Je rangerai...

Elle ne voulait pas que ce soit Annie qui répare ses bêtises.

— Ne t'en fais pas pour ça. Je m'en occuperais.

Il n'avait pas envie qu'elle s'en aille, qu'elle s'éloigne de lui. Les jours à venir allaient être un enfer.

— Je ne suis pas sûr de réussir à respecter cette distance entre nous, avoua-t-il.

Elle le regarda.

— Tu n'as pas le choix. Tu m'as promis que tu ne m'abandonnerais pas. Si je te tue, je devrais vivre avec ça... Seule.

Seule parce qu'elle ferait vivre un enfer à son frère.

— Je vais monter dans ma chambre. Je n'ai pas très faim de toutes manières et quand Dimi se réveillera, il faudra que je lui explique.

Elle plongea ses yeux dans les siens.

— Je la déteste d'y avoir pris autant de plaisir. Je la déteste d'avoir pu être si proche de toi alors que je dois rester si loin pour ne pas te tuer. Je la déteste pour ces images que j'ai dans la tête... Mais je t'aime. Ça, ça ne change pas.

Ses mots le rassurèrent, ce qui était étrange car il n'avait pas imaginé que ses sentiments pour lui aient pu changé malgré tout.
Il s'efforça à rester assis. Cela lui permettait de limiter les risques.
Il comprenait ses sentiments pour Joanna. S'il avait été à sa place, il aurait ressenti les mêmes. Déjà qu'il avait été jaloux de la voir embrasser Nhill dans le corps d'Alexis...

— Je t'aime tellement... murmura-t-il. Bientôt, tout ça ne sera qu'un mauvais souvenir pour nous deux.

Ces mots qu'il n'avait jamais prononcés auparavant semblaient tellement faciles à dire à Bo maintenant qu'il les lui avait dits une première fois.
Il annula sa zone d'isolement pour la laisser partir, même si cela lui coûtait.

Bo ne se serait pas avancé là dessus. Elle savait d'expérience que les cauchemars avaient tendance à s'enchainer chez elle. Elle lui adressa un long regard qui aurait valu bien des gestes avant de quitter la pièce.
Elle sentait que Dimitri allait se réveiller furieux. Il faudrait peut être qu'elle remonte une ou deux assiettes à casser.

Quentin resta assis à regarder le chaos autour de lui.
Il y avait tant à faire, à organiser. Ses pensées revenaient sans cesse à la révélation finale de Nhill : Gauthier était l'assassin. Il allait devoir jouer serrer et pour cela, il devrait garder cette information pour lui car toute personne qui serait au courant serait en danger. Il allait donc devoir patienter que Gauthier fasse une erreur. Le grimoire était la pièce centrale de l'histoire. Si Quentin trouvait où il était, s'il mettait la main dessus, alors Gauthier serait privé de sa source de pouvoir et il pourrait agir pour le mettre hors d'état de nuire. Quentin avait bien conscience que cela pourrait prendre du temps et que ça ne serait pas facile. Après tout, cela faisait 26 ans que Gauthier cachait son jeu, qu'il emmagasinait du pouvoir et des connaissances, et il avait déjà démontré qu'il était prêt à tout pour les conserver.
Quentin se leva pour se frayer un chemin jusqu'au bureau, ramassant l'inclusion en verre que sa mère avait offert à son père bien avant leur mariage. Elle était brisée, mais bien heureusement pas réduite en poussière. Il la répara avec le sortilège qu'il avait utilisé la veille pour la table de la bibliothèque et la reposa sur le bureau, là où elle avait toujours été. Il s'occuperait du reste ensuite. Pour le moment, il s'assit dans le fauteuil de son père et tira l'ordinateur portable du tiroir. Il avait eu de la chance qu'il ne soit pas sur le bureau. La première chose à faire était de savoir où était le lieu de rendez vous avec Nhill. Quentin n'eut aucun mal à trouver : Istrehagan, en Norvège. Un des plus grands sites mégalithiques du pays, évidemment.
Il referma l'ordinateur, pensif. Il fallait qu'il établisse un plan et ce qu'il entrevoyait n'allait sûrement pas plaire à tout le monde.

***

Lorsque Dimitri se réveilla, il se sentait un peu vaseux. Entre la zone d'isolement et la magie d'Alexis, son esprit avait du mal à se remettre et ça n'avait pas la saveur d'une bonne cuite. Il faisait nuit et Bo était allongée près de lui. Sur le côté, sa main sous sa tête, elle le regardait. La lampe de chevet était allumée et tout semblait calme dans la maison. Elle avait mis de la musique sur son téléphone. C'était un album qu'ils écoutaient ensemble quand Irina faisait passer une mauvaise soirée à toute la famille.

— Salut la belle au bois dormant, murmura-t-elle avec un sourire.

Elle était soulagée qu'il se réveille. Avec Alexis, on était jamais certain de la finalité d'un sortilège.

Dimi tourna la tête vers sa soeur, mais ne se redressa pas dans le lit tout de suite, pas sûr de ne pas vomir.

— Tu vas bien ?

Tout en dévisageant sa soeur pour s'assurer qu'elle était entière, à peine rassuré par son sourire, il essayait de rassembler ses souvenirs. Il avait frappé Quentin, ça, il en était sûr. Après cela, il s'était retrouvé dans une espèce de cube étrange, à quatre pattes tellement il avait eu mal au crâne et l'estomac retourné.

— Ça va. Le sorcier qui s'est amusé à posséder tout le monde m'a soignée. Tu devrais me garder en vie encore quelques semaines, voir quelques mois, dit elle avec un léger sourire.

Dimi écarquilla les yeux.

— On t'a soignée ? Mais qui ?

Il se tourna sur le côté.

— Attends... T'as dit qu'un sorcier avait possédé tout le monde ?

Il plissa légèrement les yeux. Elle ne paraissait pas en colère contre Quentin. Ce n'était pas normal après ce qu'il avait fait.

— Oui. Celui qui m'a collé un truc dans le ventre à Port Hallen.

Elle ajouta avec un peu plus de contrariété :

— Il a mis un truc dans Quentin pour que je ne le tue pas par accident... Il s'est servi de Joanna pour ça comme il s'était servi de Connor pour moi la première fois.