Chapitre 16 - Nhill

Le lendemain matin, Bo se leva assez tard. Bien plus qu'elle n'en avait l'habitude et pour cause le réveil affichait 14H. Dimitri n'avait jamais réussi à la réveiller mais comme elle semblait vivante, il l'avait laissé faire. Visiblement, elle en avait besoin ses derniers temps. S'il avait senti qu'elle avait fait un cauchemars dans la nuit, sur le matin, ses rêves semblaient plus agréable au vu de ses sourires.
Quand elle se réveilla, elle se sentait encore un peu vaseuse mais elle n'avait pas mal au ventre. Elle prit une douche fraiche et s'habilla. Elle n'avait pas envie de croiser les de Lyonesse et redoutait sa discussion avec Quentin. Elle choisit donc de piquer en douce du pain dans la cuisine et alla jusqu'au bassin. Comme elle avait remis sa petite robe noire, elle ôta ses chaussures pour plonger ses pieds dans l'eau.
Elle grignota son pain et lança des petites miettes aux poissons. Elle avait l'intention d’entendre murmurer et chanter dans sa tête dès que l'eau entrait en contact avec sa peau. En prêtant l'oreille, elle reconnut les mots du grimoire. Elle se mit à les répéter en suivant la même mélopée. Des petites gouttes d'eau s'élevèrent en suspension au-dessus du bassin. C'était joli et ça ne lui demandait pas vraiment d'énergie, elle avait juste à chantonner ce qu'elle entendait dans sa tête.

Quentin avait très peu dormi et très mal aussi. Pour reprendre les mots de Noé, il n'avait pas assuré avec Bo et il ne pouvait que reconnaître que ce qui s'était passé ne lui ressemblait pas.
Mais comme il ne pouvait pas réparé pour le moment, il s'était jeté à corps perdu dans les grimoires que son frère avait sauvé de l'eau à la recherche d'une solution, d'une lueur d'espoir. A sa grande surprise, Noé l'avait aidé et n'était parti se coucher que tôt ce matin. Pour une fois, Quentin ne trouverait rien à redire au fait qu'il manquerait les cours à quelques semaines à peine du bac.
Il avait profité d'être seul pour replonger dans les recherches de son père et pour réfléchir sur ce qu'il avait vu en Bo. En reprenant de la distance, cela lui était plus facile. Il n'aurait jamais pensé que son père ait pu s'inspirer de ce qu'il était pour créer ses zones d'isolement et il sentait que cela pouvait être une clé pour aider Bo. Il fallait qu'il se penche sur la question, comme sur le tissage de son sortilège.
Finalement, il s'était endormi sur le canapé de la bibliothèque sans savoir l'heure qu'il était. Son sommeil avait été peuplé de cauchemars. Les siens, cette fois. Il n'en avait gardé aucun souvenir à son réveil, si ce n'était qu'il y avait Eric, Alexis et Bo. Mais vu tous les récents événements, ce n'était pas étonnant.
Il regarda sa montre et soupira en voyant qu'il était déjà 14h15. La dernière fois qu'il avait regardé l'heure, il devait être à peine 8h. Personne n'était venu le réveiller. Il remonta aussitôt. Bo lui manquait, il devait aller lui parler, la voir, s'assurer qu'elle allait bien.
A peine fut-il dans le hall d'entrée qu'il sut qu'elle n'était pas dans la maison. Il sortit aussitôt sur la terrasse et l'aperçut, assise sur le rebord du bassin, entourée de toutes ces gouttelettes d'eau. Il resta là une bonne minute à l'observer, gravant le spectacle dans sa mémoire bien que sur le moment, il fut inquiet qu'elle fasse appel à la magie. Mais elle avait les pieds dans l'eau et ce n'était pas les ombres qu'elle utilisait, mais la magie élémentaire, alors peut-être que c'était sans risque.
Il finit par bouger et la rejoindre. Il s'assit à côté d'elle sans un mot, ne la quittant pas des yeux, et posa sa main sur la sienne.

Toutes les gouttes retombèrent au sol comme de la pluie mais elles laissèrent un bref instant des ondulations d'or et de cyan. Bo resta immobile, retenant son souffle et ce qu'elle pouvait ressentir, attendant de prendre la température. Elle ne savait pas si elle était fâchée, vexée, si elle était juste gênée ou agacée. Elle détestait ne pas savoir comment se comporter alors qu'avec Quentin tout était normalement très simple.

Quentin parut un peu déçu d'avoir rompu le charme. Il mêla ses doigts aux siens. Ce contact lui avait manqué peut-être un peu plus que d'habitude. Il ne savait pas si c'était parce qu'ils s'étaient quittés fâchés ou parce qu'ils avaient été séparés cette nuit.

— Comment tu te sens aujourd'hui ? demanda-t-il à voix basse.

— Vide. Triste. Mal à l'aise. Mais pas fatiguée.

Elle fit bouger un peu ses pieds dans l'eau. Elle était habituée à se fâcher et que tout soit réglé dans la foulée. Elle ne savait pas gérer ce genre de malaise même si elle voyait que Quentin faisait l'effort de revenir vers elle.

— Je suis désolé pour hier, fit-il avec sincérité.

Il se rapprocha un peu d'elle et sa main libre se posa sur sa joue comme il le faisait souvent. Il essayait de capter son regard.

— C'est pas grave, murmura-t-elle sans le regarder dans les yeux.

Elle n'avait vraiment pas envie de se rappeler de ce moment. C'était gênant. Et elle aurait voulu que ce souvenir ne le soit pas.

— C'était mon idée et je n'ai jamais brillé pour ça.

Si elle n'avait pas insisté bêtement aussi.

— Ton idée était excellente. C'est moi qui ai fait n'importe quoi.

Il avait l'impression de marcher en équilibre sur un fil comme jamais auparavant.
Il relâcha sa joue alors qu'il se défaisait de ses chaussures avec les pieds. Puis il ôta ses chaussettes et se tourna pour mettre ses jambes dans le bassin. Il n'avait pas pris le temps de remonter son jean, mais ce n'était pas important.
Il se leva pour lui faire face et prit ses deux mains dans les siennes pour l'obliger à faire de même.

Elle se laissa faire et remonta ses yeux vers les siens.

— Je ne pense pas... Maintenant dès que tu vas me toucher, je vais penser que tu as peur de moi. Peu importe que ce soit mes ombres ou l'autre truc. C'était le meilleur truc pour tout casser, dit elle à voix basse.

— Je n'ai pas peur de toi, Bo, répondit-il avec assurance.

Il l'attira contre lui et prit son visage entre ses mains, plongeant ses yeux dans les siens.

— Je n'ai pas peur de te toucher, murmura-t-il avant de l'embrasser sur les lèvres.

— Je veux pas, murmura-t-elle en écartant à peine ses lèvres.

Elle ajouta aussi bas :

— Je veux pas que tu fasses ça pour me rassurer...

Elle voulait qu'il le fasse parce qu'il en avait envie comme avant. Elle s'était trop forcée avec ce genre de choses ces dernier mois pour perdre tout le naturel et le bien être qu'elle avait ressenti quand Quentin la touchait.

— Je ne le fais pas pour ça.

Ses pouces caressèrent ses joues et il frôla ses lèvres des siennes. Il n'y avait aucune hésitation dans ses gestes.

— Dès que je te voies, j'en ai envie. De te toucher, de t'embrasser... toujours plus. Tu m'as tellement manquée ces dernières heures. Je ne pensais pas qu'on pouvait avoir un manque pareil de quelqu'un. Savoir que tu étais en colère contre moi, que je t'avais fait du mal était insupportable. Me réveiller sans que tu sois à mes côtés...

Elle le regarda longuement dans les yeux, cherchant comme toujours cet accord entre ce qu'il pouvait dire et ce que son visage pouvait exprimer. Il la sentit se détendre progressivement. Elle finit par poser ses mains sur sa taille. Elle respirait bien mieux, comme si on lui enlevait un poids sur la poitrine.

— D'accord, murmura-t-elle.

Il ne cacha nullement son soulagement autant à ses mots qu'à la sentir à nouveau faire un geste vers lui.

— Bo, je préférerais toujours qu'on se dise les choses. Je ne suis pas comme mon frère. J'ai besoin qu'on se parle, surtout si on se dispute.

Il lui sourit avec tendresse.

— Je suis loin d'être contre se réconcilier sur l'oreiller quand on pourra, mais je ne veux pas qu'on laisse des non-dits en suspens entre nous.

Il avait trop souffert de cela depuis qu'il était en âge de comprendre, il s'en rendait compte aujourd'hui. Et avec Bo, c'était encore plus important.

— Je... Je ne suis jamais dans le non-dit... Je ne sais pas pourquoi ça s'est passé comme ça, avoua-t-elle.

Pourquoi ils ne s'étaient pas vraiment disputé comme elle en avait d'habitude. Elle fit glisser ses bras autour de sa taille et se serra un peu plus contre lui. C'était comme si son corps se réchauffer lentement à son contact, si elle retrouvait des sensations là où elle s'était sentie si dépossédée de tout.

— C'est ma faute. Je ne t'ai rien expliqué, je t'ai blessée et après... tu n'as plus voulu m'écouter.

Il l'embrassa encore. Il pourrait faire cela des heures.

— Je n'ai pas assez pris en considération ce que tu pouvais ressentir.

La journée avait été éprouvante, elle avait appris qu'elle allait mourir, elle avait cru qu'il la rejetait...

— Tu pourras me pardonner ?

Elle se hissa un peu plus contre lui pour embrasser ses lèvres, sa main remonta le long de son dos avant de venir se poser sur son cou. Plus il la touchait et plus elle sentait à nouveau cette chaleur en elle. Elle ferma les yeux.

— Je n'ai rien à pardonner, murmura-t-elle avant de l'embrasser avec un peu plus de fougue.

Il répondit à son baiser sans hésitation.

— Il va vraiment falloir qu'on trouve une solution, j'ai tellement envie de toi, avoua-t-il dans un soupir en écartant à peine ses lèvres des siennes.

Il se demandait ce qu'il se passerait le jour où ils pourraient enfin faire l'amour, ce que cela ferait à leurs ombres, à leurs sortilèges, ce qu'ils ressentiraient...

Elle se serra un peu plus contre lui encore.

— Vraiment, murmura-t-elle.

Elle ne savait pas ce qu'il avait vu en elle. Elle imaginait le pire en ne sachant pas si c'était ça. Si c'était laid. Tout était si obscur dans ce monde qui lui était inconnu. Mais quand elle se souvenait de l'état d'Eric, elle ne pouvait pas imaginer quelque chose d'agréable à regarder. Loin de ce que qu'elle avait pu voir en Quentin, tout ne sachant pas vraiment comment ont pouvait "voir" et "ressentir" l'autre juste en l'embrassant.

Il resta comme ça encore un moment, puis la ramena jusqu'au bord du bassin, faisant attention à ne pas glisser. Ils se rassirent et il la garda contre lui, se mettant en travers, une jambe à l'extérieur.

— J'aurai aimé que tu vois ce que j'ai vu en toi, fit-il doucement. Tu saurais que tes ombres ne sont pas mauvaises. Qu'elles sont aussi belles que toi.

Il avait vu que les ombres étaient l'âme de Bo alors que le sortilège était sa structure. Cela correspondait à ce qu'il avait deviné des notes d'Eric, de la façon dont Bo s'était débarrassé de l'Autre.

— Ta magie, tes ombres sont liées à la mer comme je ne l'aurai jamais pensé. C'était si beau, si vivant... J'aurai pu me perdre dans tes ombres comme je me perds dans tes yeux.

A la façon dont il dit cela, ça n'aurait pas été une mauvaise chose. C'était presque comme s'il regrettait de n'avoir pas pu le faire.

Elle hésita avant de demander :

— Tu as déjà embrassé une autre sorcière ?

— Oui. J'en ai fréquenté une il y a quelques années.

Comme d'habitude, cela n'avait pas duré très longtemps. Trois mois, peut-être quatre. C'était avant la mort de son père, mais il était déjà très occupé avec ses études et les missions qu'il effectuait déjà pour DLS.

— Pourquoi ?

— Est-ce qu'elle aussi elle voyait des choses en toi quand elle t'embrassait ? Enfin voir... C'est pas comme un rêve ou une vision, c'est comme être ailleurs avec les odeurs-sensations... C'est comme être dans une autre pièce. Dans la tête de Géraldine c'était pas comme ça alors... je me dis que c’est peut être la magie qui fait ça.

— Non, et je n'ai jamais vécu ça non plus. Ce n'est pas une histoire de sorciers. C'est parce que c'est toi et moi.

Eric avait accédé à la magie de Bo, mais elle n'avait pas vécu l'expérience inverse. Quentin se sentait satisfait et heureux d'être le seul avec qui elle puisse avoir ce lien.

— Qu'est-ce que tu as vu ? demanda-t-il avec curiosité.

— C'est vrai que je n'ai jamais ressenti un truc pareil avec Eric. Mais peut être parce qu'on ne cherchait pas nos magies ? Il aurait fait une drôle de tête s'il avait su que j'étais une sorcière.

Elle se mit à rire à cette idée. Ils auraient fait des compétitions débiles, elle le sentait. Elle caressa doucement la main de Quentin.

— C'était étrange... C'était un endroit qui ne ressemble à rien de ce que j'ai pu voir ou que je pourrais imaginer mais... C'était comme si tu n'y étais pas vraiment non plus...