Chapitre 11 - Une journée de merde

Elle sourit en le sentant l'attirer dans ses bras.

— Je croyais que la potion ne faisait plus effet, dit elle amusée.

Elle n'était pas contre un câlin mais elle ne s'était pas attendue à ce qu'il vienne la trouver de cette manière.

Il la serrait contre lui, respirant son odeur, ses doigts se mêlant à ses cheveux, sa main dans son dos. Elle était bien là, contre lui.

— Ton cauchemar... réussit-il à dire dans un murmure. Je n'aurai vraiment pas du ramasser cette horrible figurine...

Il l'écarta un peu de lui pour regarder son visage, son expression, celle de ses yeux.

— Mon cauchemars...

Elle sembla réaliser ce qu'il insinuait.

— Oh...

Elle ne savait pas jusqu'à quel point il avait pu avoir connaissance de ce qu'elle avait rêvé.

— Tu as fais le même ? Celui où je tombe de la falaise ?

Elle préférait éviter le début du cauchemars.

Il glissa une de ses mains sur sa joue, son pouce caressant lentement sa peau.

— Cette partie-là n'était pas la pire, admit-il sans quitter ses yeux.

Mais est-ce que ce n'était qu'un cauchemar ou un souvenir ou les deux entremêlés ?
En tous cas, quand il se souvenait de cette terreur, des paroles de l'Ombre, de ses menaces et de ses coups, Quentin sentait une colère sourde l'envahir à l'idée qu'elle ai pu réellement vivre ça. Et si c'était son frère le responsable...

Elle soutint son regard. Elle avait l'impression qu'il savait. Il assemblait des pièces les unes après les autres. Et maintenant il venait de voir des images. Même si comme souvent dans ses rêves, Eric prenait une apparence plus proche des ombres qui lui faisaient peur que de l'homme qu'elle avait pu aimer.

— Ce n'était qu'un rêve, dit elle doucement.

Elle savait qu'il n'en croirait pas un mot. Mais tant qu'elle se tenait à ça, il n'avait aucune preuve pour mettre en doute ses propos. C'était un jeu de dupes. Plus le temps passait et plus c'était une évidence, elle allait perdre la partie, avouer la vérité et lui faire du mal.

Il écarta une mèche des cheveux de Bo de son visage de sa main libre, son pouce continuant son ballet sur sa joue.

— C'était plus que ça.

Pour la première fois, Quentin laissait voir toute une palette d'émotions dans son regard ou ses expressions : de l'inquiétude, de la tristesse, une certaine angoisse aussi, de l'incrédulité à cette hypothèse qu'il avait formulée à Jo ce matin et qui prenait plus de consistance avec ce cauchemar...

— Parle-moi, Bo. S'il te plait. N'aie pas peur de moi. Je peux tout entendre, mais parle-moi.

Sa voix n'était qu'un murmure douloureux. Il avait beau dire qu'il était patient, qu'il finirait par assembler les morceaux lui-même, ne pas savoir ce qui s'était passé entre elle et Eric commençait à le ronger.

— D'accord, murmura-t-elle.

C'était terrible de sentir qu'elle ne pouvait pas lui résister. C'était lié à cette confiance presque instinctive qu'elle avait éprouvé dès qu'elle l'avait vu. Elle qui était pourtant si méfiante, tellement dans la retenue et l'observation.

— Je te dirais tout.

Elle devait lui remettre le journal. Elle devait aller le chercher et cesser de protéger ce truc. Elle ne savait pas pourquoi ça lui avait semblé si essentiel.
Elle se souvenait encore lorsqu'Eric lui avait montré, ce qu'elle pensait être une clé USB. Elle était entrain de modeler le galet de porcelaine noir comme il lui avait demandé.
Il avait souri en la voyant faire, avait retourné une chaise pour s'assoir à califourchon.

— J'espère que tu y mets toutes tes ondes libertines, la personne à qui je le destine en a grandement besoin.
— Tu veux dire que c'est quelqu'un qui n'est pas aussi dépravé que toi ? Dans ta famille ? C'est possible ça ?

Eric avait rigolé, il ne s'était pas vraiment étonné qu'elle ait plus ou moins deviné pour qui serait son cadeau. Il avait posé l'objet sur la table.

— S'il m'arrivait quelque chose Bo... Donne-le à mon frère. À Quentin. C'est très important que ça lui revienne... C'est mon journal et grâce à ça il pourra comprendre qui je suis.
— Un petit con ? Tu crois qu'il ne le sait pas déjà ?

Il lui avait pincé les côtés en guise de représailles.

— Un peu de respect... Quentin ne m'idéalise pas mais il a une vision bien plus flatteuse de moi que toi. Et... Tu peux lui confiance, Bo. Tu peux te reposer sur lui, dans ses bras, bien plus sûrement encore que dans les miens.

Bo avait arrêté de modelé le galet pour le regarder avec attention. Eric avait l'air terriblement sérieux en disant ça. Comme la fois où elle avait cru qu'il allait la larguer en disant qu'elle méritait mieux que lui.

— Tu veux que je me tape ton frère ? Ce que tu peux être tordu quand même...

Elle éclata de rire et rangea la clé USB dans sa poche de jean.

— Je protégerai ton machin et j'irai le donner en personne à ton frère. Puis je me le taperai juste pour te faire chier.
— S'il m'arrive un truc, ça me fera pas chier...
— Ouais ben sois mignon, reste en vie, ce sera beaucoup plus drôle pour tout le monde...

Il s'était levé et l'avait embrassé près de l'oreille.

— Toutes manières, je suis un bien meilleur coup que lui.

Elle réalisa qu'elle s'était perdue dans ses pensées autant que dans les yeux de Quentin. Quelqu'un serait rentré dans cette pièce en les voyant ainsi, il aurait pensé qu'ils allaient s'embrasser et pourtant elle savait qu'ils en étaient loin. Il cherchait en elle des réponses et elle cherchait en lui l'assurance qu'elle avait fait exactement ce qu'Eric lui avait demandé.

— Quand Dimitri sera là, dit elle finalement.

De la déception passa fugacement dans son regard, mais il hocha la tête, la refoulant de son mieux. Ce n'était pas ce qu'il attendait, mais c'était mieux que rien. Et puis, il se souvenait qu'elle ne voulait rien révéler pour ne pas blesser son frère autant que lui. Si Eric lui avait réellement fait du mal, il comprenait pourquoi elle n'avait rien dit à Dimitri.

— D'accord. Quand Dimitri sera là.

Il esquissa un sourire un peu triste et l'embrassa sur le front avant de la serrer à nouveau dans ses bras. Elle pouvait sentir combien cela lui coûtait de ne pas insister, mais qu'il ne reviendrait pas sur ce qu'il venait d'accepter.

Elle glissa ses bras sous les siens, les faisant remonter contre son dos pour tenir ses épaules de ses mains. Elle ferma les yeux, soulagée qu'il n'insiste pas dans l'immédiat.

— De toutes manières, tu as déjà tout deviné, murmura-t-elle. C'est juste pire encore et il n'y aura pas d'explications car je ne suis jamais parvenue à en trouver.

Elle ajouta dans un souffle :

— Et tu me détesteras.

Il resserra son étreinte. Sa tête reposa contre la sienne et il ferma les yeux.

— Ne dis pas ça... murmura-t-il.

Si certaines choses impliquant Eric avaient trouvé confirmation cette nuit, il ne voulait pas encore imaginer le pire concernant Bo. Il en était incapable.

Elle espérait se tromper mais elle ne voyait pas comment. Elle lui fit de la place pour qu'il s'allonge dans son lit et éteignit la lumière. Elle s'installa dans ses bras, comme jamais elle ne l'avait fait encore. Son visage contre son cou, sa jambe se mêlant aux siennes et sa main venant se poser contre son dos.

— Je te donnerai le journal d'Eric dès que je l'aurais récupéré. Il est caché ici. A Paris, murmura-t-elle.

Ses lèvres frôlèrent sa tête alors que la main qui n'était pas coincée sous elle se calait au creux de ses reins. S'ils étaient revenus quelques heures en arrière, cette position, la proximité de leurs corps lui auraient tourné les sangs, mais il était loin de tout cela.
Ses pensées tournaient en boucle sur Eric, le cauchemar, les pièces de ce puzzle qui s'assemblaient, les paroles de Bo... et il se raccrochait à elle, sa chaleur, le poids de son corps contre le sien pour ne pas se laisser complètement happer par tout cela.

— Si près...

Et si loin à la fois. Vu qu'elle avait dit ne connaître qu'une seule personne ici, il y avait de très grandes chances qu'il soit donc chez Géraldine. N'importe qui d'autre que lui y serait allé sans attendre, mais il avait donné sa parole. Peut-être aussi qu'il craignait ce qu'il allait découvrir dedans : les recherches de son frère, l'identité de l'assassin de leur père, les raisons qui l'avait poussées à faire du mal à Bo...

— Il fallait que ce soit loin de chez moi mais...proche de toi. Au cas où...

Elle ferma les yeux, respirant son odeur.

Il déposa un baiser sur le haut de sa tête. Il n'était pas sûr de pouvoir se rendormir. Sa tête menaçait d'exploser. Il y avait tellement d'émotions contradictoires qui se bousculaient en lui. Il ne fallait pas qu'il les laisse déborder. C'était lui qui devait les contrôler et pas l'inverse. Il devait les enfouir, être celui qu'il était d'ordinaire, au moins jusqu'à ce que Bo lui parle.

Elle ne tarda pas à se rendormir, tout contre lui. Elle semblait plus apaisée, même si elle s'était accrochée à lui que le sommeil ne deserra pas sa prise pour autant.