Chapitre 11 - Une journée de merde

Quentin repassa à la discussion à ce sujet qu'il avait eue avec Capucine et Jo ce matin. Imaginer Olivier traînant Bo au club Circée faisait plus que lui déplaire.
Non, ne pas imaginer Bo dans ce genre d'endroit.
C'était terrible tout de même ! Un instant, les effets de la potion se calmaient et quand il repensait à Bo, c'était reparti...

— Pas très fréquentable si je crois ce que j'ai entendu.

— Quentin ! N'essaie pas de me pousser vers un autre homme juste pour que je te fiche la paix, soupira-t-elle.

Qu'est-ce qu'il ne ferait pas pour qu'elle cesse de lui faire des câlins et de le déshabiller. Cette manœuvre était indigne de lui !
Saint-Germain en Laye était enfin en vue.

— A cause de la potion, j'ai pas le droit de dormir avec toi, je suppose...

— Mais je n'essaye pas de te pousser dans ses bras !

Mais évidemment, puisqu'il avait dit quelque chose, elle voulait faire le contraire. Il aurait dû s'en souvenir.

— La potion ?

Noé se retourna à nouveau vers son frère.

— Quelle potion ?
— A ton avis, Enstein ? Tu crois que j'allais laisser Clémentine rentrer dans cet état-là ?

Noé le regarda avec plus d'attention.

— T'as pas vu de trucs bizarres ?
— J'ai pas fini tétanisé sur le carrelage de la salle de bain, si c'est ça ta question. Mais ça, on en reparlera, comme du reste.

— Non à la place, il a simplement eu terriblement envie de moi. Ce qui le change considérablement de d’habitude où il veut juste me lancer une pelote de laine et me donner un bol de croquettes, dit Bo.

Elle nota cependant qu'il n'avait rien dit sur le fait qu'elle puisse ou non dormir avec lui.

— Arrête de dire que je te prends pour un chaton.

Noé les regarda tour à tour.

— Je confirme : si la potion a des effets, c'est qu'il te voit pas comme un chaton.

— C'est une expression, dit elle en les regardant tour à tour. Bien sûr qu'il ne me prend pas pour un vrai chat.

Elle soupira et haussa les épaules.

— Je ne suis pas une fille contrariante, je prends ce qu'on me donne. Ce qui ne veut pas dire, que je ne tente pas d'en avoir un peu plus. Et un peu plus. Et encore un peu plus. Je peux dormir avec toi alors ou pas ?

— Si les effets de la potion sont dissipés, oui.
— Parce que vous dormez ensemble ?
— ça ne te regarde pas.
— Vous dormez ensemble, mais vous couchez pas ensemble, continua tout de même le jeune homme sur le ton de celui qui réfléchissait.
— Noé, j'ai dit que ça ne te regardait pas. De toute façon, je ne vois pas pourquoi tu l'ouvres depuis tout à l'heure. Avec tout ce que j'ai appris ce soir, tu ferais mieux de te faire oublier.
— Oh ça va, Quentin. Viens pas me faire la leçon. ça a un peu dérapé, mais...
— Tes potions sont dangereuses. Ce que tu fais avec, c'est de la manipulation.

Noé eut un léger rire moqueur.

— Mes potions fonctionnent très bien. La preuve, répliqua-t-il en désignant son frère.

Il se tourna vers Bo puis revint à Quentin qu'il regarda de son petit air narquois.

— En fait, t'assume pas, hein ? Parce que la potion de ce soir, elle ne fonctionne que s'il y a quelque chose à booster. C'est pas un filtre d'amour qui crée un sentiment de toute pièce. Je manipule personne, moi. Donc si elle marche, c'est que Bo t'attire.

— Vous pourriez évitez de me déconcentrer quand j'essaie de conduire sur le bon côté de la route, dit elle. Parce que au cas où l'auriez pas remarqué, on est plus sur l'autoroute.

Parce que bon, c'était pas très sympa de révéler comme ça que Quentin puisse finalement ne pas être aussi insensible à ses fesses qu'il ne voulait bien le faire croire alors qu'elle pouvait plus le regarder dans le retro sans qu'ils aient un accident.

— ça serait con qu'on ai un accident maintenant que tu sais que t'es pas un chaton, répondit Noé, content de lui.

Quentin avait foudroyé son frère du regard, mais celui-ci s'en moquait.
Il ne put s'empêcher de regarder Bo, retournant encore et encore ce que Noé venait de dire dans sa tête.

— Tu as un antidote à ta potion ? demanda-t-il plutôt.
— Vu l'heure, ça devrait pas tarder à passer. En plus, j'imagine que ton pouvoir est en train de l'évacuer.

Il murmura "mais ça ne changera rien à ce que j'ai dit" si bas que seule Bo l'entendit.

— Tu devrais arrêter de fanfaronner, Noé. Il y a plein de filles qui peuvent attirer ton frère et le pousser à finir dans un placard à balais. Ça ne veut rien dire... C'est toi qui t'imagine des tas de truc complétement faux le concernant. T'adores le mettre en défaut parce qu'il a le malheur d'être sur ton dos... Pourtant je suis sûr que c'était pas sa vocation de jouer les pères de substitution. Tout ça pour dire que créer du viagra hallucinogène qui brille dans le noir c'est pas l'invention du siècle.

Elle marqua un silence en tournant pour prendre la direction de la forêt.

— Quentin il crée des zones d'isolement avec des illusions parfaites. Le jour où tu en feras autant, tu pourras te foutre de lui.

C'était plus fort qu'elle, il fallait qu'elle le défende et entraine Noé dans une autre direction. Elle se souvenait trop de comment la potion l'avait mis mal à l'aise et combien il l'avait incité à ne pas en profiter... C'était sûrement aussi vrai pour son frère cadet auprès de qui il peinait à se faire respecter. Elle n'avait pas envie qu'il galère un peu plus parce que Noé se servirait d'elle pour le charrier.

Quentin pensait que Bo prenait de plus en plus souvent sa défense. C'était agréable. Il continuait de trouver cela surprenant également tellement il n'y était pas habitué.
Noé croisa les bras sur sa poitrine et son visage se ferma.

— Je vois pas pourquoi j'en ferais. Faire comme Papa, ça, c'est son obsession, pas la mienne, se buta-t-il.

Et il ne disait pas cela parce qu'il était moins doué dans ce domaine que dans les potions. Pas du tout.
Quentin regarda par la vitre passager. Toute sa vie, il avait entendu ce discours. Eric le lui reprochait déjà lorsqu'ils étaient plus jeunes. Certains dans la famille le sous-entendaient toujours, comme si c'était quelque chose de négatif que de vouloir marcher dans les pas d'Aurélien. En général, c'était les mêmes qui disaient qu'il n'en avait pas les épaules. Mais si ça n'avait pas d'importance quand cela venait d'eux, c'était différent quand c'était l'un de ses frères qui le lui reprochait car cela creusait encore plus le fossé entre eux. Eric avait eu l'air de vouloir le combler avant sa mort, mais celui avec Noé ne faisait que s'élargir et Quentin ne savait pas comment faire pour qu'il en soit autrement.

— Et puis, c'est pas du viagra. J'ai pas besoin de viagra, moi, continua Noé. C'est pas de la drogue non plus.
— Bientôt, tu vas nous dire que c'était juste du sirop... soupira Quentin.

— Tu sais Noé, c'est normal à ton âge de venir vite, lui assura Bo.

Elle retint son sourire, convaincue qu'il allait démarrer au quart de tour.

— Mais... Non ! Absolument pas ! Qu'est-ce que tu vas t'imaginer ? Ah ! J'ai de l'endurance, moi !

Quentin ne put s'empêcher d'avoir un sourire franchement amusé en entendant son petit frère se défendre de la sorte.

— Je ne sais pas... Cette potion peut être que...

Elle écrasa le frein et pila brusquement. Sur la route, une biche les regarda avant de repartir. Bo resta les mains crispées sur le volant. Elle n'était vraiment pas habituée à ce genre de rencontre.

— Qu'est-ce qu'elle fout là, celle là ? râla Noé en jouant sur sa ceinture de sécurité qui l'avait bloqué.
— Fais attention, parfois, elles vont par deux.

Mais aucune autre biche ne surgit des bois. Bo put redémarrer.

Bo ne fut pas mécontente d'arriver. Elle descendit de la voiture et s'étira en soupirant :

— Je ne referais pas cette route de jour avec des bagnoles partout... Les français conduisent trop mal.

Elle regarda Noé.

— Monte dans ta chambre et t'avise pas d'en sortir avant que Quentin soit venu te voir demain matin. Il est trop tard pour qu'il te passe un savon. Mais tu reviens pas directement chez toi après les cours...

Elle sortit son téléphone portable et montra une photo de Noé en caleçon complétement stone.

— Sur la page Facebook de ton bahut avec en légende "les effets secondaires du viagra".

Il se décomposa.

— T'oseras pas ? Hein, qu'elle osera pas ?
— Oh si, elle osera. N'en doute pas une seconde.

Quentin montra le sac à dos et le portable de son frère.

— Tu récupéreras tes affaires demain matin, mais je garde le portable jusqu'à nouvel ordre.
— Quoi ? Mais non ! T'as pas le droit de faire ça !
— Si. Fais ce qu'on te dit. Je te déposerai au lycée demain matin.

Noé marmonna quelque chose qui ressemblait à un "putain, tu fais chier".

Bo le regarda rentrer avant de se tourner vers Quentin.

— La journée a été longue pour toi... Tu te sens en peu mieux ?

Elle ajouta :

— Je vais te laisser tranquille cette nuit. Tu mérites de pas te battre avec une fille qui prend toute la place et toute la couverture...

— Les effets de la potion sont presque dissipés. Dans une demie-heure, il ne devrait plus rien avoir.

Il avait toujours envie de la toucher, mais c'était beaucoup moins fort que tout à l'heure. Il pouvait gérer bien mieux sa proximité maintenant.

— Je vais prendre un café et m'arrêter à la bibliothèque chercher quelque chose.

Une part de lui n'avait pas envie qu'elle dorme seule, dans le cas où les cauchemars reviendraient comme la nuit dernière ; mais une autre n'était pas sûre que ça soit une bonne idée de rester à ses côtés après tout ce qui s'était passé ce soir.

— Je crois qu'il vaut mieux que je dorme seul cette nuit, décida-t-il. Mais si ça ne va pas ou si tu as encore un cauchemar, n'hésite pas à venir me réveiller. Je te ferais une place.

Il espérait qu'elle ne prendrait pas cela pour un rejet, surtout après ce qu'avait dit Noé sur la potion.

Elle lui sourit.

— Ne t'inquiète pas. Des cauchemars j'en fais tout le temps... Je ne suis plus une petite fille. Je bois un peu d'eau et je me rendors... Je sais que ce n'est pas la réalité.

Ou que ça ne l'était plus pour être plus précise. Elle s'approcha et l'embrassa doucement sur la joue en lui mettant les clés de la voiture dans la main.

— Bonne nuit Quentin.

Elle respira un instant son odeur avant de s'écarter pour monter les marches de la maison.

Son baiser lui avait donné un frisson fort agréable, mais il réussit à ne pas céder à son envie de la serrer contre lui pour l'embrasser vraiment. Il la laissa rentrer sans rien ajouter, la voir disparaître à l'intérieur lui laissant une sensation de vide qu'il écarta en conduisant la voiture au garage. Il finit par rejoindre la maison et fila à la bibliothèque avec le sac de Noé et une tasse de café noir. Il fallait qu'il se concentre sur ses choses concrètes.
Il commença par sortir toutes les affaires de son frère pour récupérer les fioles, les triant par couleur. Il jeta un oeil dans les cahiers et les bouquins et trouva un petit carnet à spirales qui lui parut suspect bien que le contenu soit parfaitement ordinaire. Si Noé avait des formules ou la liste de ceux à qui il refourguait ses petites potions douteuses, il avait dû cacher ça sous une illusion. Il vérifierait demain, en même qu'il aurait une explication avec lui. Il n'en revenait pas que Noé ai pu faire quelque chose d'aussi risqué et inconscient. Toute cette histoire aurait pu vraiment mal finir. Il faudrait aussi qu'il vérifie si d'autres en dehors de Chris savaient que la magie était impliquée. Encore d'autres tâches à ajouter à sa liste des choses à faire...
Il remit finalement le reste dans le sac à dos et rangea les fioles et le carnet dans un tiroir. Ce n'était pas la peine que leur mère les trouve si jamais elle descendait ici. Cela n'arrivait pas souvent, mais il valait mieux être prudent. Il ne comptait pas laisser Gwen dans l'ignorance, mais Quentin préférait avoir d'abord réglé la question. Elle n'avait pas besoin de gérer les conneries de Noé en plus du reste.

Quand Quentin remonta, les effets de la potion avaient complètement disparu et il était chargé de deux grimoires et d'une boite carrée en bois de rose. Il eut une seconde d'hésitation en passant devant la porte de Bo, mais rejoignit sa chambre. Il se changea et s'installa dans son lit avec les ouvrages et un carnet. Il était fatigué, mais il fallait aussi qu'il travaille sur le sortilège rendant sa véritable apparence à quelqu'un.
Il eut toutefois du mal à se concentrer dessus. Ses pensées ne cessaient de revenir à Bo, à la façon dont elle avait modifié son sortilège, à la discussion chez Thanaclop, au fait qu'il avait encore raté l'occasion de la faire parler d'Eric et de ce qu'elle cachait, et, bien sûr, à ce qu'il avait ressenti pour elle. S'il n'avait pas été lui, avec ses principes et son besoin de contrôle, si elle s'était amusée de la situation au lieu de la comprendre, il savait très bien ce qui se serait passé. Que Bo puisse lui plaire, comme le disait Noé, ou pas n'entrait pas en ligne de compte dans cette histoire. Cela n'aurait pas été correct vis à vis d'elle, rien n'aurait été honnête là-dedans et ce n'était pas du tout le genre de Quentin.
Quand il finit par s'endormir, il était deux heures du matin. Le sommeil avait finit par le rattraper, assis dans son lit, un grimoire et son carnet sur les genoux.

Quentin était assis à la table de la cuisine. Il y avait une tasse de café noir. La pièce ne lui semblait pas familière et pourtant il savait qu'il était chez lui. Il y avait un couteau sur la table. Il s'en servait pour découper le poisson et en lever de beaux filets.
Il sentit qu'on l'embrassait dans le cou et en baissant les yeux vit deux mains qui se posaient sur ses seins sur sa chemise de nuit.

— Ça marchera pas... On a déjà fait ça. Tu ne peux pas me tuer, Bo...

Il sentit l'angoisse monter d'un cran. Les mains remontèrent jusqu'à ses épaules et Quentin les sentit se refermer sur son cou. Une simple caresse.

— Donne-le moi.

Les mains serrèrent un peu plus.

— Donne. Le. Moi.

L'air se mit à manquer. Quentin essaya de faire lâcher les mains en vain. Elles serraient de plus en plus fort.

— Donne moi ce foutu journal ! Cria la voix avant de lâcher son cou pour attraper ses cheveux et lui fracasser la tête sur la table de la cuisine.

Quentin se sentit basculer au sol et vit le couteau. Il voulut l'attraper mais il entendit sonner à la porte. Il vit alors son agresseur aller à la fenêtre de la cuisine.

— C'est ton père. Je crois que je vais aller faire un tour en mer avec lui... Ça fait longtemps.

L'angoisse envahit à nouveau Quentin. Une terreur terrible alors que l'homme se tournait vers elle. Il était fait d'ombre, ses yeux luisant en rouge.

— Peut être que tu te souviendras de ce que tu as fait de mon journal pendant cette petite sortie en mer.

Quentin se leva en hurlant, le couteau à la main, l'envie de le tuer l'aveuglant mais quand il voulut le poignarder il passa par la fenêtre et bascula du haut d'une falaise. Il se mit à crier en chutant. Une chute sans fin.

Quentin se réveilla en sueur dans son lit en même temps. Il était dans sa chambre. Ce n'était qu'un rêve.

Quentin haletait, trouvant difficilement sa respiration. Dans un réflexe, il tâta sa tête, puis son cou. Les coups, la douleur avaient paru si réels ! Son regard tomba sur son lit défait, sur l'un des grimoires qu'il avait envoyé valser en se débattant, le carnet au pied du lit... Il était dans sa chambre, tout allait bien.
Pourtant, il n'arrivait pas à se défaire de l'image de cette silhouette d'ombres aux yeux rouges et du danger qu'elle représentait, et rien que d'y penser, il sentit à nouveau l'angoisse et la terreur l'envahir.

— Bo !

Il sortit d'un bond hors de son lit. Est-ce que c'était par réflexe qu'il se précipitait dans sa chambre ? Parce que son inconscient avait fait le rapprochement avec ce qu'avait dit Thanaclop à propos de la figurine cassée ? ou encore parce qu'il avait reconnu cette terreur qu'il avait déjà ressentie deux fois ? Il ne se posa pas la question, il fallait qu'il aille voir comment elle allait.
Quand il ouvrit la porte de la chambre de Bo, quelque chose lui revint en mémoire, quelque chose qui le glaça jusqu'au sang. L'agresseur de Bo, cette silhouette d'ombre voulait le journal d'Eric. Non, pas le journal d'Eric. Son journal. Parce que c'était Eric lui-même. Il refoula cette pensée pour le moment et entra.

La lampe de chevet était allumée. Elle était assise dans son lit, les oreillers calés dans son dos.
Elle reposa son verre d'eau en le regardant.

— J'ai crié ? Demanda-t-elle.

Elle savait que quand elle faisait des cauchemars, ça lui arrivait parfois. Et là, elle trouvait que Quentin avait l'air particulièrement inquiet.

Il se laissa tomber sur le bord du lit, soulagé de voir qu'elle allait bien. Ses yeux cherchèrent des traces sur son cou ou sur son visage, mais évidemment, tout cela n'avait eu lieu que dans son cauchemar.
Il secoua la tête à sa question et l'attira contre lui. Il n'arrivait pas à parler, à prononcer le nom de son frère. Peut-être qu'il se trompait. Peut-être que ce n'était qu'un cauchemar et que l'inconscient de Bo avait tout mélangé. Peut-être. Toujours peut-être.