Chapitre 11 - Une journée de merde

— C'est toi le boss, dit Joanna.

Quand ils arrivèrent dans le séjour, Capucine était toujours entrain de petit déjeuner, un magazine de mode ouvert devant elle. Elle leva ses yeux vers Quentin.

— Bonjour, lui dit elle.

— Bonjour, Capucine.

Il servit deux cafés, un pour lui et un pour Jo, et s'installa. Annie lui avait laissé le journal, comme tous les matins, mais il l'emmènerait avec lui pour plus tard.

— On déjeune avec Sophie à midi. As-tu des consignes ?

Il n'y avait aucune trace de moquerie dans sa voix. C'était visiblement une véritable question.

Il regarda la jeune femme en se demandant encore une fois pourquoi elle se mêlait de cette histoire. Un jour, il faudrait qu'il discute de cela avec sa mère.
Il reposa sa tasse. Evidemment, Gwen allait devoir arrondir les angles après ce qui s'était passé. Il détestait cela.

— Je ne reviendrais pas sur ce que j'ai dit hier soir, dit-il finalement.

— Est-ce que ça veut dire qu'elle n'est plus la bienvenue ici ? Ou qu'elle ne doit pas approcher Bo ? Je doute qu'Olivier lâche l'affaire vu comment il la regardait, dit elle en posant sa tasse de thé.

— Je suis sûr que c'est quelque chose que tu trouverais regrettable, dit Joanna amusée.

Capucine haussa les épaules.

— Bo fait ce qu'elle veut. Elle m'a clairement dit qu'elle n'était pas une nonne et qu'elle n'allait pas louper une occasion si elle se présentait.

Même si quand elle avait dit ça, Capucine avait espéré qu'elle fasse référence à un autre homme que Quentin.

Olivier... Quentin l'avait oublié. L'idée qu'il s'approche de Bo lui déplaisait, et pas seulement parce qu'il ignorait si son petit-cousin était du côté de Sophie ou pas.

— Si elle veut voir Bo, ce sera en ma présence, à mes conditions, se décida-t-il à répondre. Mais de toute façon, je ne pense pas qu'elle en ait très envie.

Il imaginait très bien sa grand-mère capable de sortir le chéquier pour que Bo sorte de leurs vies et pouvoir ensuite manipuler son monde pour que DLS change de main. Elle ne serait pas déçue de la réaction de la jeune femme.

— Très bien. Et concernant Olivier ? Demanda Capucine en l'observant.

Elle avait bien compris que Bo n'était pas du genre à se faire dicter sa conduite mais elle était curieuse malgré tout de connaitre la réponse de Quentin.

Quentin beurrait son toast avec application.

— Bo est assez grande pour décider quoi faire, dit-il en regardant Capucine.

Lui interdire de voir Olivier risquait de lui donner envie du contraire. Si Bo se décidait à répondre à son invitation, il veillerait sur elle de près de toute manière. Jusqu'ici, il avait toujours eu confiance en Olivier, mais Quentin n'oubliait pas que quelqu'un en voulait à Bo et à son enfant, ni que la mémoire de Watson avait été modifiée par quelqu'un disposant de la magie familiale. Si Eric ne pouvait pas être mis hors de cause sur ce point, aucun autre membre de la famille non plus.

— Certes mais on a pu voir qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce dont était capable les gens en face d'elle.

Elle mangea une bouchée de pamplemousse.

— Et je doute qu'elle soit sortie avec un type comme Olivier.

— Seulement avec Eric qui dans ses manières ne devaient rien lui envier, fit remarquer Joanna.

Elle vit que ça agaçait Capucine qu'elle s'en mêle et n'en trouva ça que plus délicieux.

— Eric était très différent d'Olivier. Il affichait clairement sa consommation de femmes et les traitait comme des kleenex sans chercher à jouer avec leurs sentiments.

— Et malgré cela tu étais prête à l'épouser... Quelle abnégation, Capucine.

La jeune femme reposa sa petite cuillère un peu brusquement sur la table.

— Les sentiments ne se commandent pas et peuvent faire de vous des imbéciles mais on connait tous ça un jour où l'autre, répondit Capucine séchement.

Quentin avait suivi l'échange en silence, son regard allant de l'une à l'autre.

— Et tu penses qu'Olivier pourrait jouer cette carte-là ? Les sentiments ?

La vie privée d'Olivier ne l'avait jamais intéressée, et comme il avait 10 ans de plus que lui, il ne l'avait pas fréquenté suffisamment pour voir s'il était comme Eric ou pas avec les femmes.

Capucine haussa les épaules. Elle était moins sur la défensive quand c'était Quentin qui s'adressait à elle.

— C'est un séducteur mais c'est aussi un homme très discret. À ce niveau là, il n'a rien à t'envier. Mais nous avons des amies en commun et je ne pense pas que qui ce soit fréquente les mêmes clubs que lui.

Elle hésita en regardant Joanna mais finalement poursuivit. Comme le disait Thanaclop, Capucine résistait difficilement à rapporter tout ce qu'elle pouvait apprendre de la vie parisienne.

— Elise de la Lidonnière est sortie avec lui, il y a quelques mois. Il l'a emmenée au Boudoir de Circée à leur deuxième rendez-vous. Elle n'a pas vraiment apprécié...

Si Quentin arrivait à situer Elise, c'était une sorcière élémentaire qui était sortie avec Eric avant Capucine. La jeune femme était de la même veine que Capucine bien qu'elle soit plus assidue dans ses études, ayant l'ambition d'entrer en politique. En revanche, l'endroit qu'elle citait lui était inconnu.

— C'est un club libertin tenu par des sorciers. Je t'en avais parlé il y a quelques années parce qu'un de tes clients y passaient ses nuits, lui dit Joanna.

Cependant elle n'était pas entrée dans les détails des pratiques ayant lieu là bas. Elle savait que ça l'aurait autant dépassé qu'ennuyé.

— Ça ne serait pas une bonne idée que Bo aille là bas, lui confirma Jo.

C'était la seule information à en retenir. Elle avait trop de pouvoir en elle, ça attirerait l'attention.

Quentin aurait bien répliqué que ce n'était pas le genre de Bo, mais en vérité, il n'en savait rien et il n'avait aucune envie d'imaginer ça non plus. Sur ce point, Jo avait raison : si Quentin n'avait pas pour habitude de juger les pratiques des uns et des autres, ce genre de choses le dépassait totalement.

— En effet, approuva-t-il. J'en parlerais avec elle. De toute façon, tant que je ne sais pas ce que trafique Olivier exactement avec Sophie, je préfère que nous restions tous vigilants.

Il regarda Joanna.

— Jusqu'ici, il m'a toujours certifié ne pas vouloir entrer dans son jeu, mais autant rester prudent, pour ça et le reste.

— Si ce n'est pas une sorcière, elle ne l'intéressera pas longtemps. Olivier aime le pouvoir. Sous toutes ses formes.

Joanna regarda sa montre.

— Faut qu'on décolle, lui dit elle.

Elle avait encore à lui révéler la raison de sa présence et elle savait qu'il râlerait qu'elle ait attendu qu'il ait avalé son petit déjeuner pour ça.

Quentin hocha la tête, avala ce qui restait de son café et se leva.

— Merci, Capucine.

Il hésita, puis ajouta :

— Je sais que ma mère devrait s'en sortir avec Sophie, mais au cas où, n'hésite pas à me prévenir. Passe une bonne journée.

Il récupéra son portable et fit signe à Jo qu'ils pouvaient y aller.

— Je n'y manquerais pas.

Pour une fois qu'elle était invitée à le joindre sur son téléphone. Elle ajouta cependant plus sérieusement :

— Je ne laisserai pas Sophie la charger.

Le regard de Quentin croisa le sien.

— Je sais.

S'il aurait préféré que Capucine ne reste pas cramponnée à eux depuis sa rupture avec Eric et qu'elle ne se mette pas des idées en tête le concernant, il pensait que son attachement pour Gwen était sincère. Et s'il ne l'était pas et qu'elle faisait un faux pas, il prendrait les mesures qui s'imposent. Cela, il se doutait qu'elle en avait conscience.

Joanna attendit qu'il soit bien inséré dans la circulation avant de lui annoncer.

— Il y a eu un quatrième mort. Une femme de vingt deux ans. Vidée de sa magie. Officiellement, elle s'est suicidée en se tranchant les veines dans sa baignoire.

Le visage de Quentin se ferma. Elle avait toute son attention.

— Une sorcière de passage ou la connait-on ?

— C'est la fille d'un de nos clients. Enfin on les protégeait pas en ce moment mais tu t'étais chargé de lui l'année dernière quand il avait été en Chine pour ses affaires. Charles Binger. C'est sa plus jeune fille, Vanessa. Elle suivait des études de lettre. Capucine doit la connaitre alors j'ai préféré rien dire devant elle, qu'elle ne fasse pas fuiter l'info.

Il hocha la tête, approuvant sa décision.

— C'est arrivé quand ? Quelqu'un s'est déjà chargé d'aller sur place ?

— Elle a été trouvée, hier dans la matinée. Son père a appelé Ahmed cette nuit parce qu'il n'y croyait pas un instant. Ahmed a demandé au Docteur Lowell de passer à la morgue pour vérifier si elle avait encore sa magie... Et Bingo. Ahmed m'a appelé à 7h pour que je te prévienne. On a rien dit encore à Monsieur Binger.

— Je m'en chargerais.

Quatre sorciers morts de la même façon que son père et François, à presque quatre ans d'intervalle.

— Est-ce qu'on a la moindre piste ?

Comme si tout le reste ne suffisait pas... Mais il n'arrivait pas à imaginer que tout cela ne soit pas lié d'une manière ou d'une autre.

— Elle pratiquait beaucoup. Elle était à la tête d'un coven féministe.Pour le moment, on est qu'au début de l'enquête, tout est à faire...

Joanna le regarda.

— Ça se rapproche... On dirait que quelqu'un veut gagner en puissance et qu'il est prêt à n'importe quoi.

Elle s'en voulait de ne pas le mettre sur la piste de sa famille. Parce qu'elle savait bien que les blessures et l'absence de magie était la signature de leur meurtre.

— Et ce serait une trop grosse coïncidence pour que celle qui s'en soit prise à Bo n'y soit pas mêlée. Elle a voulu prendre la magie du bébé, elle l'avait blessée au cou pour ça...

Jo sentit sans peine sa colère à ce souvenir. Ils en avaient déjà parlé lorsqu'il était rentré, il leur avait raconté en détails ce qui s'était passé : son sortilège de protection contré, la fausse Kelly, Bo blessée, l'affrontement dans la rue et son étrange sentiment que cette sorcière n'avait pas cherché à le tuer, mais seulement à le ralentir. Il n'avait pas caché sa frustration à s'être fait avoir comme un débutant et à ne pas avoir réussi à protéger Bo comme il l'avait décidé.

Jo se sentit encore plus mal de ne pas tout déballer. De ralentir cette enquête alors qu'elle pouvait empêcher des gens de mourir. Peut être qu'il faudrait qu'elle s'éloigne un temps pour vérifier que sa famille ne trainait pas dans les parages.

— Il faut que tu...

Elle s'interrompit en réalisant ce qu'elle allait lui conseiller. Mais avec de la chance, ça ne se retournerait pas contre elle.

— Ce serait bien que tu mettes au point un sortilège permettant d'identifier la véritable apparence d'un agresseur.