Chapitre 9 - Magie et sorcellerie

Cette fois, il se mit à rire. Légèrement, mais c'était un rire.

— Quelle chance. Vivement Noël.

Mais comme elle n'avait rien dit sur son anniversaire, il pourrait peut-être faire ce qu'il voulait.

Elle sourit en le voyant rire et s'attribua un bon point. Il faudrait qu'elle y parvienne plus souvent.

— Tu sais pas c'est quand mon anniversaire, dit elle comme en echo à ses pensées.

Elle fronça les sourcils.

— Tu ne sais pas hein ? T'as fait une enquête sur moi ?

Il bossait dans la sécurité et il l'avait fait espionner. Alors si, il devait savoir sa date naissance.

Son sourire se fit plus mystérieux.

— A ton avis ?

Son pouce continuait à caresser son bras avec lenteur. Ce contact lui plaisait beaucoup.

Elle soutint son regard un moment en silence. Elle ne savait pas ce qu'il avait pu trouver.

— Tu sais quoi sur moi ? Demanda-t-elle finalement sans le quitter des yeux.

— De l'administratif, des dates... Rien qui ne me préparait à toi.

Son autre main joua avec ses cheveux.

— Je préfère toujours me faire une idée des gens par moi-même, fit-il avec sincérité.

Il avait fait pareil avec Joanna. S'il avait pris connaissance du premier dossier qu'Ahmed avait rédigé lors de leur rencontre, il l'avait mis à la poubelle devant elle, pour que leur relation parte de zéro. Encore un pari finalement, comme avec Bo. Quant au dossier Sheridan, il ne l'avait même pas ouvert. Il se doutait que ce n'était pas le cas d'Ahmed, mais Quentin préférait que Jo lui parle elle-même de sa famille.

Elle le regarda si longtemps cette fois que lorsqu'elle ouvrit la bouche, elle crut qu'elle allait lui dire. Lui dire que Dark Eric l'avait mise en garde. S'il souhaitait faire venir son frère ou la conduire là bas, quand il croyait qu'elle avait envoyé son journal à Quentin, il se mettait en colère et lui rappelait qu'il était un sorcier. Il ajoutait même que jamais des sorciers ne le considérerait comme un être humain. Une fois il avait ajouté "Et ne va pas t'imaginer que mon frère se comportera autrement parce qu'il est différent. Mieux vaut que je me charge de son cas avant qu'il ne le fasse pour nous deux." Cette attitude ambiguë l'empêchait aujourd'hui de savoir réellement sur quel pied danser.
Elle détourna les yeux et arracha un brin d'herbe. Quentin disait vouloir la protéger et qu'Eric lui avait demandé. Avant qu'il ne change. Est-ce que cela voulait dire qu'elle avait quelque chose de particulier ? Quelque chose de différent qui passait inaperçu à cause du bébé...

Quentin se méprit sur son silence.

— C'est juste une procédure standard, il me fallait savoir où je mettais les pieds vu qu'il n'a rien voulu me dire sur toi. Jamais je ne l'aurai fait si...

Il soupira, n'ayant vraiment pas envie de parler d'Eric et la voir se fermer à lui alors qu'ils passaient un bon moment, loin de tout ça.

— Je sais. C'est pas grave. De toutes manières, ce que tu as trouvé c'est sordide ou pathétique alors... J'essaie dans ma vie de tous les jours d'être différente des faits.

Elle ferma à nouveau les yeux.

— J'espère que tu ne me tueras, dit elle à voix basse.

Elle se sentait tellement bien auprès de lui qu'elle espérait vraiment que ses mains si douces à cet instant ne puissent pas devenir dangereuses à leur tour.

La main de Quentin glissa de son bras à la sienne.

— Je te fais toujours peur ?

Sa remarque avait fait remonter son côté sérieux à la surface et les petits rouages de son cerveau s'étaient mis à nouveau en branle. Pourquoi disait-elle une chose pareille ?

— Non. C'est bien ça qui m'embête, murmura-t-elle en ouvrant les yeux mais pour regarder de côté.

Il fut soulagé par sa réponse. Depuis le début, il cherchait à ce qu'elle lui fasse confiance, parce qu'il devait la protéger, mais encore une fois, cela allait au-delà de ça.

— Pourquoi ça t'embête tant ?

Elle remit sa main en place sur son bras et recommença à arracher de l'herbe, toujours sans le regarder.

— A cause de truc qu'on m'a dit. Ça fait partie des pièces du puzzle que je ne te donnerai pas.

Même si elle craignait de faiblir avec le temps.

— Et ces trucs me laisse penser que tu pourras réviser ton opinion. J'ai pas envie de ça. C'est très perturbant quand les mains cessent d'être douces.

Il fallait toujours qu'elle choisisse ses mots avec soin. Si elle voulait pas que Quentin sache qu'Eric ait pu être violent avec elle, c'était cette fois surtout parce qu'elle refusait que Dimitri puisse l'apprendre.

Quentin enregistrait ses paroles, les notait. Encore une fois, elle biaisait, faisait un pas pour reculer aussitôt de deux.

— J'espère qu'un jour, tu me feras suffisamment confiance pour me parler, Bo.

Peut-être qu'il finirait par arriver à la bonne conclusion sans elle, c'était possible. Il avait beaucoup d'éléments et à force de les recouper sans cesse, il trouverait la réponse qu'il cherchait.

— ça vaut ce que ça vaut, bien sûr, mais je ne reviendrais pas sur ce que je t'ai dit à l'atelier.

Parce qu'il était convaincu que si elle savait qui avait tué Eric mais aussi pourquoi il avait visiblement changé ces derniers mois, elle n'était pas son assassin.

Elle se redressa et se mit à genoux devant lui pour lui faire face. Elle n'avait pas besoin de le regarder longtemps pour voir qu'il le pensait. Elle avait toujours passé beaucoup de temps à fixer les gens et elle savait que la plupart du temps ça les dérangeait. Ses cousins disaient même qu'elle activait son sonar dans ces moments là. Elle avait ce besoin de décrypter tout ce que la voix ne disait pas à travers les expressions. Le langage corporel était très important pour elle. Toucher ou ne pas toucher c'était souvent en révéler bien plus qu'en posant une question.
Elle s'approcha un peu et posa le bout de ses doigts sur l'arrête de sa machoire. La manière dont on la contractait ou au contraire la laissait souple pouvait témoigner de la détermination qu'on avait ou au contraire d'une angoisse. Géraldine s'était moquée d'elle une fois, en lui disant qu'elle ne savait pas si elle agissait comme une aveugle essayant de compléter un sens lui faisant défaut ou comme un enfant qui se passe des barrières sociales.
Ses doigts glissèrent lentement jusqu'à retomber mollement sur son torse à l'emplacement de son cœur.

— Si je te dis tout, je te ferai beaucoup de peine. Et j'en ferai aussi à Dimitri. A des degrés différents, ce sont deux choses que je souhaite encore moins que le fait que tu puisses réviser ton opinion me concernant.

Elle se releva et lui tendit la main pour qu'il en fasse autant.

Quentin serra sa main dans la sienne et obtempéra, regrettant qu'elle se soit éloignée de lui après avoir été si proche. Quand elle l'avait regardé ainsi, qu'elle avait touché son visage, il avait à nouveau senti cette étrange chaleur en lui.
Une fois debout, il ne lâcha pas sa main, et de l'autre toucha sa joue du revers de son index. Un geste qu'il ne faisait que rarement, mais qui lui semblait naturel envers elle.

— Mais les secrets que tu gardes te font de la peine à toi et c'est une idée fort déplaisante, avoua-t-il assez bas. Tu n'as pas à me protéger de quoi que ce soit.

Il retrouva un léger sourire.

— J'attendrais que tu sois prête.

— Je crois au contraire que ça devenir de plus en plus dure avec le temps...

Mais elle lui adressa un large sourire. Elle passa ses bras autour de sa taille pour se serrer contre lui.

Elle n'avait pas fait ça depuis qu'elle avait pleuré à l'aéroport de Londres, quand Dimitri était parti. S'il fut encore surpris par sa spontanéité, il ne se mit pas sur la défensive comme il l'aurait fait d'ordinaire.
Ses bras entourèrent Bo doucement, presque avec hésitation. Une de ses mains glissa dans son dos et l'autre sur sa tête. Non, décidément, il n'arrivait pas à croire qu'elle puisse avoir tué Eric ou qu'elle lui veuille le moindre mal.

Elle resta un moment ainsi. Elle trouvait qu'il n'y avait rien de mieux que de se réfugier dans les bras d'un homme. Depuis son adolescence, elle avait trouvé dans ce contact un merveilleux moyen de s'apaiser. Quentin ne sentait pas la transpiration comme les marins de chez elle mais il était très bien dans son genre aussi. Plus elle se sentait bien et plus elle avait la sensation que ce sentiment se décuplait. C'était aussi étrange qu'agréable.
Finalement, de manière aussi impromptue qu'elle y était venue, elle s'écarta et ramassa son gilet et son sac à bandoulière.

— Chocolat, dit elle avec malice. Et on achètera de l'alcool aussi. Et je veux pas du vin qui coûte un bras, je veux de la vraie boisson virile.

Quentin regrettait qu'elle mette un terme à leur étreinte, même si c'était étrange de faire ça au milieu d'un parc, et qu'il n'avait pas l'habitude de se comporter ainsi en public.

— Tu dis ça parce que tu n'as jamais goûté ce qu'on peut avoir dans la cave.

Ils remontèrent le jardin des Tuileries jusqu'au Louvre. Quentin lui proposa de l'y emmener une prochaine fois et elle sentit qu'il devait aimer ce musée. Ils continuèrent à se promener ainsi, le jeune homme n'hésitant pas cette fois à la prendre par la main ou les épaules comme si c'était là la chose la plus naturelle au monde.
Après avoir cherché sur son portable où trouver le salon de thé dont avait parlé sa mère, ils passèrent encore un bon moment autour d'un chocolat chaud et de merveilleux gâteaux. Quentin fit même une entorse à son habituel café pour la même boisson que Bo et elle eut l'occasion de découvrir qu'il affectionnait le café aussi dans les pâtisseries.
Après cela, ils s'arrêtèrent devant quelques boutiques de souvenirs, dont l'improbabilité de certains ne valait que leur côté kitsch. Quentin s'amusa à lui proposer de lui offrir une tour Eiffel dans une boule à neige et se laissa prendre au jeu lorsqu'ils passèrent en revue des tshirts en imaginant Callum et Fergi dedans.
En retournant vers Madeleine, ils passèrent par la place de l'Opéra, puis trouvèrent un magasin de spiritueux où il laissa Bo choisir avec quoi elle comptait s'enivrer avec son concours le soir-même. Un peu plus loin, il entraîna Bo dans une librairie. Quentin n'avait que peu l'occasion de traîner dans ce genre de magasin alors qu'il aimait ça, mais il manquait de temps ces derniers mois et sans son libraire habituel, il n'aurait rien de neuf à lire. Ils en sortirent avec un livre historique et un roman policier pour lui, ainsi qu'un beau livre en anglais sur les civilisations disparues et leurs cités qu'il lui offrit en sortant, récoltant un coup sur le bras et un regard noir. Il se défendit d'avoir brisé la règle n°2 en argumentant que ce n'était pas un cadeau hors de prix et que cela pourrait lui servir d'inspiration pour dessiner. Pour se faire pardonner, il la fit entrer à la Maison du Chocolat sous le prétexte d'en acheter pour sa mère, pour Annie et, pour faire bonne mesure parce qu'il avait été bien élevé, pour Capucine. Il argumenta encore que si Bo devait boire et lui absorber les effets de l'alcool, un peu de chocolat pour accompagner la boisson ne serait pas une mauvaise idée.

L'après-midi touchait donc à sa fin quand ils reprirent le chemin de St Germain. Quentin devait avouer qu'il n'avait pas passé une aussi bonne journée depuis des lustres. Il n'aurait même pas su dire de quand datait la dernière fois. A de rares exceptions près, il avait réussi à simplement profiter de l'instant présent en compagnie de Bo, sans penser à ses nombreuses responsabilités, aux tonnes de problèmes et de dossiers qui l'attendaient chez DLS et, surtout, à la mort de son frère.