Chapitre 9 - Magie et sorcellerie

— Ça me rappelle Londres... Je déteste tout ce monde et ces rues fermées, dit elle en regardant autour d'elle.

Sans compter le bruit et aucune ligne d'horizon à accrocher du regard.

— C'est une question d'habitude, j'imagine. Au moins, je t'évite le métro.

Le restaurant était dans une petite rue. En voyant la devanture, on ne pouvait se tromper sur la cuisine qu'on y servait. S'il était bien côté vu les nombreuses étiquettes sur la porte d'entrée, il ne semblait pour autant pas être dans les établissements très hauts de gamme que Quentin fréquentait certainement d'ordinaire. Pour preuve, les prix sur la carte affichée à l'extérieur ne comptaient que deux chiffres.

Si Bo admira l'effort, elle ne fit aucune remarque. Elle avait faim. Elle adressa un large sourire à Quentin en s'attablant. Elle devait reconnaitre qu'elle ne s'inquiétait pas de se retrouver ainsi seule avec lui. A croire qu'elle n'apprenait rien du passé ou qu'elle était une éternelle optimiste.

C'était la première fois qu'ils se retrouvaient seuls pour déjeuner, dans un environnement neutre. Quentin avait l'air d'être un habitué des lieux car il conseilla à Bo quelques plats et le serveur l'avait reconnu en les installant à leur table.
Avant qu'on vienne prendre leur commande, le jeune homme s'était excusé auprès de Bo d'envoyer un sms, puis avait rangé son portable dans sa poche. Vu que ces derniers jours, il ne le lâchait pas et l'avait toujours à portée du regard, c'était à noter.

Bo dévora son assiette avec appétit, n'hésitant pas non plus à goûter dans l'assiette de Quentin. Elle semblait de bonne humeur et appréciait ce qu'elle mangeait. Cela lui rappelait les dîners qu'elle faisait avec son frère à Londres. C'était là bas qu'elle avait découvert la cuisine indienne. Elle parla de cette période de sa vie bien volontiers et avec naturel. Les anecdotes sur Dimitri étaient nombreuses et toutes assez amusante, d'autant que Bo n'hésitez pas à charger un peu son frère.

— Et puis je suis rentrée, conclut elle devant sa tasse de thé à la cardamone.

Elle sentait que son ventre allait exposer mais elle se sentait bien. LE repas avait été délicieux, et ils avaient tellement pris leur temps qu'ils étaient les derniers clients à déjeuner.

— J'aimais vraiment cette école mais je ne supportait plus Londres. Puis à cette époque je pensais beaucoup à la vie que j'aurais dû avoir... Même si avec du recul, je me dis que me marier à dix-neuf ans... Ça aurait sûrement été une erreur.

Elle avait résumé à Quentin pourquoi elle s'était décidée à quitter Port Hallen, à savoir quand elle avait surpris Connor avec Kelly à quelques semaines de leur mariage.

Quentin l'avait écoutée parler avec attention et un plaisir évident. Il la sentait plus détendue que chez lui, ce qu'il comprenait aisément. Lui-même l'était, comme s'il n'y avait pas de danger planant sur eux, pas de questions sans réponses entre eux, pas de réunion familiale de prévu le soir-même.
Alors qu'elle lui racontait ses anecdotes sur leur vie londonienne, il ne pouvait s'empêcher d'observer son visage, l'éclat de ses yeux ou son sourire. Sans s'en rendre compte, ses expressions et son attitude s'étaient faites le reflet de celles de Bo. Il souriait plus naturellement et il ressemblait bien plus à celui qui s'était retrouvé assis dans le bassin qu'à l'homme aux épaules chargées de responsabilités.

— C'était très jeune, approuva-t-il en reposant la tasse vide de son expresso. Qu'est-ce que tu as fait ensuite ?

Quand elle avait parlé de l'épisode Kelly/Connor, il avait perdu brièvement son sourire. Il imaginait combien elle avait souffert de cette double trahison et Connor Watson lui était de moins en moins sympathique.

— Je suis rentrée à Port Hallen. J'ai commencé à travailler en tant qu’illustratrice et à vivre dans la maison de Monsieur Hallinger.

Elle détourna les yeux pour regarder la vitrine avec un sourire plus léger.

— Et je suis retombée dans les bras de Connor comme l'annonçait Dimitri. Sauf que cette fois il était marié à Kelly... Mais j'ai exigé qu'il ne mente pas, qu'elle sache où il pouvait passer ses nuits. Je n'aime pas le mensonge.

Même si elle savait bien que ça pouvait sembler gros de balancer ça alors qu'elle refusait de lui révéler ce qui c'était passé avec Eric.

Vu le sourire qui se dessina au coin des lèvres de Quentin, il pensait à peu près la même chose, mais il n'en fit pas la remarque.

— Et c'est là que ça a fini au poste, j'imagine. J'ai entendu cette histoire l'autre jour. Quelque chose impliquant une voiture et un crêpage de chignon.

Elle soupira et étendit ses jambes devant elle, son pied frôlant le sien.

— Kelly m'a délibérément foncée dessus avec sa voiture. Et c'est vrai que ça m'a un peu énervée... Et que je l'ai fais descendre en la tirant par les cheveux.

Elle le regarda un peu tristement.

— Mais c'est là aussi que j'ai appris qu'elle était enceinte... encore... et que Connor ne me l'avait pas dit. Cela m'a permis de reprendre un peu de distance. Surtout lui en fait, il ne voulait pas la mettre en danger je pense. Elle et l'enfant. Peut être qu'il ne voulait pas non plus que je me retrouve encore à me battre... Tout le monde le voit comme un lâche mais... C'est quelqu'un de gentil. De profondément gentil et il a toujours essayé de faire de son mieux pour les autres. Pas pour lui... Pour les autres. Parce que s'il avait fait les choses pour lui, il aurait laissé tombé Kelly enceinte des jumeaux.

Elle regarda la nappe et gratta une tâche de l'ongle.

— Dimi refuse d'entendre ça alors j'en parle plus avec lui. Connor m'aimait vraiment. C'était... Inédit comme tu dis... qu'on puisse m'aimer comme ça, murmura-t-elle.

Quentin n'avait pas bougé son pied. Il s'était enfoncé dans sa banquette, la tête posée contre, écoutant toujours avec attention, essayant de percevoir la moindre de ses intonations et de ses expressions. Elle était vraiment son opposé : tout ce qu'elle ressentait se lisait sur son visage ou dans son regard, c'était assez fascinant.

— Et toi ? Tu l'aimais ?

Un lent sourire étira ses lèvres.

— Bien sûr. J'ai toujours eu un faible pour les petits cons au grand coeur.

Et dans le fond cela avait été vrai aussi pour Eric. Il répondait parfaitement à cette description. Elle se souvint du baiser qu'il avait déposé sur son front en lui assurant qu'il revenait vite. Qu'avait il vu par la fenêtre pour partir si précipitamment ? Et que lui était il arrivé pour qu'il change ainsi ?
Quentin aurait peut être des réponses, des idées... mais il devrait entendre ce que son frère était devenu. Peut être à cause d'elle. Peut être qu'elle l'avait contaminé avec ses ombres...

— On y va, dit elle en se relevant.

Encore une fois, Quentin se demanda à quoi elle avait pu penser pour couper court à cette discussion et perdre le sourire qu'elle affichait deux secondes plus tôt. Peut-être à Eric vu qu'elle avait dit avoir un faible pour les petits cons et que ça devait encore lui correspondre à l'époque de leur rencontre.
Eric semblait susciter tellement de sentiments différents chez elle qu'il ne savait plus comment aborder le sujet. Mais à vrai dire, il n'en avait pas envie aujourd'hui.

— Je vais aller payer.

Il se leva à son tour et se pencha vers elle avec un sourire malicieux.

— J'attendais ce moment avec impatience.

Il la laissa pour se rendre au comptoir. Il sortit sa carte de crédit de son portefeuille et l'agita en regardant Bo avant de régler la note. Il laissa également un bon pourboire en liquide.

Elle retrouva son sourire, faisant non de la tête dans une attitude montrant qu'elle déplorait la sienne. Elle enfila son gilet, prête à le suivre. Elle n'était pas contre marcher un peu, même s'il n'y avait pas la plage.

Ce qui tombait bien puisque c'était l'intention de Quentin. Ils délaissèrent le parking souterrain et l'église de la Madeleine pour se diriger vers la Seine.
Quentin connaissait bien le quartier, mais il ne l'entraîna pas sur la Place Vendôme, ni vers aucune boutique de luxe comme il l'aurait fait avec une autre.
Il ne leur fallut que 10 minutes pour rejoindre le Jardin des Tuileries. Les pelouses et les bancs étaient déjà pris d'assaut en ce début d'après-midi ensoleillé. Tout en se promenant sous les arbres, Quentin raconta brièvement à Bo qu'ils se trouvaient dans les anciens jardins du palais royal du Louvre vers lequel ils remontaient doucement.

— Quand j'étais au lycée, je venais pas mal ici, fit-il alors qu'ils longeaient l'un des grands bassins du jardin où petits et grands faisaient naviguer des bateaux en modèle réduit. Je ne compte plus les heures que j'ai passé sur ces pelouses à essayer d'étudier alors qu'Ahmed faisait tout pour que je lâche mes bouquins. Il fait moins le malin aujourd'hui parce qu'il est marié et père de famille, mais c'était un dragueur invétéré.

Et sans la facilité d'Ahmed avec les filles, Quentin aurait sans doute mis du temps à en fréquenter une de façon plus intime. Il l'avait quasiment poussé dans les bras de la première avec qui il avait couché, l'été de ses 15 ans, et il y aurait eu moins de possibilités par la suite sans les fêtes auxquelles Ahmed l'entraînait.

— La fac était sur l'autre rive, fit-il en désignant la direction de la main. J'ai arrêté d'y aller après la mort de mon père. J'ai essayé, au début, mais c'était impossible d'être à la fois là-bas et à gérer DLS. J'ai fini mes études par correspondance.

Bo finit par trouver un arbre qui lui plut. Elle s'assit sur la pelouse, à son ombre, appuya son dos contre le tronc. Elle observait les gens déambuler. C'était étrange de comprendre ce qu'ils disaient tout en sachant que ce n'était pas sa langue.

— Si tu n'avais pas pris la place de ton père, tu aurais fait quoi ? Demanda-t-elle en revenant à lui.

Il s'était assis à côté d'elle, un genou relevé, son bras dessus.

— A peu près la même chose.

Il regarda les gens passer.

— Je n'aurai pas du succéder à mon père, ça n'a jamais été ma place. Mon rôle, ça a toujours été de seconder Eric quand il serait à celle de notre père. C'est ce que j'ai fait de toute façon.

Elle ôta son gilet et le mit sur les cuisses de Quentin pour en faire un oreiller puis elle s'allongea et soupira d'aise.
Elle ferma les yeux et posa ses mains sur son ventre.

— J'ai trop mangé... Cela dit dans ce coin y a un truc où on peut boire du chocolat chaud et manger des gâteaux, c'est ta mère qui m'en a parlé. Je sais pas où c'est mais ce serait bien que tu retrouves pour quand j'aurais digéré... Genre dans une ou deux heures.

Elle entrouvrit les yeux.

— Et si tu sais pas quoi faire de tes mains, tu peux me caresser les cheveux, j'aime bien ça.

Comme ça il pourrait continuer à la prendre pour un chaton mignon.

Elle l'avait encore pris par surprise, mais encore une fois, il la laissa faire.

— Je crois savoir où c'est.

Il appuya son dos contre l'arbre en lui souriant doucement. Il hésita à la toucher, mais ses doigts attrapèrent d'eux-mêmes une mèche de ses cheveux. Son autre main, posée sur la pelouse, frôlaient son bras.

Elle ferma les yeux. Elle se disait que la majorité des mecs de sa connaissance aurait répondu un truc du genre "tu veux pas que je te caresse les seins plutôt". Enfin sauf si Dimitri était là. Mais si son frère avait été là, c'était lui qui lui aurait gratouillé la tête. D'ailleurs Callum disait toujours que si Dimi n'avait pas été gay, il l'aurait épousé.

— Je suis sûr que si je te demande où se trouve une bijouterie de luxe parcontre, ça tu sauras direct, commenta-t-elle.

Le sourire de Quentin s'élargit.

— Si tu insistes, je peux te montrer, ce n'est pas loin.

Elle sentit sa main progresser jusqu'à sa tête.

— Je n'aime pas les bijoux. Quand on m'en achète j'oublie de les mettre. Le seul truc que je trouve joli c'est les...

Elle s'interrompit.

— Je préfère pas te dire avec toi, faut se méfier.

Et puis dans le fond, c'était pas dur de deviner qu'elle aimait les perles.

— Je suis un homme de parole. Je respecterais la règle n°2.

Il ferma les paupières à son tour et sa main glissa de l'herbe à son bras.

— Je te vois bien porter de la nacre. Pour une selkie, ça serait approprié.

— De la nacre ?

Bo réfléchit longuement.

— Je ne pense pas avoir déjà de la nacre ailleurs que dans certains coquillages. J'aurais même pas pensé qu'on puisse en faire des bijoux.

Elle était bien contente qu'il prenne l'initiative de faire quelque chose de son autre main. Elle en poussa un soupir de contentement et sourit. Ça c'était une bonne journée.

— Peut-être que tu verras ça pour Noël ou ton anniversaire, qui sait ?

Ses doigts caressèrent très légèrement son bras. Bo pouvait sentir qu'il appréciait autant l'instant qu'elle.

— Je veux bien un bijoux de chez Claire's pour Noël.

Elle sourit et traduisit pour lui :

— C'est une chaine qui fait des bijoux en palstoc à pas cher.

Elle ouvrit les yeux et ajouta avec un immense sourire :

— Si tu veux on ira le choisir ensemble et tu pourras payer cash.