Chapitre 8 - Paris

Joanna eut une seconde d'hésitation devant cette question à double-sens pour elle, mais garda son sourire. Il y avait tant de questions qui s'agitaient dans son esprit à son propos !

— Quentin m'a un peu parlé de toi, oui. Bienvenue en France, Bo. Tu verras, c'est pas si terrible que ça en a l'air, tout ça, fit-elle en englobant la maison d'un geste de la main.

Jo espérait dédramatiser un peu la situation. Entrer de plein fouet chez les de Lyonesse n'était pas chose facile quand on n'appartenait pas à leur monde, alors y entrer après la mort du fils aîné et qu'on est menacée de mort !

— Bonsoir, Jo, fit Quentin en arrivant à leur hauteur.
— Bienvenue chez toi, chef.

Elle trouva qu'il avait l'air un peu fatigué, ce qui n'était pas étonnant après tout ce qui s'était passé en Angleterre. Au moins son visage n'avait-il plus aucune trace de coupures et sa blessure à la tempe avait-elle disparu. Il aurait été inutile d'inquiéter Gwen plus qu'elle ne l'était déjà.

— Dis-moi que Sophie n'est pas là, fit Quentin en posant sa main dans le dos de Bo, l'invitant à gravir les marches.
— Heureusement que non. Ta mère est au salon avec la blondas... blonde, se rattrapa-t-elle aussitôt. Et Noé est affalé dans le canapé à tripatouiller son portable.

Et il cachait l'écran à chaque fois qu'elle approchait trop près à son goût, c'était suspect. Il faudrait qu'elle interroge Kelya en rentrant.

Bo monta les marches. Elle espérait que la maison était moins grande qu'elle n'en avait l'air. Elle comprenait pas qu'on puisse vivre dans un truc pareil en étant pas une trentaine. Pourquoi Dimitri n'était pas avec elle ? Mais qu'est-ce qui lui avait pris de l'avoir expédié à New York ?
Ahmed sourit en la voyant freiner devant la porte d'entrée. Il regrettait presque qu'ils ne soient pas entrés en se tenant la main. Il les trouvait tellement mignon ainsi.
Alexis la poussa légèrement, d'un coup d'épaule pour entrer à l'intérieur. Bo lui adressa un regard menaçant qu'il ne vit pas.

Celui de Quentin fut à l'avenant, ce que ne manqua pas de repérer Jo. Alexis avait vraiment dû être impossible à supporter pour que le jeune homme lui lance un tel regard. D'ordinaire, Quentin ignorait plutôt les sautes d'humeur de l'autre.

Quentin fit passer Bo dans le hall d'entrée. Il était moins grand qu'on aurait pu le croire, mais bien plus toutefois que ce dont Bo avait l'habitude. Le sol était de marbre clair parsemé de petits carrés noirs et les moulures des murs blancs étaient rehaussées à la peinture dorée, mais de façon relativement discrète malgré tout. Le hall distribuait plusieurs pièces et un grand escalier en bois ciré montait vers l'étage. Sur une console ancienne était posé un très beau bouquet de fleurs de saison dans un haut vase certainement en cristal.

— Tu devrais laisser ton sac. Quelqu'un le montera dans ta chambre, fit Quentin à la jeune femme.

— Et puis quoi encore ? J'ai deux jambes et deux bras, je monte mes affaires toute seule.

Et pour faire bonne mesure, elle enfila son sac à dos plutôt que de le laisser par terre.

Quentin commençait à connaître ce regard-là chez elle. Il posa la main sur la bandoulière du sac.

— Tu n'as pas besoin de tes affaires pour rencontrer ma mère.

Jo attendait à la porte. Elle aurait bien fumé une cigarette, ne serait-ce que pour s'occuper les mains. Elle avait appris à faire avec la proximité de Quentin sans que cela lui pose souci, mais avec la fée Clochette en plus, elle allait devoir vraiment faire attention.
Elle jeta un oeil à Ahmed.

— Alors ? Ta première impression ? demanda-t-elle en français.

Bo s'écarta d'un pas.

— Si je les poses, tu vas les faire livrer dans ma chambre. Je pose pas, dit elle avec une expression butée.

Ahmed sourit à Joanna.

— Je pense que les jours à venir seront très intéressant.

Quentin n'avait aucune envie de se battre à ce propos. Il pouvait se montrer conciliant. Ce n'était pas une grosse concession à faire si cela permettait à Bo de se détendre un peu.

— Je te promets que tes sacs ne monteront pas sans toi.

Il désigna une banquette un peu plus loin où elle pourrait poser ses affaires.

— Et tu les descends pas non plus. Joue pas sur les mots avec moi, dit elle en les laissant couler doucement sur la banquette sans le quitter des yeux.

Il leva les deux mains en signe de capitulation.

— Ils resteront là.

Joanna observait en silence. Elle était tout à fait d'accord avec Ahmed, mais sans doute pas tout à fait pour les mêmes raisons.
Elle fut tirée de ses pensées par l'arrivée de Gwen à la porte du salon. La mère de Quentin n'en pouvait plus d'attendre alors qu'ils traînaient dans le hall d'entrée.

— Bonsoir, maman.

Gwen était grande, avec les cheveux du même brun foncé qu'Eric. Elle portait une jupe serrée lui arrivant aux genoux et un chemisier crème dont le col ouvert laissait deviner une petite croix en or suspendue à son cou. Son visage était doux et amical alors que ses yeux bruns se posaient sur Bo.

Bo laissa ses affaires sur la banquette mais resserra son gilet contre elle en croisant ses bras, tenant ses coudes. C'était donc à ça que ressemblait la mère d'Eric. Une vraie maman pouvait ressembler à ça.

— Bonsoir, Quentin, lui dit-elle avec un mince sourire, son regard trahissant son soulagement à le savoir enfin à la maison.

Elle n'avait pas été tranquille de le savoir parti loin de Paris. Depuis la mort d'Eric, elle avait tendance à vouloir ses fils sous les yeux, ne se sentant rassurée que de cette manière. Elle le gardait toutefois pour elle. Seule Capucine devait l'avoir deviné.
Quentin se pencha pour embrasser sa mère du bout des lèvres sur la pommette, frôlant à peine son épaule.

— Maman, je te présente Bo.

Gwen sourit avec chaleur à la jeune femme. Depuis Noël, elle avait hâte de faire enfin sa connaissance. Elle avait eu le temps d'imaginer à quoi ressemblait la femme dont était tombé amoureux Eric.

— Bienvenue à la maison, Bo. Je m'appelle Gwénaëlle, mais appelez-moi Gwen. Comment s'est passé votre voyage ?

Bo les avait observés ensemble. C'était froid. C'était presque plus froid qu'elle et Irina même si sa mère était pas une grande affectueuse avec le sexe féminin. Mais c'était pas non plus sa mère biologique.
Et maintenant elle la regardait elle avec presque plus de chaleur dans la voix. Mais elle n'avait pas perçu pour autant d'animosité envers son fils. Un truc clochait.

— Bruyant. Pénible. Et j'ai pas de terme pour Alexis.

Du moins rien de poli et Dimitri avait dit que ce serait bien qu'elle fasse un effort avec la famille d'Eric.

Gwen hocha la tête, compatissante. Elle échangea un regard bref avec Quentin à la mention d'Alexis, mais ne fit aucun commentaire.

— Et si nous passions au salon ? Nous y serons plus à l'aise pour faire connaissance.

Quentin devinait que sa mère avait des tonnes de questions à poser à Bo, mais il savait aussi qu'elle irait en douceur.

— Est-ce que je peux juste monter mes affaires dans ma chambre ? Demanda Bo.

Elle préférait grappiller quelques minutes avant qu'on la livre en pâture aux autres.

— Et comme ça je peux appeler mon père pour lui dire que l'avion s'est pas crashé... Il avait un peu tendance à psychoter à ce sujet.

— Bien entendu.

Quentin attrapa lui-même les sacs de Bo.

— J'ai fait préparer la chambre bleue, précisa Gwen à son fils.

Elle avait longuement hésité à installer Bo dans l'ancienne chambre d'Eric, mais ce serait peut-être trop douloureux pour la jeune femme. Elle aurait l'occasion de lui demander demain de toute façon.

— On revient tout de suite.

— Mes sacs, protesta Bo en lui donnant une tape dans le dos.

Mais il y avait été doucement. Enfin à ses yeux à elle, elle y avait été doucement. Elle n'était cependant pas persuadée que beaucoup de gens frappe Quentin. Alexis elle doutait un peu moins.

Quentin s'était figé un instant sous la surprise.

— Je n'ai pas dit que tu les monterais dans ta chambre, il me semble.

Joanna manqua laisser échapper un rire en voyant cette scène.

— Elle a osé le frapper, là ? fit-elle à Ahmed.

Elle fit le tour et leva son doigt vers le visage de Quentin.

— Tu vois ! Tu recommences ! Tu joues sur les mots !

Elle lui poussa le torse deux fois du doigt en ponctuant :

— C'est à Moi ! Je porte mes affaires toute seule comme une grande !

Elle ajouta conciliante :

— Mais tu peux m'accompagner pour me montrer où c'est.

Il recula son visage alors que son doigt se retrouvait encore une fois un peu trop près à son goût.

— Je t'ai déjà dit que je n'aimais pas quand tu faisais ça, fit-il en arrêtant son geste avec fermeté.

Il lui tendit son sac à dos.

— Je te concède celui-là.

Joanna n'en revenait pas de cette scène surréaliste et à l'expression de Gwen, elle pensait la même chose.

Bien entendu Bo récupéra sans aucune douceur le sac en bandoulière pour le passer en travers et laissa tomber le sac à dos à ses pieds. Très dignement, elle monta les escaliers.

— Quand tu parlais de difficulté dans les négociations, je vois plus clairement maintenant, lui lança Ahmed en français avec un rire dans la voix.

Quentin leva les yeux au ciel tout en soupirant, retenant tout juste une réflexion qui n'aurait pas été très polie et, surtout, qu'il ne lui ressemblerait pas.

— Tu vois ? Qu'est-ce que je te disais ? répondit-il à son ami.

Il récupéra le sac à dos.

— On revient tout de suite.

Il grimpa à la suite de Bo alors que Jo avait du se retourner pour ne pas éclater de rire. Au moins, cela faisait une bonne distraction au reste.

L'escalier donnait sur un large palier au premier étage avant de continuer vers un second. Il y avait de longs tapis sur le parquet ancien. Ici, se mêlaient le moderne et l'ancien avec goût, que ce soit dans la décoration ou les meubles.

— A gauche sur le palier, lui indiqua Quentin en la rattrapant.

Bo s'arrêta brutalement en haut de la dernière marche et Quentin faillit lui rentrer dedans. Elle avisa le couloir et leva la tête.

— En faite... C'est un hôtel, dit elle perplexe.

— N'exagère pas. Il n'y a pas autant de pièces que ça.

Il y avait bien plus grand. La demeure en Provence, par exemple, comptait deux fois plus de pièces qu'ici.

Elle se tourna pour le regarder. Elle était à sa hauteur du haut de sa marche.

— S'il y a plus de chambres que d'habitants dans la maison. C'est un hôtel, affirma-t-elle.

— Tu n'as jamais entendu parler des chambres d'amis ?

Il lui désigna le couloir de gauche du menton.

— C'est la deuxième à droite. Ta chambre donne sur l'arrière de la maison.