Chapitre 8 - Paris

— Hmmm... Ce matin tu as une réunion à 9h... Je peux la décaler à 9h30... Ou tu préfères 10h ?

Elle ajouta :

— Si tu ne pars que dans trois quart d'heure, tu vas tomber dans les bouchons alors dix heures c'est peut être plus sûr.

— Qu'est ce que je ferais sans toi ? 10h ça sera très bien. Vois avec Ahmed pour qu'on déjeune ensemble tous les trois ensuite. On a beaucoup de choses à voir.

Il avait fait venir une petite équipe à Port Hallen pour remplacer Michael et Franck qui avaient accompagné Dimitri à New York. Ils étaient là-bas pour protéger les Hendricks, mais aussi pour essayer de retrouver la trace de la sorcière qui les avait attaqués, si elle était encore sur place. Le sortilège de traçage qu'il avait lancé n'avait mené à rien comme il s'y était attendu.

— Okay. Je t'envoies par e-mail le topo pour la réunion, c'est Sabrina qui l'a rédigée et elle a ajouté les personnes qui seront présentes. Cet après-midi, tu auras aussi un rendez-vous avec le représentant de plusieurs familles. Olivier a traité avec eux ces derniers jours mais ils veulent un renforcement dans leur sécurité... En faite, pour être honnête Monsieur Lehman souhaite que tu assures toi-même le boulot, apparemment il connaissait un des sorciers qui s'est fait siphonné et il flippe grave.

Elle ajouta :

— Ce soir il assiste à un gala de charité où il doit faire un discours.

— Fantastique... soupira-t-il. C'était à prévoir. ça doit être la panique.

Il se passa la main sur le visage. Il ne pourrait pas refuser la demande de Lehman et ce dernier ne serait pas le seul à exiger sa présence.

— Dis moi, tu n'es pas déjà en route pour venir ici ?

— Non... mais si je dois c'est pas un soucis, je prendrais ma moto, dit elle.

Elle jeta un oeil vers sa petite soeur.

— Kelhya prendra le bus si y a besoin.

— Non, ne te dérange pas, ça va aller. On se retrouve au bureau. Passe le bonjour à Kelya. A tout à l'heure.

Il raccrocha avec le sentiment que la situation ne faisait qu'empirer.
Il ressortit de la salle de bain un peu plus de 10 minutes plus tard, rasé, peigné et habillé. Il ne manquait plus que la cravate et la veste pour compléter la panoplie de l'homme d'affaires.

Bo n'était plus dans sa chambre. Elle avait laissé une paire de boutons par terre, bien au centre. Autour, elle avait tracé un cercle avec des livres comme pour les protéger.

Quentin s'arrêta net en voyant ça. Qu'est-ce qu'elle avait fait avec ses livres ? Il ramassa les boutons de manchette sans vraiment regarder ceux qu'elle avait choisis d'abandonner par terre et les fixa à sa chemise, puis s'occupa de ranger les livres. Il n'était pas vraiment contrarié, mais il n'aimait pas qu'on fasse n'importe quoi avec ses affaires.
Il quitta la chambre, son portable à la main et sa veste sur le bras.

Gwen était la seule à déjeuner en bas. Comme in était samedi Capucine ferait sûrement la grasse matinée.

— Tu es en retard non ? s'étonna sa mère en voyant que Quentin était encore là.

— Un peu. J'ai décalé ma réunion, fit-il après lui avoir dit bonjour.

Il prit place à table et se servit un café. Il n'avait finalement pas terminé le premier.

— Tu as bien dormi ?

Elle hocha la tête.
Ils discutèrent un peu du programme de chacun pour la journée avant de s'étonner de ne pas voir arriver Annie avec le petit déjeuner de Quentin.

— Je ne sais pas ce qu'elle fait, elle m'avait dit en amenant le café qu'elle apportait les toasts, dit elle.

Cela répondait certainement à la question de où était Bo. Il aurait dû se douter qu'elle était déjà redescendue.

— Je vais voir. Au pire, je m'en passerai.

Il regarda sa montre en se levant de table. Il était encore dans les temps.

— Je soupçonne qu'elle ne soit pas seule en cuisine.

Bo était dans la cuisine à côté d'Annie. Elle s'était visiblement changée même s'il y avait encore une petite algue sur sa jambe nue. Elle observait chacun de ses gestes avec attention. Les toasts étaient prêts mais attendaient sur le plan de travail.

— Mais justement si c'était comme de la famille, il n'y aurait pas d'argent entre vous. Je crois qu'aucun être humain ne devrait être asservi de cette manière. La domesticité c'est accepter que certaines personnes puissent avoir un rôle supérieur aux autres. Un rôle qui les oblige à ignorer comment se nourrir, prendre soin d'eux-même et de leur foyer... C'est dérangeant quand même... Et là vous avez mis quoi dans la viande ?

— Une gousse d'ail. Puisque vous refusez que je monte en haut, vous devriez vraiment porter le plateau dans la salle, mademoiselle...

— Bo. Et oui, je vais le faire... Mais vous savez Annie, s'ils ont faim ils finiront par venir. Dimitri ne peut pas faire longtemps la gueule quand il sent une bonne odeur de cuisine.

— Une Anglaise qui veut faire la révolution, on aura tout entendu, fit Quentin en entrant dans la cuisine.

Il prit un toast pour mordre dedans. Il ne s'était pas rendu compte qu'il avait en réalité assez faim.

— Ne vous laissez pas faire, Annie.

Quentin aimait beaucoup Annie. Elle faisait partie de son cercle familial étendu, de son univers. Enfant, il ne s'embarrassait pas toujours de savoir qu'elle travaillait pour eux et il lui était arrivé de passer du temps dans la cuisine à l'observer par simple curiosité ou à lui poser des milliards de questions. Elle avait toujours été gentille avec lui, ne faisant aucune différence entre lui, Eric ou Alexis. Avec les années, bien évidemment, une distance plus respectueuse s'était instaurée naturellement.

— Vous voyez, il a bien fini par venir manger à la cuisine. C'est le plus logique, dit Bo en haussant les épaules.

Elle alla chercher une assiette et la posa devant Quentin. Elle enleva le bol. Il y a trois pancakes dedans.

— On mange rarement dans la cuisine dans cette maison.

Mais il se doutait que c'était un concept étranger pour elle.

— C'est toi qui les as fait ? demanda-t-il à Bo en désignant les pancakes.

— Bien sûr. Je les ai fait ce matin mais Annie les a fait réchauffé pour que je les monte avec les toasts.

Elle lui sourit.

— Moi je les mange avec de la confiture de myrtilles mais j'en ai pas trouvé ici...

Annie vit Quentin répondre au sourire de Bo. Cela lui rappela l'enfant qui venait parfois s'isoler dans sa cuisine autrefois.
Déjà à l'époque, il ne se permettait que rarement un sourire franc, contrairement à Eric, Alexis ou Noé. Il était toujours discret, posé, strict avec lui-même autant que son père l'était avec lui. Pourtant, parfois, quand ils n'étaient que tous les deux à la cuisine, il lui arrivait de ressembler plus à un enfant de son âge, avec ses questions, son envie de découvrir un autre univers et ses sourires ravis lorsqu'elle lui préparait son gâteau préféré. En grandissant, elle l'avait vu perdre cette facette-là, surtout depuis qu'il travaillait et encore plus après la mort de son père.

— On doit pouvoir en trouver pour une prochaine fois.

De sa cuillère en bois, Annie désigna à Bo la confiture de poires à la badiane sur le plateau.

— Essayez avec celle-là, mademoiselle, vous m'en direz des nouvelles.

Il n'y avait que Quentin qui en mangeait dans cette maison. Noé, lui, préférait la pâte à tartiner et la confiture de framboises. Eric, c'était l'orange et Alexis l'abricot.

— Demain. Ceux-là, je les ai fait pour Quentin.

Elle posa le pot devant lui. Elle le regarda et lui demanda avec une hésitation.

— Tu seras absent toute la journée ?

Quentin avait remercié Annie d'un regard et s'occupa de tartiner son pancake de confiture.

— Et ce soir aussi. Ce n'était pas prévu, mais je n'ai pas le choix.

Il avala une bouchée.

— Très bon. Je devrais rentrer dans la nuit ou demain matin.

— Oh... Et je ne peux pas venir ce soir ? Demanda-t-elle.

Mais elle sentait qu'il ne voudrait pas se laisser déconcentrer sur son lieu de travail.

— Non. ça pourrait être dangereux.

Si elle l'accompagnait, il savait qu'il ne pourrait se concentrer sur rien d'autre.

— Demain, je t'emmènerais faire un tour. Maman te fera faire la visite de St Germain aujourd'hui.

— Demain ? Promis ? Demanda-t-elle en plongeant ses yeux dans les siens.

— Promis.

Il finit son pancake et tartina le second.

— Si tu as besoin de quoi que ce soit, demande à Maman. De l'argile, par exemple, fit-il avec un petit sourire.

— Tu trouves que je n'ai pas une assez jolie peau ? Dit elle en montrant ses joues.