Chapitre 5 - Debriefing

Le soir même - Port Hallen

Quentin était retourné à l'hôtel. En chemin, il avait contacté Michael et Franck pour leur donner ses instructions. Le premier veillait sur la maison de Gills, le second sur celle d'Irina. Tous les deux avaient profité de la journée pour déterminer un périmètre magique de sécurité. Agir sur son terrain professionnel lui permettait de distraire ses pensées de Bo.
Le Français laissa la voiture sur le parking de l'hôtel et remonta à sa chambre. Il avait envoyé un sms à Alexis pour lui demander de l'y rejoindre.

Alexis était dans sa chambre. Il avait eu la sensation que sa vessie n'avait pas de fond. Et après ça, il avait vomi encore et encore. Maintenant il avait une migraine effroyable. C'était Dimitri qui l'avait ramené. Il avait dû subir ses vannes et ses moqueries.
Maintenant il était au calme et attendait que les cachets face effet. Il avait tiré les rideaux, vêtu uniquement de son jean. Il avait reçu les sms de Quentin et y avait répondu d'un "ok".
Il se sentait perdu depuis son arrivée ici. Tout ce qu'il apprenait d'Eric ne correspondait en rien à celui qu'il avait connu depuis son enfance. Sa nana était insupportable et n'avait aucune envie de le connaitre. Pire elle arrivait à faire faire des trucs bizarre à Quentin... Même cette tarée de Joanna ne parvenait pas à le changer et Ahmed avait à peine réussi à l'entrainer dans quelques soirées arrosées durant leur adolescence.
Il n'avait plus aucun repère et personne de son côté. En plus, depuis qu'il était ici, il avait des sensations de déjà-vu étranges et perturbantes. Peut être à cause de son lien avec Eric.

Quentin entra dans sa chambre après avoir frappé.

— ça n'a pas l'air d'aller très fort. Gueule de bois ?

— Hmmm.

Il ouvrit un oeil pour le regarder.

— Qu'est-ce que tu as fait de la fille ?

— Elle est rentrée chez sa mère. Franck s'en occupe.

Il s'assit sur la chaise pas loin du lit.

— Elle m'a emmené à l'atelier d'Eric. Je pensais y retourner avec toi, je n'ai pas eu le temps de fouiller.

— Son atelier.

Il eut un sourire amère. Il avait entendu cette histoire comme quoi Eric avait développé une passion pour le bois. Ça aussi c'était nouveau et ça l'excluait un peu plus.

— T'as appris des trucs ?

Quentin soupira, étirant ses jambes et mettant ses mains dans ses poches.

— Pas vraiment. Elle soutient qu'elle était seule avec Eric quand il est mort et elle s'en tient à la version du rapport du légiste de Bristol.

Il repensa à ce qui s'était passé à l'atelier, à la façon dont elle l'avait provoqué et testé et à sa réaction à sa réponse.

— Tu la crois ? demanda Alexis en se redressant pour le regarder avec plus d'attention.

Il ne voulait pas qu'elle mette aussi ses pattes sur Quentin. Qu'elle lui retourne la tête à lui aussi. Pas que Quentin compte pour lui mais ce serait perdre un peu plus.

— Je crois qu'elle s'accroche à cette version. Il y a quelque chose qu'elle ne veut pas dire et je n'arrive pas à deviner quoi. En tous cas, je pense que ça lui fait peur.

C'était frustrant, mais il espérait qu'elle allait réfléchir à ce qu'il lui avait dit. Il souhaitait réellement gagner sa confiance pour mieux la protéger.

— Je suis de plus en plus persuadé que quelque chose est arrivé aux environs de Noël et que c'est ça qui a changé Eric.

Il avait expliqué à Alexis la veille ce que le notaire lui avait révélé sur le comportement étrange d'Eric.

— Depuis tout à l'heure, j'essaye de repenser à ce qu'il m'a dit à Londres, si j'avais raté un détail, un mot qui pourrait nous mettre sur une piste. Je sais qu'il m'a parlé d'une magie puissante qui serait liée à la mort de mon père et François. Elle pourrait... quel était le terme déjà ? Pas posséder... Hanter. Oui, c'est ça : une magie qui pourrait hanter. Il n'en a pas dit plus, mais est-ce qu'il n'en aurait pas été victime ?

— Hmmm enfin à part ce notaire, personne n'a dit qu'il était différent depuis Noël...

Il se frotta le visage. Il lui faudrait une bonne douche.

— Enfin je suis pas sûr que faire tout ce que veux cette fille ce soit le meilleur moyen pour la mettre en confiance.

— Je ne fais pas tout ce qu'elle veut. Je m'adapte.

Il avait accepté la concession vestimentaire parce que Joanna lui avait dit qu'il serait plus accessible et cela s'était avéré vrai.

Alexis n'avait pas l'air convaincu.

— Je ne t'ai jamais vu regarder les suspects dans notre boulot comme tu la regardes elle.

Il était bien plus gentil avec cette fille qu'avec lui.

— C'est la compagne d'Eric, répondit-il en haussant les épaules. Mais je n'oublie pas qu'elle est aussi sur la liste des suspects. Tu t'inquiètes pour moi ?

Quentin avait du mal à y croire au vu de leurs relations.

— Ouais. Moi je peux me planter. Toi, si tu te plantes ce sera la cata, dit il en se levant.

Quentin fut surpris de la lucidité d'Alexis car il n'avait pas tort.

— Je fais très attention.

Il n'allait pas lui raconter ce qui s'était passé à l'atelier, ni le pari risqué qu'il avait pris concernant Bo, il piquerait une crise ou le traiterait d'inconscient.

— Et toi, comment tu vas ?

Il ne doutait pas que le choc soit dur à encaisser pour Alexis. Lui-même avait encore du mal avec la vie qu'Eric s'était choisie.

— J'ai hâte de rentrer. On trouvera rien ici. A part des désillusions. Je vais me doucher.

Il entra dans la salle de bain.

Quentin sortit de la chambre pour rejoindre la partie commune. Pour sa part, il était prévenu depuis Londres qu'Eric avait changé, que sa vie ici serait très différente de la leur et qu'Alexis n'y aurait probablement pas sa place. Mais pour le Substitut, ce devait vraiment être difficile à vivre et cela ne risquait pas d'arranger son instabilité.
Il soupira. Bo attendait un enfant d'Eric, mais il était hors de question de le lier à un Substitut, même s'il n'en avait encore parlé à personne. Eric ne voulait plus de cette vie-là, alors il ne permettrait pas que son fils subisse la même chose. De toute façon, il faudrait attendre qu'il ait au moins 7 ans et d'ici là, les Bergerac finiraient tous en asile psychiatrique. Quentin allait devoir prendre une décision en rentrant concernant ce point. Se lier à Alexis lui déplaisait fortement, mais s'ils n'avaient pas de solution immédiate pour empêcher la folie chez les Bergerac, cela deviendrait nécessaire.

Son téléphone portable sonna et le nom d'Ahmed apparut sur l'écran.

Il décrocha aussitôt et se rendit à sa chambre dont il ferma la porte.

— Dis moi que tout va bien de ton côté, commença-t-il en s'asseyant sur le bord de son lit.

— C'est pas pire que quand Joanna a appelé, dit il. Ça ne se passe pas bien du tien ?

— ça n'avance pas beaucoup.

Est-ce qu'il pouvait dire à Ahmed ce qu'il ne disait pas à Alexis concernant Bo ?
Il lui résuma la situation en quelques mots, lui racontant l'attaque de la veille et la journée qu'ils avaient passé. Finalement, il lui parla du pari qu'il avait pris.

— Elle me testait, mais je sentais pas de danger.

— De toutes manières, qu'est-ce que tu voulais faire d'autre ? Elle ne t'a pas attaqué. Si tout ce que Noé te disait était vrai, tu serais mort d'une potion depuis longtemps... Si elle voulait faire tout ce qu'elle a suggéré, elle l'aurait fait point barre.

Il soupira à la mention de frère.

— Elle aurait eu plus d'une opportunité, en effet.

Il hésita, puis le confia :

— Mon instinct me pousse à lui faire confiance. Il faut que je me répète sans cesse qu'elle peut être suspecte pour ne pas le perdre de vue. C'est... Elle n'est pas une sorcière, la seule magie que j'ai sentie est celle du bébé. Elle n'a pas d'objet de pouvoir sur elle, je ne détecte aucun sortilège. J'ai vérifié si on m'en avait jeté un, mais rien. Pour couronner le tout, Alexis s'inquiète pour moi.

Cette dernière mention fit sourire Ahmed et Quentin le devina au ton de sa voix quand il demanda :

— Vraiment ?

Il ajouta avec un plus grand sourire alors :

— Elle est de type méditerranéenne ? Italienne ou espagnole ?

Quentin leva les yeux au ciel.

— Arrête avec ça, ça n'a rien à voir, répondit-il sans contrariété pour autant.

Il s'allongea sur le lit et envoya une des photos prises par Michaël à Ahmed.

— Ce n'est vraiment pas ça, répéta-t-il. Je veux dire, elle est agréable à regarder, mais ce n'est pas mon type de femme.