Chapitre 7 - Menace nocturne

— Je m'en étais rendu compte.

Il garda la tasse entre ses deux mains pour éviter de reprendre la sienne. Lui qui ne faisait que très rarement ce geste, et encore fallait-il qu'il soit avec la personne depuis longtemps et en privé seulement, trouvait qu'il avait un peu trop envie de le faire avec elle.

— Je ne pourrais pas grand-chose pour ça, mais pour le français, on trouvera un moyen. Ma mère et mon frère parlent anglais de toutes manières. Avec eux, les choses se passeront bien.

Ce n'était pas Gwen ni Noé qui lui posait souci, même si le petit dernier avait son sale caractère. Le reste de la famille en revanche...

Elle le regarda encore. Partir dans un pays étranger avec lui. C'était une idée qui aurait dû l'effrayer. Pourquoi ne parvenait elle pas à se méfier de lui ?

— Elle s'en est pris à toi avant que tu arrives pour me sauver ?

Elle vit ses sourcils se froncer, mais il arrêta, touchant sa tempe pleine de sang séché.

— Elle m'a eue cette fois.

Elle sentit sans mal sa contrariété à ces mots.

— Mais je vais renforcer mes défenses et les tiennes aussi. ça n'arriverait plus.

Bo se leva et s'approcha pour toucher sa tempe du bout des doigts. Elle observa la blessure.

— Tu soignes toujours les autres... Mais qui te soignes-toi ? demanda-t-elle.

Il eut un léger rictus de douleur quand elle y toucha.

— Je me débrouille seul en général. Une fois désinfecté, ça ira mieux.

Une fois à l'hôtel, il mettrait de la potion préparée par sa mère. Il en avait toujours en réserve dans sa valise.

Elle regarda autour d'elle et soupira devant le peu de choses qu'elle possédait. Elle mouilla le bout d'un torchon et s'approcha pour nettoyer doucement.

— Je suis désolée. A part de l'eau et du savon, j'ai rien... Et désinfecter à la bière ça me semble limite...

Il lui jeta un oeil. Il n'y avait pas grand-monde qui s'était permis ce genre de geste avec lui.

— Merci. Ne te sens pas obligée...

— Il y a un petit éclat de verre.

Elle le retira très délicatement et en enleva quelques uns coincé dans ses cheveux au passage. Elle essuya le sang avec une extrême douceur. Se permettant de découvrir son visage de plus près.

— Merci de ne pas avoir brûlé cette maison, finit elle par dire en lui souriant.

Il avait tout un tas de petites coupures sur le visage, mais elles ne saignaient plus.

— C'est la spécialité d'Alexis, ça.

Il se surprit à répondre à son sourire, plus légèrement évidemment.

— Par contre, il y a une voiture encastrée dans la porte de la maison.

— Oh?

Elle pencha la tête sur le côté et répéta plus gravement :

— Oh...

Elle soupira longuement.

— Il est vraiment temps que je parte d'ici. J'espère qu'on va pas ravager ta maison à Paris.

Elle mouilla à nouveau le torchon et acheva avec des gestes très doux de remettre Quentin autant en état qu'elle le pouvait avec de l'eau du robinet.

Le jeune homme se laissait faire. C'était curieusement agréable.

— Vu le nombre de pièces et la taille du jardin, tu auras de quoi faire, plaisanta-t-il.

Il ferma les yeux un instant. Eric avait craint d'emmener Bo à Paris. D'après lui, l'origine du danger était là-bas. Seulement, il ne voyait pas d'autre solution. Sur son terrain, il serait avantagé, il aurait Ahmed, Jo et sa mère à ses côtés pour protéger Bo, le bébé et Dimitri.
Il releva les paupières pour la regarder alors qu'elle continuait avec son torchon.

— Tu vas rester ici jusqu'à ce qu'il se réveille ?

— Oui. Il... Une fois il s'est passé un truc... mais je ne sais pas pourquoi il s'en souvient pas. Moi c'est un peu trouble parce que j'avais beaucoup bu... Il aurait pu mourir. Je voudrais juste qu'il se réveille en croyant qu'on a passé une merveilleusement nuit ensemble... Je me moquerais parce qu'il aura rien entendu de la tempête... Et il sera pressé de rentrer pour emmener ses enfants à l'école avant de prendre le boulot. Une vie normale. Et je pourrais en disparaitre.

Elle reposa le torchon sur la table.

— Tu peux dormir un peu sur le canapé, dit elle en montant le clic-clac.

Il attrapa sa main doucement.

— C'était quoi ce "truc" ?

Parce qu'il avait bien senti que la mémoire de Connor avait déjà subi un effacement ou une modification. C'était une trace très légère, à peine perceptible. Quentin ne comprenait d'ailleurs pas comment il avait pu la déceler sans la chercher. C'était presque comme une magie familière, mais ce n'était pas celle d'Eric, ni des de Lyonesse en général.

— Je ne sais pas...

Elle réfléchit à ce qu'elle avait pu ressentir. C'était différent et c'était noyé dans l'alcool. Il y avait eu cette voix dans sa tête qui disait des choses étranges la concernant.

— Quelque chose m'a protégée et a empêché Connor de se faire tuer. Mais... Il ne raconte pas la même chose que moi. Pas qu'on ai souvent parlé de cette nuit mais... Beaucoup de choses ont changé après ça...

Elle le regarda.

— Je sais que ce que je dis n'a pas de sens. J'ai... Je sais que je ne réponds jamais vraiment à tes questions. Je te donne des pièces de puzzle qui ne s'emboite pas, murmura-t-elle.

— Est-ce que tu répondras à celles-là : pourquoi étais-tu en danger ? Qui a essayé de tuer Connor ?

Il avait demandé cela avec douceur, ne voulant pas qu'elle recule à nouveau comme l'animal craintif qu'elle était encore.

Comment pourrait-elle lui répondre : ton frère ? Alors qu'elle ne savait pas réellement si Eric était devenu fou ou possédé comme Kelly...

— Je ne sais pas.

Et ce n'était pas vraiment un mensonge dans le fond.

— Kelly est morte mais cette nuit elle a essayé de me tuer alors comment je pourrais savoir, dit elle.

Encore une fois, elle lui cachait des choses. Son instinct le lui dictait. Cela dit, il ne s'était pas réellement attendu à ce qu'elle lui dise tout non plus. Il espérait seulement que le jour où elle lui parlerait, il ne serait pas trop tard.

— Ce n'était pas Kelly, cette nuit. C'était quelqu'un qui avait revêtu son apparence. Une illusion.

— Et comment je saurais que cette personne ne le fait pas avec toi ou avec Alexis... ou mon frère ?

C'était une idée tellement angoissante.

Son inquiétude était légitime.

— Il doit exister un moyen de se prémunir de ça. Je chercherais en arrivant à la maison.

Peut-être qu'il devrait demander à Jo si elle avait une idée. Après tout, prendre l'apparence des autres était sa spécialité.

— Mais en attendant... On peut avoir un code. Un truc que je te dis et que tu réponds et je suis sûr que c'est toi...

Elle réfléchit.

— Siège arrière et tu me réponds inapproprié...

— Je sens que je vais en entendre parler pendant des jours de cette histoire, constata-t-il simplement.

Une autre idée venait de germer dans son esprit, mais il faudrait attendre d'être à Paris pour cela.

— Faisons comme ça en attendant.

Elle lui sourit.

— Elle ne reviendra pas  cette nuit ? demanda-t-elle en regardant la chambre.

— Non. Tu peux aller dormir si tu veux. Je vais aller poser de nouvelles protections autour de la maison, fit-il en se levant, sans lâcher sa main.

Il devait aussi regarder s'il y avait une trace de magie à suivre, même s'il ne bougerait pas d'ici.

Elle n'était pas sûr de réussir à s'endormir mais il fallait bien qu'elle essaie.

— D'accord. Tu restes pas loin ? Insista-t-elle.

— Je reste devant chez toi. Je ne bouge pas, lui assura-t-il.

Il dut faire un énorme effort pour lâcher la main de Bo. Il n'en avait pas envie. Il n'avait envie non plus de s'éloigner d'elle et de ne pas l'avoir dans son champ de vision. Ce devait être un effet secondaire de cette attaque qui avait failli être fatal à la jeune femme.