Chapitre 4 - Causes et conséquences

— Je suppose que c'est ce que je fais oui, murmura-t-elle.

Et le pire était derrière elle maintenant. Enfin quand on voyait ce qui l'avait attaquée cette nuit, elle n'en était plus si sûr. Est-ce qu'Eric n'était pas mort ? Est-ce qu'il avait survécu d'une autre manière ? Comme un fantôme pouvant tout posséder ? Cette idée était terrifiante. Elle était fatiguée de se battre sans cesse contre des choses qui la dépassait.
Elle se gara devant un immeuble.

— C'est ici, dit elle en montrant le hangar du rez-de-chaussé.

On en discernait une partie de la verrière qui donnait à l'arrière sur un jardin. La façade de devant faisait assez délabrée. Elle sortit les clés et lui donna.

— Il n'y est pas revenu depuis Noël. Enfin pas pour travailler.

Cela n'intéressait pas le moins du monde Eric. Mais elle ne doutait pas qu'il ait tout retourné ici dans le cas où elle soit venue.

Quentin la remercia en prenant les clés, observant les lieux.

— Pour faire quoi, alors ? demanda-t-il, intrigué par sa précision.

Noël semblait être un moment clé pour comprendre ce qui s'était passé.
A chaque fois, il semblait qu'il y ait eu un avant et un après les fêtes.
Un basculement entre l'homme heureux que Quentin avait rencontré à Londres quelques jours avant et celui, dur et paranoïaque, dont Maître Hurley lui avait parlé. Quelque chose qui expliquerait peut-être pourquoi Eric ne les avait jamais appelés comme il l'avait dit.
La conversation au pub le lui avait encore démontré. Il avait écouté les anecdotes avec attention et aucune ne semblait dater de ces derniers mois. S'il n'y avait eu que Dimitri, il aurait pu simplement penser que c'était parce que le jeune homme était à Londres, puis à New York avant la mort d'Eric, mais il y avait les jumeaux... Ils n'avaient cependant rien dit de négatif sur son frère, ni sous-entendu qu'il ait pu changer de comportement, comme si seul Hurley l'avait noté. Hurley et, peut-être, la personne vivant avec lui.
Plus il y pensait, plus il était persuadé que Bo savait de quoi il retournait, d'une manière ou d'une autre.

— Je ne sais pas trop. Peut être pour avoir la paix, dit elle avec un léger sourire.

Quand ils entrèrent, une odeur de renfermé et de bois les assaillirent. L'atelier était spacieux et la verrière donnant sur un jardin sauvage et peu entretenu mais possédant des traces d'un ancien jardinier en al présence de rosiers et de massifs de pivoines, apportait une lumière très agréable.

— Je ne venais pas ici. Parfois je l'accompagnais mais j'allais trainer en ville. C'était son coin à lui, dit elle en observant les lieux.

Il y avait des outils, des machines permettant la découpe, le ponçage ou le maintien de certaines pièces. Une très jolie coiffeuse art déco n'était pas tout à fait terminée. Quentin en s'approchant discerna dans le bois, le prénom sculpté et calligraphié de sa mère.
Bo en profita pour refermer discrètement, en s'appuyant contre les tiroirs du bureau ouverts à la volée.

Il sourit légèrement en voyant la coiffeuse et ne put s'empêcher de passer la main sur le bois.

— Il travaillait vraiment le bois, fit-il comme s'il n'y avait pas vraiment cru jusque là malgré son cadeau de Noël.

— Oui. Ça l'a pris d'un coup. Il est allé voir ce que faisait un des copains marin de mon père, il lui a montré et... il ne s'est plus arrêté. Il disait qu'il ne pensait à rien quand il faisait ça.

En avançant, il trouva quelques projets finis. Des meubles miniatures, un cadre, un tabouret et deux essais de boite comme la sienne moins bien réussi.

— Les étagères du fond c'est lui aussi.

Cette plongée dans le monde d'Eric était un coup dur pour Quentin malgré tout. Cela lui rappelait que son frère n'était plus là et qu'il ne pourrait jamais le découvrir comme Bo l'avait connu.
Il déambula dans l'atelier en silence, essayant de refouler ces pensées-là et les émotions qui allaient avec.
Finalement, il se retourna pour regarder la jeune femme, plus sérieux et plus tendu que les heures précédentes.

— Miss Hendricks... Bo.

C'était la première fois qu'il l'appelait pas son prénom.

— Je sais que vous ne voulez pas vraiment en parler, mais il y a des choses que j'ai besoin de savoir. Vous vous doutez bien que je ne suis pas venu jusqu'ici uniquement pour vous rencontrer ou vous proposer de l'argent pour vous et l'enfant. Je cherche l'assassin d'Eric ou une piste en tous cas.

Tout en parlant, il observait Bo. Son ton n'avait rien eu d'accusateur.

— D'après son notaire, Eric avait beaucoup changé ces derniers mois. Il avait du mal à le reconnaître.

Bo était très calme, ses yeux bleus l'observaient avec attention et quand il s'adressa à elle, elle ne changea pas d'attitude. Elle s'assit un peu plus sur le bureau, laissant ses jambes nues battre doucement contre le meuble.

— Eric est mort d'un arrêt cardiaque après une crise de colère. Le médecin légiste m'a dit qu'il souffrait d'une maladie, quelque chose de très rare qui avait pu occasionner des troubles. Comme un changement d'attitude, des sautes d'humeur. Il pense que l'état de son corps est dû à un vieillissement précoce, peut être à cause d'un virus ancien qu'il aurait pu contracter lors d'un de ses voyages avant son arrivée.

Les gens avaient été très fort pour lui trouver tout un tas d'histoires, de théories pouvant ancrer les choses dans la réalité la plus scientifique possible.

— J'étais seule avec lui sur cette plage. Personne d'autre n'a surgi pour lui faire du mal. Pas de golem. Pas d'autres créatures. Il n'y avait que moi, dit elle. sans lâcher son regard.

— Il n'y avait que vous.

Est-ce à dire qu'elle était l'assassin d'Eric ? Il n'arrivait pas à l'imaginer. Encore une fois, son instinct et sa raison bataillaient à son propos.

— Pourtant, quelque chose ou quelqu'un l'a tué et la magie était impliquée. Nous avons fait notre propre autopsie et il n'y aucun doute là-dessus.

Il s'approcha de quelques pas, toujours sans la quitter des yeux. Il n'était pas menaçant, mais elle pouvait voir qu'il s'était à nouveau retranché derrière une distance toute professionnelle.

— Il s'est passé quelque chose sur cette plage, et peut-être même avant pour qu'Eric change, pour qu'il ait ces "sautes d'humeur" comme vous dites. Il a pu être ensorcelé, maudit, possédé... Je sais qu'il enquêtait sur un problème familial depuis des années et quand je vois ce qui s'est passé hier soir, il est évident que rien n'est terminé.

— Je ne connais rien à la magie. Je ne saurais vous en dire plus que ce que je viens de faire, dit elle en faisant arrêter de bouger ses jambes.

Elle restait très calme et ses yeux limpides, insondables. Elle le regarda approcher et étudia ce mur qu'il savait poser sur son visage. C'était aussi efficace que ses costumes. Et comme eux, ce n'était pas ce qui lui allait le mieux.

Avait-elle conscience qu'il pourrait lancer un sortilège de vérité pour l'obliger à parler ? Difficile à dire. Pourtant, il se refusait à utiliser cette méthode. Elle n'apprécierait guère et si elle était simplement une victime collatérale de l'enquête d'Eric, il avait besoin qu'elle lui fasse confiance.

— Je vais me répéter, mais je ne suis pas votre ennemi, Bo, dit-il avec sincérité.

Peut-être était-elle le sien en revanche, il ne devait vraiment pas perdre cela de vue.

— Peut-être qu'en effet, vous n'en savez pas plus que cela, peut-être pas... Peut-être aussi que je fais fausse route et que cette histoire de golem n'était qu'une diversion pour que je ne vous suspecte pas.

Il s'appuya contre l'établi, posant ses mains sur le bois.

— Mais si vous n'êtes pas derrière cette attaque, ils reviendront. Pour vous, votre enfant ou parce qu'ils cherchent quelque chose qu'Eric avait. Les de Lyonesse protègent les leurs. Vous en faites partie et par extension, toute votre famille.

— Et si je suis derrière tout ça et que l'attaque du Golem ne visait qu'à me débarrasser de vous ? demanda-t-elle avec curiosité.

— Alors, nous aurons un gros problème car vous portez l'enfant d'Eric et que je lui donnerais la priorité.

— Et tu vas faire quoi ? L'arracher de mon ventre et le placer dans celui d'une autre ? Ou alors tu attendras que je le mette au monde pour le prendre et me tuer ? Demanda-t-elle.

Elle n'oubliait pas tout ce qu'Eric avait pu sous-entendre sur sa famille et le fait qu'elle ne devait pas se faire d'illusions, elle ne trouverait pas d'aide en se tournant vers eux.

Il parut légèrement choqué à sa première proposition.

— Je ne suis pas un barbare et encore moins un bourreau.

Il n'avait pas réfléchi jusque-là. Il existait des sorts de contrainte, des sorts qui la mettrait hors d'état de nuire le temps que sa grossesse se termine et sa mère connaissait certainement quelques potions pour l'endormir ou la rendre docile. Mais pourquoi simplement y penser lui déplaisait à ce point ?

— Alors quoi ? M'assigner à résidence ? Mais pour ça il faudrait savoir ce que je suis exactement... Comment j'ai pu tuer Eric de cette manière ? A quelle fin ? Que ferais-je de cet enfant ? Est-ce que je travail pour une organisation ? Est-ce que j'ai pour idée de le sacrifier et de m'emparer de ses pouvoirs car je n'en ai pas moi-même ?

Elle descendit du bureau et s'approcha de lui pour venir se planter juste devant lui, le forçant à lâcher l'établi.

— Si je suis aussi mauvaise que bien des gens le racontent, je t'ai peut être amené ici pour te faire la même chose qu'Eric pendant que mon frère se charge d'Alexis qui étant dans un état second à cause de l'alcool sera encore moins apte à se protéger que d'habitude...

Elle avait dit tout ça avec toujours le même calme et peut être même de la tristesse pour la seconde partie. Elle effleura sa main du bout de ses doigts.

— Peut être même que j'avais envie que tu restes en dehors de ça mais que tu n'as pas voulu écouter et que maintenant je suis contrainte d'en finir... Alors que vas-tu faire ? murmura-t-elle en le regardant.

Ses yeux n'avaient pas lâché les siens alors qu'il l'avait écoutée avec attention. Il avait déjà pensé à toutes ces éventualités sur le chemin. Pourtant, il n'écarta pas sa main, ni n'esquissa un seul geste. Il guettait la moindre trace de magie qu'elle pourrait déclencher, prêt à riposter si nécessaire, mais il ne pensait pas réellement courir un danger.

— Je vais parier sur Eric, répondit-il simplement.

Son frère lui avait dit qu'ils se ressemblaient et il ne comprenait pas encore exactement comment. Peut-être parce que, elle aussi, avait été jugée sans qu'on prenne le temps de la connaître.

— Il t'aimait vraiment et avait confiance en toi, fit-il sur un ton plus familier pour la première fois. Il voulait que je te protège si jamais il lui arrivait quelque chose, que je sois là pour toi.

Il bougea lentement la main pour attraper la sienne avec douceur, comme s'il avait affaire à un animal craintif.

— Et je lui ai promis que je le ferais, peu importe ce qui passerait.

Il la sentit tressaillir autant à ses mots qu'à son geste. Et comme il l'avait anticipé, elle recula comme un animal. Elle détourna les yeux et s'éloigna pour lui tourner le dos.
Comment Eric avait il pu demander ça ? Comment après tout ce qu'il lui avait fait ? Elle réalisa avec autant d'angoisse que d'effrois que sa première idée au lendemain de Noël avait pu être la bonne. Mais si Eric n'était plus Eric... Que ressentirait il s'il savait que ce qu'il avait pu craindre lui avait été fait... par lui-même.
Elle sentit les larmes lui nouer la gorge et ferma les yeux pour se reprendre. Ce n'était vraiment pas le moment de craquer. Ce n'était pas le moment de laisser qui que ce soit fragiliser ses remparts.

Elle l'entendit faire les quelques pas qui les séparaient. Il la sentait soudain plus fragile que ce qu'elle avait laissé entrevoir jusqu'ici. Très doucement, il posa ses mains sur ses épaules.

— Nous devrions rentrer.

— Garde les clés. Prends tout ce que tu veux ici... Le reste a brûlé dans ma maison. Je suis désolée de ne même pas pouvoir te donner de photos, dit elle d'une voix absente.

Il ne la lâcha pas, mais ses mains étaient légères sur ses épaules. Il ne cherchait pas à la retenir, juste à lui montrer que ce qu'il avait dit n'étaient pas des mots en l'air.

— Tu n'as pas à t'en faire pour ça.

Cela ennuierait sans doute leur mère, mais ils ne pouvaient de toute façon rien y faire. Il jeta un oeil à la coiffeuse. Il faudrait qu'il la fasse ramener à St Germain.

Elle eut encore un frisson et finit par se dégager. Elle ne voulait pas se laisser tenter à parler. Elle ne devait pas espérer du réconfort.

— Allons-y, dit elle.

Elle sortit de l'atelier. Donner les clés à Quentin était le mieux à faire. Elle ne voulait plus revenir ici. Elle ne voulait plus rien en lien avec Eric.

Quentin jeta un dernier coup d'oeil à la ronde. Il faudrait qu'il revienne ici sans tarder.
Il referma à clé et en profita pour laisser un sortilège pour l'alerter en cas d'intrusion. Puis, il rejoignit Bo.

— Veux-tu conduire pour le retour ?

Toute la légèreté de la journée était retombée entre eux, mais cette discussion avait été malheureusement nécessaire.

— Non c'est bon, dit elle en montant sur le siège passager.

Elle se retrancha dans le silence le plus complet. Appuyant sa tête de côté pour regarder la route droit devant elle.

Le retour se fit donc sans que ni l'un, ni l'autre ne parle. Régulièrement, le regard de Quentin quittait la route pour Bo.

— J'aimerais aller voir le golem avant de te ramener, fit-il alors qu'ils arrivaient à Port Hallen.

— Si tu veux. Je pourrais prendre mon vélo et rentrer comme ça. C'est une excellente solution.

Elle regarda son portable et se décida à rappeler Monsieur Hallinger.

— C'est Bo... La maison est toujours à louer ? Oui... Oui tout à brûler. Non... Non vraiment c'est pas moi qui ai mis le feu, Monsieur Hallinger, soupira-t-elle.