Chapitre 39 - Les Huldres

Vendredi 7 juin

Quentin avait passé une nuit blanche. Il avait brièvement pu parler avec Ahmed lorsqu'il était sorti de la salle d'opération. Il était sévèrement paralysé et d'après le médecin ne pourrait plus jamais marcher.
Son ami lui avait demandé de ne rien faire pour le moment. Il avait insisté sur le fait qu'il avait plus important à gérer. Il avait ordonné à Jo d'éloigner Quentin et de ne pas le laisser approcher puis avait demandé à recevoir son ordinateur dans la journée quand il aurait dormi un peu. Il avait également fait promettre aux deux hommes que sa femme ne soit pas alertée. Il souhaitait qu'elle reste en sécurité avec leur fille au Maroc.
Les jours de Dimitri n'étaient pas en danger mais l'équipe médicale souhaita le garder en observation pour un retour en fin de matinée. Il fit ensuite le tour du service pour soigner les cas les plus sévères avec pour seul limite de leur éviter la mort sans opérer un soin complet, les médecins prenant la suite.
Quand Jo le ramena avec sa petite soeur à Saint-Germain, il était épuisé et livide. Il le ramena dans sa chambre où Bo dormait paisiblement. Nhill et Syf avaient fait le nécessaire, non sans se disputer d'après Gwen ce qui avait provoqué la fin prématurée de certains bibelots, la femme Huldre semblant avoir la main leste quand on lui tapait sur les nerfs.
Elle s'était retirée dans sa chambre depuis mais souhaitait s'entretenir avec Quentin  quand il serait propre et frais.
Noé, de son côté, avait retrouvé Miu qui lui avait ramené une dague de lumière permettant de tuer n'importe quelle ombre. Elle ne réagit pas lorsqu'il lui fit remarquer qu'il était un peu tard et le laissa pour se venger sur le frigo. Thana le rejoignit un peu plus tard pour se confondre en excuse sur son absence. Laïus qu'il réitéra auprès de Gwen puis de Quentin.


Quentin ouvrit les yeux en même temps que Bo. Il sut instinctivement qu'elle était réveillée et qu'elle le regardait. Elle était pâle et semblait encore très fatiguée mais elle lui offrit un sourire chaleureux.

— On est tous en vie... Ou on est mort tous les deux ? Demanda-t-elle.

Allongé sur le côté, une main sous l'oreiller et l'autre sur le corps de Bo, Quentin était tout aussi pâle et exténué. Tout son corps était douloureux des blessures qu'il avait prises cette nuit et il était brûlant de fièvre. Heureusement pour lui, il n'avait pas été seul à traiter les urgences vitales de ses employés. Alors que Jean gérait les choses à DLS, Pierre l'avait aidé à hauteur de ses moyens, et il avait même fait mieux en exigeant que les de Lyonesse possédant le pouvoir d'absorption viennent donner un coup de main, peu importait s'ils étaient du côté de Quentin ou de Sophie. Le cousin d'Aurélien avait simplement dit que les problèmes de famille ne devaient pas faire perdre de vue le plus important et qu'il était de leurs responsabilités à tous d'éviter qu'il y ait plus de morts.

— On est tous en vie, murmura-t-il en répondant à son sourire.

Quentin mesurait la chance que les siens avaient eu de n'être que blessés, même si certains l'étaient plus sérieusement que d'autres. Jamais il ne se serait pardonné si l'un d'entre eux était mort. Ou si Bo avait disparu sans lui.

— C'est une excellente nouvelle, dit elle en caressant ses cheveux.

Elle s'étira et se tourna pour regarder l'heure sur son téléphone.

La mâtinée était très avancée.

— Comment tu te sens ?

Il ne bougea pas d'un millimètre, craignant de réveiller encore plus ses douleurs. Pourtant, il allait devoir se lever, s'habiller et aller gérer l'apocalypse de la veille.

— Faible. Peut être qu'un bon petit déjeuner arrangera les choses.

Elle le regarda avec attention.

— Qui tu as soigné ?

— A peu près tout le monde... Il y a eu beaucoup de blessés à DLS. Ahmed est paralysé...

Il soupira en repensant à son meilleur ami. Pourquoi était-il aussi têtu ? Mais Quentin n'avait pas dit son dernier mot. Il ne laisserait pas Ahmed longtemps cloué sur son lit d'hôpital.

— Dimi va bien. Il doit sortir à midi de l'hôpital.

Il lui semblait que Jo devait aller le chercher.

Elle se redressa dans le lit.

— Dimi ? Mais qu'est-ce qui lui est arrivé ?

Elle soupira.

— Je me souviens de rien après avoir été coincée dans ma propre bulle d'eau...

Quentin lui répéta ce que Capucine lui avait raconté dans la voiture, y compris l'intervention providentielle de Gwen sur son cheval d'eau.

— Il avait surtout besoin d'une transfusion. Noé s'est proposé pour atténuer sa blessure quand Dimi sera là.

Elle soupira et s'adossa à la tête de lit.

— Il va avoir besoin de vacances. De vacances au calme. Tu devrais lui offrir un petit bateau avec un beau skipper.

Il bougea pour poser sa tête sur ses cuisses.

— On va tous en avoir besoin. De vacances, je veux dire. Une fois que tu seras sauvée, on pourrait aller en Angleterre tous les deux, voir ta famille, nous trouver une maison...

— J'y ai pensé tu sais... Cette nuit. Je me suis dis que si je mourrais... Si Dimitri mourrait aussi... Notre père ne nous aurait même pas revu. Il ne saurait pas à quel point tu avais pu me rendre heureuse avant, soupira-t-elle.

Il tourna la tête pour la regarder et leva la main pour caresser sa joue.

— C'est fini tout ça. On est débarrassé de Gauthier, des Velikan... On va pouvoir se concentrer sur nous, aller passer du temps avec ton père. Vous m'emmènerez faire du bateau. Je veux découvrir ta vie là-bas, ton univers. Tu as assez vu le mien.

Il lui sourit avec tendresse.

— Epouse-moi, Bo.

— J'ai déjà accepté, lui fit elle remarquer. Entre deux attaques...

Elle laissa ses doigts glisser sur les contours de son visage.

— Mais si tu dois me le redemander plusieurs fois, essaie de trouver plus original. T'es même pas à poils, dit elle.

Il bascula sur le dos pour que ça soit plus confortable. Il pourrait rester des heures ainsi, à la regarder et à sentir ses doigts sur lui.

— Ce n'est pas l'envie qui m'en manque...

Seulement son corps ne suivrait pas ce matin. Il devrait peut-être demandé à Thana d'évacuer le mal dans son vide-ordure.

— Un jour mon frère m'a dit la même au sujet d'une bouteille de rhum... Il était livide, au-dessus de la cuvette et il voulait me faire croire qu'il avait envie de remettre ça.

Elle caressa son front.

Il ferma les yeux, appréciant sa caresse. Il attrapa sa main libre pour entremêler leurs doigts.

— Je t'aime, murmura-t-il au bout d'un moment.

Encore une fois, cette nuit il avait craint de ne plus pouvoir le lui dire.

— Si tu voulais m'épouser sans ça, ce serait un peu con quand même.

Elle réfléchit.

— Quoique tu aurais sûrement épouser une femme sans l'aimer si tu m'avais pas rencontré. Mais ça aurait été con.

Il rouvrit les yeux.

— Très, oui.

Vu sa nature, il aurait fini par s'accorder aux sentiments de l'autre, mais cela n'aurait jamais été comme ce qu'il ressentait pour Bo.

— Et toi, tu aurais épousé Monsieur Watson. ça aurait aussi été très con.

— Pourquoi ? J'étais amoureuse de lui, moi, protesta-t-elle en riant.

Elle ajouta en lui souriant.

— Et on aurait eu de beaux enfants...

Il sourit de plus belle en l'entendant rire.

— Non. Les nôtres seront bien plus beaux, fit-il avec assurance.

Elle etouffa un baillement.

— Tu n'obtiendras de moi ni mariage, ni enfants tant que je n'aurais pas petit déjeuner.

Elle le regarda.

— Annie est encore là ?

— Ma mère l'a peut-être rappelée ce matin. Sinon on demandera à Noé de nous faire des pancakes.

Voir son frère apprendre à en faire avec Bo et Dimitri avait été une véritable surprise. Noé n'avait jamais approché la cuisine autrement que pour en vider les placards et le frigo. Finalement, Quentin n'était pas le seul à avoir changé au contact des Hendricks.

— Tu m'accompagnes sous la douche d'abord ?

Il se sentait poisseux de fièvre et il devait avoir de la poussière de golem partout dans les cheveux.

— Non. Pour une fois tu sens bon sans que j'y sois pour quelque chose. C'est assez appréciable. Et puis, rien ne nous oblige à nous lever. On peut rester toute la journée dans cette chambre...

Il n'y avait vraiment que l'absence de nourriture qui était problématique.

— Il faudra qu'on bouge pourtant. Syf est ici avec Nhill.

Ils ne pouvaient pas la faire attendre indéfiniment.

— Appelle Noé et commande-lui le petit-déjeuner.

— Quoi ? fit elle en se redressant un peu plus, le délogeant de ses genoux.

Elle le regarda incrédule.

— Les Huldres sont là et... Tu me le dis pas ? Mais ta notion des priorités est vraiment pourrie !

Elle soupira et se leva pour marcher dans la chambre.

— A quoi elle ressemble ? Elle veut bien m'aider alors ?