Chapitre 28 - Une équipe de choc

Lundi 27 mai

Depuis trois jours, Lexie s’attendait à ce que ses cousins, son oncle ou Olivier lui tombent dessus pour ramener sa tête à Gauthier, mais aucun d’eux ne s’était présenté. Cela l’avait un peu déçue. Pour des types qui se gaussaient d’être d’excellents chasseurs, ils étaient vraiment minables. Même Monica était décevante. Elle aurait peut-être dû amocher vraiment Mason pour la pousser à l’affrontement. Depuis le temps qu’elle attendait ça.
Lexie se méfiait en réalité plus d’Olivier. Un animal blessé était dangereux et l’attraper était sa meilleure chance pour que Gauthier lui rende sa superbe. Sans compter qu’il devait crever de trouille que son créateur annule son sortilège d’un claquement de doigts. Elle avait vérifié, mais Olivier était suffisamment retors pour lui avoir collé un traceur magique au moment où elle s’y attendait le moins, ou lui avoir piqué du sang ou des cheveux pour un sortilège de localisation.

Un SUV noir ralentit et Lexie ôta ses lunettes de soleil pour les glisser sur ses cheveux bruns. Elle était arrivée à peine quelques minutes avant le véhicule qui ramenait Kelya du lycée. Elle avait trouvé très facilement l’hôtel où s’était planqué son frère. Il avait suffi de faire comme le petit poucet et suivre les miettes de pain.
Elle sentit son cœur se serrer en voyant sa petite sœur descendre du véhicule pour rejoindre son garde du corps. Cela faisait des jours qu’elle observait Kelya de loin sans se décider à prendre contact sous une apparence ou une autre. Si Jo lui manquait viscéralement parce qu’il était son jumeau, elle aimait profondément Kelya et n’avait jamais envisagé reconstituer sa famille sans elle. Quand elle avait su qu’ils étaient tous les deux à Paris, elle avait à nouveau eu cet espoir de les retrouver, mais cela l’avait aussi mise en colère.
Que Gauthier n’ait rien dit sur la présence de Jo et Kelya à Paris en trois ans n’était pas étonnant : à ses yeux, ils n’étaient tous que des pions dansant dans sa main ; mais Glen le lui ait caché… Et pas seulement son oncle, mais sûrement que la grand-tante Olga était au courant. La matriarche du clan ne serait pas passée à côté d’une telle information et avait dû faire passer le mot pour tenir Lexie dans l’ignorance. Ce n’était pas grave : ils paieraient tous. Gauthier, Olivier, Glen, Mason, Monica, Olga, les autres. Tous.
Kelya disparut dans l’hôtel et elle se décida à y entrer. Depuis qu’elle avait fait exploser les vitres de tout un quartier, Jo était sur la brèche. Ahmed Abassi l’avait envoyé se mettre en chasse aux Vélikan. On était en début d’après-midi, il devait être quelque part en mission. Kelya n’avait pas cours cet après-midi, elle rentrait déjeuner et Lexie imaginait sans mal sa petite sœur consacrer le reste de la journée à ses révisions. Elle avait toujours été si sérieuse et appliquée, bien plus qu’elle et Jo réunis, si intelligente ! Cela faisait plus de deux ans qu’elles ne s’étaient pas parlé et Lexie avait envie de rattraper ce temps perdu, de l’entendre lui parler de ses études, de ses copines, des garçons… comme avant. Mais avant cela, il fallait qu’elle lui explique qu’elle n’était pas le monstre que Jo avait dû lui dépeindre.

Ahmed avait expliqué à Kelya et à Jo qu'il comptait bien laisser Lexie entrer dans l'hôtel. Il n'avait pas donné plus d'explication mais l'idée était de lui prendre sa magie pour la transférer à son frère. Ensuite, il la ferait conduire par ses hommes dans un centre pénitentiaire réservé aux sorciers sur une île près de Malte.
L'adolescente savait donc qu'elle ne devait pas s'inquiéter lorsque sous une forme ou une autre, sa soeur se montrerait enfin. Elle devait rester naturelle.

Kelya ne remonta pas directement à sa chambre. Comme elle n'avait pas faim, elle dédaigna la salle du bar-restaurant pour aller s'installer dans le petit jardin à l'arrière de l'hôtel. Elle y avait passé une bonne partie de son week-end, profitant du beau temps plutôt que de rester enfermée dans la chambre.
Elle s'installa sur un transat, ôtant ses chaussures, et tira un roman de son sac de cours.

— Vous savez que je ne vais pas m'envoler ? fit-elle à son garde du corps.

L'homme hocha la tête, sans esquisser le moindre sourire, ce qui fit lever les yeux au ciel de la jeune fille. Pour autant, le garde du corps ne resta pas à la porte, mais s'éloigna pour rester dans le bar-restaurant qui était le seul accès au jardin.
Quelques minutes plus tard, Lexie s'installait au bar pour commander un verre. Elle avait échangé quelques mots avec le réceptionniste, le persuadant qu'elle était une cliente de l'hôtel. Avec la magie qui coulait dans ses veines, les sortilèges étaient d'une simplicité enfantine. C'était grisant de sentir cette puissance, de se sentir comme invincible et capable de tout, et Lexie ne voulait pas perdre cette sensation. Il lui faudrait donc vider un changelin, mais elle hésitait encore sur la cible.
En pensant à cela, Lexie sirota son cosmopolitain lentement, faisant semblant de pianoter sur son portable. Le garde du corps n'avait pas bougé de la banquette à côté de l'entrée du jardin. Brave bête.
Au bout de vingt minutes, elle se leva et, emportant son verre, entra dans le jardin à son tour. Au passage, elle lança un sortilège pour endormir le garde du corps et elle le vit piquer du nez avec satisfaction.

— Bonjour.

Kelya leva le nez de son livre et lui adressa un sourire poli.

— Bonjour.

Le cauchemar récurrent de Lexie lui revint soudain en mémoire et un instant, elle revit sa petite soeur transformée en torche vivante.

— Vous allez bien ? demanda Kelya en la voyant pâlir.

Lexie se reprit aussitôt et vint s'asseoir sur le transat à côté d'elle.

— Kelya. Enfin on peut se parler, dit-elle en anglais.

La jeune fille la regarda fixement. Devant elle se trouvait une femme âgé de la trentaine, avec des cheveux bruns coupés au carré, ni vraiment belle, mais pas ordinaire non plus. Quelqu'un qui pouvait passer partout. Le sourire qu'elle lui adressait était on ne peut plus familier en revanche.

— On se connaît ?

Lexie prit la main de Kelya dans la sienne.

— Sweetie... comme tu m'as manquée !

La voix de Lexie s'était un peu cassée sous l'émotion.

— Lexie ? C'est toi ? demanda Kelya en observant la femme devant elle avec plus d'attention.
— Oui. Je voulais tellement te voir.
— Tu en as mis du temps, Lex. Deux ans et demi sans nouvelle... soupira Kelya en retirant sa main de la sienne.
— Je sais, je suis désolée. C'était très compliqué, je t'expliquerais tout.

Ahmed attendit.
Il n'était pas pressé et préférait que Lexie se livre un peu. Il pouvait lui laisser cinq minutes avec sa sœur. Il se doutait que Jo similait le sommeil et n'en perdait pas une miette non plus.
C'était assez plaisant pour lui d'utiliser cet objet de pouvoir. Il n'avait révélé sa possession à personne. Pas même à Quentin. Cette mission en serait peut être l'occasion.
Il l'avait acquise chèrement lors d'un séjour au Maroc dans la famille de sa femme. Il ne regrettait nullement d'être un simple humain. Être un sorcier ne l'avait jamais vraiment intéressé.
Il préférait jouer au chat et à la souris. C'était là toute sa vie et la plus grande source de joie qu'il trouvait dans l'existence.

Kelya continuait de la fixer. C'était tellement étrange de savoir que c'était Lexie alors qu'elle ne lui ressemblait en rien. Au moins aussi étrange que lorsque Jonas se trimballait avec l'apparence de sa jumelle.

— Pourquoi tu n'es pas venue me voir à l'hôpital ou après ? Jo t'avait laissé un message. Je sais que c'est compliqué entre vous, mais...
— Oh sweetie, ça n'a rien à voir. J'aurai voulu venir.

Mais comment aurait-elle pu affronter le regard de Kelya après l'incendie ? Ses souffrances ? Elle n'avait pas voulu ce qui s'était passé. Cela avait été un accident. Un putain d'accident.

— Mais tout ça est fini, lui assura-t-elle.

Lexie posa sa main sur la joue de sa petite soeur avec douceur, ses doigts frôlant ses cheveux blonds. Elle ne portait aucune trace, aucune cicatrice de l'incendie et cela la soulageait profondément. Lexie devait remercier Quentin de Lyonesse pour cela. Peut-être que pour avoir sauvé et soigné Kelya, elle pourrait l'épargner pour le moment. Peut-être aussi que ce serait un gage de bonne volonté envers sa soeur et son frère.

— J'ai coupé les ponts avec les autres. Il n'y a que toi et Jo qui comptent. Peut-être que tu arriverais à le convaincre que je veux vraiment qu'on cesse tout ce gâchis. On pourrait recommencer à zéro, tous les trois. Comme une famille.

Kelya regarda sa soeur dans les yeux. Elle la sentait sincère, mais Jo lui avait dit que Lexie jouerait cette carte-là, qu'elle penserait sûrement ce qu'elle lui dirait, mais qu'il ne fallait pas en croire un seul mot. Leur soeur était bien trop malade. S'ils voulaient redevenir une famille, il faudrait d'abord la soigner. Seulement, Lexie ne voudrait rien entendre.

— Redeviens toi-même, s'il te plait. Ce n'est pas toi, ça. Je veux parler à la vraie Lexie.

Lexie jeta un oeil vers le bar. Le garde du corps dormait toujours.

— D'accord.

Elle sourit à sa petite soeur et passa ses mains sur ses cheveux. Aussitôt, elle reprit sa véritable apparence. Kelya l'observa avec attention. Elle avait vu ce visage sur Jo presque tous les jours depuis deux ans et demi, et pourtant, elle voyait bien les différences. Jamais elle n'aurait pu les confondre.

Ahmed avait précisé à Kelya qu'elle aurait un peu d temps avec lexie, sauf si cette dernière essayait de l'emmener. Mais que si elle voulait écourter la conversation, elle aurait juste à dire "Je voudrais que ce soit Noël et qu'on soit tous ensemble."

Kelya sourit légèrement à Lexie.

— Je préfère quand vous êtes vous-mêmes tous les deux. Tous ces trucs de changements d'identité, c'est un peu flippant pour moi.
— Il n'y aura plus de raison de ne pas l'être quand on sera loin d'ici.
— Lexie, Jo s'inquiète pour toi et moi aussi. Il dit que tu es très malade.
— Je vais bien. Tu ne dois pas t'en faire.

Lexie reprit la main de Kelya dans la sienne.

— Et si on sortait d'ici toutes les deux ? On pourrait aller manger quelque part, tu me raconterais le lycée, tout ce que tu veux. Tu appellerais Jo et on pourrait se retrouver ensemble. Je lui expliquerais.

La jeune fille hocha la tête et se serra contre sa soeur.

— J'aimerai tellement que ça arrive, fit-elle dans un murmure.

Elle s'écarta et se leva, lâchant Lexie. Elle détestait ce qu'elle allait faire, mais elle n'avait pas le choix. Si elle voulait qu'ils soignent sa soeur et l'empêcher de faire d'autres victimes, il fallait l'arrêter.

— Je voudrais que ce soit Noël et qu'on soit tous ensemble, ajouta-t-elle.

Ahmed apparut juste devant Lexie. Il lui adressa un sourire avant de lui passer un bracelet doré assez large à son poignet. Un autre y était relié par un lien ressemblant à un serpent ondulant et vivant mais les écailles semblaient faite d'un alliage bleu turquoise inconnu.
Lexie sentit ses pouvoirs bloqués. Ils étaient toujours là mais verrouillés.

— Tu peux venir Jo, dit il.

Il attrapa fermement Lexie par le bras pour la faire venir s'assoir sur une chaise en métal devant une petite table de fer blanc. Il y avait trois chaises.

— Tu peux retourner dans ta chambre, Kelya, dit Ahmed doucement à la jeune fille.

Lexie avait regardé Kelya fixement, le choc se lisant sur le visage. Dans ses yeux se lisait la douleur de la trahison. Encore. Tout le monde se retournait contre elle, y compris sa petite soeur.
Elle se débattit de son mieux en insultant Ahmed.

— Je suis désolée, Lex. Il faut qu'on te soigne, fit Kelya à sa soeur. Ensuite, on pourra redevenir une famille tous les trois.

Mais elle se sentait mal d'avoir piégé Lexie même si c'était pour son bien. Elle regarda Ahmed, mais pas trop longtemps sinon elle allait rougir. Tout le temps de cette conversation, il était à ses côtés et cela l'avait tranquillisée. Si on lui avait demandé son avis, elle n'aurait pas été contre qu'Ahmed soit son garde du corps attitré.

— Vas y, Kelya, fit Jo en reprenant son apparence. Tout va bien.

La jeune fille n'en était pas persuadée vu le tonnerre d'insultes que Lexie débitait et la force qu'elle mettait à se débattre, mais elle fila.

Ahmed avait posé ses mains sur les épaules de Lexie et la maintenait assise comme si elle n'était qu'une enfant récalcitrante.

— Enfile l'autre partie du bracelet, dit il à Jo.

Il n'avait pas pris le temps d'expliquer en détails ce qu'il allait faire. Juste le minimum : il donnerait les pouvoirs volés par Lexie à Jonas.

— Me touche pas ! gueula Lexie en essayant de mordre Ahmed.
— Ne rends pas les choses plus difficiles.

Lexie cracha sur son jumeau qui soupira, agacé. Il ne perdit néanmoins pas de temps pour suivre les instructions d'Ahmed. Il fallait la priver de sa magie, sinon elle ferait encore plus de dégâts.

— Va te faire foutre ! Je vais vous tuer ! Tous les deux !

— Il va falloir inscrire ton nom sur une liste d'attente. Cela dit, il y a moins de monde sur celle de Jo que sur la mienne...

Dès que le bracelet fut refermé sur le poignet de Jonas, il reçu en une vague puissante la magie de Lexie. Cette dernière en fut dépossédée si rapidement qu'elle sentit ses forces diminue cruellement et le manque la faire trembler.

— Non... Pas ça... fit-elle avec un profond désespoir.

Lexie détestait se sentir si faible, si vulnérable. Elle haïssait ce corps qui la lâchait et qui réclamait sa dose. Elle avait pâli et son souffle s'était fait court.

— Rends la moi ! cria-t-elle à Jo, la voix cassée. Salopard, rends-la moi ! Elle m'appartient !

Son jumeau avait chancelé, se rattrapant à une chaise in extremis. Jo ne s'était pas attendu à autant de magie, ni qu'elle ait gardé cette saveur unique aux changelins. Il se laissa tomber sur la chaise, le corps secoué par le plaisir de sentir la magie volée à Bo parcourir la moindre fibre de son être. Une seconde, il maudit qu'Ahmed puisse le voir dans cet état proche de l'orgasme, mais il fut bien trop accaparé par les sensations qui l'envahissaient pour s'en préoccuper vraiment. Cela allait au-delà du plaisir physique, au-delà du simple bien-être qu'une bonne dose de magie pouvait lui procurer. C'était même plus fort que le shoot que Nhill lui avait offert en ponctionnant Quentin vu que la quantité était bien supérieure.
Le plaisir ne semblait pas vouloir le quitter, mais surtout, il se sentait tellement mieux et capable de tellement de choses. C'était grisant.

Ahmed ôta les deux bracelets en tournant le lien bleu d'une certaine manière. Il le rangea ensuite dans un petit coffret qu'il laissa sur la table.

— Nous allons vous escorter jusqu'à l'île de préservation. Enfin pas personnellement parce que nous sommes un peu occupés avec votre famille, expliqua Ahmed. Vous serez interné là bas. Détention ou psychiatrie c'est vous qui verrez comment percevoir votre séjour dans cette institution.

Expliquer la suite, devrait donner un peu de temps à Jonas pour se remettre de la dose de magie.

Lexie attrapa son collier dans un réflexe, mais il était tout aussi vide qu'elle. L'opale était fendue, signe que la pierre ne pourrait plus jamais accumuler de magie. Elle glapit en se rendant compte qu'il en était de même pour le bracelet. Tout lui avait été retiré. Tout le monde l'avait abandonnée et trahie.
Elle darda un regard assassin vers Jo qui tardait à reprendre pieds dans la réalité. L'air de félicité qu'il affichait alimenta un peu plus la rage de sa jumelle. La colère lui donna un regain d'énergie et elle se leva d'un bond pour frapper Ahmed, bien décidée à s'en prendre à son frère pour récupérer ce qui lui appartenait.

Ahmed la maitrisa sans mal, lui tordant le bras dans le dos et la maintenant contre lui. Ses yeux sombres se plongèrent dans les siens.

— Tu vas te faire mal, dit il seulement.

Lexie poussa un nouveau cri de rage.

— Je vais t'arracher les yeux et te tuer. Salaud !
— Putain, mais qu'est-ce que tu gueules fort... soupira Jo.

C'était encore difficile pour lui de reprendre pied, mais les cris de Lexie lui vrillaient les tympans.

— Jonas... S'il te plait...

Lexie s'était faite suppliante en regardant son frère. Tout son corps tremblait du manque, sa gorge était sèche comme du papier, ses lèvres étaient plus pâles encore que son visage. De la sueur froide perlait à son front. Elle était glacée de l'intérieur et ce n'était que la colère qui la maintenait consciente.
Jo réussit à se relever. Le plaisir du shoot était toujours là, mais il prenait sur lui pour ne pas trop le montrer. En pure perte, sans doute, vu la lueur dans son regard.

— On trouvera un moyen de te soigner, mais pour l'instant, tu dois être enfermée, fit-il à sa soeur qui l'insulta en retour.

Ahmed sortit de sa poche, de sa main libre une petite bourse tissée dans un artisanat typique d'Afrique du nord. Il sortit une jolie bille d'un rouge éclatant.

— Ouvre la bouche et suce ça. Cela te dispensera un peu de magie. C'est à la cerise, il parait que c'est un de tes parfums préféré.

On ne pourrait pas dire qu'il n'était pas attentionné.

Lexie ne lutta pas. La perspective d'un peu de magie brouillait sa raison et sa méfiance. Elle regarda Ahmed avec autant de supplication dans les yeux que de reconnaissance.

— Donne... Donne, s'il te plaît...

Jo en eut mal pour elle. Lexie avait toujours souffert bien plus que de lui de sa dépendance à la magie. Il l'avait vue mourante, suppliante, et, au contraire, tellement bien dans sa peau quand Glen lui avait donné une véritable dose de pouvoir. La voir ouvrir la bouche, prête à se damner pour ce qu'Ahmed lui offrait, était douloureux. Malgré tout ce qu'elle avait fait, Lexie restait sa soeur et il aurait préféré ne pas voir ça. Il se força pourtant à regarder jusqu'au bout.

Il posa délicatement la pastille dans sa bouche et la relâcha.
La magie était très douce. Elle irradia en Lexie avec une sensation d'apaisement.

— Ça va durer une heure. Je confierai le sachet à Paul. C'est lui qui va t'escorter. Evite de le contrarier, il possède une magie assez désagréable quand on est pas très coopératif avec lui.

Mais il sentait bien que Lexie était plutôt du genre à le vérifier par elle-même. Il se tourna vers Jonas.

— Je vous laisse cinq minutes ensemble avant qu'elle parte. Tu as suffisamment de magie pour la contrôler. De toutes manières, on est juste là, dit il en désignant la salle de restauration.

Lexie s'était effondrée par terre, à genoux.

— Ok.

Jo jeta un oeil à Ahmed, puis revint à sa soeur. Il soupira et s'accroupit devant elle.

— On va s'occuper de toi, Lex, fit-il doucement. Je viendrais te voir, et Kelya aussi.
— Va te faire foutre.

Il avait vu beaucoup de choses dans les yeux de sa jumelle ces dernières années :  de la déception, de la tristesse, des mensonges... Mais c'était la première fois qu'il y voyait de la haine.

— Allez tous vous faire foutre. J'ai pas besoin de toi, ni d'elle. J'ai besoin de personne.

Et même si ce n'était pas vrai, tout le monde autour d'elle se liguait pour lui prouver le contraire. Tout le monde l'abandonnait.

— Méfies toi, Jo, fit-elle en vrillant son regard au sien. Je te ferais payer pour ça. Et Kelya... La manière dont tu t'es servie d'elle contre moi... Je l'oublierait pas.

Jo soupira, presque blasé, et se releva. Heureusement que Kelya n'assistait pas à cette scène. Elle n'avait pas besoin d'entendre des menaces en plus du reste.
Il s'alluma une clope.

— Combien ils sont à Paris ? On a vu Mason sur une video de surveillance, alors j'imagine que Monica est là aussi. Peut-être leur père. Qui d'autre ?

Elle eut un sourire mauvais :

— Winnie, Porcinet et Tigrou sont de la partie, répliqua-t-elle.

Jo sortit un couteau de sa poche. La lame jaillit alors qu'il fumait sa cigarette. Avec une simple coupure, elle pourrait goûter à nouveau la magie. Leurs yeux se croisèrent et elle en avala sa pastille de travers.

— Pourquoi tu fais ça ? Demanda-t-elle dans un murmure. Pourquoi tu choisis des gens que tu connais à peine alors que toi et moi...
— Tu parles d'un type qui est venu sauver ma petite soeur de brûlures aux troisièmes degrés, à assister et régler dans leur intégralité les funérailles puis s'est assuré que Kelya et moi on ne manque de rien ? C'est étrange oui... Pourquoi je fais ça ? Ah je sais, parce que c'est un changelin que je pourrais trahir un jour en le vidant de sa magie... Ah non, les coups de couteaux dans le dos... C'est toi ça. Bon, parlons peu, parlons bien, Lexie. Qui a foutu le feu chez nos parents ?
— Adoptifs. Nos parents adoptifs, rectifia-t-elle âprement.

Les Sheridan n'étaient pas des gens méchants mais ils étaient uniquement de passage. Ils étaient venus les chercher comme on prend un chien à la SPA. Mais comme ils étaient un peu grands et avec de mauvaises habitudes, ils avaient ensuite adopté un chiot. Un joli petit chiot auquel elle s'était attachée, elle aussi. Bêtement. Elle aurait dû se douter après tout ce temps que Jonas allait déteindre sur elle. Mais avec de la magie, elle pourrait effacer ça. Elle pouvait ramener Kelya à cette époque où elle était tout pour elle. Avec Jo, ce serait trop compliqué... Mais avec une simple humaine.

— Les Sheridan étaient plus que ça et tu le sais. Dis-moi que t'as rien avoir dans leur mort, Lexie, demanda-t-il dans un souffle.

Leurs regards se croisèrent longuement. D'un bond elle se leva pour essayer de lui prendre le couteau. Jonas la maitrisa en la retournant, son dos se posant contre son torse. Il lui planta la lame dans la cuisse, la faisant pousser un hurlement.

— Si tu t'avises de toucher aux gens que j'aime, c'est dans ton coeur que je le plonge la prochaine fois.
— Comment tu peux me... traiter comme ça, glapit elle.
— Parce que je t'aime encore un tout petit peu, Lexie. Pas grand chose c'est vrai. Mais assez pour te tuer si c'est nécessaire.

Il la lâcha et la poussa sur le transat. Lexie se mit à pleurer. Elle ne savait pas ce qui lui faisait le plus mal. Le poignard dans sa jambe, les mots de son frère ou l'absence de cette magie si douce en elle. Elle n'aurait jamais dû revenir ici. Elle avait agi sous la précipitation. C'était une erreur qu'elle ne referait pas.
Jonas était rentré à l'intérieur, le visage plus fermé que jamais. Ahmed regarda cette expression froide et dure qui cachait difficilement sa douleur.

— Va faire un tour si tu veux. Je reste ici jusqu'à son transfert pour Malte, histoire de m'assurer qu'elle a pas branché les Velikan sur cet endroit pour prendre Kelya en otage, dit il doucement.

Jo hocha la tête avec raideur, soufflant la fumée de sa cigarette. Son regard croisa celui d'Ahmed. Il ne lui dit pas de faire attention, c'était inutile.
Sans un dernier regard pour Lexie, il le laissa pour aller marcher un peu. Finalement, ce n'était pas plus mal que leurs parents ne soient plus là pour voir ce que leur fille était devenue et les voir se déchirer.

Lorsqu'il revint après être sorti une petite heure dans le quartier. Il trouva Ahmed attablé avec un homme qu'il n'avait jamais vu. il présentait plutôt bien et surtout Jonas sentit sans mal que les femmes n'avaient aucun intérêt pour lui.

— Ah te revoilà. T'aurais pu au moins ramener des sandwichs... Tu sers vraiment à rien sous une apparence ou une autre, soupira-t-il avec son éternel sourire.

Il le désigna d'un signe de tête.

— C'est elle, la pétasse pour reprendre le terme élogieux de Bo Hendricks.

Steven regarda Jonas, un peu désarçonné. Il ne ressemblait pas du tout à une fille même habillé en homme...

— T'as d'autres larbins si t'as la dalle, lui répondit Jo avec un sourire moqueur en s'asseyant.

Au moins, les échanges avec Ahmed restaient ceux qu'ils avaient toujours été.

— Appelles-moi Jo, fit-il au nouveau venu en le détaillant de la tête aux pieds.

— La pétasse ça avait pourtant du charme, dit Ahmed en déployant une carte de Paris.

— Steven Miller, dit il en lui tendant la main pour la serrer.

Sa poigne était ferme et son sourire chaleureux avec une légère retenue professionnelle.

— Steven bossait pour Olivier. Vous allez ratisser les coins qu'il fréquentaient ensemble. Et pour commencer, vous irez chez Sophie, annonça Ahmed.