Chapitre 27 - Noé

— Merci.

Il regarda le démon et lui offrit un sourire amical.

— Vous savez, vous n'êtes pas obligé de m'appeler "monsieur". "Noé" tout court, c'est très bien.

— Très bien, Noé, approuva Thana d'un geste de la tête.

— C'est mieux. ça me donnait l'impression d'être mon père ou Quentin.

Il checka avec le démon comme il le lui avait appris et se leva.

— Il y a quelque chose qui vous ferez plaisir pour mon prochain passage ? Un bouquin ? un truc à manger ?

— Ne vous sentez pas obligé... Du parmesan et de l'huile d'olive aurait un intérêt certain, dit cependant le Démon avec un léger sourire.

Noé sourit et hocha la tête.

— C'est noté. Merci encore. A bientôt.

Il retourna à la maison, réapparaissant dans la cuisine.


Noé ne retourna pas tout de suite près de Miu et comme il n'avait pas plus envie de discuter avec les autres pour le moment, il trouva refuge dans la bibliothèque. Il faudrait bien qu'il parle de Clémentine à Quentin, mais autant le faire devant les autres pour ne pas avoir à répéter.
Il n'avait toujours reçu aucune réponse de Capucine et il trouvait cela aussi contrariant qu'inquiétant. Il renvoya un autre sms, mais celui-là non plus n'eut même pas d'accusé de réception.
Pour se changer les idées, il suivit le conseil de Thanaclop et enregistra ce qu'il voulait conserver sur Miu, le sauvegardant dans le Cloud, au cas où.
Il finit par remonter et passa la fin de l'après-midi avec la démone à jouer sur sa console, mais ses pensées ne cessaient de revenir à Capucine.
Il lui avait envoyé un troisième message qui n'avait pas eu plus de succès que les précédents et maintenant, son imagination s'emballait. Un coup, il pensait qu'elle avait revu Thierry. Un autre qu'Olivier l'avait retrouvée, l'avait kidnappée, torturée ou tuée. Ou même pire : qu'elle ait réfléchi et préférait l'ignorer.

Quand Capucine entra dans la maison en début de soirée, elle le croisa qui descendait l'escalier. Noé se sentit à la fois soulagé de la voir en un seul morceau et fortement contrarié qu'elle n'ait même pas pris la peine de répondre à ses messages.

— Putain mais t'étais où ? Tu vas bien ? T'as répondu à aucun de mes messages ! fit-il en se plantant devant elle, la prenant pas les épaules.

Noé. Au moins était il seul. C'était un moindre mal.

— Oui. J'ai pas pensé à le rallumer...

Puis elle avait voulu se déconnecter sans que tout DLS sache où elle puisse le faire. Elle détestait l'idée d'être fichée dans ses déplacements ainsi que son entourage.
Elle se dégagea pour monter les marches.

— T'as "pas pensé" ?

Il lui embraya le pas.

— Tu te fous de ma gueule ? Putain, Capucine ! Tu me dis de te joindre en cas d'emmerdes et t'as "pas pensé" à rallumer ton portable ? Et si j'avais eu besoin de toi ? Je sais pas si t'as remarqué, mais c'est un peu la fin du monde tous les jours ici !

— T'étais avec Quentin... Et avec Miu... Tu risquais rien, fit elle remarquer.

Elle entra dans sa chambre et se débarrassa de sa veste. Ses fringues sentaient plus l'encens que l'herbe mais le mélange restait assez spécial. Elle ôta ses lunettes de soleil parce que ce serait plus louche de les garder.

— Quentin était bien trop occupé à dire à Bo ce qu'elle est, mais ça, tu le saurais si tu lisais tes PUTAINS DE MESSAGES !

Il referma la porte un peu fort.

— Et si Olivier t'était tombé dessus ? S'il t'avait embarquée ? T'as oublié qu'il t'en veut à mort ? Comment je t'aurais retrouvée, moi, avant qu'il te viole et te coupe en morceaux ? Hein ?

Il semblait vraiment s'être inquiété pour elle. Combien de fois cela était arrivé dans sa vie ? Sincèrement pour elle.
Elle ne put s'empêcher de sourire. C'était agréable de se faire engueuler. Cela lui donnait presque envie de recommencer. Elle le regarda avec ce sourire ravi. Il allait vraiment croire qu'elle était défoncée alors qu'elle était juste bêtement heureuse.

— Et souris pas comme ça ! Merde ! Tu fais chier ! Disparais plus jamais comme ça !

Il nota enfin l'odeur d'herbe et d'encens mêlés et plissa les yeux pour mieux la regarder.

— Me dis pas que t'es défoncée ?

Elle se demanda s'il allait se fâcher encore plus. Est-ce qu'il serait encore plus inquiet. Elle fit signe avec ses doigts pour montrer qu'elle l'était un petit peu.
Elle le trouvait beau comme ça. Peut être qu'elle ne devrait pas lui dire qu'elle partait en Corse... Peut être qu'il serait obligé d'utiliser la magie pour la trouver... Mais est-ce qu'il pourrait à cause de sa malédiction ? Est-ce qu'elle serait intraçable ? Si ça marchait pas, elle pourrait dire que c'était pour vérifier ce point si elle n'avait rien dit... Elle sourit un peu plus et ôta ses escarpins. Plus jamais elle en mettrait si elle devait reprendre le métro tous les jours.

— Mais c'est pas vrai ! Et arrête de sourire aussi connement ! J'imagine toute l'aprem qu'Olivier est en train de te dépecer et toi, tu te défonces ? Merde !

Il frappa du poing dans le mur à côté de lui, juste assez pour ponctuer sa phrase. En plus de la colère, de l'inquiétude brillait maintenant dans ses yeux et peut-être aussi un peu de culpabilité. Fumer des joints en soirée, c'était une chose et il aurait été mal placé pour lui reprocher d'avoir voulu planer un peu en s'amusant. Mais se défoncer en pleine journée à ce point, se déconnecter de tout et de tout le monde... Il revit son sourire triste de ce matin, repensa qu'il avait cru qu'elle pleurait cette nuit et se rappela qu'elle avait été voir ses parents. Capucine n'allait pas bien et c'était sûrement en partie sa faute.

Elle s'approcha et prit sa main dans la sienne pour la caresser, vérifiant qu'il ne s'était pas fait mal. C'était de la vieille pierre ici pas du placo tout de même. Elle embrassa doucement ses phalanges et leva ses yeux vers les siens. Elle regarda encore un peu cette inquiétude dans ses yeux, sur son visage. Elle n'avait vraiment jamais vu ça. Une ou deux fois peut être avec Eric mais elle y avait vu tellement plus souvent autre chose que ça ne comptait pas.

— C'est la première fois que quelqu'un s'inquiète pour moi, murmura-t-elle.

Sa colère baissa nettement quand ses lèvres se posèrent sur sa main. Il n'avait pas frappé fort, bien moins que dans la gueule d'Alexis en tous cas.

— Tu me prends pour qui, bordel ? Tu disparais complètement et tu crois que j'allais pas m'inquiéter ? demanda-t-il, pas encore tout à fait apaisé.

Elle sourit à nouveau. C'était pourtant vraiment pas les effets de l'herbe et l'alcool quoiqu'il puisse en penser. Elle se sentait vraiment heureuse de l'entendre dire ça. Grisée. Et elle fit taire cette petite voix lui disant que ça ne durerait pas, que bientôt il la détesterait à cause de Miu. Elle posa sa main sur sa nuque et vint l'embrasser. Elle en avait trop envie depuis qu'il avait commencé à lui demander des comptes.

Il répondit à son baiser avec fougue et l'attira à lui avec force. Il avait tellement eu peur ! Il avait tellement ressassé les conneries qu'Eric avait écrites à son propos !

— Me fais plus jamais ça, Capucine. Plus jamais, prévint-il avec fermeté en la regardant dans les yeux.

— Ah ça non... Je ne peux pas te promettre un truc pareil, murmura-t-elle.

Elle caressa sa nuque.

— Quand je te vois comme ça... Je me dis que je pourrai tomber follement amoureuse de toi et j'ai vraiment pas envie...

Elle l'embrassa avant de finir sa phrase. De toutes manières elle n'avait aucune idée de ce qu'elle avait voulu dire. Elle le savait au début de sa phrase et puis elle avait perdu le fil. Peut être qu'elle était encore un peu défoncée. Il faut dire que le rhum arrangé juste avant de prendre le taxi avait peut être été de trop. Mais la vanille masquait sûrement un peu le rhum quand il l'embrassait alors il ne verrait pas qu'elle avait pas fait que fumer de l'herbe... Enfin elle n'était pas sûr, Noé n'était pas un enfant de coeur quand il sortait avec ses potes et revenait au petit matin dans un état second.

Noé avait senti son coeur s'emballer à ce qu'elle venait de dire. L'idée que Capucine puisse tomber follement amoureuse de lui... Cela lui fit presque oublier le goût d'alcool de ces baisers. Du rhum, peut-être. Il n'était pas sûr. Ce n'était de toute façon pas désagréable.
Il agrippa ses fesses avec possessivité alors que sa bouche se faisait plus avide. Elle était dans ses bras, elle était saine et sauve et elle était à lui. Il la fit reculer jusqu'au lit.

— J'ai tellement envie de toi, murmura-t-elle entre deux baisers.

Sa bouche était au moins aussi avide que la sienne alors que sa main glissait dans ses cheveux. Elle se fichait bien à cet instant qu'ils soient dans sa chambre alors que tout le monde était réveillé. Elle voulait le sentir contre elle. Elle avait la sensation qu'elle n'avait jamais voulu à ce point quelqu'un. Ce qui était un non-sens alors qu'elle s'était donnée tellement de mal pour avoir Eric... Mais sans jamais ressentir une telle urgence. Ils allaient tomber sur le lit quand ils entendirent frapper à la porte.

— Capucine ? C'est Gwen... Je peux entrer ?

— Merde...

Noé faillit basculer en avant en entraînant Capucine, mais il garda son équilibre in extremis. Sa mère ! Il fallait que sa mère débarque maintenant ! Vu comment il avait gueulé, ce n'était pas si étonnant.
Il lâcha la jeune femme avec plus que du regret et regarda autour de lui. S'il avait pu, il se serait éclipsé dans sa zone d'isolement, ni vu ni connu.

— Je vais dans la salle de bain, murmura-t-il en lui volant un nouveau baiser.

— Non... elle a pu te voir entrer et ce serait quoi ton excuse pour être dans ma salle de bain, murmura-t-elle.

Même si là comme ça, en le regardant, elle y serait bien allée avec lui. Elle approcha ses lèvres des siennes dans un manque flagrant de volonté.

— Tout va bien ?

Heureusement que Gwen était terriblement polie et n'entrait jamais sans autorisation. Elle poussa Noé vers la fenêtre. Il pourrait observer la vue et se rafraichir les idées. Et il tournerait le dos à sa mère le temps que la pression redescende un peu pour lui.
Quant à elle... Elle espérait juste ne pas avoir l'air trop coupable.

— Entre, dit elle en libérant ses cheveux.

Ça cacherait peut être un peu la rougeur de ses joues.

Noé ouvrit la fenêtre au moment où sa mère entra, histoire d'aérer un peu cette odeur d'encens, de beuh et d'interdit. Il espérait que Gwen ne remarquerait pas son air loin d'être innocent. Pour autant, il ne se sentait absolument pas coupable de ce qui se passait avec Capucine.

Gwen fronça légèrement le nez à l'odeur. Elle porta sur Noé un regard désapprobateur. Venir dans la chambre de Capucine pour fumer de l'herbe, c'était vraiment gonflé. Elle aurait une petite discussion avec lui, plus tard.
Elle s'approcha et remarqua tout de suite que la jeune femme était bouleversée. Ses cheveux étaient épars sur ses épaules, ses yeux brillaient, son visage était rouge... Elle avait dû pleurer et essayait de la cacher.

— Ma chérie... Je suis désolée pour ta mère. Suzanne me l'a appris avec son indélicatesse habituelle. Comment va-t-elle ?

Capucine retint un soupir. Elle n'avait vraiment pas voulu aborder ce sujet maintenant. Mais alors vraiment pas.

— Elle... Elle est en vie.

On pouvait dire ça mais c'était pas forcément ce qui définissait le mieux Anaïs au fond de son lit.

— Je croyais qu'elle allait mieux ces derniers mois... Tu veux qu'on en parle en privé ? Demanda-t-elle en coulant un regard vers son fils.

L'idée que Noé puisse partir maintenant et la laisse avec Gwen pour parler de ses problèmes de famille était une horreur qui fit ouvrir des yeux catastrophés à Capucine.

Noé avait tourné la tête brusquement à la mention de la mère de Capucine.

— Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

Aux paroles de sa mère, il entrevoyait une réponse qu'il n'aurait jamais imaginé. Noé ne savait rien des parents de Capucine. Elle n'en parlait jamais et si elle s'était établie chez eux, si elle était restée ici même après qu'Eric l'ait larguée, c'était bien parce que leur famille, aussi imparfaite soit-elle, était plus accueillante que la sienne. Qu'elle y trouvait sa place.
Mais s'il était arrivé ce qu'il pensait, alors cela expliquait pourquoi Capucine avait été si mal au point de s'évader de la réalité en fumant.