Chapitre 21 - Urgence et manigances (partie 3)

— Ouais...

Il allait faire ça. Il ferma les yeux en se repassant la scène. Joanna. Pourquoi avait elle fait ça ? Pourquoi maintenant ? Il pensa à ce type qui était venu voir comment il allait avant de se lancer à la poursuite de Joanna. Est-ce qu'il bossait avec Olivier ?
Bo composa le numéro de Quentin. Elle détestait d'avance ce qu'elle allait lui dire.
Au même moment, il avait reçu un sms d'Ahmed pour lui confirmer que le véhicule d'Olivier était bien arrivé à Carnac et qu'il en bougeait après même pas vingt minutes d'arrêt.

Bo tomba sur la messagerie directement.
Olivier n'alla pas loin. Il s'arrêta à l'entrée du village de St Colomban, sur un petit parking où l'attendait un autre véhicule, un SUV noir comme DLS en avait l'habitude. Un homme l'y attendait, appuyé contre le capot.

— On va changer de véhicule, ça brouillera les pistes. Je vais te soigner avant, fit-il à Dimitri.

Il sortit de la voiture et interpella le type qui s'approcha.

— Je les ai récupérés in extremis. Ils sont blessés, mais y a pas trop de casse.

L'homme s'approcha, il portait un costume, des lunettes de soleil et était armé. Il se figea en voyant les Hendricks. Il savait que tout DLS était sur le qui-vive et que le grand patron protégeait des clients venant d'Angleterre mais jamais il n'aurait cru que c'était eux. Bo et Dimitri n'avaient jamais eu le profil de VIP.

— Steven, dit Bo en descendant.

Son frère tourna la tête si vite qu'il grimaça.

— On devrait en discuter plus tard, dit ce dernier en l'entrainant vers la voiture.

Ses yeux l'avait quittée pour balayer autour d'eux le paysage à la recherche d'une attaque potentielle. Bo demanda à son frère de lui lancer le miroir. Il obtempéra, laissant Olivier s'occuper de son épaule. Elle le prit pour vérifier que Steven n'était pas encore un sorcier ayant pris l'apparence d'une personne qu'il connaissait.

— C'est... bien lui, dit elle abasourdie à son frère.

Dimitri aurait tout vu aujourd'hui : une traîtrise douloureuse, un tsunami, une tentative d'assassinat et maintenant son ex, sur ce parking, en homme de main.

— Peut-être que ma tête a heurté ce putain de rocher, marmonna-t-il.
— Vous vous connaissez ? demanda Olivier. Attends, bouge pas.

Le sorcier avait mis sa main sur l'épaule de Dimitri et absorba sa douleur. Elle était encore différente de celles qu'il avait pu prendre auparavant, pour tester ses pouvoirs. Il préférait tout de même prendre d'autres émotions.
Dimitri regardait Steven sans encore y croire. Cela faisait des années qu'ils s'étaient quittés et qu'il n'avait pas eu de nouvelles. Vu son passif, il aurait presque cru le retrouver en tôle plutôt qu'au service de sécurité d'une boite menée par des sorciers français.

— Voilà. Désolé, c'est moins efficace que Quentin, mais au moins ton épaule est remise.
— Merci...

Dimitri put bouger l'épaule, mais c'était effectivement encore un peu douloureux. C'était néanmoins très supportable.

— Vous souhaitez soigner l'autre civil ? Demanda Steven à son chef.

Il avait installé Bo à l'arrière. Ainsi Olivier pouvait l'y rejoindre pendant qu'il conduirait. Il évitait de regarder Dimitri, essayant de rester concentré sur son travail en fixant son responsable.

"L'autre civil". Olivier trouvait Steven très amusant.

— Oui, je vais l'examiner, fit-il en rejoignant Bo.

Il se glissa sur le siège à côté d'elle.

— Est-ce que je peux voir ? Comment tu te sens ? demanda-t-il avec prévenance.

Dimitri s'approcha de Steven en le détaillant des pieds à la tête. Il n'en revenait toujours pas. Est-ce que Quentin savait qu'un de ses employés était son ex ou est-ce que ce n'était qu'un hasard ? Seulement, maintenant, il avait de plus en plus de mal à croire aux coïncidences avec cette famille de dangers publics.

— C'est quand même dingue...

Steven escorta Dimitri et lui ouvrit la portière avant.

— En effet, murmura-t-il en anglais.

L'ombre d'un sourire passa sur son visage mais il ne s'attarda pas. Il se doutait qu'il n'avait plus rien avoir avec le jeune anglais délinquant et bagarreur qu'il avait pu être. Surtout dans ce costume avec cette coupe de cheveux parfaite. Il fit le tour pour se mettre au volant.

— J'ai pris un véhicule qui n'est pas tracé par le responsable sécurité, dit il à Olivier. Comme vous l'aviez demandé.

Steven avait été embauché par Olivier directement et n'avait que peu de rapport avec DLS. Son boulot a lui était d'escorter l'homme d'affaire dans ses déplacements et d'assurer sa sécurité depuis quelques années déjà.
Bo avait laissé Olivier poser ses mains sur elle, déplorant de ne plus être célibataire. Elle était enfin à l'arrière d'une voiture avec un beau français et ça ne lui servait à rien. A croire que l'existence voulait préserver sa vertu.

— Comment vous saviez pour Joanna ? Demanda-t-elle à Olivier.

La plaie n'était pas très profonde, bien heureusement pour elle. Il ne fallut guère de temps pour qu'Olivier l'absorbe et qu'elle se transfère sur son propre corps.

— Quand on se trimballe sous un faux nom, c'est qu'on a des choses à cacher. J'ai mené ma petite enquête. J'espérais me tromper malgré tout.

Il aurait bien absorbé la magie de Bo à cet instant. Elle était littéralement sous ses mains et il sentait la sienne remuer, comme si elle sentait la proximité d'une source de nourriture après en avoir été privée. Il n'était pas drogué à la magie, comme Lexie et sa famille de dégénérés, aussi pouvait-il patienter encore un peu. Il aimait bien le rôle de sauveur providentiel qu'il venait de s'octroyer.

— Quentin va tomber de haut...

Bo soupira en murmurant :

— C'est pas le seul...

Elle essaya de le rappeler.

— Tu nous ramènes où ? A Paris ? Demanda-t-elle.

— Oui. Je connais un endroit où vous serez complètement en sécurité. DLS est compromis pour le moment malheureusement, et Joanna a sûrement des complices, peut-être même à l'intérieur.

Il soupira.

— Je ne comprends pas comment il a pu se faire avoir. Dès que j'ai entendu parler de cette fille qui t'a attaquée chez toi, celle qui s'est fait passer pour une autre, j'ai pensé à Joanna. A croire qu'elle était trop proche de lui.

Bo tomba encore une fois sur la messagerie.

— Steven, on se met en route, ordonna-t-il en refermant sa portière.

Bo laissa un message :

— C'est moi... Il s'est passé un truc. Si Joanna t'appelle, ne prends pas le coup de téléphone et surtout ne la croit pas... Quoiqu'elle te dise. Tu peux me joindre sur le portable d'Olivier.

Elle raccrocha et garda le smartphone avec elle.

— Pourquoi tu as pensé à elle ? demanda Dimitri en se tournant sur son siège pour regarder Olivier.

Il aurait préféré voyager à côté de sa soeur, mais on ne lui avait pas vraiment laissé le choix.

— Parce qu'elle peut changer d'apparence, répondit Olivier comme si c'était évident. Vous ne le saviez pas ? C'est même pour ça qu'elle a été embauchée au départ.

— Quoi ? S'étrangla Bo.

Elle dévisagea Olivier.

— Elle peut changer d'apparence... Quentin le sait et il ne m'a rien dit ?

Elle comprit tout de suite qu'il savait que ça la rendrait encore plus méfiante à son égard. Elle n'appréciait pas Joanna et il n'avait pas voulu en rajouter. Mais elle n'aurait jamais soupçonné qu'il puisse lui mentir alors qu'elle n'avait plus aucun secret pour lui depuis longtemps.

Olivier haussa les épaules, l'air faussement désolé. C'était tout de même du pain béni que Quentin n'ait jamais rien dit sur le pouvoir de Joanna, un moyen d'enfoncer le clou un peu plus.

— C'est de mieux en mieux... soupira Dimitri. Qu'est-ce qu'il a oublié de nous dire encore ?

Bo rappela et cette fois son ton sur le répondeur ne fut plus aussi agréable.

— Tu fais vraiment chier ! Et j'espère pour toi que la nature de Joanna est la seule chose que tu me caches parce que sinon, je t'assure que tu vas devoir traverser l'Atlantique pour me revoir !

Elle raccrocha et croisa les bras.

— On peut prendre les billets de suite si tu veux, lança son frère.

Dimitri jeta un oeil à Steven, si professionnel derrière son volant. Il avait des tonnes de questions à lui poser.

— Et toi ? Le grand patron sait qu'on se connait bien tous les trois ?
— Vous vous connaissez donc vraiment, fit Olivier.

— C'était il y a longtemps. Et je ne fréquente pas la direction de DLS. Je suis au service d'Olivier de Lyonesse, précisa-t-il sans quitter la route des yeux.

Il appuya sur son oreillette et annonça à quelqu'un qu'il s'engageait sur l'autoroute. Steven ne comptait visiblement pas se laisser déconcentrer de sa mission : ramener tout le monde à bon port. Même s'il ne travaillait pas pour Quentin, il n'avait aucune envie de se faire convoquer dans le bureau du dernier étage.
Bo continuait de fixer le portable, hésitant à laisser un troisième message pour la peine.

Dimitri lui lança un regard lui signifiant qu'il ne perdait rien pour attendre. Steven connaissait sa grande curiosité et devait se douter qu'il se ferait harceler de questions une fois descendu de cette bagnole.
Bo n'eut pas à laisser de troisième message. Le portable sonna, annonçant enfin le numéro de Quentin.

— Bureau des femmes trahies sans vergogne, je vous écoute, dit elle en décrochant.

Le pire c'est qu'elle avait malgré tout de la peine à l'idée de lui annoncer que lui aussi avait été trahi par quelqu'un qui lui mentait.

Quentin fut soulagé d'entendre Bo.

— Tu vas bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est quoi cette histoire avec Joanna.

Il avait essayé de les joindre plusieurs fois, elle, Dimi et Jo dès le moment où il avait enfin réussi à remonter la ligne temporelle du bureau d'Olfarson. Il y avait vu Joanna ou, du moins, quelqu'un ayant pris son apparence. A moins que ce ne soit elle qui ait l'apparence de cette personne. Quentin avait toujours su que son amie cachait la sienne grâce à cet objet magique qu'elle portait sur elle. Encore une fois, il avait attendu qu'on lui parle et cela lui revenait en pleine figure et les conséquences pouvaient s'avérer désastreuses.

— Trois fois rien... Elle m'a plaquée au sol sur la plage, elle m'a jetée un sortilège pour que je ne vois plus rien et n'entende rien non plus et pendant ce temps elle m'a fait des entailles pour me siphonner de ma magie...

Le même mode opératoire que la fausse Kelly, que celui des meurtres de Paris et d'Olfarson. Les paroles de Nhill sur les complices de Gauthier lui revinrent avec brutalité : "Vous en fréquentez".

— Comment tu te sens ? Elle t'en a pris beaucoup ?

Elle pouvait sentir son inquiétude dans sa voix. Nhill et Thana lui avaient rendu de la magie pour empêcher qu'elle ne meure prématurément, si cette femme lui en avait arraché en trop grande quantité...

— Il aurait fallu y penser avant ! Mais pourquoi tu me fais pas confiance ? Je t'ai tout dis de moi... Je ne te cache rien et tu passes ton temps à faire de la rétention d'informations auprès des uns et des autres... Je croyais que j'étais différente !

Dimitri plissa les yeux. Il était habitué à entendre sa soeur gueuler mais dans l'habitacle de la voiture c'était très désagréable. Il vit Steven esquisser un nouveau sourire. Il devait se dire que certaines choses ne changeaient pas.

— Tu me fais chier, Quentin ! Vraiment tu me gonfles ! Olivier nous a sauvé la vie et nous ramène dans un endroit sûr à Paris.

Olivier jubilait intérieurement. Personne n'avait jamais parlé à Quentin de cette façon s'il fouillait dans sa mémoire. Cela allait parfaitement dans son sens : que Bo soit en colère contre son cousin, cela lui permettrait de l'amener où il le souhaitait plus facilement.

— On en parlera quand je t'aurai retrouvée. Je rentre immédiatement.

Au moins allait-il éviter le vol de retour en passant par chez Thanaclop, mais il serait chez les tantes, il faudrait encore qu'il rejoigne Paris.

— Dis lui que je lui enverrais l'adresse par sms, fit Olivier à Bo.

— Je t'enverrais l'adresse quand je serai disposée à écouter tes raisons bidons ! En attendant, essaye de pas te faire tuer par Joanna. Je commence à en avoir un peu marre de la voir te baiser de toutes les manières possibles.

Elle raccrocha et jeta son téléphone à Olivier. Elle croisa les bras en poussant un petit rugissement contrarié. Contrarié parce qu'en plus, elle détestait avoir tapé si bas. Avant elle aurait pu sortir les pires saloperies en toute impunité mais avec Quentin elle sentait quand elle allait trop loin et ça ne lui faisait aucun bien. Elle détestait ça. C'était un peu comme si elle avait rué de coups un animal magique et mignon sorti d'un disney. Ça ne se faisait pas.