Chapitre 18 - Destination Norvège

Quentin soupira et posa son portable sur la tablette devant lui.

— Avec toutes ces histoires, je n'y pensais plus.

Noé fêterait sa majorité avant de passer ses examens. En temps ordinaire, il y aurait eu une grande réception à la maison, avec toute la famille. Sa mère avait peut-être déjà envoyé les invitations d'ailleurs.

— Qu'est-ce que tu penses de Clémentine ?

Ce point le préoccupait. Est-ce que la jeune fille était complice de Gauthier ? Est-ce qu'elle avait charmé Noé exprès ? Ou est-ce que tout cela n'était qu'une coïncidence ?

— Elle est un cran au-dessus de ses autres copines. Elle ne glousse pas. Elle s'habille uniquement avec des marques éco-responsable, elle est végétarienne, elle a d'excellent résultats scolaires et elle devrait être prise à Yale.

Capucine hésita avant de dire :

— Elle est rousse et elle a de nombreuses tâche de rousseur... Je ne suis pas sûr qu'elle puisse se maquiller facilement alors en vieillissant elle risque de ne plus être aussi agréable à regarder mais bon... Pour une première histoire que la distance fera capoter, elle est très correcte.

Quentin se demandait ce qu'il avait bien pu attendre d'autre de la part de Capucine.

— Tu crois qu'il est vraiment amoureux d'elle ?

— Ce n'est pas le genre de chose que Noé va me dire. Il va me demander quoi lui offrir, comment s'habiller, mon avis sur certains club ou resto... Mais ses sentiments...

Elle haussa les épaules.

— Il ne parle jamais mal des filles contrairement à Eric. Et de Clem encore moins que les autres.

— Ça c'est parce qu'il est puceau, lança Alexis en se rappelant à eux.

Capucine n'en était pas certaine. Mais là encore, Noé aurait plus eu tendance à se vanter de tout connaitre que d'admettre un truc pareil. Il détestait quand elle le traitait comme un enfant alors elle prenait des pincettes.

— Il aime faire de la magie avec elle. Je crois que c'est la première fois qu'il peut partager ça avec quelqu'un.

Quelqu'un avec qui la magie fonctionnait en tout cas.

— Je ne me souviens pas que tu parlais mal de Marie, fit Quentin en se tournant pour regarder Alexis.

Il reprit sa place, jetant un oeil à son portable dont l'écran restait immuablement noir.

— Nous verrons bien de toutes façons, soupira-t-il en se renfonçant dans son siège.

— Parce que Marie était une fille bien.

Visiblement ça sous-entendait que toutes les autres étaient des dépravées.

— Marie était une catholique à serre-tête et collier. Elle le tenait par les bourses sans rien donner. Et c'est vrai que ça fonctionnait plutôt bien, dit Capucine.

Elle en avait connu plusieurs des comme ça.

Quentin se souvenait bien des sentiments et des souvenirs d'Alexis liés à Marie. Elle l'avait valorisé là où Eric et les autres le descendaient. Dans l'esprit d'Alexis, c'était la seule à lui avoir témoigné de l'amour, puisque même ses parents l'en avaient privé dès le moment où ils l'avaient donné à Aurélien pour prendre la suite de François.

Comme tout le monde se taisait ou boudait, Capucine rouvrit son livre et son cahier pour reprendre ses annotations. Le plus frustrant dans tout ça c'était de ne pas pouvoir testé pour voir si ça marchait. Il faudrait qu'elle donne le fruit de ses recherches à Quentin ou à Noé.

La suite du voyage se fit dans la continuité. Ils prirent leur repas à bord, Quentin se contentant de peu, n'ayant pas très faim.
Ils atterrirent à l'aéroport de Stavanger en début d'après-midi. Le temps était frais, bien plus qu'à Paris. Après avoir récupéré leurs bagages, ils prirent un taxi pour se rendre à l'hôtel.
Quentin avait un autre vol en toute fin d'après-midi pour Sandfjord. De là, une voiture de location l'attendait pour se rendre sur le site mégalithique de Istrehagan où il pourrait rencontrer Nhill.
Le Scandic Royal Stavanger Hôtel était à 15mn de l'aéroport. C'était un gigantesque hôtel 4 étoiles dont une partie des chambres donnaient sur le centre-ville historique et l'autre sur la mer. Quentin avait fait réserver une Master Suite : chacun d'entre eux avait leur propre chambre connectée par un salon commun très spacieux, tout cela décoré dans le style nordique dans les tons bleus et blancs.
Ils laissèrent Alexis à l'hôtel, Quentin lui donnant quartier libre pour le moment.

— Avant d'aller à l'université, il faut que je t'explique un peu ce qu'on est venu faire ici et quel est le lien avec Eric, fit-il à Capucine alors qu'ils étaient dans l'ascenseur.

Capucine avait insisté pour se rafraîchir, se changer et recoiffer ses cheveux avant de bien vouloir sortir. Elle regarda la cabine de l'ascenseur avec appréhension.

— Tu ne vas pas faire ça ici... Je veux dire ta zone d'isolement.

— Non, on va chez Thanaclop.

Il lui tendit la main tout en se disant que ce contact ne durerait que l'espace de quelques secondes. Bien qu'il ait décidé de voir Capucine différemment et de l'intégrer à son équipe, il n'avait pas changé d'avis sur le fait de la toucher.

— Si j'avais su, j'aurais mis de la flanelle. Merci de me le préciser la prochaine fois, dit elle avec un soupir.

Elle attrapa sa main sans faire d'histoire.
Lorsqu'ils arrivèrent Thanaclop était entrain de passer la serpillère.

— C'est mouillé. Asseyez-vous en essayant de pas faire de traces, s'il vous plait, demanda le démon.

Capucine sautilla pour s'assoir à table. Aussitôt, Thanaclop se mit à réunir des bibelots et des objets divers pour les éloigner de la jeune femme dans un rayon assez large. Visiblement, entre Bo et Joanna, il était devenu prudent.

Quentin ne s'était pas attendu à ce que le démon fasse le ménage de façon aussi... humaine. Il écarta cette idée, le remercia de les accueillir et rejoignit Capucine en prenant bien garde à ne pas laisser de traces.

— Je te préviens, ça risque d'être assez long.

Il la regarda dans les yeux.

— Tu es la première qui va avoir toute l'histoire.

Tous les autres n'avaient eu que des bribes : Bo, Ahmed, Jo, Alexis et encore plus Gwen et Noé. Personne encore n'avait eu tous les éléments à part lui. Il espérait vraiment ne pas se tromper en confiant tout cela à Capucine.

— Je vais préparer de la soupe alors, dit Thanaclop.

Si c'était long, il leur faudrait quelque chose de plus consistant que de la tisane. Capucine soupira en se disant qu'elle aurait vraiment préférer porter de la flanelle plutôt que ce coton rèche sur sa peau.

— Je t'écoute, dit elle à Quentin.

Quentin avait longuement réfléchi à comment présenter les choses. Il le fit de la manière la plus concise possible, se bornant aux faits comme s'il aurait parlé d'un dossier et pas de sa propre famille ni de son propre cas.
Il expliqua tout à Capucine : Eric et ses pouvoirs magiques inexistants, le pacte conclu avec les Huldres et non respecté, les conséquences tragiques du vol du grimoire, ce qu'il était. Il enchaîna sur la mort de son père et de François, sur les raisons du départ d'Eric et en vint naturellement à Bo et à son histoire, à son dernier entretien avec son frère puis à son meurtre et à l'ombre qui l'avait remplacée pour faire subir un enfer à la jeune femme. Il lui parla de l'arme qu'un Huldre avait placé en elle pour la protéger mais qui la tuait à petit feu, des deux attaques qu'ils avaient du repousser en Angleterre. Il finit par la véritable version des événements de la veille, là encore en réussissant à garder de la distance.
La seule chose qu'il garda pour lui fut le lien qui l'unissait à Bo, ne voulant pas rentrer dans les détails. Avec ce qui lui avait dit sur leurs natures et ce qu'elle avait vu ces 15 derniers jours, elle pouvait en déduire les mêmes choses sans qu'il ait à les verbaliser. Bien évidemment, il ne parla pas non plus de l'identité de l'assassin et laissa entendre qu'il ne la connaissait toujours pas.

Pendant ce temps, Thana avait apporté un café bleuet au goût assez doux puis des biscuits salés avec des graines de sésames. La soupe de légumes s'était mise à embaumer les lieux et un feu dans une fausse cheminée craquelait au son du récit.
Capucine resta un moment silencieuse, à regarder sa tasse vide puis Quentin et de nouveau sa tasse. Cette histoire était tellement incroyable et Quentin tellement dépourvu d'imagination qu'il était impossible qu'il ait inventé un truc pareil.

— Je vois, dit elle finalement.

Même si à vrai dire, elle ne voyait pas grand chose. C'était même la grande nébuleuse dans sa tête. Elle ne savait même pas sur quoi rebondir en premier.

— Je sais que ça fait beaucoup.

Lui-même avait parfois du mal à s'y retrouver, mais il avait besoin d'un regard extérieur sur les événements et les informations dont il disposait. Il n'était pas sûr de pouvoir compter totalement sur Nhill pour empêcher cette arme de tuer Bo.

— Un peu.

Thanaclop regarda Quentin.

— Mais ça reste un très beau récit. J'aimerai beaucoup le mettre par écrit, si vous le permettez, Quentin, dit il.

Capucine le regarda longuement. La description de sa nature était dérangeante. Elle ne voyait pas vraiment en quoi il était différent d'un sorcier.

— Faites donc, je vous en prie. ça sera peut-être plus simple à comprendre pour Noé si jamais...

Il valait mieux éviter de penser de cette façon.

— Est-ce qu'il est possible d'extraire les recherches de mon père du journal d'Eric ? demanda-t-il au démon. Je voudrais les confier à Capucine.

— Oui, il y a des sortilèges qui fonctionnent comme des copier-coller. mais je le ferai. Il ne vaut mieux pas que Mademoiselle Capucine touche le journal. C'est un objet magique.

Il regarda la jeune femme.

— Un peu de soupe vous fera du bien. Ensuite vous rentrerez chez vous, vous êtes restée assez longtemps chez moi.

Elle eut un léger sourire. Thanaclop continuait à ne pas vouloir la garder chez lui plus d'une ou deux heures. Il en était ainsi depuis très longtemps.

Quentin n'avait pas eu l'intention de laisser Capucine lire le reste du journal. Il indiquerait à Thanaclop quelles parties il souhaitait porter à la connaissance de la jeune femme. Le reste ne la regardait pas.

— Nous abusons de votre temps, fit-il en se méprenant sur les paroles du démon.

— Non non. Mais après plus rien ne fonctionne et c'est toujours un peu dangereux pour les Moonwha.

Il posa devant chacun d'eux un bol de soupe. Elle sentait très bon mais son odeur était un mélange de sucré et de salé avec une pointe d'épice.Il faut dire que les légumes qu'il avait épluché semblaient assez différent de ceux qui poussaient dans le verger des de Lyonesse.

— Il y a un problème avec votre dimension ? s'inquiéta un peu Quentin.

Eric était à l'origine de la création de l'habitat de Thanaclop. Quentin n'avait jamais encore eu le temps de se pencher sur la question de la durabilité ou de sa fragilité.

— Pour le moment... Non.

Mais il n'aimait pas quand il basculait dans la zone blanche. Il ne savait jamais trop combien il fallait pour qu'elle gagne la structure de sa dimension au-delà des objets de pouvoirs.

— C'est bon, approuva Capucine en buvant une gorgée de son bol.

— Vous disiez que plus rien ne fonctionnait si nous restions trop longtemps, fit-il remarquer en buvant à son tour sa soupe.

Il espérait que ce n'était pas à cause de sa magie de changelin, mais Thanaclop n'avait rien sous-entendu de ce genre jusqu'ici, même lorsqu'il était venu avec Bo.