Chapitre 18 - Destination Norvège

Quentin fronça les sourcils et se raidit à la façon de parler de Nhill. Cela lui rappelait de manière trop concrète que l'Huldre avait couché avec Bo en se servant de Connor et d'Ewen. Que cela pouvait se reproduire comme la veille avec lui et Joanna. Et les termes qu'il employait...

— Je vous prierai de ne plus parler d'elle de cette façon, dit-il sur un ton un peu trop poli pour ne pas qu'on comprenne qu'il était fortement contrarié. Bo n'est pas une curiosité que vous pouvez "visiter" au gré de vos envies. Elle n'est pas votre chose, une simple expérience ou juste un tissage magique. C'est une jeune femme pleine de sensibilité, d'humour et de vie. Une personne hors du commun.

Nhill sourit et termina sa bière.

— Si je l'avais fait par simple curiosité, je l'aurais fais plus souvent. J'aurais même pu faire de Connor Watson mon hôte.

Cela aurait été très facile car le jeune homme était très docile et ne se formalisait pas que ses souvenirs soient balbutiants.

— Tout comme, je ne l'ai fait qu'une fois dans votre cas mais simplement par un baiser car je pensais bien que cela pourrait vous créer des problèmes. J'en ai profité pour guérir cette jeune fille d'ailleurs.

Il joua avec sa petite cuillère. Camille ferait un excellent hôte. Elle était ouverte aux possessions et elle s'intéressait au chamanisme depuis. Mais il préférait la laisser grandir pour éviter les mêmes soucis que Ewen avec sa famille.

— Vous aviez besoin d'une petite restauration. Car même si vous n'utilisez pas vos ombres... Votre usage de la magie pour absorber la douleur des autres... Ce n'est pas très sain, il y a un impact que j'ai du mal à analyser encore.

Peut être s'il avait pu rester plus longtemps en connexion avec Quentin mais vu son expression, cela semblait mal engagé.

Le regard de Quentin s'était étréci. Qui Nhill avait-il possédé pour l'approcher ? Il ne voyait qu'une seule personne de sa connaissance qui corresponde à la description : Camille. Quant à quand, la réponse était simple : le même jour que celui où il avait vu Eric pour la dernière fois. Le lendemain, la jeune fille avait été guérie de sa maladie. Ils avaient mis ça sur le compte de l'esprit du dragon d'eau, mais visiblement, ils s'étaient tous trompés.
Seulement, Quentin avait beau chercher dans ses souvenirs, il ne se rappelait de rien après avoir discuté avec son frère et être remonté à la chambre que Camille occupait.

— Donnez-moi votre main, je vais libérer le souvenir.

Il ajouta avec un sourire.

— Promis, je me contenterai d'une petite caresse du pouce.

Ce type n'était pas net. Est-ce que tous les Huldres étaient comme lui ? Il espérait bien que non.
Le premier réflexe de Quentin était de refuser, mais il était tout de même curieux de savoir ce que l'Huldre lui avait fait, d'autant plus qu'il était désormais au courant que cela avait eu lieu.
Il posa sa main sur la table entre eux.

Nhill s'en saisit avec douceur. Ses doigts s'entremêlèrent aux siens et il eut un léger sourire en le voyant se raidir. Rapidement, Quentin sentit une vague de bien être l'envahir. Il se sentait détendu et apaisé. Il fut soulagé de sentir que l'Huldre ne titillait pas sa libido comme il avait pu le faire avec Joanna.
Un souvenir passa dans son esprit, il se le remémora avec aisance.

Il entrait dans la chambre d'hôtel après avoir vu Eric, Camille était en pleine contemplation de gouttes d'eau qu'elle faisait rouler sur la peau de sa main. Elle plongeait ses doigts dans son verre d'eau pour les laisser chuter ensuite sur sa peau et les regarder glisser de manière aléatoire.
Elle le regarda en entendant la porte et un sourire passa sur ses lèvres.

— C'est donc ça... C'est ça qu'il cherche lui aussi, dit elle avec une maturité surprenante.

— De quoi tu parles ?


Camille se leva et secoua sa main pour ôter l'eau. Elle s'approcha et la posa sur celle de Quentin pour la prendre et le conduire jusqu'au canapé.

— Où tu étais ? demanda-t-elle.

Son contact était étrangement agréable. Quentin n'avait aucune envie de s'en défaire.

— Je te l'ai dit : j'avais quelqu'un à voir. Tout va bien ?

Ils s'assirent sur le canapé.

— Je me sens très bien. Je crois que le rituel de demain va bien se passer... Je vais guérir, dit elle avec une sérénité troublante.

Elle passa sa main au-dessus de la sienne.

— Tu ne te ménages pas... Mais tu conserves en toi l'énergie. C'est une bonne chose.
— On va quand même restaurer un peu. Je crois que tu es trop méfiant, je vais devoir endormir un peu ton esprit.

Elle posa ses lèvres sur les siennes et Quentin se sentit dans un état proche du sommeil. La chaleur de ce baiser courut dans tout son corps. Ça n'avait rien avoir avec de l'excitation mais comme si la vie se mettait à fourmiller en lui. En fermant les yeux, il vit un lac immense, à moins que ce ne fut la mer et des piles de galets un peu partout autour de lui.
Si certaines menaçaient de s'écrouler, il les vit se rétablir et il ne s'en sentit que mieux.

— C'est un rêve. Un rêve très agréable.

Et il savait que la voix avait raison. Il s'était écroulé sur le canapé en écoutant Camille babiller, rien de plus. Il était au chaud sous le plaid.

— Je ne sais pas s'il sait ce qui se passera... Il avait l'air de le deviner. Deux êtres comme vous qui se rencontrent ça n'arrive pas souvent

Le rêve enchaina sur le souvenir.

Quentin se baissait pour ramasser un coquillage. Il ne pouvait pas le mettre sur la pile de galets mais il devrait pouvoir en prendre soin.

— Continue de rêver... A ton réveil, tu te sentiras bien, tu penseras que c'est parce que tu as revu Eric.

Son rêve se poursuivit sur la plage de Carnac, il était en vacances avec toute sa famille. Son père avait son bras autour des épaules de sa mère, Noé courait devant avec un chien s'appelant Richard, Eric et lui plaisantaient en parlant du futur mariage de Quentin. Sa future femme marchait devant avec Joanna, sauf que dans ce rêve étrange Joanna était un homme assez séduisant qui mettait une main aux fesse de son beau frère, un marin tatoué. Il avait envie de voir sa femme mais Eric le sermonnait en lui disant qu'il devait attendre la noce que sinon ça porterait malheur. Il n'en voyait que ses longs cheveux châtain foncé.

— Une tempête approche. Fais attention.

Il reprit pleine conscience d'être à table dans le restaurant avec Nhill qui lui caressait sensuellement la main.

Quentin retira sa main aussitôt, foudroyant l'Huldre du regard. Il détestait vraiment ses méthodes !

— Je vois...

Il reprit son verre pour boire une longue gorgée, repensant à cet étrange souvenir et au rêve qui avait suivi. Il ne savait pas ce qui était le plus étrange de l'un ou de l'autre.

— Vous avez vraiment des méthodes discutables. C'est uniquement vous ou tous les Huldres sont pareils ?

— Vous m'avez déjà posé cette question, dit Nhill amusé. Et je vous assure que cette manière de faire est plus agréable que d'autres... Certains considèrent les humains comme une bête de somme.

Quentin ne trouva pas cela amusant, lui, et il ne trouva pas utile de le faire remarquer. Son attitude devait être suffisamment révélatrice.
Il réfléchit encore aux paroles de Nhill : user du pouvoir d'absorption du mal et de la douleur avait un impact sur lui. Ce n'était pas étonnant vu qu'il avait guéri des cas graves sans avoir de Substitut pour se protéger ou compenser. Bo lui avait dit plusieurs fois que ce n'était pas sain, qu'il ferait mieux d'absorber des émotions positives ou des orgasmes.

— Mais vous allez mieux. Vous avez des ombres et si vous les laissez circuler, elles restaureront votre corps.

Il ajouta en s'adossant à sa chaise.

— La protection s'est déjà liée à votre structure. D'ici deux jours, vous pourrez faire tout ce que vous voudrez avec Bo...

Quentin releva les yeux à cette précision, dissimulant quel effet cela lui faisait. C'était ça le pire dans cette situation : il ne cautionnait pas la méthode de Nhill, mais l'Huldre avait agi pour sauver Bo et le protéger, lui. Certes, il avait ses propres motivations, mais il aurait pu se contenter de "restaurer" Bo comme il le disait.

— Je ne crois pas vous avoir remercié pour ça hier. Vous avez un peu compliqué la situation en utilisant Jo comme ça, mais vous avez empêché Bo de mourir.

— Il n'y avait pas d'autres femmes utilisables. Je n'aurais pas pu posséder l'autre femme blonde. Personne ne le peu, pas même les ombres. Sur ce point, vous vous êtes trouvé une alliée inestimable.

Il se leva et sortit son portefeuille.

— Je vous invite pour cette fois.

Il le remercia d'un signe de tête.

— Capucine ? Là, je crois que même avec vos illusions, je n'aurai pas pu...

Rien que cette idée lui tira un frisson d'horreur. Capucine et lui, sur le bureau de son père. Non, c'était inimaginable.

— C'est bien ce que je vous dis. C'était impossible sur tous les points.

Nhill le laissa pour aller payer et le rejoignit dehors.

— Je vous contacte au plus vite.

— Merci pour cette conversation.

Quentin en avait certainement beaucoup plus appris ce soir sur lui-même et sur Bo que s'il était resté à trier les bouquins d'Olfarson.

— A bientôt.

Il le laissa pour rejoindre la voiture de location. Il n'aurait pas de nouveau vol avant demain, mais Stavanger était à peine plus de 5h de route. Il valait mieux qu'il retourne à l'hôtel.

Quentin était rentré tard dans la nuit et ce n'est qu'au petit-déjeuner qu'il retrouva Capucine. Il profita qu'Alexis dorme encore pour lui parler un peu de sa conversation avec Nhill, notamment du fait qu'ils devraient passer sans doute un peu plus de temps en Norvège que prévu s'il voulait rencontrer son créateur et, peut-être, la créatrice de Bo. Quentin n'aimait pas ce terme parce que cela le ramenait à sa nature de sortilège, comme si cela niait tout ce qui faisait de lui un être humain, mais il n'en avait pas d'autre et de toute façon, cela correspondait bien à la réalité.
S'il n'évoqua, évidemment, pas Gauthier, il avertit Capucine de ce qu'il avait trouvé à la morgue concernant Olfarson et de l'information à ce propos que Nhill avait lâché. Peut-être aurait-elle déjà entendu parler de ce clan de sorciers ou pourrait-elle en apprendre plus ? Il en avait déjà parlé avec Ahmed au téléphone pour qu'il enquête de son côté.
En revanche, il garda pour lui l'histoire de l'Atlantide et ce qu'il considérait comme plus personnel, comme leur incapacité à avoir des enfants comme les humains ou encore ce qui s'était passé avec Camille.

Alexis émergeant à peine alors qu'ils étaient prêts à partir, ils le laissèrent à l'hôtel et se rendirent ensemble à l'université pour s'occuper de tracer la ligne temporelle qui leur permettrait de remonter jusqu'à l'assassin d'Olfarson. Capucine pourrait toujours en profiter pour prendre plus de documentation si elle le souhaitait, mais Quentin doutait vraiment d'apprendre quoi que ce soit d'utile dedans.

— Et tu sais comment faire ce qu'il a dit ? Demanda-t-elle.

Elle n'avait jamais rien lu à ce sujet.

— Remonter la ligne temporelle pour faire apparaitre les empreintes magiques... Juste en regardant la pièce ?

Cela lui semblait un peu obscure.

Il avait eu le temps d'y réfléchir sur le trajet du retour.

— Je sais comment faire apparaître des traces magiques. Je le faisais régulièrement en mission. Pour remonter le temps, on va un peu improviser.

Nhill lui avait dit d'oublier ce que son père lui avait appris de la magie et on ne cessait de le pousser à laisser faire son instinct. Il allait tenter de suivre ces conseils en mêlant sa magie de changelin à un sort de traçabilité.
Il fit ses préparatifs, traça les quelques runes du sortilège dans l'air et se concentra sur cette magie qu'il découvrait à peine, mais dont il avait aujourd'hui conscience.

Il mit un peu de temps mais comme il était rodé aux exercices de méditation, il finit par trouver ses ombres. Elles était enfermées, serrées en lui mais ne demandaient qu'à sortir.

Il était encore surpris de les trouver vraiment, comme si, parfois, il avait du mal à croire ce qu'il était vraiment. C'était sans doute parce que depuis qu'il pratiquait la magie, jamais il ne les avait senties en lui avant ces derniers jours. C'était une expérience nouvelle.
Il libéra les ombres, mais en faisant attention à en garder le contrôle pour qu'elles ne ruent pas vers la liberté d'un seul coup. Il ignorait encore ce que cela pouvait avoir comme conséquences. Il tenta de les canaliser vers sa volonté de remonter le temps.

Il sentit une ombre lui échapper et la vit glisser au sol. Elle ondula comme un serpent alors qu'une légère brise lui chatouiller les cheveux. Elle se dirigea vers la pile de livres, s'y enroula, les remis dans un ordre différent. Pendant ce temps, il eut la sensation d'entendre un bruit comme une cassette qu'on passe en arrière. La pièce ne changeait pas mais une autre ombre déplaça aussi quelques objets. Rapidement Quentin comprit que la remontée dans le temps ne se faisait que pour les objets ayant été touchés ou déplacé magiquement. C'était eux qui pouvaient être dépositaire de traces magiques.
Puis tout cessa brutalement.

— J'ai récupéré les bandes de vidéo surveillance, dit Capucine en entrant. Mais visiblement, il avait beaucoup de passage dans son bureau.

Ses ombres se planquèrent littéralement en lui, avec une telle vitesse qu'il en eut le souffle coupé.

Quentin eut l'impression qu'on venait de lui donner un coup de poing en plein estomac et il eut du mal à reprendre son souffle.
Il ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Il avait eu pourtant l'impression que ses ombres agissaient comme il le voulait. Il avait eu des résultats. Alors qu'avait-il fait de travers pour qu'elles refluent en lui aussi vite ?
Il tourna la tête vers Capucine. Son arrivée l'avait-il déconcentré ? C'était possible. Il ne faisait pour l'instant que tâtonner avec ses ombres.

— ça ne coûte rien de les regarder. On les donnera à Alexis. ça l'occupera.

Il regarda à nouveau la pièce.

— Mon test a eu l'air de fonctionner, mais je manque encore d'entraînement avec mes ombres. Je refais un nouvel essai.

Il se concentra à nouveau, cherchant ses ombres là où il les avait trouvées quelques minutes plus tôt.

Elles se cachaient. Il le sentait. Elles refusaient de sortir et elles avaient même... peur.
Capucine s'assit sur une chaise, attendant sagement en l'observant faire.

Elle le vit tenter de se concentrer plus longuement. Il s'assit même par terre, les jambes en tailleur, les mains sur les genoux, dans une attitude méditative, mais malgré ses efforts Quentin n'arriva pas à faire sortir les ombres de leur cachette.

— Rien à faire, soupira-t-il au bout d'un moment.

Il se passa les mains sur la nuque.

— Il va falloir que je m'exerce.

Il débutait avec ses ombres. Il fallait qu'il soit patient, qu'il apprenne à les apprivoiser, à s'habituer à elles, à comprendre comment elles fonctionnaient, comment elles faisaient partie de lui.

— Okay... Du coup, tu veux rentrer à l'hôtel ? Tu veux aller t'installer dans un coin sauvage pour te... reconnecter à tes ombres ? Une sorte d retraite spirituelle ?

Elle ne savait pas trop comment ça fonctionnait mais vu la position qu'il avait pris un peu plus tôt...