Chapitre 15 - Quand la vérité éclate

Bo avait bu la tasse quand Quentin l'avait repoussée pour s'écarter d'elle. Elle en était encore à tousser, s'étant réfugiée au bout de la baignoire. Elle avait cru que c'était le plus beau baiser qu'elle avait connu de toute sa vie. Mais elle n'en était plus certaine à cet instant.

— Est-ce que ça va ? Je ne t'ai pas fait mal ?

Il revint dans l'eau pour s'approcher d'elle. Quand il tendit la main pour la toucher, il sentit la peur resurgir, ce qui le fit hésiter. Il dut se répéter que toucher Bo n'était pas dangereux, que l'arme ne le sentait pas s'il n'utilisait pas sa magie sur elle, pour pouvoir poser sa main sur elle. Il détestait se sentir ainsi. Son esprit rationnel lui disait que cela passerait, que ce n'était que le contre-coup de s'être retrouvé face à l'arme, mais son instinct de survie bataillait ferme.

En réponse, en lui envoya de l'eau à la figure. Elle se leva pour sortir de la baignoire en poussant un long soupire.

— Tu as tellement de ressources en toi pour me donner envie d'aller rejoindre mon frère à la bibliothèque, dit elle en s'enroulant dans une serviette.

Au moins, elle ne serait plus tentée de lui demander de l'embrasser. Du moins dans l'immédiat.

Evidemment, elle était fâchée. Ou inquiète. Vu comment il l'avait écartée, il pouvait comprendre.

— Bo, ça n'a rien à voir avec notre baiser, fit-il en se levant à son tour. J'ai fait plus qu'entrouvrir la porte.

— T'es mort et t'es revenu dans une version dark et violente ? Bah tu seras pas le premier, soupira-t-elle.

Elle attrapa une autre serviette pour sécher ses cheveux.

Il attrapa une serviette à son tour pour la mettre autour de ses reins et sortit de la baignoire, ruisselant d'eau. Il se mit devant elle et posa ses mains sur ses bras, l'arrêtant dans son geste.

— Je suis désolé.

Il n'était pas l'Autre. Qu'elle le compare à celui qui lui avait fait tant de mal était toujours douloureux à entendre.

— Je n'ai jamais voulu te faire de mal.

— Je sais. C'était de l'humour. Dark.

Elle le regarda dans les yeux.

— Si le même truc t'arrivait qu'à Eric, je ne laisserai pas ça trainer cette fois. Il est hors de question que je laisse quelque chose détruire ce que je partage avec toi. Même si le premier baiser ne fera définitivement pas partie de ce que je vais conserver dans ma mémoire.

Elle put lire le soulagement sur son visage, puis il esquissa un léger sourire un peu embarrassé à s'être fait prendre au piège. Il n'avait pas marché : il avait couru.

— Je me rattraperais, lui assura-t-il.

Elle éclata de rire.

— Dans tes rêves. Je suis pas prête de te laisser remettre ta langue dans ma bouche. Je te remercie même d'avoir enfin réussi à calmer mes ardeurs, dit elle en jetant les serviettes sur le lavabo pour enfiler ses sous-vêtements.

L'entendre dire cela n'était pas vraiment plaisant, mais à vrai dire, il partageait son avis. L'envie dévorante de l'embrasser qu'il avait eue ces derniers jours avait disparu. Avoir vu l'arme avait suffi à le refroidir totalement de ce côté-là.
Rien que d'y penser le replongea dans ses réflexions alors qu'il se séchait et repassait son boxer.

Elle termina de s'habiller et attacha ses cheveux avant de quitter la pièce. Encore plus vexée par son absence de réponse. En fait, elle était même un peu déçue. Elle voyait bien qu'il avait eu peur d'elle et que ça n'était peut être même pas passé. Elle était à nouveau cette petite fille effrayante dont les autres ne voulaient pas. Elle ne pouvait même pas lui raconter que ce qu'elle avait vu elle était au-delà des mots, au-delà de tout ce qu'elle avait pu voir quand elle regardait l'océan. Sûrement parce que Quentin portait cette grâce et cette force naturelle en lui là où elle n'était qu'un monstre. Elle ne l'attendit pas pour rejoindre la bibliothèque.

Il ne fut pas long à la suivre. De toute façon, elle n'aurait pas eu d'autre choix que de l'attendre puisque Noé avait refermé le passage derrière lui et Dimitri pour éviter qu'on ne vienne les déranger pendant le frère de Bo lui révélait la vérité sur la jeune femme.

— J'espère qu'ils ont commencé à chercher, fit-il en lui attrapant la main comme d'habitude avant d'activer le miroir.

Mais il commençait à douter qu'absorber des ombres qui ne soient pas aussi vivantes que celles qu'elle possédait servent vraiment à quelque chose. L'arme risquait de fondre dessus pour s'en nourrir aussitôt.

Elle dégagea sa main pour avancer dans le couloir. Elle les rangea dans les poches de son gilet.

Quentin soupira. Elle avait dit plaisanter et voilà qu'elle était fâchée. Qu'avait-il donc fait ?
Il n'eut pas le temps de l'arrêter pour lui poser la question qu'elle était déjà en bas. Dimitri et Noé avaient déjà sorti un bon paquet de grimoires des vitrines. L'adolescent était en train de les trier alors que Dimi en parcourait un, une paire de lunettes rondes à monture dorée sur le nez.

— Ah quand même ! On a cru que vous nous aviez refilés le sale boulot, fit l'Anglais en voyant arriver sa soeur.

Sauf qu'elle n'avait pas l'air aussi détendue que Noé l'avait sous-entendu tout à l'heure et qu'elle avait les mains dans les poches. Si elle ne touchait pas Quentin, ce n'était pas bon signe.

Elle s'assit à côté de son frère.

— Vous avez trouvé des trucs intéressant ou je dois déjà commander ma couronne mortuaire ? Quoique on avait parlé d'incinération avec papa la dernière fois et les cendres aux poissons.

Elle n'esquissa aucun sourire et fit tourner le grimoire de Dimitri vers elle. Mais elle se doutait bien que s'il se trimballait avec des lunettes sur le nez c'est qu'elle n'y comprendrait rien.

Le regard de Dimi se durcit à ses propos tout autant qu'au ton, mais cela ne dura qu'une seconde.

— Laisse donc ces pauvres poissons tranquilles, répliqua-t-il en lui collant ses lunettes magiques sur le nez.
— Je ne pensais pas qu'on avait autant de grimoires sur la magie élémentaire.
— Je m'en suis procuré des nouveaux ces derniers mois, précisa Quentin à Noé.

Il en enleva deux de la pile devant lui.

— Ceux-là, tu peux oublier. Il n'y a rien sur les ombres.

Quentin observa son frère. Il ne semblait pas du tout perturbé par ce que Dimitri lui avait appris.

— Un jour, il faudra qu'on se démerde pour créer une sorte d'index magique. C'est pas possible de perdre autant de temps pour chercher un truc... soupira l'adolescent.

— Je n'ai pas besoin de ça. Je n'ai même pas besoin de comprendre, dit Bo en les retirant.

Elle posa sa main sur le livre.

— J'ai juste à absorber ce qu'il y a dedans, dit elle avec une colère latente mais que Dimitri connaissait bien et qui était moins bonne que lorsqu'elle cassait tout.

Elle avait à peine dit ça que les mots du grimoire semblèrent remonter sur sa peau comme si c'était sur son épiderme qu'on les écrivait. De la couloir noire de l'encre, ils prirent des nuances dorées avant de disparaitre comme englouti jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que des pages blanches dans le livre. Bo eut une étrange sensation comme si elle avait bu plusieurs shot d'alcool d'un coup sec. C'était pas désagréable pour autant.

— Comment t'as fait ça ? s'exclama Noé en approchant, subjugué.
— C'est sûr que c'est plus rapide comme ça, fit Dimitri sans la quitter des yeux.

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu sa soeur dans cet état. Il regarda à leurs pieds pour voir si les ombres risquaient de se manifester.

— Bo... Sois prudente, intervint Quentin.

Elle tourna sa tête vers lui et lui adressa un regard dès plus contrarié.

— Je fais ce que je veux. Et ta méthode ne fonctionne pas alors autant se borner à la mienne. Jusqu'à toi, elle me réussissait assez bien pour survivre.

Elle posa sa main sur la table et les mots réapparurent sur sa peau pour glisser sur le bois mais ils avaient pris cette fois une teinte bleue avec comme de l'écume blanche glissant.
Sa matière changea pour de l'eau. Une eau ondulante et lumineuse mais qui restait dure sous leurs mains ou sous le poids des livres.
Elle regarda Noé.

— Y avait rien de très efficace dans ce bouquin... Juste de quoi frimer dans les réunions tuppersortilèges des sorciers mais pas de quoi me nourrir.

Elle lâcha la table et croisa ses bras. La sensation de vertige était passée mais quand elle avait utilisé le sortilège, une légère faiblesse l'avait assaillie. Elle ne comptait pas le montrer pour autant.

Quentin fronça les sourcils en voyant de quoi elle était capable. Cela allait bien au-delà de ce qu'il avait imaginé alors qu'elle ignorait tout de son pouvoir. Mais puisqu'elle était comme lui, il était logique qu'elle ait des dispositions pour assimiler rapidement un sortilège. Sauf qu'il n'avait jamais fait de cette façon-là.

— N'utilise plus ta magie, fit-il en se souvenant avec acuité du peu d'ombres qui lui restait. C'est trop dangereux pour toi.

Une lueur de défi passa dans ses yeux à sa phrase et elle posa à nouveau sa main sur la table. Cette fois l'eau devint réellement liquide, elle laissa chuter tout ce qui était posée sur elle puis se modela pour former un océan, un phare, un voilier et même une île avec un château qui continuait de se constituer sous leurs yeux comme une sculpture de glace mais avec la transparence et la limpidité de l'eau.

Dimitri écarquilla grand les yeux sous la surprise. Ce que faisait Bo était merveilleux, mais il ne comprenait pas comment elle réussissait à maîtriser aussi facilement le sortilège.
Quentin franchit les quelques mètres qui le séparaient de Bo pour attraper sa main et la faire cesser.

— Arrête. Tout ce que tu vas réussir à faire, c'est te tuer, fit-il avec une colère rentrée.

Elle se redressa de sa chaise et lui lança un regard encore plus incendiaire.

— Ne. Me. Donne. Pas. D'ordre, dit elle lentement.

Elle dégagea sa main alors que l'eau retombait sur le sol mouillant tout le monde au passage. Puis il n'y eut plus que des éclats de bois à la place des flaques.
Elle regarda les livres par terre.

— Personne ne peut m'aider, de toutes manières, dit elle en se détournant. Viens, Dimi, on va se coucher.

— Alors tu abandonnes ? C'est ça ? répliqua Quentin. Tu baisses les bras ?

Noé sentit qu'il valait mieux ne pas s'en mêler et ramassa les livres trempés. Il espérait qu'ils n'étaient pas tous foutus.

— On y va, intervint Dimitri.

Le regard qu'il adressa à Quentin valait pour avertissement : il ferait mieux de ne pas insister.

Elle s'arrêta et tourna son visage pour le regarder.

— Oui. J'ai eu la réponse à la question la plus importante à mes yeux. Mais.. Merci d'avoir essayé, dit elle avec un détachement étrange.

Elle ne pouvait pas lui en vouloir de se comporter comme les autres et peut être que si Dimitri avait pu voir en elle, lui aussi aurait eu peur. Elle espérait ne pas avoir à le découvrir dans les jours à venir.
Elle replongea les mains dans son gilet et reprit son chemin.