Chapitre 15 - Quand la vérité éclate

Ahmed ne le relâcha pas pour autant. Alexis n'était pas assez loin encore.

— Je croyais que le lien entre le substitut et le sorcier rendait ce genre de choses impossibles, dit il avec un calme qu'il était loin de ressentir.

Ahmed était ami avec Quentin depuis le collège. Il avait passé une bonne partie de ses étés avec la famille de Lyonesse et connaissait bien Eric et Alexis par la force des choses. Ce dernier n'avait jamais brillé pour son courage et sa force mais c'était peut être au final ce qui avait été le plus dangereux pour Eric. Si Ahmed l'avait soupçonné, un temps, il savait qu'au moment de la mort de l'ainé de la famille, Alexis travaillait avec lui. Mais si la mort avait eu lieu à Noël... Alors ce dernier était censé être dans sa famille. Ou en Angleterre.

— Alexis est avec Jo. Elle ne le laissera pas partir. Donc je vais me relever et on va s'assoir sur le canapé, d'accord, dit il lentement mais sans relâcher son appui sur son dos.

Quentin hocha la tête. Ahmed l'entendait essayer de reprendre un rythme normal de respiration, de reprendre le contrôle malgré le choc et ce qui l'agitait. Son ami n'avait jamais eu à gérer un tel accès de rage, une émotion aussi forte. Les exercices de respiration ne suffiraient peut-être pas cette fois.

— D'accord.

— Okay.

Très lentement Ahmed se releva et lui tendit la main pour l'aider à en faire autant. Il le poussa à s'assoir sur le canapé et alla chercher une bouteille d'eau et un linge pour que son ami puisse essuyer ses mains.

— Raconte-moi ce que tu as vu, dit il calmement.

Un instant, Ahmed crut qu'il n'allait pas répondre tellement Quentin était absorbé par ses mains et le sang qui était dessus. Le jeune homme ferma finalement les yeux. Il ne devait pas confondre. C'était ses mains et le sang d'Alexis, pas les mains d'Alexis et le sang d'Eric.
Quand il releva les paupières, il entreprit de nettoyer ses mains avec application, peut-être même un peu trop, mais cela lui permettait de raconter à Ahmed ce qu'il avait vu en évitant de perdre à nouveau le contrôle. Cela couvait cependant, cela se voyait à la tension dans son corps, à la lueur dans son regard et il était heureux qu'Alexis soit hors de vue.

— Quelqu'un lui a fait oublier, dit-il après avoir tout déballé avec les détails. Un homme. Mais je ne sais pas qui.

— Alexis a-t-il juste... tué Eric. C'était quand exactement ? A Noël ? Et il s'est changé en zombie ensuite ?

Ahmed devait essayer de mettre bout à bout ce qu'il savait et ce n'était pas facile.

Quentin resserra à nouveau les poings, mais s'exhorta à refouler ce qu'il ressentait pour répondre. S'il se laissait à nouveau aller, il ne pourrait pas analyser tout ce qu'il avait et essayer de comprendre. La colère, la rage l'aveugleraient encore alors qu'il devait se concentrer sur les faits.

— C'était le soir de Noël. ça correspond avec ce que Bo m'a dit. Alexis... a tué Eric ce soir-là. Il était bien mort.

Il se pencha en avant, les coudes sur les genoux, et glissa ses mains sur sa nuque dans une grande expiration, pour continuer à rester maître de lui-même malgré les images qui l'assaillaient.

— Les ecchymoses qui sont apparues sur le corps d'Eric, celles qu'on a noté à l'autopsie... Ce sont les coups d'Alexis.

Il n'avait aucun doute là-dessus. Par les yeux d'Alexis, il avait vu les marques des coups, le sang... et elles correspondaient.

— Bo a dit qu'Eric était rentré deux heures après avoir quitté la maison, le visage en sang, complètement perdu et changé.

Il lui manquait un élément. Que s'était-il passé entre le moment où Alexis avait abandonné le corps d'Eric sous ce buisson et celui où l'Autre était rentré chez Bo ?

— Un sorcier en aurait profité pour mettre quelque chose dans le corps d'Eric... Mais comment Alexis a-t-il gardé un tel secret alors qu'il perdait déjà les pédales... Quoique ça explique peut être qu'il perde les pédales en fait.

Le téléphone portable de Quentin se mit à sonner. En y réfléchissant bien, c'était même la deuxième ou la troisième fois.

— A la fin, c'était très confus, répondit Quentin en se levant pour aller chercher son téléphone. Il a basculé dans la folie. Je crois que ça a accéléré les choses. Et si on a manipulé sa mémoire pour qu'il oublie, ça n'a rien du arranger.

Il décrocha juste avant que ça ne passe sur la messagerie.

— Bo ?

— Je...

Elle n'avait dit qu'un mot mais il sentit aussitôt qu'il s'était passé quelque chose. Elle se reprit pour dire d'une traite :

— Géraldine est à l'hôpital... Noé dit qu'on a manipulé son esprit que c'est pour ça qu'elle ne reprend pas connaissance mais il ne peut rien faire, il n'a jamais vu quelque chose de ce genre, elle a les yeux ouvert, on dirait qu'elle est morte mais elle respire, elle regarde quelque chose sans nous voir Dimitri a emmené son copain boire un café et on est seuls avec elle afin y a les garde du corps bien sûr mais je...c'est ma faute encore... y a quelqu'un qui sait qu'elle avait le journal son appartement a été retourné pendant la nuit c'est Jonathan qui l'a trouvé hier soir dans cet état et je sais pas si elle va s'en sortir si j'avais appelé plus tôt c'est ma faute j'aurais dû le récupérer tout de suite !

— Doucement, Bo. Respire.

Entendre sa voix lui avait en même temps fait du bien et généré de l'inquiétude à tout ce qu'il percevait dans la sienne et dans le flot de mots qu'elle avait débité d'une traite.

— Calme-toi, j'arrive. Dis moi quel hôpital.

— Je sais pas...

Il l'entendit parler à Noé qui lui demanda de lui passer le téléphone.

— On est à Lariboisière, lui dit son petit frère. La nana qui nous suivait a posé un sortilège de protection sur la chambre, on y risque rien. Mais cette fille... J'ai jamais vu un truc pareil. On dirait qu'on est entré dans sa tête et qu'on a fait pause... Sauf que je sens pas la magie dedans. C'est comme s'il y avait un sortilège qui rendait invisible le sortilège qui agit... Je sais que je suis pas aussi bon que toi et Eric pour reconnaitre la magie ou l'absorber mais des gens en transe je connais tu vois... Et ça c'est le pire des bad trips parce que je vois bien que c'est pas agréable ce qu'elle voit...

Bo dit quelque chose qu'il ne comprit pas et Noé la rassura :

— Non le mec de la sécurité lâche pas Dimi et Jonathan, t'en fais pas pour ça... T'arrives quand ?

— Je pars immédiatement. Ne bougez pas.

Quentin avait mis le haut-parleur et chuchoté le nom de Géraldine pour qu'Ahmed puisse comprendre de qui Noé parlait.

— Bo, ça va aller. J'arrive, la rassura-t-il d'un ton plus doux.

Il l'entendit encore dire que c'était de sa faute et Noé la rassurer avant qu'il ne raccroche. Ahmed soupira longuement en regardant Quentin.

— Il va falloir que tu fasses un brin de toilette avant. Joanna va t'emmener là bas et je m'occupe d'Alexis. Je vais le ramener au loft et rester avec lui jusqu'à votre retour.

Il marqua un temps avant de demander :

— Le journal d'Eric a été volé du coup ?

Ce serait un coup dur si toutes les réponses s'envolaient maintenant qu'ils étaient si près de la vérité.

Quentin se rappela qu'en effet, il avait des signes magiques partout sur le corps et peut-être même encore des éclaboussures du sang d'Alexis sur le visage. Il se dirigea vers la petite salle de bain pour au moins enlever le sang.

— J'espère que non mais l'appartement de Géraldine a été fouillé. On avait un homme là-bas pour la surveiller, merde !

S'il était mort ou avait disparu, Ahmed l'aurait su. Donc cela voulait dire que celui qui s'en était pris à Géraldine avait réussi à passer outre sa surveillance. Pourquoi Quentin avait-il toujours l'impression qu'ils avaient un train de retard ?

— Ce qui est étrange c'est qu'il ne nous a rien signalé. Je vais l'appeler.

Ahmed passa son coup de téléphone et resta quelques minutes avec deux interlocuteurs différents. Il finit par raccrocher et revint près de Quentin.

— Apparemment ça s'est produit à la fin du service de Claude. Il dit que c'était la nuit et que personne n'est rentré, il a laissé Francesca prendre son tour vers 5h du matin. Elle devait être relevée hier en fin d'après-midi par Michel mais il a reçu un message lui disant que c'était Claude qui y était affecté. Quand j'ai appelé chez elle, sa mère m'a dit qu'elle dormait depuis son retour et qu'elle n'arrivait pas à la réveiller. Mais elle pensait qu'elle était juste très fatiguée et comme elle est en week end, elle n'a pas insisté.

Il soupira en ajoutant :

— Je vais passer là bas avec Alexis avant qu'on rentre. Francesca n'est pas une sorcière, normalement elle a un objet magique pour la protéger des enchantements mais elle ne bosse avec nous que depuis un an...

— Je te laisse gérer ça, approuva-t-il en séchant son visage avec une serviette.

Il avait essayé d'enlever le gros des peintures rituelles, mais cela ne partirait sans doute qu'avec une douche chaude. Il n'avait pas le temps de s'en préoccuper aussi repassa-t-il sa chemise par dessus.

— Fais attention à toi, fit-il à Ahmed très sérieusement. Et enferme Alexis chez lui. Je m'occuperai de lui après.

A la mention du Substitut, Quentin sentit à nouveau sa colère enfler. Il l'écarta aussitôt en se concentrant sur ce qu'il avait à faire maintenant.

— Va chercher ta voiture, Jo t'attendra sur le trottoir.

Cela lui éviterait dans l'immédiat de revoir Alexis. Ahmed décrocha son téléphone pour la prévenir qu'il venait la remplacer et qu'elle partait au plus vite avec Quentin.
Le temps que ce dernier aille récupérer sa voiture, elle l'attendait comme promis. Elle monta tout de suite dans le véhicule.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Ahmed n'avait pas eu le temps de lui expliquer. Le peu qu'il lui avait dit sur Alexis était déjà une bombe en soi. Elle n'arrivait pas à réaliser que ce mollusque ait pu tuer Eric.

— Bo, Dimi et Noé sont à Larivoisière. L'amie de Bo, Géraldine, a été attaquée. C'est elle qui avait le journal, expliqua-t-il en démarrant sans attendre.

Sa conduite était plus nerveuse que d'ordinaire. Ses mains resserrèrent le volant. Tout se liguait toujours contre eux.

— Mais eux vont bien ? C'est eux qui l'ont trouvée ? Je croyais qu'on avait quelqu'un là bas... Pourquoi on nous a pas averti ? S'étonna Joanna.

Quentin lui répéta ce que Ahmed avait dit, ou presque parce que pour une fois, il n'avait pas enregistré tous les détails.

— Nous n'étions pas nombreux à savoir pour Géraldine.

Ceux qu'ils avaient assigné à sa surveillance ignoraient qui elle était. Ils avaient essayé de limiter les possibilités de fuite, en pure perte apparemment.

— Je connais Francesca. Elle est très pointilleuse dans son travail, ça ne lui ressemble pas. Olivier m'a dit qu'elle avait eu une carrière militaire impressionnante avant de terminer chez nous. Il était très fier de l'avoir recrutée.

Joanna avait bien vu qu'il regrettait juste qu'elle ne soit pas sorcière, sans quoi il aurait sûrement tenté de la mettre dans son lit. Mais rien ne prouvait qu'elle se serait laissée charmer. Elle était plus obsédée par son boulot que par le plaisir.

— Tu veux pas que je conduise ? dit elle quand elle vit qu'il passait pour la deuxième fois un feu orange-rouge.

— C'est Olivier qui l'a recrutée ?

Quentin ignorait cette information, mais à dire vrai, il ne s'occupait pas de ce genre de choses ou pas tout le temps.
Il freina en urgence, manquant de rentrer dans une voiture qui avait la priorité. Deux minutes plus tard, ils repartaient, Joanna au volant.

— Je n'exclue pas qu'on ait une taupe au bureau. Il est peut-être temps que je m'intéresse de plus près à Olivier et ses ambitions.

— Olivier est assez différent depuis quelques jours. Il prend plus de temps pour lui qu'avant et il est moins prompt à obéir à Sophie.

Elle le regarda alors qu'elle s'arrêtait à un feu.

— On va finir par rattraper notre retard. Même si le journal a disparu, on trouvera ce qui te manque comme réponses.

Il lui adressa un regard reconnaissant, puis regarda devant lui.

— Je ne sais plus par quel bout prendre cette affaire, reconnut-il à voix basse.

— Rappelle-toi ce que tu m'as dis un jour Quentin... Il n'y a pas de problèmes, il n'y a que des solutions... Et s'il n'y a pas de solution alors il n'y a pas de problème.

Elle lui sourit.

— Ce ne sera pas différent cette fois. C'est juste une course contre la montre. Essaie d'aller d'abord au plus urgent. Fais comme tu fais d'habitude, liste tes problèmes, liste les solutions potentielles, les hypothèses et commence par ce qui ne peut pas attendre.

Elle ajouta plus bas :

— Je pense que tu aurais du mal à t'en remettre si Bo mourrait maintenant... Alors commence peut être par ça. Tu as fais quelque chose pour la folie d'Alexis et on ne le lâchera plus dorénavant, on va remonter à qui à pu le manipuler... S'il n'est plus fou, il se rappellera sûrement des choses et on va vouloir le supprimer.