Chapitre 10 - La famille de Lyonesse

Elle prit appui sur son torse pour le regarder.

— Je ne sais pas trop... Pourquoi est-ce que une personne en particulier retient notre attention, nous intrigue... C'est toujours un peu mystérieux.

Elle se redressa et lui tira la main pour qu'il en fasse autant. Elle lui ôta chemise et gilet. Puis avec une lueur d'amusement dans les yeux, les jeta par terre. Et avant qu'il puisse les ramasser, le fit se rallonger pour s'installer dans ses bras, sa joue contre sa peau.

Quentin avait pris un air scandalisé au traitement qu'elle venait de faire subir à ses vêtements, mais cela ne dura qu'une fraction de seconde. Il ne s'était pas tétanisé à son étreinte et sa main revint se poser sur son épaule.

— Evite le tatouage si tu ne veux pas qu'on débarque chez Thanaclop, murmura-t-il en posant sa main libre sur la sienne pour illustrer ses propos.

Il ferma les paupières un instant. Sentir la joue de Bo contre sa peau, tout son corps appuyé contre le sien était encore différent de quand elle laissait traîner ses mains sur lui.

— Ne dis pas ce genre de truc... Je suis une fille... Si tu me dis de ne pas faire quelque chose, ça me donne forcément envie, murmura-t-elle.

Elle sourit et poussa un soupir de bien être.

— Éteints la lumière.

Sa peau était chaude, c'était tellement agréable.

Ils se retrouvèrent à nouveau dans le noir. Quentin se sentait à nouveau bien, comme cet après-midi. La tension de la soirée, la colère qu'il avait ressentie contre Sophie... tout ça avait miraculeusement disparu grâce à la présence de Bo.
Il la serra un peu plus contre lui. Il ignorait pourquoi elle se raccrochait tant à lui, surtout quand on voyait leurs débuts. Peut-être parce que, finalement, il était devenu son seul repère ici. Si Dimitri les avait accompagnés, sans doute que les choses seraient différentes. Ce serait son frère qui lui apporterait le réconfort et la sécurité dont elle avait besoin, elle n'aurait pas besoin de lui. Cette idée le dérangeait un peu, tout comme celle qu'elle puisse se rapprocher d'Olivier.

Bo ne tarda pas à s'endormir dans ses bras, l'empêchant de changer de position. Mais au milieu de la nuit, il se réveilla en la sentant s'agiter.
Elle faisait un rêve qui se mélangeait à ses souvenirs. Eric était au volant de la voiture, il s'arrêtait à sa hauteur et elle voyait avec surprise Kelly installée sur le siège passager. Comme dans la réalité, elle lui adressait un regard furieux et plein de haine, contrastant avec le sourire sucré de son compagnon.

— On va faire un tour pour discuter un peu de la nuit aux débarcadères... Kelly voudrait te féliciter pour ta grossesse, elle aussi. Tu montes où je pars seul avec elle ?

Dans la réalité, elle n'avait pas hésité longtemps avant de monter. Mais dans son rêve, elle regardait plus loin que la voiture. Elle voyait Quentin. Il lui faisait signe de le rejoindre.

— Bo, tu sais très bien que si tu ne montes pas je vais lui rouler dessus. Je suis très fort pour ça.

En regardant à nouveau Eric dans la voiture, elle se rendit compte que Kelly n'était plus qu'un squelette avec des algues accrochées.

— Tu nous fait perdre du temps et pendant ce temps, des gens meurent... Oh et puis, merde !

Il démarrait pour s'en aller, fonçant droit sur la mer. Quentin la rejoignait.

— J'ai cru qu'il ne partirait jamais, lui dit il. Tiens, il a laissé ça pour toi.

Elle vit qu'il tenait entre ses mains, la tête de Dimitri.
La terreur qu'elle ressentit fut si vive, que la fenêtre de la chambre s'ouvrit dans une bourrasque de vent et Quentin qui avait les mains sur elle, la prit de plein fouet comme un coup de poing dans l'estomac.

Quentin en eut le souffle coupé, ce qui acheva de le réveiller tout à fait et d'éloigner son propre mauvais rêve où il était question d'Eric et d'Aurélien prenant le thé avec Thanaclop et de moonwah déchaînés qui emportaient Bo loin de lui en la tenant sur leurs petits bras avant de la jeter dans un grand four devant lequel Sophie ricanait telle une vilaine sorcière de contes de fées.
Un instant, il ne sut plus où il était tellement la terreur le submergeait, le faisant se redresser brutalement dans le lit. Il n'avait jamais été terrifié de la sorte, ou une seule fois, lorsqu'il était enfant et qu'un incendie s'était déclenché à la maison. Il n'en avait que de vagues souvenirs, mais la peur du feu était restée bien ancrée en lui. Une sueur froide coulait dans son dos et il tremblait de tous ses membres. Il avait du mal à retrouver sa respiration.
Dans le même temps, une nouvelle bourrasque de vent ébranla la chambre, faisant claquer les tableaux au mur et les rideaux. C'est ce qui le ramena à la réalité, ses yeux se posant sur sa main qui accrochait encore l'épaule de Bo au point de lui faire mal. Ce n'était pas sa terreur à lui. Ce n'était pas son émotion. C'était celle de Bo. C'était incompréhensible, il n'avait plus déclenché son pouvoir d'absorption de façon inconsciente depuis des années !
Il réussit à déglutir et sa main s'écarta en tremblant de la jeune femme sans savoir si elle était réveillée ou pas. Il ferma le poing et se focalisa dessus.

— Bo... réussit-il à dire d'une voix qu'il ne reconnut pas comme la sienne tellement elle était changée par ce qui lui nouait l'estomac.

Il prit plusieurs inspirations profondes pour repousser cette terreur qui lui collait à la peau et qui l'affolait. Il devait se concentrer, respirer, repousser ce qu'il ressentait, prendre de la distance.
Inspiration. Maîtrise de soi. Ce n'était pas sa terreur à lui.
Expiration. Contrôle de ses émotions. Ce n'était pas sa peur.
Inspiration. Maîtrise. Ce n'était pas lui.
Expiration. Contrôle. Toujours.

— C'est rien, dit elle en restant assise sur le lit.

Elle avait ouvert les yeux et regardait la fenêtre ouverte, reprenant son souffle avec l'air frais de la nuit.

— C'était juste un rêve. Il n'est plus là. Dimitri va bien. Tout va bien, dit elle à voix basse.

Elle attrapa malgré tout son portable pour envoyer un sms à son frère afin de s'assurer qu'il avait toujours sa tête sur ses épaules.

Quentin rouvrit les yeux en l'entendant parler. Elle ne s'adressait pas à lui. Parler à voix haute n'avait vocation qu'à se rassurer elle-même.
Il l'observa envoyer son sms. Ce qu'il avait absorbé était toujours là, tapis en lui, mais il avait réussi à l'étouffer.

— Tu veux en parler ? demanda-t-il dans un murmure.

Il avait noté ce qu'elle venait de dire, s'interrogeant sur l'identité de ce "il". Cette terreur, elle l'avait déjà ressentie quelques jours plus tôt, quand elle avait ouvert la chambre d'Eric.

— Non. J'en fais toutes les nuits. Comme quand j'étais gamine. Mais ça s'arrêtera un jour. Ça a bien fini par s'arrêter pour Dorothy.

Elle se leva pour aller fermer la fenêtre. Il allait vraiment falloir que les ombres arrêtent avec cette fichue fenêtre, ça devenait pénible. Même si Quentin ne semblait pas penser que c'était de son fait.

Quentin n'en était pas encore là dans ses réflexions sur la question à vrai dire.

— Dorothy ?

Le prénom lui disait quelque chose. Il lui semblait que c'était dans son dossier.

— Rien, dit elle.

Elle se recoucha, attrapant un oreiller pour le serrer fort dans ses bras.

— Désolée, si je t'ai réveillé... T'as de la chance t'as pas fini par terre comme mon frère.

Dimitri avait souvent dormi avec elle après la mort d'Eric et certaines nuits elle s'était réveillée en croyant que c'était Eric près d'elle. Une fois, il s'était même pris son poing dans la figure...

Il doutait très franchement que ce soit "rien", mais n'insista pas.
Il se rallongea pour lui faire face, la tête relevée sur un coude. Sa main libre se posa sur son bras et remonta jusqu'à son épaule.

— Ce n'est pas...

Il réalisa alors qu'un peu plus tôt, il avait serré fortement son épaule.

— Je ne t'ai pas fait mal ?

Le téléphone de Bo annonça un sms de Dimitri.

C'est le milieu de la nuit pour toi. Un cauchemar ?

Elle répondit à son frère "Oui. Un de plus. Tu me manques."
Elle laissa glisser le téléphone sur la couverture et regarda Quentin.

— Non. C'est pas ce que j’appellerai faire mal...

Par réflexe, elle se frotta le cou. Le nombre de fois où il lui avait fait le coup de l'étrangler alors qu'elle dormait, juste pour que dans la panique elle lâche les ombres...

Il fut soulagé de ne pas lui avoir fait mal, mais son geste l'interpella. Est-ce qu'on l'étranglait dans son cauchemar ? Ses doigts frôlèrent sa nuque et il tenta de voir avec sa magie si elle avait toujours aussi peur.

— Viens contre moi.

Il se rallongea sur le dos, lui faisant de la place pour qu'elle revienne se blottir contre lui.

Sa peur avait diminué, il ne restait qu'une angoisse latente.
Elle hésita un moment. Elle n'était pas certaine que revenir dans ses bras soit une bonne idée. Elle avait cette tendance à chercher du réconfort dans les bras d'un homme et il n'était pas homme à fonctionner ainsi. Pour la première fois, elle le déplora sincèrement. C'était tellement agréable de tout oublier ainsi. Sauf qu'il n'était pas un homme de passage. Il était le frère d'Eric. Et si elle était enceinte, il était bel et bien condamner à rester dans son sillage.
Elle fronça les sourcils en réalisant qu'elle avait douté être enceinte. Pourquoi cela lui semblait il si improbable ?

Il absorba un peu de son angoisse. Il voulait qu'elle se rendorme et que le cauchemar ne revienne pas. Cette fois, en le faisant en connaissance de cause, il n'avait aucun risque de prendre cette émotion pour lui, il pouvait la gérer comme d'habitude.

— A quoi tu penses ? demanda-t-il en la voyant froncer les sourcils.

Pourquoi fallait il toujours qu'il pose des questions auxquelles elle préférait ne pas répondre ?

— Je me demandais si tu embrassais bien.

Ça lui ferait les pieds de poser des questions à la con. Il en poserait moins maintenant. Et histoire d'en rajouter une couche, elle revint se caler tout contre lui. Comme ça en plus, il serait bien mal à l'aise en visualisant la chose.

Il ne dit rien, la gardant simplement contre lui. Il s'efforça à ne pas penser à ce qu'elle venait de dire. Ce n'était qu'une diversion pour éviter qu'il ne s'attarde sur ce qu'elle ne disait toujours pas. Il commençait à s'habituer à sa manière de faire.
Il resta un moment comme ça, à regarder le plafond dans l'obscurité, mais s'il commençait à penser à elle, à Eric et à toute cette affaire, jamais il n'arriverait à dormir.

Il sentit sans mal qu'elle mettait plus de temps à se rendormir que la première fois. Son souffle caressait sa peau et ses doigts bougeaient par moment contre son flanc. Elle peinait d'ailleurs à savoir vraiment où mettre sa main. Il y avait le tatouage et plus bas... Elle ne semblait pas trouver que ce fut le meilleur des endroits. Sa position ne lui convenait pas et il la sentait essayer de se caler, résistant à l'envie de remonter sa jambe sur lui mais n'avait pas autant de scrupule avec son sein qui lui s'étalait un peu plus sur son torse.

Bo n'arrêtait pas de dire qu'il ne la voyait pas comme une femme, mais quand elle bougeait ainsi contre lui, il ne pouvait ignorer qu'elle en était vraiment une. Surtout qu'il était torse nu et que sa chemise de nuit n'était pas épaisse. Lentement, il caressait son dos ou ses épaules pour l'apaiser, elle, et pour lui, penser à autre chose.

— La position ne te plaît pas, on dirait.

— Tu veux vraiment qu'on parle position ? Marmonna-t-elle.

Elle poussa un soupir en se disant que ce qu'il faisait avec sa main était bien loin d'être apaisant.

Il esquissa un sourire à sa façon de lui répondre.

— Ce que j'en dis...

Sa proximité était loin d'être désagréable, mais il ne fallait vraiment pas qu'il pense à cela maintenant.

— Ce que t'en dis...Tsss...

Et ce qu'elle en pensait elle, il en dirait quoi ? Elle n'arrivait vraiment pas à se faire une idée. Il ne se comportait comme aucun autre homme avant lui. Elle se décida finalement à remonter sa main pour la laisser sur son cou.

— Bonne nuit, Quentin, murmura-t-elle.

Sa main libre vint se poser brièvement sur la sienne, puis retrouva sa place sur son flanc, juste au dessus de son tatouage.

— Bonne nuit, Bo, murmura-t-il en fermant les yeux.

Il resta attentif à sa respiration pendant un moment, puis finit par s'endormir.

Bo se hissa légèrement sur le bras pour voir s'il dormait. Elle l'appela très bas mais il ne réagit pas. Elle ne le discernait pas très bien malgré la lune qui éclairait la chambre. Elle sourit et se pencha pour l'embrasser très doucement au coin des lèvres.

— Fais de très jolis rêves, lui murmura-t-elle.

Elle resta contre lui mais se tourna de l'autre côté. Elle avait de la chance d'avoir trouvé une autre personne pour veiller sur elle. Elle espérait juste qu'il ne lui arriverait rien.