Chapitre 10 - La famille de Lyonesse

— C'est à l'opposé de tout ce qu'on m'a appris, constata-t-il en posant ses mains sur les siennes, plus pour retrouver son contact sous ses paumes que pour l'empêcher de continuer.

Il se sentait bien plus détendu qu'en entrant dans cette chambre, mais il ne savait pas si cela venait du massage ou de la proximité de Bo.

Son odeur était agréable, tout comme cette proximité.

— C'est parce que le plaisir ne s'apprend pas, Monsieur de Lyonesse. Il se découvre avec un peu de curiosité, lui murmura-t-elle à l'oreille.

A cet instant, elle trouvait d'ailleurs Quentin bien plus digne d'un rendez-vous qu'Olivier. On frappa deux coups à la porte.

— Tout va bien ? Demanda Gwen. Est-ce que Quentin est avec vous ?

Aussitôt, le jeune homme se redressa, mais il fut évident qu'il regrettait cette interruption.

— Je suis là, fit-il à sa mère. J'arrive.

Il se leva tout en boutonnant sa chemise. Il ne voulait pas que sa mère se méprenne.

Bo soupira en songeant qu'il n'était pas compatible de parler de plaisir tout en ayant sa mère de l'autre côté de la porte. Sauf chez elle parce qu'Irina ne se serait jamais permis de frapper à la sienne si elle avait été seule avec un garçon. Ou alors pour laisser devant une boite de préservatifs et du lubrifiant. Mais là encore, Quentin n'avait pas besoin de préciser qu'il n'avait pas reçu ce genre d'éducation.

— Nous pouvons discuter demain matin. Vous avez disparu tellement brusquement tous les deux que je me faisais... quelques inquiétudes, dit Gwen derrière la porte.

Quentin pensait que sa mère s'inquiétait surtout pour Bo plutôt que pour lui, mais il ouvrit la porte. Bo lui avait enlevé sa cravate et son gilet quand elle avait commencé à le masser, et il était un peu moins bien coiffé que tout à l'heure.

— Tout va bien. Nous discutions.

Il préférait néanmoins que sa mère ne voit pas les sacs de Bo qui attendaient sur le lit.
Il observa Gwen comme il le faisait souvent, cherchant sur son visage ou dans son attitude ce qui pourrait trahir son état d'esprit, sa fatigue.

Gwen hocha la tête. Rien dans son apparence ne traduisait ce qu'elle pouvait ressentir, à part peut être une légère fatigue aux coins de ses yeux.

— Noé ? Lui demanda-t-elle.

Cette fois un pli barra son front.

Quentin soupira longuement.

— Chez Christophe. Il ira au lycée directement.

Avec tout cela, il avait oublié cette histoire avec son frère...

— Quelqu'un veille sur lui.

Gwen hocha la tête, visiblement soulagée.

— Ce n'est pas plus mal. S'il avait été là, il aurait su se montrer...agaçant avec ta grand-mère.

Elle le regarda.

— Je vais tout arranger alors ne t'inquiète pas trop.

Elle jeta un oeil vers la chambre mais elle ne voyait rien avec Quentin devant.

— Comment va-t-elle ? Demanda-t-elle plus bas.

Il aurait voulu que Gwen n'ait rien à arranger, mais il voyait bien que sa mère était trop fatiguée pour ce genre de conversation.

— Elle va bien, ne t'en fais pas. J'aurai dû mieux la préparer à Sophie.

Mais il n'était pas certain que cela aurait changé grand-chose.

— Non.

Elle lui sourit.

— Parfois il y a des choses que seul un étranger peut se permettre de dire. Et ça fait du bien à tout le monde, dit elle.

Elle hésita avant d'ajouter plus bas :

— J'ai vu au quotidien ce que ton père vivait avec ce travail et cette famille... Mais il avait François... Et il m'avait moi. C'est bien si toi aussi tu trouves des personnes pour t'épauler.

Elle aurait aimé pouvoir le faire. Elle aurait aimé pouvoir lui dire qu'elle était fière de lui mais comme d'habitude, les mots se bloquaient dans sa gorge.

— Bonne nuit, dit elle à la place.

Gwen put lire la surprise sur le visage de son fils à ses mots. Lui aussi aurait bien ajouté quelque chose, mais il se contenta de hocher la tête.

— Bonne nuit, Maman. Repose-toi bien.

Une fois qu'elle eut tourné les talons, il referma la porte.

Bo en avait profité pour ôter ses sacs du lit et s'était déshabillée. Elle terminait d'enfiler sa chemise de nuit.

— Tu restes dormir avec moi ? Demanda-t-elle en le voyant fermer la porte.

Il baissa les yeux quand il vit qu'elle n'était pas tout à fait habillée.

— Parce que tu crois que ça serait approprié ? réussit-il à plaisanter.

— Je serai sage. Je laisserai mes mains au-dessus de la ceinture, dit elle en les levant.

Elle lui sourit en ajoutant :

— Tu pourras toujours dire que tu avais peur que je m'enfuis. Comme tu es un homme très consciencieux, ça n'étonnera personne.

Elle ajouta en se laissant tomber sur le lit avec un bâillement.

— Et puis, tu ne me vois pas comme une fille.

— Tu reviens encore là-dessus...

Elle n'avait cependant pas tort sur une chose : il se sentirait plus tranquille s'il pouvait être sûr qu'elle ne s'enfuirait pas pendant la nuit ou au petit matin. Il pouvait bien poser un sceau sur sa porte pour l'en empêcher, mais ce serait déclencher la guerre, il le sentait.
Il se débarrassa de ses chaussures, rangeant les chaussettes dedans, et de sa ceinture pour être plus à l'aise. Il s'assit sur le lit pour défaire les boutons de manchette.

— Bien sûr. J'ai pas vraiment d'ego alors je me vexe pas mais ça n'arrive pas si souvent qu'on ne veuille pas me peloter, dit elle en se glissant sous les couvertures.

Elle s'allongea sur le côté pour l'observer même s'il lui tournait le dos.

— Après c'est pas grave, tu ne te changes pas en statue de glace quand je profite de ton corps. Alors qu'avec Capucine c'est vraiment stupéfiant...

Il éteignit les lampes et s'allongea tout habillé, restant au-dessus des couvertures. Il cala un bras derrière sa tête, regardant le plafond.

— C'est différent.

Sa voix s'était faite plus basse, comme si l'obscurité le poussait à ne pas parler trop fort.

— Capucine m'a toujours fait cet effet-là. Il y a quelque chose chez elle qui...

Il chercha le bon terme. Il ne voulait pas être insultant malgré tout. Il ne pouvait pas dire qu'il la détestait car c'était un sentiment bien trop fort. Ce n'était pas du mépris non plus, ni, au contraire, de l'indifférence. C'était juste... physique.

— Tu vas encore dire que ce n'est pas normal, mais je n'aime pas qu'on me touche en général et surtout pas par surprise, avoua-t-il en continuant de regarder le plafond. Avec elle, c'est simplement plus prononcé.

C'était même si fort qu'il devait parfois éviter de se dégager trop rapidement, uniquement parce qu'il avait de l'éducation.

Elle resta un instant silencieuse.

— Alors tu subis toutes mes attaques épidermiques de manière stoïque. Je sais vraiment pas pourquoi tu veux tellement que je reste alors que je représente à ce point tout ce que tu n'apprécies pas dans ma manière d'être, dit elle songeuse.

Il aurait pu continuer de déléguer la surveillance.
En plus c'était terrible parce que plus elle le touchait, plus elle envie de poursuivre ses explorations.

Il tourna la tête vers elle, essayant de discerner ses traits dans la relative obscurité. La terrasse dehors était toujours éclairée, les serveurs étaient sûrement en train de tout ranger, et la lumière leur parvenait de derrière les rideaux.

— Je n'ai jamais dit ça.

Il ne lui semblait pas rester stoïque quand elle le touchait, bien au contraire.

— Pourquoi je serai si différente pour toi ? Demanda-t-elle.

— Je ne sais pas, répondit-il avec sincérité. Mais tu l'es.

Il n'était pas sûr que cela vienne du fait qu'elle ait été la compagne de son frère ou de sa promesse de la protéger.

Elle sourit et sortit de ses couvertures pour venir se caler dans ses bras. Elle n'avait pas dormi avec un homme depuis Connor.

— Alors j'ai le droit de déboutonner ta chemise pour pas avoir un bouton d'imprimé sur ma joue demain matin ? Demanda-t-elle.

— Et maintenant que je t'ai dit ça, tu vas en profiter.

S'il avait légèrement soupiré, il n'en était pas contrarié pour autant.

— J'aurai du aller me changer, mais j'ai trop peur que tu te sauves.

Sans y penser sa main vint trouver sa place sur les épaules de Bo. Il la touchait de plus en plus par lui-même, mais il n'allait pas lui dire qu'il n'avait jamais fait ça avec personne à ce point.

Elle se redressa sur un coude et défit les boutons de l'autre.

— J'adore te déshabiller alors c'est vraiment pas un problème, lui assura-t-elle.

Elle se coucha sur lui le temps d'allumer la lampe de chevet et se redressa pour terminer consciencieusement sa tâche, ses longs cheveux chatouillant légèrement sa peau.

— Et non je ne te considère pas comme une poupée pour autant. C'est juste que j'ai la sensation que t'ai plus toi quand j'enlève toutes ces couches superficielles et froides.

— Pourquoi ça t'intéresse autant ?

Il avait toujours une main dans son dos. Cette proximité lui rappelait celle qu'ils avaient partagée toute la journée. Il sentait qu'il pourrait vraiment s'y habituer... ou la regrettait quand elle reprendrait sa vie en Angleterre.