Chapitre 6 - La famille Hendricks

Quentin et Alexis avaient été invités pour un barbecue dans le jardin du petit pavillon de Andrew, le grand frère de Gills Hendrick, le père des jumeaux. Il était au moins aussi grand que ses fils et aussi joyeux. Sa femme, Sarah-Sue était en revanche toute frêle et toute douce, très prévenante. Sauf lorsque les enfants de Callum devenaient trop turbulents, faux jumeaux de 4 ou 5 ans, Merry et Gordon, là elle pouvait démontrer une voix de stentor qui faisait trembler toute le monde. La femme de Callum lui ressemblait d'ailleurs beaucoup, Kathy, était une femme superbe malgré les rondeurs conservées de sa dernière grossesse mais on voyait sans mal qu'elle tenait son mari en respect malgré les taquineries de ce dernier. Avec Fergi, ils ne cessaient de se faire passer l'un pour l'autre depuis l'adolescence mais ça ne marchait jamais.
A tout ce petit monde, s'ajoutait la vieille Granny et son sac à tricot, ses aiguilles toujours en action, accompagnée de sa jeune soeur Antonia, aveugle mais au rire surprenant. Cette dernière venait avec ses deux filles : Ariana et Clara. La première était divorcée mais fort occupée avec sa fille Deryn et sa meute d'enfants. La seconde était une intellectuelle essayant toujours de relever le niveau de la discussion, prônant la liberté de la femme devant se libérer du joug des hommes. Elle amenait régulièrement ses petits copains ou ses petites copines selon son humeur. Mais cette fois-ci, elle était seule et défendait âprement le célibat.
La maison n'était pas grande, tout le monde se poussait, se rentrait joyeusement dedans, se volaient chaises ou verres dans une ambiance enfantine.
C'est Dimitri qui les avaient conduit jusqu'au petit pavillon de banlieue, Richard II s'étant pris d'amour pour Alexis et Quentin, ces derniers étaient maculés de poils et de bave avant même leur arrivée.

— Bienvenue, les salua Gills en leur serrant la main à chacun. Venez prendre une bière !

Il leur adressa un sourire chaleureux en les conduisant dans le jardin où régnait une grand effervescence entre les enfants qui courraient et les hommes qui refaisaient le match de la veille. Les jumeaux foncèrent donner une accolade aux deux français.
Bo n'était visible nulle part.

Quentin avait été bien content d'avoir remis le jean et pas son costume quand Richard II lui avait sauté dessus. Il subit l'accolade des jumeaux avec stoïcisme, s'étant déjà fait à l'idée qu'il n'y échapperait pas.
En revanche, l'agitation dans le jardin le prit au dépourvu. De ce qu'il avait vu la veille, il était évident qu'un barbecue chez les Hendricks ne ressemblerait en rien à une garden-party chez les de Lyonesse, et il ne pensait pas seulement au standing, mais il ne s'était pas attendu à cette ambiance-là. Comme au pub, il avait l'impression d'entrer dans un monde totalement inconnu et où il n'était pas sûr d'être à sa place.

— Merci pour l'invitation, Mr Hendriks.

Dimitri les laissa avec leur père pour aller embrasser tout le monde et demander à Granny si elle pouvait lui tricoter un nouveau bonnet, le dernier ayant malheureusement disparu dans l'incendie.

— Appellez-moi Gills, dit l'homme avec un sourire. Vous semblez plus costaud qu'Eric... Vous savez pêcher ?

— Oh ne commence pas tonton, dit Deryn en s'approchant avec un verre de whisky.

Elle sourit à Quentin, admirant clairement l'homme devant elle.

— Moi c'est Deryn. La moitié des enfants ici sont les miens... Je suis soulagée que Bo s'y mette !

— Enchanté de vous connaître, fit-il en lui serrant la main. Quentin.

Il jeta un coup d'oeil rapide autour d'eux. La moitié des enfants. Cela en faisait beaucoup.

— Désolé de vous décevoir, mais je n'ai jamais pêché de ma vie, répondit-il à Gills.

— Oh ça, ça ne nous déçoit pas ! Ça nous émoustille ! dit Andrew d'une voix grave et vibrante en venant mettre son bras autour des épaules de Quentin et d'Alexis.

Il avait autant de force que ses fils et résonnait de la même energie chaleureuse.

— Viande ou poisson ? Demanda-t-il.

Alexis eut l'étrange sensation que leur réponse pouvait statuer sur le reste de la journée.

Quentin n'avait vraiment pas l'habitude de ce genre de proximité physique. Même avec son père, cela avait été rare, surtout passé un certain âge.
Il resta immobile, ne voulant pas vexer le père des jumeaux en se dégageant, mais il avait hâte que cela se termine.

— Poisson, merci.

— Viande, tenta Alexis.

Andrew les lâcha avec un "A la bonne heure" !
Ariana et Clara vinrent les chercher pour les guider jusqu'à des fauteuils de jardin près de Granny. La vieille dame et sa soeur aveugle les saluèrent. La première regarda Quentin avec curiosité.

— Tu es comme ma petite Bo, dit elle.

Ce qu'elle lui dit l'intrigua, lui rappelant les étranges mots de son frère.

— Vraiment ? En quoi ? demanda-t-il avec curiosité.

La grand-mère de Bo ne ressemblait en rien à la sienne, c'était certain. Ne serait-ce que parce qu'il n'avait jamais vu Sophie faire quoi que ce soit de manuel.

— Tes yeux. De beaux yeux bleus plein de lumière, dit elle en continuant son tricot sans même regarder ce qu'elle faisait.

Ses cheveux blancs étaient réunis en un gros chignon au-dessus de sa tête.

La vieille dame lui faisait penser aux images populaires des grands-mères, avec son crochet et son chignon.

— Merci, c'est très gentil.

Des trois frères, il était le seul à avoir les yeux bleus. On lui avait toujours dit que cela venait du côté Lafey et spécialement de son grand-père maternel qu'il n'avait pas connu. Il savait que la couleur de ses yeux associée au noir de ses cheveux étaient l'une des choses qui plaisaient aux femmes avec qui il sortait, mais il n'en faisait pas état.

— Pourquoi Bo n'est pas là ? Demanda-t-elle.

Elle agita une de ses aiguilles en direction de Dimitri pour qu'il approche.

Quentin se posait la même question. Depuis son arrivée, il guettait la sienne.

— J'espère que les Froggies ne t'embêtent pas, fit Dimi en arrivant avec trois bières qu'il attrapa dans une poubelle pleine de glaçons.

Il en donna une à chaque Français et leur adressa un sourire malicieux.

— Vous pouvez enlever le bouchon avec les dents, mais ça marche aussi en dévissant, s'amusa-t-il.

— Sinon il y a des verres, fit remarquer Granny. Il n'y a pas que les vieilles dames qui s'en servent...

Elle chassa ça de la main.

— Où est ta soeur ? Elle dormait chez ta mère c'est ça ?
— Non. Gills a dit qu'elle s'installait dans sa nouvelle maison, corrigea l'autre vieille dame.
— Déjà ? Elle en a déjà acheté une autre ?
— Mais non c'est l'ancienne ! Celle d'Hallinger !
Granny fonça les sourcils et regarda Dimitri comme si c'était son idée.
— Cette ruine ? Encore ? Mais le toit va lui tomber sur la tête !

Dimitri haussa les épaules.

— J'y suis pour rien, moi ! se défendit-il en buvant une gorgée de bière. C'est pas moi qui ai foutu le feu à la baraque.

A ces mots, il jeta un regard à Alexis.

— Et vous savez bien qu'Irina la rendra folle au bout de 24h.
— Il y avait d'autres solutions, se hasarda Quentin.

Dimitri éclata de rire et se pencha vers lui.

— Le naturel revient au galop, hein ? Tu tiens tant que ça à ce qu'elle te frappe ?

— Vous voulez l'épouser ? Demanda Granny.
— C'est une bonne solution. Le petit reste dans la famille d'origine, approuva sa soeur. De mon temps ça se faisait pour éviter de laisser une veuve.

Granny éclata de rire et regarda sa comparse.

— Tu aurais bien voulu être dans cette situation rien que pour te faire consoler par le grand Charles.

L'aveugle bougonna quelque chose.

— Non, je ne compte pas épouser Bo, répondit Quentin. Mais ne vous en faites pas pour elle et le bébé, notre famille ne les laissera pas tomber parce qu'Eric n'est plus là.

Il adressa un sourire rassurant aux deux vieilles dames.

— Faut encore qu'elle te laisse faire, s'amusa Dimi.

Il soupira en regardant vers la porte d'entrée.

— Mais qu'est-ce qu'elle fout ?

Il prit son portable et appela sa soeur.

— Si j'étais entrain de conduire mon vélo, ce serait hyper risqué pour moi de décrocher, lui répondit elle à la deuxième sonnerie.

— Tout le monde t'attend. Si t'arrives pas bientôt, Granny aura persuadé Quentin de t'épouser sous huit jours.

— Tout de suite les menaces... Je serai bientôt là. J'ai demandé à Franck de me déposer chez Connor. Ce mec est vraiment incroyable, il parle huit langues ! Franck hein ! Et il ne boit que de l'eau. Même pas du café, du thé ou du soda. Juste de l'eau. Demanda à Quentin s'il savait ça !

— Qui est Franck ? Et qu'est ce que tu vas foutre chez Connor ?

Quentin avait tendu l'oreille, Dimitri ne s'étant pas éloigné pour appeler sa soeur. L'Anglais regarda le Français, attendant la réponse à sa première question.

— Franck travaille pour moi, répondit Quentin en se demandant bien ce qui se passait.

Franck et Michaël étaient censés rester discrets et, surtout, ne pas se faire repérer.

— Tu lui as demandé ? Nan parce que si tu crois que je vais répondre à tes questions alors que tu ignores les miennes... D'ailleurs, tu ajouteras aussi à Quentin que lui refuser ses congés à deux semaines des dates c'est peut être légal en france mais c'est pas très correct... C'était quand même le baptême de sa nièce quoi...

Dimitri retint un rire, uniquement parce qu'elle avait dit aller chez Connor et que cela lui déplaisait.

— Ok, je lui demande.

Il se tourna vers Quentin qui attendait la suite.

— Bo veut savoir si tu savais que Franck ne buvait que de l'eau. Mais vraiment QUE de l'eau.

Il vit le Français soupirer, contrarié à l'idée que son employé se soit fait alpaguer par celle qu'il était censé surveiller, et faire non de la tête.

— Apparemment, il savait pas, reprit-il à l'adresse de sa soeur avant de revenir à Quentin dans la foulée. Elle dit aussi que c'est pas très sympa de lui refuser ses congés alors qu'il y a le baptême de sa nièce. Moi, je trouve même ça carrément dégueulasse. ça se fait pas, Quentin. Tu peux pas traiter les gens qui bossent pour toi comme ça.

Quentin allait devoir avoir une explication avec Franck. On ne discutait pas de ce genre de choses avec une cliente. Il l'aurait cru plus professionnel.

— Passez la moi.

Dimitri lui renvoya un sourire goguenard et s'accrocha à son portable.

— Bon, maintenant que j'ai répondu à tes questions, tu réponds à la mienne, préféra demander Dimi à sa soeur. Qu'est-ce que tu vas foutre chez l'épicier ? Et me dis pas que t'as besoin d'une boite de raviolis.

— On est en route. J'ai proposé à Connor de venir avec les petits. Ils pourront jouer avec ceux de la famille, ça leur fera du bien.

Les jumeaux étaient encore plus dur depuis la mort de leur mère et elle était certaine que Connor serait ravi d'avoir des conseils de parents ayant eu à gérer des terreurs. Surtout que Deryn avec ses deux divorces était une spécialiste.
Elle regarda Connor qui conduisait la voiture. Il ne faisait que travailler et se coupait du monde, il avait besoin de souffler et qu'on cesse de le regarder comme le pauvre veuf. Dimitri et les jumeaux ne lui laisseraient pas cette opportunité mais ne seraient pas trop dur quand même.

— Bo... soupira Dimi.

Il comprenant l'intention. Elle était louable, bien entendu. Mais on parlait de Connor et il allait se faire des idées. Il espérait surtout que sa soeur, elle, n'allait pas replonger avec lui.

— Ok, capitula-t-il. Je préviens tout le monde.

— On sera là dans cinq minutes.

Bo raccrocha et regarda Connor qui conduisait. Il avait une familiale plutôt confortable même si elle n'avait rien avoir avec la voiture de location de Quentin. Elle le trouvait toujours aussi agréable à regarder. Elle espérait qu'en la voyant avec lui, le français allait lâcher l'affaire. C'était un peu bas de se servir de Connor pour ça, mais elle savait que ça lui ferait vraiment du bien aussi de sortir de chez lui.

— Ils sont prévenus, dit elle.

Shelly avait enfin arrêté de pleurer mais les jumeaux continuaient de jouer à la guerre en se tapant sur la tête avec leur bonhomme robot.