Chapitre 2

Il la regarda longuement. Très longuement. Mais elle était sérieuse.

— En quoi mon allure peut-elle avoir une incidence sur notre conversation à venir ? demanda-t-il sérieusement.

Elle lui adressa un léger sourire.

— Je n'arriverai pas à me concentrer sur ce que vous dites si je ne pense qu'à améliorer votre condition vestimentaire, dit elle.

Sa condition vestimentaire. Cette fille était bizarre.

— Rejoignez-moi et je concède d'enlever la cravate et de défaire un bouton.

Ce n'était pas un trop gros sacrifice et il pouvait se montrer de bonne volonté s'il voulait qu'elle lui fasse confiance.

Elle lui sourit et montra le chiffre deux avec ses doigts. Elle se redressa et elle disparut de sa vision avant de le rejoindre par la plage.

Il y avait vraiment un problème avec cette fille et il commençait à croire qu'elle dégageait un enchantement particulier pour qu'il ait envie de baisser sa garde dès qu'elle s'adressait à lui ou lui souriait.
Alors qu'il la regardait le rejoindre tout en pliant consciencieusement sa cravate pour la ranger dans la poche de sa veste, Quentin essaya de discerner le tissage d'un quelconque sortilège qui pourrait l'entourer.

— Oh Monsieur de Lyonesse, que vous me regardez avec un grand sérieux, dit elle avec malice.

Elle s'arrêta devant lui et refit le chiffre deux avec ses doigts. Elle était certaine qu'il serait moins impressionnant ainsi. Un petit peu.

Quentin obtempéra sans la quitter des yeux.

— Satisfaite ?

Il ne voyait rien chez elle. Rien. Aucun sortilège d'aucune sorte. Aucune magie. C'était troublant.

— Les cheveux. Je peux m'en charger si vous voulez. Promis, je ne vous ferai pas ressembler à Richard II, dit elle en souriant.

Elle réalisa qu'elle souriait un peu trop. Il ne fallait pas qu'elle se trouve une nouvelle source d'amusement en une personne aussi potentiellement dangereuse que lui.

— J'étais d'accord pour la cravate et le col, mais pas les cheveux, répondit-il en esquissant un très léger sourire.

Il n'avait pas pu s'en empêcher alors qu'elle lui souriait ainsi, mais il reverrouilla aussitôt l'envie d'en faire plus. Peut-être qu'en fait, elle lui avait jeté un sort lors de leur première rencontre et il ne s'en était pas rendu compte. Pourtant, il était prudent et, depuis des années, avait toujours un sort barrière d'actif pour éviter qu'on veuille le manipuler d'une quelconque façon.

— Très bien. Mais dans ce cas, j'écoute que cinq minutes... Après je ne vais penser qu'à vos cheveux et ce sera peine perdue de toutes manières.

Elle sortit son téléphone portable et mit l'alarme.

— Voilà, ça sonnera à 11h04, lui annonça-t-elle.

Quentin avait réfléchi quel sujet abordé en premier. Il lui faudrait bien parler de la mort d'Eric, mais il était sans doute préférable de commencer par leur famille.

— Très bien. Je sais qu'Eric ne vous a rien dit de nous, mais les de Lyonesse sont une famille ancienne, avec des traditions. Comme notre grand-père avant lui, notre père était le chef de notre famille au sens large, notre clan si vous préférez, mais aussi le dirigeant de notre société familiale. Je vais vous épargner les détails, mais DLS est une grande entreprise. Nous travaillons avec les hommes politiques, les industriels et les grandes fortunes d'Europe, principalement. Et contrairement à ce que vous pensez, ce n'est pas de "l'argent facile".

Visiblement, il avait un peu mal pris cette remarque.

— Eric était l'aîné, aussi quand notre père est mort, il a hérité non seulement d'une partie de sa fortune, mais aussi de ses responsabilités. C'était lui le chef de la famille et le directeur de la société et personne d'autre. Maintenant qu'il est décédé, si cet enfant est le sien, c'est lui qui aura droit à cette place.

Elle regarda son chronomètre.

— Il vous reste encore quatre minutes, dit elle pour seul commentaire.

Elle croisa les bras et regarda ses cheveux avant de reporter son attention sur ses yeux bleus. Ils étaient vraiment lumineux. Elle n'aurait pas pensé qu'Eric avec ses yeux marrons ait pu avoir un frère avec des yeux aussi clairs.

Il se tourna vers la mer. Regarder Bo ne l'aidait pas à parler.

— Si je vous dis tout cela, c'est pour que vous compreniez bien les enjeux qui tournent autour de cet enfant. Pour le moment, il n'y a que ma mère, Alexis et moi qui sachions pour votre bébé, mais quand le reste de la famille apprendra son existence, la situation se compliquera. Ils auront des exigences.

Il se mit à jouer avec le galet qu'il avait ramassé.

— Eric ne voulait pas être l'héritier de notre père. Je ne l'ai vraiment compris que récemment. La dernière fois que nous nous sommes parlés, il voulait juste vivre ici, avec vous et votre famille. Il parlait menuiserie, disait que vous l'aviez changé en bien... Cela a été un peu perturbant, c'était loin de celui qu'il était avant...

Il revint à Bo.

— Peut-être que les choses n'allaient plus entre vous, mais jamais il n'aurait souhaité que ce dont il ne voulait pas retombe sur son fils.

— Je suis super admirative, vous arrivez à placer pas mal d'éléments et il reste encore 2 minutes 30, dit elle en regardant son téléphone.

Elle eut un sifflement admiratif.

— Vous devez être bon dans votre boulot.

Elle leva les yeux vers lui avec un soupir.

— Mais quel dommage que vous ne soyez pas prêt à faire des concessions sur vos cheveux. Ils sont beaux en plus, ils ne demandent que ça...

Elle mima le vent faisant onduler probablement ses cheveux mais comme elle le mimait avec ses doigts, c'était une simple interprétation au vu du contexte. Elle lui sourit.

— Deux minutes à peine. Quelque chose à ajouter ? Parce que là vous avez fait thèse pour finir par antithèse... Une conclusion ouvrant sur une potentielle autre discussion ?

Quentin se demandait si elle le prenait vraiment au sérieux. Il fronça les sourcils et reprit :

— Eric a été assassiné, et ça, je pense que vous le savez, même si vous n'avez rien à la police sur ce point. S'il a été tué, c'est en rapport avec notre famille, ce qui veut dire que vous et votre enfant êtes en danger. Cela vous suffit-il comme conclusion ?

Elle sembla réfléchir.

— C'est un peu court. Du coup vous perdez la dernière minute qui vous reste. C'est pas grave, je vais la mettre à profit.

Elle éteignit le chronomètre et rangea son téléphone dans son sac. Elle le regarda avec cette fois le plus grand sérieux :

— Je ne sais pas qui était Eric avant d'arriver ici. J'ai eu l'occasion de rencontrer un petit con et de le voir s'accrocher à mes basques. Finalement il s'est avéré moins con qu'il en avait l'air même si ça a nécessité quand même pas mal d'engueulades pour en avoir confirmation et qu'il sorte un peu de son personnage préfabriqué de fils de bonne famille imbu de lui même et ne connaissant rien de la vraie vie. Est-ce qu'on aurait fini notre vie ensemble ? Je ne pense pas. Est-ce qu'on tenait sincèrement l'un à l'autre ? C'est certain... Mais comme je vous l'ai dis, cet enfant n'est pas de lui. C'est le fils d'un petit épicier du coin qui est mon grand amour depuis que j'ai quinze ans. Par conséquent, je suis navrée de vous apprendre que je ne suis pas en danger et qu'en plus, il va falloir que vous continuez de prendre en charge cette entreprise qui ne brasse pas de l'argent facile... Mais bon peut être pas très propre non plus au vu du milieu où vous la faites évoluer soyons objectif... Et il faudra que vous trouviez une femme pour porter un poids chiche mais ce ne sera pas moi.

Elle eut un sourire assez étrange.

— N'en soyez pas déçu, vraiment. Je vous assure que personne ne gagne à m'avoir dans sa famille. Je suis très attachante mais j'attire aussi beaucoup d'ennuis. Voilà ça doit bien faire cinq minutes.

Quentin l'avait écoutée avec attention, se retenant de lui faire remarquer que leur business était tout à fait légal et qu'ils ne trempaient pas dans des affaires mafieuses, mais surtout parce que son étrange sourire résonna en lui, tout autant que ce qu'elle dit sur la fin.

— Nous demanderons un test de paternité à la naissance, trancha-t-il. En attendant, je doute que l'assassin d'Eric attende les résultats pour agir. Alors, que ça vous plaise ou non, je continuerais à vous maintenir hors de danger.

Le jeune homme avait l'habitude de négocier avec ses clients, mais cette fois, il trouvait Bo bien plus redoutable que tous les sorciers et les industriels qu'il avait rencontrés.

— Très bien. Je vous installerai une niche près de celle de Richard II. Vous avez une préférence croquettes ou pâtée ? demanda-t-elle avec un air terribelment sérieux.

Alexis arriva vers eux.

— Bonjour, je suis Alexis Bergerac, dit il en lui tendant la main. Quoique Quentin vous ai dis, ne soyez pas fâchée. Nous sommes des gens très agréable à fréquenter comme Eric.

Il lui adressa un sourire qui ressemblait un peu à celui d'Eric les premières fois où il avait voulu la brancher. En pire. Elle leva les yeux au ciel en poussant un soupir grognement et tourna les talons pour partir. Deux boulets au lieu d'un seul. Eric n'avait pas fini de la faire chier même des enfers où il rôtissait.

— Ben quoi ? dit Alexis perplexe en la voyant partir.

— Je ne la comprends pas, soupira Quentin avec sincérité.

En plus, il n'avait pas pu la tester magiquement. Tout restait à faire.

— Elle ne veut rien entendre, continua-t-il à l'adresse d'Alexis tout en continuant de manipuler son galet.

— Tu veux que je l'attrape et que je la secoue ? Toi tu poses les questions pendant ce temps, proposa Alexis avec bonne volonté.

Quentin fut tenté de répondre par l'affirmative. Juste un peu.

— Est-ce que tu peux rester dans le coin et la surveiller ?

Ils avaient déjà discuté avant de quitter Paris de la possibilité que Bo soit menacée par l'assassin d'Eric.

— Je rappellerais Michaël pour qu'il vienne te relever dans quelques heures.

— Nan c'est bon. Il me relèvera demain matin. Tu peux compter sur moi, dit Alexis avec assurance.

Il le regarda et fronça les sourcils.

— Elle est passée où ta cravate ? Elle te l'a piquée ?!

— Ah. Non. Elle me l'a fait retirer. Elle a négocié ça avant de me laisser parler.

Tout cela pour rien. Il n'avait même pas eu l'occasion de lui parler du journal d'Eric ou de ce qui s'était passé sur la plage. Il ne lâchait pas l'affaire pour autant.

— Elle t'a fait te déshabiller...

Il soupira et dit à Quentin avec une lueur critique dans les yeux.

— Je sais pas toi... Mais je trouve qu'elle est loin d'être anéantie par sa mort.

Le jeune homme hocha la tête, reboutonnant son col.

— Chacun gère le deuil à sa façon, mais tu n'as pas tort.

Des rapports de Michaël, il savait qu'elle avait été sous le choc après la mort d'Eric et qu'elle se reprenait depuis peu.

— Je ne sais pas, il y a des choses étranges. Elle prétend que l'enfant n'est pas d'Eric, qu'ils ne s'entendaient plus, mais... J'ai eu d'autres éléments sur lesquels je dois réfléchir.

Il regarda Alexis tout en sortant la cravate de sa poche.

— Je t'en parlerais, mais pas ici.