Chapitre 40 - Rilokuris

Vendredi 7 juin

Le repas du soir s'était déroulé dans une ambiance presque agréable. Nhill et Syf avaient échangé quelques piques, le premier se montrant malgré tout le plus respectueux et la seconde répondant parfois avec une acidité que Capucine n'aurait pas renié lorsqu'elle en faisait autant avec Alexis.
Gwen avait décidé d'emmener Thana prendre un café à l'extérieur afin de lui montrer Saint-Germain en Laye de nuit. Capucine soupçonnait surtout la femme de vouloir s'éloigner un peu de la maison pour se distraire des derniers événements. A moins qu'elle ne veuille s'entretenir de quelque chose de précis avec le démon. Avant son départ, elle avait synchronisé sa montrer avec lui pour qu'il revienne précisément quand il sentirait la détresse de Noé... Sans se dévoiler dans un premier temps.
Sans surprise Quentin et Bo avaient fini par monter dans leur chambre et Dimitri était sorti dans les jardins avec Syf. Nhill avait proposé à Kelya d'en faire de même mais après ce qu'elle avait appris sur lui, elle avait prétexté être épuisée pour monter se coucher. Il ne restait plus dans le salon que Noé, Miu et elle.
La télévision tournait sur un film d'action que seule la démone suivait en s’empiffrant de gâteaux apéritifs à la cacahuète. Noé lui avait dit qu'il demanderait le receptacle ce soir, après lui avoir donné son sang. Assis près d'elle, elle sentait sa tension et elle avait fini par glisser sa main dans la sienne pour la caresser lentement. Entremêler simplement ses doigts aux siens lui faisait un bien fou, lui donnant le courage de risquer sa propre vie mais aussi d'attiser à nouveau sa colère contre elle. Elle aurait aimé l'embrasser, lui murmurer qu'ils pourraient s'éclipser en haut sans que personne n'en sache rien. Mais elle savait qu'elle aurait rendu les choses difficiles autant pour ce qu'il avait à faire avec Miu que ce qu'elle s'apprêtait à faire.
Elle approcha cependant ses lèvres pour embrasser doucement son cou et respirer son odeur. Elle était chaude, masculine et tellement agréable.

— Je vais prendre quelque chose dans mon sac à main et je reviens, murmura-t-elle.

Elle sentit que Miu quittait l'écran des yeux pour poser sur elle un regard empreint de méfiance. La démone savait qu'elle s'était entretenue avec l'Huldre mais n'avait rien pu entendre, cela ne faisait qu'attiser sa crainte d'autant plus qu'elle ne comprenait toujours pas la désertion de Thana durant l'attaque de la veille. Elle craignait que cela concerne la troisième chose à demander... Le dernier refus qu'elle pouvait apposer. Ses yeux glissèrent sur Noé. Il ne s'y risquerait pas. Même s'il était fou amoureux de Capucine, elle savait qu'il devait lui demander bien trop de choses nécessitant un don de sang. Et quand elle aurait son sang en elle, le lien deviendrait comme une chaine. Elle y comptait.

Noé suivit Capucine des yeux. Il avait regardé la télé en sa compagnie des centaines de fois avant ce soir, mais il avait apprécié cette intimité nouvelle, sa main dans la sienne, ce baiser inattendu dans le cou. Des gestes de couple, simples et précieux à la fois. Il les aurait encore plus appréciés si Miu n'avait pas été là et s'il avait pu embrasser Capucine sans risque de se faire surprendre.
Noé redoutait le moment où il devrait donner son sang à Miu. C'était nécessaire et il ne reculerait pas. Il devait demander ce réceptacle à la démone pour sauver Bo. Cela ne l'empêchait cependant pas de craindre que son lien avec la démone se renforce.

Capucine revint quelques secondes plus tard avec un petit flacon en verre dans la main. Elle s'assit à côté de Noé et il s'aperçut que près de ses lèvres et le long de sa gorge des sillons comme des veines bleutées étaient apparus sur sa peau blanche.

— Il ne me reste pas très longtemps pour te parler... J'ai...

Miu l'interrompit en se levant d'un bond, ses yeux étaient devenus similaire a de l'or et le regard qu'elle posait sur Capucine exprimait clairement une envie de meurtre.

Noé s'était redressé en même temps. Aussitôt, il laissa glisser ses doigts sur les marques. L'inquiétude se lisait sur son visage et dans son regard.

— Qu'est-ce que tu as ?

— C'est ça ! C'est ça qu'elle a demandé à Thanasaurius ! cria Miu de sa voix aigue.

Capucine sentit sa gorge commencer à se serrer.

— Il le fallait... Je suis désolée, murmura-t-elle.
— Elle s'est empoisonnée pour que tu me demandes de la sauver ! Cria la démone.

Elle disparut aussitôt. Capucine soupira en la voyant si lâche mais si Noé lui ordonnait d'aller chercher l'antidote, elle serait bien obligée de revenir.

— Que... Quoi ?

Noé avait à peine eu le temps de tourner la tête vers Miu qu'elle avait disparu. Il retourna aussitôt son attention vers Capucine.

— T'as pas fait ça. Dis-moi que t'as pas fait ça ! Merde !

Noé plaqua ses mains sur les veines bleues, tentant d'absorber le poison avec son pouvoir. Bien entendu, cela ne fonctionnait pas.

— Capucine... Non !

Capucine fit glisser le flacon dans sa main.

— Rilokuris... C'est un coquillage qui se loge dans les poumons. Dans quelques minutes, je ne pourrais plus respirer. La magie n'y peut rien. Il n'y a qu'un seul remède.

Elle s'interrompit pour reprendre son souffle.

— Tu dois demander un Narkolis. Lui seul peut manger le coquillage dans mon organisme et... ne représente pas de danger ensuite.

— Un Narkolis ?

Noé commençait à paniquer. Capucine était de plus en plus pâle.

— Pourquoi ? Mais pourquoi tu as fait ça ?

La troisième demande. C'était forcément cela.

— Miu ! Reviens !

Non. C'est un piège et tu vas tomber dedans. Tu vas nous condamner tous les deux.

La voix de Miu était furieuse et sa colère résonnait en Noé.
Capucine referma la main du jeune homme sur le flacon et la garda dans la sienne.

— Si tu lui dis que tu dois lui demander de voler quelque chose... Elle sera obligée de revenir t'écouter, murmura-t-elle.

Noé se passa la main sur le visage.

— Pourquoi tu me fais ça ? répliqua-t-il avec autant de colère que de panique. Pourquoi tu me pousses à faire ça ?

Il se leva d'un bond. Il savait très bien ce que faisait Capucine, juste qu'il n'aurait jamais pensé qu'elle irait jusque-là. Jusqu'à se mettre en danger de mort ! Elle le poussait à choisir entre elle et Miu !

— Miu ! Reviens ici tout de suite ! gueula-t-il cette fois avec autorité.

Il aurait du se demander comment sauver Capucine si Miu ne pouvait pas ramener le coquillage, quel plan la jeune femme avait concocté, mais il était trop inquiet pour réfléchir. Il ne pouvait pas laisser Capucine mourir sous ses yeux. Il avait déjà failli la perdre pas plus tard qu'hier soir. Il ne voulait pas revivre cela.

— Il faut que tu voles quelque chose pour moi !

Rien que dire cela déchirait Noé. Même s'il ne pourrait jamais pardonner à Miu la mort de Clémentine, ni d'avoir refusé de l'aider contre les loups et Dark Eric II. Même s'il savait que ce lien était une malédiction.

Miu apparut devant lui. Elle était tellement en colère que derrière elle, battait une queue de serpent ou de dragon, preuve qu'elle ne contrôlait plus complétement son apparence humaine.

— Ne me demande pas ça. Si je refusais une troisième fois tu sais ce que ça impliquerait... Et je ne vois pas pourquoi elle aurait tenté de se tuer si je pouvais la sauver... Elle doit avoir l'antidote sur elle !

Capucine esquissa en sourire en s'allongeant sur le canapé.

— Si je l'ai sur moi... Ce sera pas difficile de la voler alors, murmura-t-elle.

Noé fixait Miu, sous le choc. Il secoua la tête pour se reprendre. Son apparence n'était pas importante.

— Je ne veux pas, mais je ne veux pas qu'elle meurt non plus ! répliqua-t-il avec colère.

Il ne savait plus si c'était sa propre émotion ou celle de Miu.

— Tu n'as qu'à pas refuser ! Va chercher ce truc !

Il regarda à nouveau Capucine. Sa respiration se faisait plus hasardeuse. Il serra les dents. Il la détestait pour ce qu'elle l'obligeait à faire tout en sachant qu'il l'aimait tout autant et qu'il ne la laisserait pas mourir. Elle comptait là-dessus, forcément, mais il sentait au fond de lui qu'elle était capable d'aller jusqu'au bout.

— Miu, je souhaite que tu me ramènes un narkolis ! Maintenant !

Miu poussa un cri strident qui brisa toutes les vitres de la maison. Les rideaux des pièces s'enflammèrent et pendant un instant une tête abominable se superposa à ses traits gracieux. Elle reprit son apparence et s'avança vers Noé pour dire, la machoire serrée.

— Les Narkolis n'existent plus depuis un millénaire. Le seul sorcier qui en possédait un est mort en se faisant déposséder de ce dernier... Et sa piste a disparu.

Elle adressa un regard plein de haine à Capucine.

— Je ne peux pas honorer cette demande...

Elle ajouta avant de disparaitre.

— J'espère que tu vas crever, salope !

Noé s'était bouché les oreilles et crut bien qu'elles allaient se mettre à saigner. Il en voulait tellement à Capucine de l'avoir obligé à cela !

— Non ! Non ! hurla-t-il. Miu ! Merde !

Il fixa Capucine, dévasté. Il tomba à genoux près d'elle et prit son visage entre ses mains.

— Qu'est-ce que tu as fait ? Capucine... Comment je te sauve ? Comment ?

Elle réussit à lui sourire et voulut tendre la main pour toucher son visage mais elle retomba. Les veines bleues se multipliait sur sa peau.

— Tu le veux encore ? Souffla-t-elle.

C'était merveilleux que le lien avec Miu lui permette cela. Elle sentait que ce ne serait pas aussi facile pour obtenir le poignard mais elle savait déjà comment elle jouerait son dernier coup.

La voir sourire le mit encore plus en colère. Il n'avait encore jamais ressenti cela, pas même lorsqu'elle avait disparu toute une journée pour revenir défoncée.

— Tu fais chier ! Tu fais vraiment chier !

Ses mains n'arrêtaient pas de toucher son visage, ses veines bleues qu'il essayait toujours d'absorber tout en sachant que c'était inutile.

— Où est ce putain d'antidote ? gueula-t-il. Si tu meurs... Je te jure que si tu meurs...

Elle toussa et manqua de s'étouffer. Elle porta la main à ses poumons en grimaçant. Elle se doutait bien que ça faisait mal mais c'était en plus très désagréable comme sensation.
Elle se redressa légarement sur le canapé.

— Je ne mourrai pas... Pas avant de t'avoir libéré de cette... chose, murmura-t-elle.

Elle plongea ses yeux dans les siens.

— Emmène-moi chez Thana, dit elle finalement dans un souffle.

La rage avait envahi le regard d'ordinaire si pétillant de Noé, mais il ne perdit pas de temps. Il pourrait l'engueuler quand ce truc serait sorti de ses poumons et il ne s'en priverait pas. Et ça vaudrait aussi pour Thana puisqu'il était dans le coup !

— T'es une vraie emmerdeuse !

Il serra Capucine contre lui et actionna son tatouage pour se rendre chez le démon.

Quand ils arrivèrent dans la dimension du démon, il était assis à la table de son salon. Il était seul ayant galamment raccompagné Gwen jusqu'à la maison avant de prendre congé. Il aurait aimé poursuivre la promenade, passionné par le récit de son enfance au milieu du "petit peuple" comme elle les appelait. Il n'avait pas vu passer le temps et s'était surpris à être fier de la faire rire même si c'était à ses dépends par quelques maladresses démoniaques.
Cependant il avait rapidement senti en lui la panqiue et la colère de Noé. Il était rentré et avait attendu le dernier moment pour sortir le petit coffret de son placard. Miu ne pouvait pas venir chez lui mais surtout elle ne pouvait pas lire le contenu de son armoire. Cette dernière était dans un monde à part et même Eric l'ignorait. Il l'avait révélé à Capucine lorsqu'ils avaient discuté de comment libérer les de Lyonesse de l'emprise de ce démon. Le fait qu'elle soit prête à donner sa vie pour ça avait achevé de le convaincre.

Le regard que Noé lança à Thana ne valait guère mieux que celui qu'il avait adressé à Capucine quelques secondes plus tôt.

— Vous êtes fier, hein ?

Il aida Capucine à s'allonger sur le canapé.

— Donnez lui ce putain d'antidote !

— Fier n'est pas le mot juste. Et je crois que toute cette situation ne nous apporte pas plus de satisfaction qu'à vous, dit Thana en ouvrant le coffret.

Il sortit un flacon où se trouvait un poulpe aux filaments d'or.

— Vous aviez pas dit que ce serait si gros, murmura Capucine en regardant ce qu'elle était censée avaler.

Elle avait déjà tellement de peine à respirer qu'elle craignait de s’étouffer avec un truc pareil.

— Ça glisse tout seul... Enfin il parait, voulut la rassurer Thanaclop.

— C'est pas un coquillage, ça ! Tu t'es foutu de ma gueule !

Capucine lui avait demandé un truc qui n'avait rien à voir pour la sauver !
Il se mit à faire les cents pas, tiraillé entre la colère et l'inquiétude que ça ne fonctionne pas.

— Le coquillage c'est ce qu'elle a avalé... Et le Narkolis c'est ce qui va manger le Rilokuris en elle, expliqua Thana calmement.

Il s'approcha de la jeune femme.

— Ouvrez la bouche, Capucine.

Elle jeta un oeil au poulpe. Il avait bien plus de tentacules que ceux de leur monde. Elle obtempéra mais ferma les yeux.

— Ne le mâchez pas, contentez vous de l'avaler sinon il vous tranchera la langue, ajouta Thana.

Capucine rouvrit les yeux et lui adressa un regard signifiant que c'était un détail qu'elle aurait aimé connaitre avant.

Noé avait marmonné qu'il s'en foutait bien de savoir lequel était quoi et qu'ils lui paieraient tous les deux pour l'avoir piégé. Néanmoins, il se rapprocha un peu de Capucine, jetant un oeil pas rassuré vers le Narkolis.

— Vous êtes sur que ça va marcher ?

— En théorie.

Thana versa le contenu du flacon dans la bouche de Capucine. Elle renversa sa tête en arrière et se força à avaler. Elle eut un frisson et fit la grimace sortant sa langue.

— C'est infecte... C’est gluant et ça sent la pomme de terre pourrie, murmura-t-elle.

Elle en eut un haut-le-coeur mais Thana posa sa grosse main sur sa bouche.

— Ne vomissez pas ! Il n'y survivrait pas et vous non plus. Maintenant que c'est avalé... Patientons.