Chapitre 1 "tout beau, tout neuf"

Bo entrouvrit la porte pour récupérer la carte et la referma aussitôt. Le papier était joli et ferait un bon marque-page. Elle regarda le nom de la société. Ils s'étaient pas trop creusé la tête.
Quentin de Lyonesse.
Elle alla à la fenêtre de la cuisine et regarda l'homme regagner sa voiture. Une part d'elle regrettait qu'il s'en aille, avait envie de lui dire des choses. Des choses qu'elle ne pouvait dire à personne parce que ça leur ferait du mal ou bien parce que peu de gens pourraient la croire. Elle avait l'étrange sentiment que lui le pourrait pourtant. Mais elle ne voulait plus se plonger dans le danger et risquer la vie des gens qu'elle aimait. Elle avait bien trop à perdre. Richard II sautait partout dans la cuisine, ravi d'être délivré. Elle savait que Dimitri n'avait pas dû perdre une miette de leur échange. Autant lui préparer un café.

La pie regardait Quentin de Lyonesse rejoindre la voiture qui l'attendait. Si quelqu'un avait fait attention à elle, il l'aurait sans doute trouvée un peu statique et étrange à fixer ainsi le sorcier. Puis, elle battit des ailes et retrouva son air normal d'oiseau, si ce n'est qu'elle fut un peu désorientée, comme si elle ne se souvenait pas d'être arrivée sur ce toit.

A bonne distance, bien installée dans le fauteuil du petit appartement qu'elle avait louée sous un nom d'emprunt, Lexie Sheridan avait tout suivi de la conversation au travers des yeux de l'oiseau.
Cela faisait 3 semaines qu'elle était à Port Hallen et qu'elle guettait une opportunité pour se glisser chez Bo Hendricks et chercher l'objet magique dont l'Oaf avait parlé. Elle n'en avait encore trouvé aucune. Soit Bo Hendricks et son frère ne sortaient pas, soit la maison était sous la surveillance de ce type envoyé par DLS.
Lexie aurait pourtant bien voulu approcher Bo de plus près. De beaucoup plus près. Elle avait vu son aura, elle savait ce qu'elle était et toute cette magie dont elle irradiait ne faisait qu'accroître la soif de la jeune femme. Alors maintenant qu'elle l'avait vue avec Quentin de Lyonesse, son besoin de magie avait redoublé. Ses mains s'étaient mises à trembler sous le manque et sa gorge s'était brutalement asséchée. Toute cette magie à sa portée et elle ne pouvait les en délester pour s'en repaître. C'était frustrant et douloureux.
Certes, elle n'avait pas le droit de toucher à Quentin. Elle avait des ordres le concernant. Tout son clan était prévenu et gare à qui enfreindrait les règles, mais personne ne savait pour Bo à part elle. Elle pourrait se la garder pour elle toute seule, se gaver de sa magie pure. A cette idée, elle agrippa l'objet de pouvoir à son cou et aspira d'un coup toute la magie qui y résidait. L'équivalent de toute une existence ou presque. Elle bascula aussitôt la tête en arrière, se délectant de la magie pénétrant son organisme, fermant les yeux sous le bonheur indicible qui l'envahissait alors qu'elle prenait sa dose.


— ça va ? demanda Dimitri en rejoignant sa soeur à la cuisine.

Le jeune homme n'avait pas tout entendu, mais il avait perçu l'essentiel. Il ne savait pas quoi penser de l'arrivée du frère d'Eric. Ils avaient redouté ce moment, celui où les de Lyonesse viendraient leur demander des comptes.

— Oui ? Oui. Café, dit elle en lui servant un mug.

Elle se lança ensuite dans la cuisson des pancakes salés, sa spécialité, accompagné du bacon, du cheddar et des oeufs. Elle avait retrouvé l'appétit ces derniers jours et se faisait un devoir de rassurer son organisme qui avait été cruellement secoué par cette période de restriction.

— J'espère qu'il va pas aller voir Connor.

Si Connor se mettait en tête qu'elle était enceinte de lui, elle sentait qu'il lui ferait à nouveau une cour acharnée. Sous couvert d'assumer sa responsabilité. Mais peut être aussi parce qu'à part la morale, sa femme n'était morte que depuis un mois, et sa mère, dont la nuisance n'était pas à sous-estimer, plus rien ne l'en empêchait.

— J'espère surtout que Connor ne va pas débarquer maintenant... soupira Dimitri en suivant son cheminement de pensées.

Il joua avec sa tasse entre ses mains, goûtant à sa chaleur.

— Tu vas accepter de lui parler ?

Dimitri n'avait aucune envie que Bo replonge dans cette histoire alors qu'elle réussissait à sortir la tête de l'eau.

— J'ai toujours accepter de parler à Connor. Même si parler n'est pas forcément ce qu'on faisait de mieux...

Elle se méprenait volontairement sur les paroles de Dimitri parce qu'elle ne savait pas. Parce qu'elle ne voulait pas se laisser même l'envie de le faire. Ce serait une mauvaise idée. L'affaire Eric était close. Définitivement. Elle retourna les pancakes puis le bacon.

Elle entendit son frère pousser un soupir, mais il ne revint pas sur le sujet.

— Tu veux qu'on aille à la pêcherie ce matin ?

— Non. Je vais rester planquée ici à dessiner. J'ai presque terminée les planches pour le livres sur les légendes d’Écosse.

Elle lui servit son assiette et lui sourit.

— Mais je t'en prie va donc t'aérer dans un milieu plein de sueurs et d'embruns.

Le regard de Dimi se mit à briller, autant à cause du contenu de son assiette que de la perspective d'aller reluquer quelques marins.

— Si jamais il revient à la charge, tu m'appelles. Je le sens pas, ce type.

Elle s'assit en face de lui et lui sourit.

— C'est fou ça... Même avec un étage d'écart, tu as réussi à sentir qu'il ne jouerait pas au docteur avec toi.

Ils n'avaient jamais eu à se battre pour un garçon.

Il tapota son nez de son index.

— J'ai un radar intégré et il ne s'est jamais trompé.

Il découpa un morceau de pancake.

— Sur le coup, j'ai cru que c'était un avocat.

Ou un employé des pompes funèbres vu son air austère et coincé. Cependant, il avait un peu le même air suffisant qu'Eric à son arrivée et un petit air de famille. L'autre gars qui avait attendu dans la voiture, par contre, était leur exact opposé.

— Il a un truc en commun avec Eric quand même.

C'était sûrement pour ça qu'elle s'était à la fois en confiance et en méfiance avec lui. Rester à savoir s'il avait plus du bon Eric ou du Dark.

— Je ne sais pas qui est celui que Richard a pris en amour parcontre.

— Rich' avait peut-être juste envie de poser ses belles papattes sur ce beau costume trop propre ? Hein, mon chien ?

Dimi lança un petit bout de bacon au chien qui le goba tout rond.

— On avait l'impression qu'il était moulé dedans, c'est dingue quand même.

Il n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi raide, droit et froid. Ils s'étaient toujours foutu d'Eric en disant qu'il venait d'une famille avec un balai dans le cul, et finalement, son beau-frère n'était pas le pire si on voyait ce Quentin.

— Non Richard II ne l'a même pas calculé. Il voulait l'autre homme. Celui avec des yeux bizarre et le nez rouge.

Lui n'était pas en costume mais habillé assez simplement bien qu'avec visiblement des marques. Enfin Bo n'était pas spécialiste là dedans mais Eric lui avait fait la leçon après qu'elle se soit essuyée les cheveux avec son pull en cachemire. Toute une affaire pour du poils de chèvres...

— Moulé. C'est bien une vision gay ça, dit elle amusée.

— Pas dans ce sens-là ! s'esclaffa son frère avant d'engloutir une nouvelle portion de son petit-déj.

Il avala et fit descendre le tout avec une gorgée de café.

— J'ai pas bien vu l'autre, juste de dos.

— Je ne crois pas que tu ai loupé grand chose. Le peu que j'en ai vu ne me semblait pas très appétissant. Puis visiblement il aime pas les chiens.

Elle regarda Richard II.

— Mais qu'est-ce qu'on va faire de toi ? T'écoute rien de rien...

Dimi caressa la tête du golden qui tirait la langue, espérant encore un peu de bacon.

— C'est encore un bébé. Un bon gros bébé. Il a le temps d'apprendre.

Enfin, s'il pouvait apprendre à épargner ses godasses, il serait bien content quand même.

Bo pensait à peu près à la même chose mais concernant tout le reste de la maison.


Le notaire attendait Quentin dans un petit restaurant de Bristol. Lorsqu'il s'annonça au patron, ce dernier l'entraina dans une autre salle derrière un mur. En le passant, Quentin ressentit sans mal la barrière magique qui la constituait.
George Hurley était un homme d'une soixantaine d'année avec une calvitie bien avancée, des lunettes et un ventre abritant un féroce appétit. Il semblait assez agréable et sa gentillesse se lisait sur son visage. Il était habillé avec élégance mais son ventre distendait sa chemise et l'empêchait de fermer sa veste en velours côtelées avec des empiècements aux coudes dans un style tartan assez étonnant.
Il se leva pour lui serrer la main à son arrivée à leur table. Ils étaient seuls dans une pièce au style très champêtre jusqu'à la nappe à carreaux et au bouquet de marguerites sur la table.

Quentin le salua d'une poigne ferme, puis prit place en face de lui. C'était la première fois qu'il rencontrait le notaire d'Eric, mais ils avaient déjà échangé par téléphone plusieurs fois depuis qu'il lui avait annoncé la mort de son frère.
Hurley ne ressemblait en rien à l'idée qu'il s'était faite de lui. Le notaire des de Lyonesse n'avait pas cet air bonhomme et sympathique. Jamais non plus Maître Desmarais ne l'aurait invité à déjeuner dans un endroit aussi provincial. Mais le milieu où Hurley exerçait était sans doute très différent de celui du notaire parisien.

— Enfin nous nous rencontrons, fit-il sur son ton poli habituel.

— Je me suis permis de choisir ce lieu. Il a le mérite d'avoir une cuisine savoureuse et de mettre tout ce que nous dirons hors de portées des oreilles indiscrètes.

Il lui sourit et demanda :

— Aimez vous le gibier ?

Quentin hocha la tête autant pour répondre à la question que pour la pertinence du choix des lieux.

— Ma mère vous remercie de nous avoir aidés à récupérer le corps d'Eric au plus vite, ainsi que pour les fleurs. Elle vous écrira sous peu.

— C'est le moins que je puisse faire. Eric était plus qu'un client, c'était un ami.

Il entoura quelque chose sur le menu et demanda :

— Du vin ? Ils ont une bière excellent si vous préférez.

— Du vin, ce sera très bien, merci.

Il croisa les mains sur la table.

— Vous le connaissiez depuis longtemps ?

C'était encore difficile pour Quentin de parler de son frère au passé. Il avait encore parfois l'impression qu'il allait surgir devant lui.

Hurley entoura également une bouteille sur la carte des vins et referma les menus. Il croisa les mains pour regarder Quentin avec attention.

— Depuis plusieurs années, oui. Il est arrivé en Angleterre en 2015, il me semble. Il se plaignait du temps et de la nourriture, dit il en riant.

Il eut un sourire plus doux.

— Il a fini par se plaire ici et je suis certain que ce serait devenu un véritable anglais.

Quentin n'avait aucun mal à imaginer son frère pester contre le climat anglais. Eric avait plutôt été habitué au soleil et aux plages de sable fin.

— Nous nous sommes vus un peu avant Noël, à Londres. Il avait l'air de vouloir s'installer définitivement ici. Loin de la pression familiale.

Il avait dit cela sans reproche, ni amertume. Il n'en voulait plus à Eric d'être parti loin des responsabilités qui lui étaient tombés dessus par le hasard de son rang de naissance.

— Oui travailler le bois lui plaisait bien. Je crois qu'il avait même en tête de faire un stage pour apprendre à confection des bateaux...

Il reprit une expression plus sérieuse.

— Mais ces derniers mois, il était... angoissé et nerveux. Il était plus dur même intransigeant, je dois dire.