Chapitre 41 - Retour en Angleterre

Bo sentit que Connor allait avoir du mal avec la nouvelle mais il ferait un bon cobaye avant le reste de la famille. Et puis, cela lui permettrait aussi de voir si c'était une ombre ou non.

— On va se marier avec Quentin.

A l'écart que fit la voiture, elle fut rassurée. Soit l'ombre était familiarisé avec les émotions de Connor, soit c'était bien lui. Elle se demanda s'il allait l'engueuler maintenant ou s'il attendrait qu'il n'y ait plu Quentin et Dimitri à bord.
Elle devait reconnaitre que cette décision ne pouvait que sembler complétement folle.

— Mais ça va pas ? Tu le connais depuis quoi ? un mois ?

Les mains de Connor serraient un peu trop fort le volant. Il s'efforçait de ne pas regarder Quentin à l'arrière. Comment pouvait-elle dire une chose pareille après ce qui s'était passé ? On lui avait retourné le cerveau ou quoi ?

— Et toi, tu laisses faire ? fit-il à Dimitri. Tu dis rien ?

Le frère de Bo avait toujours soutenu Eric, mais uniquement parce qu'il ignorait qui était vraiment ce salopard.

— Moi je me suis fais une raison sur le fait qu'elle a un goût de chiotte pour les mecs, dit il en haussant les épaules.

Il soupira avec un air exagéré. Il ne voulait pas de ce mariage mais il savait bien pourquoi ils faisaient ça. Et il ne voulait pas penser que ça puisse mal tourner, que Bo puisse mourir ou qu'eux meurent tous pour elle si elle perdait ses souvenirs.

— Le côté positif c'est qu'avec lui, elle aura une vraie pension alimentaire alors qu'avec toi, elle aurait juste eu des dettes...

— Une vraie pension alimentaire ET un vrai patrimoine, corrigea Quentin, laissant planer le doute sur le fait qu'il plaisantait ou pas.
— Hilarant. Vraiment, répondit Connor en serrant les dents, n'appréciant guère qu'on lui jette à la gueule la fortune de ce type.

Il préféra revenir à Bo, mais elle le connaissait suffisamment bien pour voir qu'il se retenait d'exploser.

— C'est quoi cette histoire ? Je savais bien que t'aurai jamais du aller là-bas. Ton père le sait ?

— Non. Je laisse Quentin lui demander ma main lui-même.

Elle ferma les yeux et mit ses pieds sur le tableau de bord après s'être déchaussée.

— Il s'est passé beaucoup de choses en un mois, tu sais. Vraiment beaucoup. Quentin et Dimitri savent maintenant qu'Eric n'était plus lui-même ces derniers temps et qu'il m'a fait du mal.

— Ah.

Connor jeta finalement un coup d'oeil au Français et à Dimitri dans le rétro. A leurs regards, Bo ne mentait pas. Cela n'expliquait cependant pas cette histoire de mariage éclair, mais il n'avait déjà pas très bien saisi pourquoi elle avait accepté de le suivre en France alors qu'elle lui avait dit et répété ne rien vouloir avoir à faire avec la famille d'Eric.

— Je dois d'ailleurs vous remercier d'avoir aidé Bo, fit Quentin en croisant son regard.

— Quentin... Remercie-le aussi de m'avoir sautée tant que tu y es, soupira Bo.

— Je n'irai pas jusque-là tout de même.

Connor leva les yeux à cet échange. Il n'en avait rien à cirer des remerciements du Français.

— C'est vraiment des conneries, tout ça... marmonna-t-il.

Et si ce type était comme son frère ? Et s'il finissait par devenir aussi cinglé ? Connor ne pouvait pas faire confiance à cette famille.

— Oui. Mais ce sont des conneries qui me rendent heureuse. C'est pas si souvent, dit Bo en regardant droit devant elle.

Elle savait que cet argument aurait au moins le mérite de clore la discussion pour le moment.
Quand ils arrivèrent devant la petite maison, le père de Dimitri et de Bo les attendait, tripotant nerveusement son bonnet entre ses doigts. Il salua Quentin d'un signe de tête, visiblement mal à l'aise. Bo lui sauta au coup et il la réceptionna avec soulagement en la serrant contre lui.

Le Français avait rendu son signe de tête à Gills et préféra s'occuper des bagages pour laisser les Hendricks retrouver leur père. Il en profita pour tester discrètement Connor lors de l'échange d'une valise. Au moins, l'Anglais était-il lui-même et il espérait bien que Gauthier n'avait remplacé aucun membre de la famille Hendricks par une de ses ombres. Il y avait déjà eu suffisamment de morts comme cela.
Le temps que les valises soient sorties du coffre, Dimitri avait rejoint sa soeur pour prendre son père dans une accolade, soulagé d'être rentré lui aussi.

— J'ai pensé qu'on pourrait aller dîner tous les quatre chez Glenn. C'est un petit restaurant qui paye pas de mine mais on y mange bien. On sera pas dérangé.

Dimitri esquissa un sourire.

— Tu crois vraiment que Norma empêchera les jumeaux de débarquer s'ils le veulent... Cela dit, je serai ravi de manger de la vraie bouffe. Cest français si tu savais, papa...

Quentin les observa tous les trois un instant, heureux que Bo retrouve enfin son père et son univers, ainsi que Dimitri, surtout après tout ce qu'ils avaient affronté ces dernières semaines. Son regard croisa celui de Gills. Il lui semblait que cela faisait une éternité qu'il avait levé son verre en souhaitant que leurs familles restent en bons termes malgré la mort d'Eric. A l'époque, Gills l'avait accueilli presque comme s'il faisait partie de la famille, mais qu'en serait-il aujourd'hui ?

— Je suis ravi de vous revoir, Monsieur Hendricks, fit-il sincèrement en lui tendant la main.

Connor, lui, était resté planté là, à attendre de pouvoir rappeler à Bo qu'il n'en avait pas fini avec leur discussion.

Mais Bo ne lui laissa pas cette opportunité. Elle planta un baiser sur la joue de Connor en lui lançant :

— Merci d'être venu nous chercher !

Elle lui sourit et attrapa la main de Quentin puis celle de son père pour les entrainer dans la maison.

— On va d'abord visiter un peu pendant que Dimitri montre qu'il est un homme fort en portant les sacs.

— Dis plutôt que je suis la troisième roue du carrosse... Encore.

C'était une sensation qui lui collait à la peau depuis son arrivée à Paris et le pire c'est qu'il savait que revenir ici ne la ferait pas disparaitre. Pas depuis qu'il avait appris que Quentin et Bo partageait quelque chose qui le mettait définitivement de côté.

Connor soupira en la voyant disparaître à l'intérieur. Il jeta un oeil à Dimitri.

— Elle va vraiment épouser ce type ? Il lui a retourné le cerveau ou quoi ?

Maintenant que Bo n'était plus là, peut-être que son frère lui en dirait plus.

Dimitri sourit en s'allumant une cigarette.

— C'est son âme-soeur. Tu pourras rien faire contre ça et je te dirais que dans toute cette merde, savoir qu'elle ne sera pas là pour venir torcher les mômes que t'as fait à Kelly, c'est vraiment le seul truc qui arrive encore à me faire sourire.

— Son âme-soeur ? Un mec qu'elle vient de rencontrer ? Te fous pas de ma gueule...

Mais quelle autre explication pouvait être valable ? Bo n'était plus enceinte et elle n'avait jamais été du genre à courir après le fric. La fortune de la famille d'Eric, leur monde, tout ça ne l'intéresserait jamais. Il y avait un truc pas normal là-dessous.
Il grogna un truc entre ses dents et remonta en bagnole. Il trouverait bien un moment pour discuter avec Bo seul à seule dans les jours qui allaient venir et démêler toute cette histoire.

Bo fit le tour de la maison et les deux hommes suivaient ses pérégrinations au gré de ses commentaires allant de "Oh j'aime bien la vue" à "La salle de bain est trop grande.... pourquoi pas y mettre une piscine aussi....".
Gills regarda Quentin avec attention.

— Bo a dit que vous aviez trouvé les réponses à vos questions, dit il finalement.

— J'ai trouvé beaucoup plus que cela, répondit Quentin sans quitter Bo des yeux.

Mais ce n'était pas très poli, aussi tourna-t-il la tête vers Gills en écartant l'idée que ce qu'il venait de dire puisse être embarrassant.

— Bo et Dimitri ont été d'une aide précieuse, mais je suis content qu'ils retrouvent enfin leur famille. Cela n'a pas toujours été facile pour eux avec la mienne. Ma mère vous transmet toutes ses amitiés et elle espère pouvoir faire votre connaissance bientôt.

Gills hocha la tête lentement.

— Bo a dit qu'elle aurait beaucoup de choses à me raconter.
— Et encore plus que tu le crois, vu toutes les digressions qu'elle fera, soupira Dimitri en laissant tomber les valises à leurs pieds.

Il regarda Quentin.

— T'as rajouté quelques armes bien lourdes dans ta valise ?

— Seulement quelques livres, fit-il en remerciant Dimi d'un signe de tête.

Il avait du retard dans ses lectures et vu qu'il était en vacances, il comptait bien le combler, d'autant plus que Bo appréciait qu'il lise à voix haute et qu'il s'était surpris à aimer cela.

— Monsieur Watson nous a parlés de problèmes avec votre bateau. Rien de grave, j'espère, fit-il en revenant à Gills.

— Oh cette tempête...

Ils s'installèrent sur la table de la terrasse pendant que Dimitri préparait du café. Gills leur raconta cet épisode qui avait mis à mal un bateau au large ce jour-là et un autre moins amoché au port. Il ne comprit pas trop pourquoi sa fille semblait si coupable mais il comprit rapidement que cela devait faire partie des choses dont ils échangeraient tout les deux.
Après une petite heure, elle demanda d'ailleurs à son père à ce qu'ils aillent faire un petit tour en mer tous les deux. Elle laissa en consigne à Quentin d'aller faire quelques courses et de préparer le repas du soir. Dimitri prit la fuite avant que le français puisse le solliciter d'une manière ou d'une autre.

Quentin ne lui en porta pas rancune et de toute façon, il pouvait très bien se débrouiller tout seul. Il défit d'abord les valises. La maison ne correspondait pas à ses habitudes, ni en terme de surface, ni en terme de décoration, mais il s'adapterait. Tout ce qui importait était d'être avec Bo, de profiter de chaque instant avec elle, de se créer des souvenirs.
Il se rendit en centre-ville pour faire les courses. Là encore, c'était une première pour lui de les faire seul. Il passa un certain temps dans les rayons du petit supermarché, hésitant souvent entre plusieurs produits, espérant ne rien oublier avant de se dire qu'il n'aurait qu'à revenir si c'était le cas. Après s'être arrêté chez un primeur et avoir ajouté un nouveau sac aux deux qu'il portait déjà, il rentra tranquillement tout en se disant au bout d'un moment qu'il avait du prendre trop de choses tellement les sacs étaient lourds.
Une fois à la maison, il aurait bien bu un café, mais il se rendit compte que la cuisine était équipée d'une cafetière traditionnelle et qu'il n'avait pris que des dosettes. Il n'était pas encore au point.
Après avoir rangé les courses de façon scientifique, il se mit en devoir de préparer le repas. Au pays Basque, il avait eu l'occasion de cuisiner avec Bo plusieurs plats différents et cette fois, il opta pour du poisson au four et des patates sautées.

Mais Bo rentra bien après l'heure du repas. Elle était restée longtemps en mer avec Gills. Après son long récit où elle avait vu passé sur son visage tout un panel d'émotion, après lui avoir montré ce qu'elle pouvait faire de sa magie, il était resté silencieux. Ils étaient restés ainsi à regarder la mer pendant presque une heure puis il avait fini par avouer "J'ai toujours su que tu étais une fée moi aussi". Il l'avait serré fort dans ses bras.
La suite avait été tellement plus difficile ensuite. Lui avouer qu'elle pouvait mourir et que pour qu'elle ne meurt pas il lui fallait probablement tout oublier. Les détails furent un peu obscur pour son père adoptif mais il comprit l'essentiel. Il la garda longtemps dans ses bras et finit par dire "Je suis sûr que Quentin trouvera une solution". Cette simple phrase lui fit chaud au coeur, lui montrant combien il avait compris le lien qui l'unissait à l'autre changelin.

— C'est moi, dit elle en entrant dans la maison.

Elle avait toujours ses chaussures à la main, appréciant de sentir le sol sous ses pieds nus.

Quentin posa aussitôt son livre et se leva du canapé pour la rejoindre. Il avait laissé le repas au chaud dans le four, avait mis la table et finit de ranger les valises. Il avait ensuite attendu Bo patiemment. S'il s'inquiétait de la teneur de la discussion père/fille, il refusait de croire que Gills ne soit pas comme Dimitri et qu'il n'accepte pas la vérité.

— Tu as faim, j'espère, l'accueillit-il avec un sourire tendre.

Elle enroula ses bras autour de sa taille et resta un moment contre lui. Ce simple geste lui faisait tant de bien. Après tout ce qu'elle avait vécu ces derniers mois, elle n'aurait jamais pu imaginer pouvoir ressentir un tel bien être.

— Voyons voir si je peux te laisser seul en cuisine, dit elle en s'écartant pour lui sourire.