Chapitre 41 - Retour en Angleterre

Lundi 10 juin

L'avion n'allait pas tarder à atterrir à Bristol, ramenant enfin les Hendricks chez eux après plus d'un mois d'absence. Ces cinq semaines leur avaient semblé une réelle éternité.
Quentin tenait la main de Bo dans la sienne, comme toujours. Il avait promis à la jeune femme qu'ils se créeraient le plus de souvenirs possibles jusqu'au retour de Syf, au cas où l'Huldre ne trouverait pas de solution pour conserver sa mémoire, mais pas seulement. Ils avaient eu tellement peu de temps pour eux depuis leur rencontre qu'il souhaitait corriger cela, loin des dangers, des tentatives de meurtres, des responsabilités écrasantes et des problèmes de famille.
Laisser les autres gérer la crise à DLS avec le conseil des actionnaires qui approchait n'avait pas été facile, forcément, mais il n'imaginait pas sa place ailleurs qu'auprès de Bo à cet instant. Gwen avait fini par lui parler de son plan pour gagner le conseil d'administration et, contre toute attente, il avait accepté de les laisser gérer. Sa mère, son frère, Ahmed, Jonas et Capucine... Il leur faisait entièrement confiance pour s'occuper de DLS et du reste. Pour sa part, il voulait simplement profiter d'être avec Bo, comme un couple normal, continuer à apprendre à la connaître, découvrir son univers. Vivre à ses côtés tout simplement. Et comme preuve de ses bonnes résolutions, il n'avait emmené aucun costume, aucune cravate dans ses bagages.

— Alors ? Tu connais le programme de ce soir ? Barbecue de bienvenue ? Soirée au pub ? Les deux ? demanda-t-il à Bo en souriant.

Elle tourna son visage vers le sien. Elle lui sourit avec douceur.

— Je ne veux pas de programme. Je veux juste vivre chaque moment qui se présente.

Dimitri étira ses jambes ce qu'il n'aurait pas pu faire si Quentin n'avait pas payé les billets d'avion.

— De toutes manières, dès qu'on aura posé un pied, on ne contrôlera plus rien. Tout dépendra de qui aura obtenu le droit de nous récupérer à l'aéroport.

— Ce sera papa, dit Bo.

Dimitri fit une tête mi-figue, mi-raisin.

— Si Irina sait qu'il y a Quentin... Sans compter les cousins... Je sais pas trop...

L'idée de ne plus rien contrôler n'était pas facile pour Quentin, mais ce n'était pas comme s'il n'avait pas commencé à en avoir l'habitude depuis qu'il connaissait Bo.

— Votre mère viendrait jusqu'à Bristol pour nous chercher ?

Les jumeaux, il n'avait aucun doute. Comme il savait parfaitement qu'il devrait se plier à un tournoi Gaulois-Gallois au pub.

— Ma mère ferait beaucoup pour une paire de fesses. Nous avons au moins cela en commun, fit Dimitri.

Bo fit "non" de la tête.

— Papa ne lui laissera pas la place. Il tourne en boucle depuis notre départ. C'est Oncle qui me l'a dit.

La caresse du pouce de Quentin sur la main de Bo se fit plus appuyée. Malheureusement, l'inquiétude de Gills n'allait pas s'arrêter à leur retour vu ce qui attendait Bo.

— Je ne serai pas mécontent de revoir d'abord ton père, même si cette fois, je saurai me sacrifier pour aller dîner chez ta mère un de ces soirs.

Il n'avait vu Irina qu'une seule fois, mais elle ne lui avait fait vraiment bonne impression à cause de sa façon de parler à Bo. Seulement, elle allait bientôt faire partie de sa famille, aussi ne devait-il pas rester sur ses à-priori.

— On est pas obligés. Je pense qu'on s'est pliés à suffisamment de...

Dimitri se tourna vers sa soeur.

— Ah non ! Tu te défiles pas ! Et tu l'inviteras au mariage hein parce que sinon elle va se mettre sur mon dos pour que je lui raconte tout et j'en passe, protesta-t-il.

— Tu crois qu'elle va t'aider à choisir ta robe ? s'amusa Quentin.

Il se souvenait très bien de cette robe rouge provocante qu'Irina avait forcé Bo à mettre le lendemain de l'incendie.

— Je n'ai jamais choisi ma robe avec Irina lors de mon premier mariage, dit elle.

Elle ne voyait pas pourquoi elle changerait cela.

— Je crois que ma mère aurait adoré t'aider sur ce point.

Quentin n'avait même pas parlé de ce projet de mariage avec Gwen, d'ailleurs, mais il doutait que cela la surprenne vu les circonstances.

— Oui et ben elle s'amusera à ça avec Capucine ou avec la femme de Noé. Je pense qu'elle a bien compris que je n'aimais pas me faire materner et que je ne deviendrais pas sa fille de substitution.

Rien que l'idée du repas qu'elle avait partagé avec elle et Capucine lui collait des frissons.

Quentin ne perdit pas son léger sourire.

— Oh oui, je crois qu'elle l'a compris.

De ce qu'il avait vu, Gwen semblait s'en être accommodée. Ce n'est pas comme si elle avait le choix de toute façon.

— De toutes manières ce n'est pas ma faute, je n'ai pas eu ce modèle là.

Bo sourit. Sa nature de changelin allait beaucoup l'aider sur ce point.

— Je vais adorer quand tu vas raconter à Papa ces dernières semaines, fit Dimitri en se laissant retomber dans son fauteuil.

Quentin ignorait s'il avait hâte d'entendre le récit coloré de Bo comme elle était la seule à pouvoir les raconter ou s'il redoutait ce moment.

— J'espère qu'il n'est pas cardiaque... et que ça ne le décidera pas à me jeter par dessus bord à la première sortie en mer.

— Je ne suis pas sûr d'avoir envie de lui raconter tout ça... Et puis c'est toi qui raconte bien les histoires, Dimi, pas moi...

La Dame des ombres, le cadavre d'Eric revenant à la vie... Son père était un homme simple. Il serait horrifié, elle en était certaine.

Le pilote annonça qu'ils arrivaient à Bristol. Le vol n'avait duré qu'une heure trente.

— De toute façon, la seule chose qui l'importera, c'est de vous savoir à la maison. Rien d'autre.

C'était inutile de se focaliser sur autre chose pour le moment. Bo verrait bien ce qu'elle dirait ou non à Gills. Quentin l'épaulerait, peu importait jusqu'où elle comptait aller dans son récit.

Quand ils descendirent enfin à terre, Bo et Dimitri marquèrent un arrêt en voyant qui les attendait. S'ils s'étaient lancé dans des paris acharnés à ce sujet, chacun étant certain de remporter la mise,aucun n'avait pensé à jouer ce nom.
Connor eut un sourire soulagé qu'il perdit un bref instant en voyant Bo tenir la main du frère d'Eric. Il s'était posé bien des questions à son départ les réponses de la famille de Bo ne l'avait pas vraiment convaincu. Le pire avait peut être été quand il avait appris qu'elle avait perdu le bébé à Paris. Il s'en était un peu voulu d'avoir pensé que c'était une bonne chose mais s'était surtout beaucoup inquiété des circonstances où cela avait pu se produire. Il s'approcha d'eux et expliqua tout de suite en voyant le pli entre les sourcils de Dimitri :

— La voiture de votre père a lâché. Je lui ai proposé la mienne parce qu'il était proscrit qu'il prenne celles de vos cousins.

C'était de notoriété public que c'était des cercueils à roulettes au vu du peu d'entretien qu'ils en faisaient, quand ils ne se prenaient pas eux-même pour des mécaniciens.

— Mais il y a encore eu un soucis avec le chalutier... Depuis la tempête bretonne, il y a eu pas mal de problèmes avec les deux bâteaux... Enfin il m'a demandé d'y aller et...

Bo observait Connor avec attention. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander si c'était vraiment lui. Elle sentait qu'elle se poserait cette question jusqu'à la fin de ses jours pour beaucoup de gens de son entourage. Enfin si la fin de ses jours était plus éloignée que prévue actuellement.

— Ouais et en bon samaritain, tu pouvais pas décliner et laisser la place à Irina, railla Dimitri.

Connor fut surpris que Dimitri soit prêt à rester enfermé dans une voiture pendant un tel trajet avec leur mère adoptive.

Quentin aurait préféré ne pas revoir Connor tout de suite, voire de tout leur séjour s'il était honnête. Il savait néanmoins que l'Anglais n'était jamais loin de Bo ou de sa famille et qu'ils se recroiseraient forcément, ne serait-ce que parce que la jeune femme voudrait prendre de ses nouvelles. Il avait tout un tas de raisons de penser ainsi, et le fait qu'il ait été un hôte involontaire pour Nhill n'en était qu'une parmi d'autres.

— Nous aurions pu louer une voiture, mais merci de vous être déplacé, Monsieur Watson, fit-il en le saluant.

Connor lui rendit son regard. Le frère d'Eric avait quelque chose de différent, mais peut-être que cela venait du fait qu'il ne portait pas son costume de croque-mort/agent d'assurance/maffieux. Il avait presque l'air d'un type normal habillé comme ça, si on oubliait qu'il se tenait toujours aussi droit qu'un piquet et avait l'air de le considérer comme un misérable insecte.

— On peut pas vérifier avant que c'est bien le cloporte habituel...

Bo donna un coup de coude à Dimitri pour qu'il se taise et sourit à Connor.

— Comment vont les enfants ? Demanda-t-elle à la place.

Connor préféra se concentrer sur Bo plutôt que sur Dimitri ou Quentin. Il retrouva aussitôt le sourire qu'il avait perdu face à eux.

— Les jumeaux me font tourner chèvre, comme d'hab, et Shelly me décolle plus, mais ça va.

Depuis la mort de sa mère, la petite dernière se raccrochait à lui avec force à chaque séparation.

— Et toi ? Comment tu vas ?

Derrière cette question banale se cachait mal son inquiétude pour Bo. Ces cinq dernières semaines, Connor n'avait cessé de se demander si tout allait bien pour elle à Paris, comment la famille d'Eric se comportait avec elle, s'ils n'allaient pas lui retourner le cerveau et l'annonce de la perte du bébé n'avait rien arrangé.

— Moi... Mieux que je ne l'aurais pensé.

Elle lui sourit et lâcha Quentin pour venir enrouler son bras autour celui de Connor afin qu'ils marchent en tête.

— Je ne suis pas mécontente de rentrer un peu. Les français sont épuisants, tu sais. Dans un genre différent d'Eric...

Dimitri soupira et attrapa le sac de Bo en regardant Quentin.

— Test-le. Et sans douceur, lui marmonna-t-il.

— C'était bien mon intention, répondit le Français sans lâcher Bo et son ex du regard.

S'il ne craignait pas une seule seconde que Bo puisse retourner vers Connor, cela ne lui plaisait guère qu'elle l'abandonne ainsi pour se coller à l'Anglais, même sous le prétexte de l'amitié. Penser ainsi le surprenait lui-même. Il n'était pas habitué à se sentir aussi possessif envers quelqu'un.

— Tu crois qu'elle le prendrait mal si on louait une voiture et qu'on abandonnait Monsieur Watson sur le parking ? fit-il en se tournant vers Dimitri.

Mais évidemment, cette question n'appelait pas de réponse. Tous deux savaient très bien à quoi s'en tenir avec Bo, aussi Quentin empoigna-t-il sa valise pour emboiter le pas aux deux autres.

— Ça ne la dérangerait sûrement de faire le voyage seule avec lui... Elle a toujours voulu préserver Connor de mon acidité à son égard. Papa me déçoit profondément... Ou alors c'est une punition. Je ne le pensais pas si vicieux, le vieux...

Bo sourit en réalisant qu'elle tenait peut être enfin un sujet permettant à son frère et Quentin de se lier. Même si le pauvre Connor risquait d'en faire les frais.

— Tu dis qu'une tempête en Bretagne a eu des répercussions jusqu''ici ?

Elle était vraiment super forte même si elle déplorait que les bateaux de son père en fasse les frais.

— Ouais, une très grosse tempête, répondit Connor, ravi que Bo soit pendue à son bras bien qu'il sente le regard des deux hommes dans son dos. T'en as pas entendu parler ? Tes cousins disent que la météo n'a pas d'explications valables, mais ça a fait du dégât.

Et encore Port Hallen était-il de l'autre côté de l'Angleterre par rapport à la Bretagne. Les répercussions avaient été pires sur les côtes sud du pays.

Bo monta devant, forçant Quentin et Dimitri a partagé la petite banquette arrière. Elle posa de nombreuses questions à Connor sur ce qui avait pu se passer en son absence mais resta assez vague sur ce qu'elle avait pu vivre en France. Elle voyait bien que cela contrariait un peu Connor mais elle le connaissait assez pour savoir qu'il n'insisterait pas et préférerait revenir à la charge plus tard. En cela, il ressemblait assez à Quentin.
Bo avait accepté que Quentin loue un petit meublé, cela restait un compromis acceptable. Elle n'avait guère envie d'aller à l'hôtel mais ne se voyait pas le trainer dans l'appartement délabré qu'elle avait partagé avec Eric et parfois avec Connor. Et puis la maison ne se trouvait pas loin de la mer et de chez son père. Ce dernier n'avait pas posé de questions en apprenant qu'elle irait là bas avec Quentin alors que Dimitri préférait rentrer chez eux.
Enfin il n'avait pas posé de questions mais avait envoyé Connor alors peut être qu'il boudait un peu quand même.

Sur la banquette arrière, Quentin était resté silencieux, à la fois parce qu'il observait Connor et écoutait la conversation et parce qu'il n'était pas à l'aise. L'arrière était étroit et bien que Connor ait sans doute rangé un peu avant de venir les chercher, il y traînait encore un jouet ou deux. Sans compter la tâche un peu collante sur le siège, sans doute de la confiture, qui menaçait de se transférer de la banquette à son pantalon s'il l'approchait de trop près.

— Vous n'allez pas à l'hôtel ? s'étonna Connor en jetant un oeil à Quentin dans le rétro alors qu'ils approchaient de l'adresse du meublé.

A son ton, il espérait encore que ses craintes ne soient pas avérées et que Bo n'était pas tombée dans les filets du cadet d'Eric.

— Bo voulait que nous habitions le plus près possible de la mer.

Quentin aurait bien loué directement sur le front de mer, mais Bo lui avait fixé un budget à ne pas dépasser et ils avaient choisi ensemble ce petit meublé. Rien qu'à l'idée qu'ils allaient y passer du temps seuls tira une esquisse de sourire au Français.