Chapitre 40 - Rilokuris

Noé continuait à se balancer d'un pied sur l'autre, se passant régulièrement la main sur la bouche nerveusement.

— Comment tu as pu me faire ça... T'étais prête à mourir... marmonnait-il.

Capucine fit un signe à Thana et il ôta sa main.

— Je vais aller faire du thé. Cela fera passer le goût, dit il en s'éloignant.

Noé eut la sensation que l'appartement s'était étiré pour leur laisser un peu d'intimité. Capucine s'allongea et ferma les yeux. Le goût était immonde. Elle était certaine que son haleine aussi. Syf devait le savoir et c'était sûrement pour ça qu'elle s'était tenue à distance en connaissant son intention.

— Tu me sous-estimes, Noé... Vraiment, murmura-t-elle.

— Clairement, ouais, répliqua-t-il vivement.

Elle l'entendit soupirer longuement. Il se tenait juste devant le canapé et l'observait. Reprenait-elle des couleurs ? Etait-elle sauvée ? Il avait envie de la serrer dans ses bras et de la secouer pour l'engueuler.

— T'étais vraiment obligée d'en arriver là ?

Il savait très bien que oui. Après les deux premières fois, il s'était juré d'être plus vigilant.

— Tu ne peux pas comprendre à ton âge... Mais la recette dans un couple c'est de toujours surprendre l'autre. Et c'est du boulot...

Elle se sentit mieux respirer. Et plus légère aussi. Elle sourit. C'était une sensation bien plus agréable qu'elle ne l'aurait cru.

— Et je suis la plus intelligente de cette baraque... Tu le sais.

Même Quentin allait finir par le reconnaitre. Surtout quand elle reprendrait DLS pour le faire prospérer.

— T'es vraiment une emmerdeuse. Et arrête de sourire, merde !

Il se pencha vers elle, fronçant les sourcils.

— Tu m'as piégé pour la 3e fois ! Tu m'as poussé à choisir entre elle et toi !

Et, surtout, encore une fois, il avait eu peur de la perdre, et même si elle semblait sauvée, cette sensation ne voulait pas disparaître.

Elle eut un petit rire proche du gloussement. Elle sentait ses joues la brûler. Elle avait la sensation d'avoir vidé une bouteille de vodka en quelques secondes sans les effets négatifs.

— Bien sûr. Je te forcerai toujours à me choisir moi plutôt qu'une autre... Surtout un démon. Une étudiante, je dis pas... Quoique faut voir le genre.

— Arrête de te foutre de ma gueule !

Il donna un coup de pied dans le canapé avant d'aller se jeter dans un fauteuil.

— Me refais plus jamais ça, t'entends ?

Capucine tourna son visage pour le regarder.

— C'est pas la première fois que tu me dis ça, fit elle remarquer.

— Vas-y, continues... soupira-t-il.

Il croisa les bras sur la poitrine, étalant ses jambes devant lui. Cela faisait bien longtemps que Capucine ne l'avait pas vu faire la gueule à ce point.
En réalité, maintenant qu'il était chez Thana avec elle, loin de Miu, il comprenait très bien que tout ceci avait été un mal nécessaire pour réussir à rompre le lien. Mais le savoir n'enlevait pas la sensation désagréable d'avoir été manipulé.

— Crois-moi, tu me détesteras bien plus pour le coup final, dit elle en fixant à nouveau le plafond.

Elle sourit malgré tout.

— C'est dommage que je vienne de manger le dernier exemplaire... Ce truc c'est mieux que la drogue et l'alcool... C'est une sensation incroyable, murmura-t-elle.

Il avait encore plus soupiré à sa première phrase, bien conscient que ce serait réellement le cas.

— C'est vrai. Quoi de mieux pour planer que manquer de mourir en avalant un coquillage à la con et un poulpe magique...

Il lui jeta un oeil. Elle avait l'air d'aller mieux et cela le soulageait malgré tout.

Elle se mit à rire comme s'il avait fait la blague la plus drôle de l'univers.

— Désolée, murmura-t-elle dans un sursaut de bienséance.

Elle s'assit prudemment et détacha ses cheveux pour passer sa main dedans.

— J'ai atrocement chaud, soupira-t-elle.

Elle allait finir par transpirer. Elle était certaine que Syf devait aussi connaitre cet effet secondaire là.

Il avait encore marmonné un "tu fais chier" en l'entendant rire.

— Si tu comptes que ça finisse comme l'autre fois, tu te fous le doigt dans l'oeil. Pas la peine de te désapper.

Et pourtant, Noé avait envie de l'embrasser, de la serrer contre lui, de la toucher rien que parce qu'elle était bien vivante. C'était sans doute pour ne pas céder qu'il restait les bras croisés.

Capucine sourit de plus belle. Elle aurait aimé fumer une cigarette.

— C'est un défi ? Demanda-t-elle.

Elle doutait fortement qu'il puisse gagner à son âge.

Il la regarda plus franchement, les sourcils toujours froncés.

— Non. Je suis toujours en colère contre toi.

Dit comme cela, c'était sans doute un peu puéril.

Elle s'adossa au canapé sans le quitter des yeux et croisa les jambes.

— Dommage. Comme tu risques de coucher avec Miu après lui avoir donné ton sang et me traiter froid cela nous aurait fait un dernier souvenir pour les semaines à venir.

Dit comme ça, elle avait plus qu'envie d'une cigarette. Heureusement qu'elle avait encore un petit poulpe dans l'estomac pour lui transmettre un peu de chaleur et de légèreté.

Noé plissa les yeux.

— Combien de fois je dois te dire que je suis pas Eric ? siffla-t-il.

Mais là encore, c'était puéril, il le savait. Elle avait raison : une fois qu'il aurait donné son sang à Miu, elle aurait plus d'influence sur lui, d'autant plus qu'il allait devoir lui en donner une bonne dose vu tout ce qu'il avait utilisé comme sable jusqu'ici. La démone allait resserrer ses griffes sur lui et il se laisserait probablement faire avec plaisir. Et il ferait du mal à Capucine en cédant. Il la tromperait avec Miu.

— Tu sais bien que je veux pas de ça... fit-il plus bas en détournant les yeux.

Capucine le regarda longuement avant de reporter son regard sur Thana. Il avait tellement étiré le coin cuisine qu'elle le voyait à peine. Cela donnait une vision assez étrange de l'appartement. Elle se leva et attendit un peu avant de faire quelques pas jusqu'à Noé. Elle avait perdu un peu de la sensation d'apesanteur traditionnelle et ne sentant pas tellement ses pieds cela rendait la marche un peu incertaine.

— Et moi je ne veux pas que tu me détestes mais tu le feras... C'est comme ça. On y peut rien, Noé. Bo va perdre la mémoire mais elle survivra. Toi tu ne voudras plus me voir mais tu survivras. C'est tout ce qui importe... Le reste...

Elle fit un geste de la main.

— Avec le temps, ça ne semblera plus si douloureux et si tragiques...

Et elle préférait agir vite avant de trop en souffrir.

Il releva la tête vers elle. Ils avaient déjà eu cette conversation, mais cela ne la rendait pas plus facile pour lui. Il se demanda alors comment Capucine vivait réellement tout ceci. Le jour où Noé avait lu le journal d'Eric, Thana lui avait dit que Capucine se battrait contre Miu, pour lui, même si tout le monde était contre elle. Qu'elle était habituée à être rejetée et que cela la rendait encore plus combattive. Mais cela ne voulait pas dire qu'elle n'en souffrait pas.

— Si je te perds dans le processus, ça n'aura aucun sens, murmura-t-il en attrapant sa main.

Il l'attira à lui avec douceur pour qu'elle vienne s'asseoir sur ses genoux. La sentir contre lui lui fit un bien fou. Sa colère couvait encore néanmoins, mais elle était lointaine, prête à s'éteindre.

— Bien sûr que si. Les sentiments ça va, ça vient... Mais pour ça, il faut être vivant.

Il sentit que sa peau était brûlante même si ça ne semblait pas la rendre malade. Au contraire cette chaleur au contact de sa main se diffusa également un peu en lui, lui apportant une sensation agréable comme lorsqu'on est face à un feu de cheminée.

— Tu ferais la même chose pour ceux à qui tu tiens, Noé, dit elle doucement. Toi plus qu'aucun autre.

Il aurait voulu protester, mais elle avait raison, bien évidemment. Si leurs places étaient inversées, il n'hésiterait pas une seconde à avaler ce truc au péril de sa vie. Cela ne l'empêchait pas de lui en vouloir toujours un peu pour la peur qu'elle lui avait fait vivre.

Elle sourit devant son expression.

— C'est pénible de fréquenter quelqu'un qui a toujours raison, je sais. Surtout vu que tu as grandi avec des frères qui se l'imaginaient tout le temps.

Elle embrassa doucement ses lèvres. Noé sentit sa chaleur le gagner d'une manière agréable. Il eut également l'impression que sa magie se réveillait contrairement à d'habitude à proximité de Capucine.

Il haussa un sourcil, intrigué. Avec tous les derniers événements, ils n'avaient pas eu le temps de tester le rayon d'action du pouvoir de Capucine, mais d'ordinaire, quand il la touchait, sa magie restait en retrait. Il la sentait toujours en lui, mais elle était comme inaccessible, aussi ne pouvait-il pas louper la différence. Tout en répondant à son baiser, il tenta d'agir sur la main blessée de la jeune femme. Ce serait le meilleur test.

Il ne parvint pas à la guérir mais il ressentit une vague de magie en retour. Quelque chose de doux mais de puissant qui chargea la sienne. Il eut l'impression qu'on lui parlait sans parvenir à comprendre le contenu mais les intentions étaient curieuses et généreuse.

— Qu'est-ce que tu fais ? Demanda Capucine en écartant sa bouche de la sienne.

Elle avait l'étrange sensation de chatouille au creux de son ventre. Elle déboutonna son gilet. Elle avait vraiment chaud en plus.

— Hé ! Je suis toujours fâché, la prévint-il, voulant tout de même rester sur ses positions bien qu'il savait que ça ne durerait probablement pas.

Il posa sa main sur son bras pour être en contact direct avec sa peau.

— Tu as senti ma magie ? demanda-t-il en réessayant.