Chapitre 25 - Les archives invisibles

Noé resserra sa main un peu fortement sur le genou de Capucine.

— ça va pas ? Et puis quoi encore ? protesta-t-il vivement, parlant soudain un peu plus fort.

Elle éclata de rire en le voyant tomber dans le panneau. Elle se tourna vers lui pour le regarder avec amusement.

— Ah vraiment ? On en est là ? Demanda-t-elle.

— Oh, c'est très drôle, maugréa-t-il en prenant son air vexé.

Il croisa les bras sur sa poitrine. Evidemment, elle l'avait fait courir !

— Je disais pas ça pour ça, se défendit-il avec mauvaise foi. C'est juste que c'est encore plus risqué que de courir après Olivier dans une ruelle.

Elle sourit et se leva. Elle passa devant lui et se pencha pour l'embrasser sur les lèvres fugitivement.

— On change de bus à cet arrêt, Casanova.

Son baiser le ramena à de meilleurs dispositions. Il se leva, jetant un coup d'oeil au garde du corps en espérant qu'il n'irait pas bavasser là-dessus.

— ça va être ça, mon surnom, maintenant ?

— Tu préfères Bébé d'amour ? Noé-Chou ? Demanda-t-elle.

Le garde du corps était bien arrière et n'avait rien pu voir. Il se leva juste en les voyant attendre devant la porte pour descendre.

— Ah non, pas ceux là ! Surtout pas de ta part !

Ce serait trop bizarre et c'était les surnoms d'un enfant, ça.

Elle sourit de plus belle en descendant.

— Noé-chéri alors ?

Le deuxième bus arrivait juste derrière et ils durent courir pour y monter. Il y avait un peu plus de monde et ils durent rester debout. Assez proche l'un de l'autre.

Cela ne gêna nullement Noé qui s'était accroché d'une main à la barre située en hauteur.

— Nan, ça non plus, répondit-il avec une grimace exagérée. Tu voudrais que je t'appelle "ma puce" ?

Il avait dit cela sur un ton un peu mou pour imiter Thierry.

Elle éclata de rire.

— Je m'en fiche, reconnut elle. J'aime pas mon prénom alors ça ou ma chérie, mon amour, mon trésors, mon chaton en sucre... ça ne change pas grand chose....

— Je ne vois pas ce que tu reproches à ton prénom.

Il approcha sa tête de la sienne.

— Capucine, murmura-t-il avec du désir au fond de la voix.

Il se redressa en lui souriant.

— C'est... désuet et ça sonne mal. Même dit comme ça, murmura-t-elle en le regardant.

Elle se tassa un peu plus contre lui comme si on l'y avait poussé.

Il posa aussitôt sa main sur sa hanche sans perdre son sourire.

— Tu parles à un mec qui a un prénom biblique pas courant, tu sais ?

Il ne comptait plus le nombre de fois où on lui avait demandé où il avait garé son arche.

— Et tu aurais voulu t'appeler comment ?

Elle réfléchit à la question avec sérieux.

— Je ne sais pas trop... Paloma j'aime bien.

— Paloma, répéta-t-il en écoutant la sonorité. Paloma Duchelle. C'est pas mal.

Sa main remonta jusqu'à sa taille.

— Si tu veux, je t'appelle comme ça maintenant.

Elle lui sourit.

— Personne ne comprendra ce délire... Et moi je dois t'appeler comment ?

Elle se serra encore un peu plus contre lui.

Il sourit un peu plus encore tout en réfléchissant à la question. Il aimait bien son prénom, mais en choisir un autre serait comme un nom de code, un secret entre eux.

— Est-ce que j'ai plus une tête d'Arthur ou d'Aaron à ton avis ?

Elle le regarda longuement.

— Ni l'un, ni l'autre. Noé est unique... Comme toi.

Elle lui sourit et prit sa main pour qu'il la suive. Ils descendirent du bus. Elle le lâcha alors qu'ils marchaient en direction du cimetière de Montmartre.

Noé n'était pas venu souvent par ici par le passé. Il trainait plus facilement du côté de la Défense et des centres commerciaux.

— Qui gère les Archives ? Une famille qu'on connait ?

Il était curieux d'en apprendre plus sur ces fameuses Archives Invisibles et de damer le pion à son frère sur ce point. Honnêtement, vu que leur famille était plutôt bien placée dans le monde des sorciers en Europe, Noé aurait pensé que peu de secrets leur étaient cachés, mais ni son père ni Quentin n'avait jamais mis les pieds là-bas, et le second semblait même croire qu'il ne s'agissait que d'un mythe.

Ils entrèrent dans le cimetière par la porte principale.

— Aux archives, il n'y a qu'une règle. Pas de questions. Peu importe qui les gère et de quelle manière... Ils sont très susceptibles. Il faut accepter leurs conditions. Sinon on se retrouvera dans une allée sans savoir ce qu'on était venu faire. Il n'est pas exclu que Quentin pense que c'est un mythe à cause de ça.

Les allées étaient calme en pleine semaine et loin de l'affluence des grandes vacances. Quelques oiseaux sautillaient à droite à gauche dans cet environnement verdoyant et paisible de la capitale.
Elle se dirigea vers un mausolée délabré. Ils avaient dû traverser plusieurs allées en diagonale avant de l'atteindre. On ne le discernait pas bien et il n'avait rien pour retenir l'attention des touristes. Sur la grille de la porte, il y avait un glyph à moitié effacé par le temps.

— C'est un sigil, expliqua Capucine.

Elle le frôla du bout du doigt.

— On raconte même que c'est le fondateur de ce système Austin Osman Spare qui serait à l'origine de celui-ci lors d'un passage aux archives.

Elle regarda Noé et expliqua :

— En fait, tu utilises des sigils de manière instinctive donc tu sais pas réellement quel est ce système. C'est une méthode où on se sert d'une intention magique basée sur un sort quelconque que l'on traduit sous forme d'un dessin. Il devient porteur de l'intention magique projetée en lui par la volonté du magicien. La volonté du magicien est chargée dans le sigil et devient du coup efficace en tant que courant d'énergie magique... La page de wikipédia l'explique très bien, cela dit. Après on utilisait les sigils depuis bien plus longtemps à d'autres fins d'ailleurs... Sigils vient du latin de sigillum qui signifie « signature »...

Elle s'interrompit et lui adressa un sourire désolé.

— Je parle trop... On ferait mieux d'y aller.

Il fit "non" de la tête.

— Pas du tout. Continue. C'est passionnant.

Il était sincère. Quentin pensait qu'il n'aimait pas étudier dans les grimoires de la bibliothèque, mais c'était complètement faux. Il était simplement réfractaire à sa méthode d'enseignement trop rigide à son goût. Noé pouvait passer autant de temps à étudier dans un grimoire qu'il le faisait avec un livre de chimie. Il suffisait juste que le sujet l'intéresse et il s'y plongeait à fond.

Elle lui sourit et prit sa main pour qu'il pose le bout de ses doigts dessus. Elle retira sa main.

— Ma présence ne gênera pas. Ressens la puissance du symbole. Ses aspérités...

Le métal n'était pas froid sous les doigts de Noé. Il était chaud et fourmillait de magie. Elle était comme vivante et il eut l'impression d'un oeil fixé sur lui.

— Les archives possèdent tous les textes magiques. Depuis la création du monde et ceux qui n'ont pas encore été écris non plus. J'avais eu l'occasion de lire le Lemegeton là bas quand Eric a voulu créer une dimension spéciale pour Thana.

Elle le regarda avant d'ajouter :

— Mais on ne te laissera lire que ce dont tu as besoin et si ça ne change pas l'équilibre du monde. C'est à dire que même si tes intentions sont bonnes... S'ils voient que cela apporte une rupture au monde, ils ne te confieront pas le texte.

Noé suivait le symbole du bout des doigts tout en écoutant Capucine.

— Tu as lu le Legemeton ? réalisa-t-il avec une pointe d'envie et d'admiration.

Il avait entendu parler de ce texte, mais il ne savait plus comment, sans doute dans un grimoire de la bibliothèque. Il était très célèbre dans les milieux occultes. D'après ce qu'il savait, le Legemeton contenait les sceaux et les manières d'invoquer démons, anges et autres esprits.

— Thana est dedans ?

— Difficile à dire. Sa mémoire est incomplète quant à ses origines. Il ne sait pas réellement d'où il vient. Peut être parce qu'il est trop vieux ou qu'un sorcier s'en ai chargé... Mais peut être aussi par sécurité alors mieux vaut ne pas chercher.

Elle lui prit la main et tira la grille. Ils entrèrent dans le mausolée et une dalle circulaire s'enclencha sous leur pieds créant un escalier en colimaçon qui descendait à la manière d'un escalator.

— Le legemeton est vraiment indigeste... Et pas très bien écrit. Et très très longs... Ce n'est pas la lecture la plus drôle. Mais en revanche, il y a un ou deux démons qui sont assez plaisant à invoquer. Enfin quand Alexis n'est pas là pour ouvrir sa grande gueule, une fois de plus. D'ailleurs parfois je me dis que s'il est aussi con c'est parce que le Grand-Duc de Buné a un peu trop joué avec lui dans le cimetière de Saint-Germain...

Ce n'était vraiment pas son meilleur souvenir pour autant. La descente était assez déroutante en raison du mouvement circulaire mais également parce qu'ils plongeaient dans l'obscurité la plus totale.

— On est presque en bas, lui assura Capucine en gardant le bout de sa main dans la sienne.

Le sceau, la grille, l'escalier, le noir... Noé se fit la réflexion que les sorciers adoraient les mises en scène, et que cela fonctionnait parce qu'il n'était pas aussi à l'aise qu'il voulait le faire croire.

— Quand tu racontes tout ce que tu as fait avec Eric et Alexis... C'est comme si c'était un tout autre monde que celui que je connais, admit-il en mêlant ses doigts aux siens.

La magie avait toujours fait partie de son quotidien, de lui-même, et pourtant, c'était comme s'il n'était qu'un bébé apprenant tout juste à marcher. Le monde des sorciers était si vaste, il y avait tant que de choses inconnues... C'était à la fois excitant et un peu troublant.
Il fallait bien admettre aussi que chez eux, l'enseignement et l'exploration de la magie étaient régies par certaines limites, les traditions... Mais au final, ne se reposaient-ils pas sur leurs acquis au risque d'être complètement dépassés ?