Chapitre 25 - Les archives invisibles

Vendredi 24 mai

Jamais une journée de cours n'avait paru aussi longue à Noé. C'était comme s'il avait basculé dans une dimension parallèle où tout lui semblait un peu faux. Une sorte de zone de confinement où il aurait manqué plus qu'une couleur. Il avait retrouvé Chris et Benji. Ces derniers l'avaient assommé de questions avant de lui raconter les derniers trucs qui s'étaient passés au bahut : Mr Nyx avait pété un câble en plein cours de science et avait cramé les cheveux de Lucie en allumant le bec Benzen un peu vivement parce qu'elle cherchait le bouton dessous, Elodie avait plaqué Enzo parce qu'elle avait surpris ce dernier dans les vestiaires à bécoter un première année et depuis elle sortait à nouveau avec Gregory qui depuis se sentait plus pisser. Ils avaient ensuite enchainé sur le cliffhanger d'une série qu'ils regardaient tous les trois mais dont Noé avait loupé l'épisode clé. Puis il y avait eu Clementine. Il l'avait aperçu dans les couloirs mais c'était finalement à la cantine qu'elle était venue s'installer à sa table. Elle avait posé la main sur la sienne mais en le sentant se tendre, elle l'avait aussitôt retiré. L'arrivée de ses copines et de Chris avait mis fin au malaise. Ils n'avaient pas eu vraiment d'occasion de discuter avec elle et les cours de l'aprem avaient consisté à des épreuves blanches où il avait bien cru s'endormir deux fois au moment de la digestion. Ce n'est qu'une fois terminé qu'il songea qu'il terminait dans un quart d'heure et que Capucine passait le prendre à la sortie du lycée.
Il venait d'en passait la porte lorsque Benji insista.

— Mais allez, viens faire un baby avec nous ! Ça fait une plombe qu'on t'a pas vu et tu dis qu'on va même pas fêter ton anniversaire ce week end...  C'est trop la loose... On avait attendu exprès pour fêter nos anniv' en même temps.

Chris désigna le trottoir d'en face.

— D'un autre côté, tu fais pas la poids... Nan mais sérieux, tu veux pas me brancher avec l'ex de ton frère ? Elle est tellement badass...

Capucine attendait légèrement en retrait, fumant une cigarette en observant un groupe de fille avec un air affligé. A ses yeux, c'était leur tenue qu'elle tendait de décrypter avec un mélange d'incrédulité et de perplexité. Elle s'était pour sa part, habillée d'un combi-short en lin de couleur écru et d'une veste en laine noire aux boutons dorés. De longues boucles d'oreilles et un collier pendant rehaussé la simplicité apparente de sa tenue. Simplicité qui avec ses chaussures et ses bijoux devaient avoisiner les 4 zéros.

— Arrête... Elle est trop vieille. Elle pourrait être ta mère, répliqua Benji.

Noé sentit un grand sourire s'étirer sur ses lèvres en voyant Capucine. S'il avait bien dormi cette nuit, ses rêves l'avaient à nouveau emmenée dans ses bras, dans une piscine déserte et il lui avait fallu un peu de temps pour sortir de son lit.

— Si sa mère était aussi sexy que Capucine, tu dirais pas ça, répliqua Noé à son pote.

Il jeta un oeil derrière eux. Le Men in Black de son frère n'était pas loin évidemment. Ce type ne l'avait pas lâché d'une semelle toute la journée. Il n'était d'ailleurs pas là que pour sa petite personne. Il assurait aussi la sécurité de la Fouine qui était revenue en cours après une journée d'absence. Kelya n'avait guère apprécié d'avoir loupé les cours de la veille et encore moins d'avoir un mec collé aux basques.
Noé avait essayé d'aborder le sujet de Jo avec elle, mais elle lui avait collé un vent qui avaient fait murmurer les autres filles de la classe. Elle ne désirait clairement pas parler de son frère avec lui au lycée. Peut-être même nulle part ailleurs. Il n'avait pas insisté.

— T'aurais aucune chance avec Capucine. T'es pas dans sa catégorie, fit-il à Chris en lui tapotant l'épaule d'un geste plein de fausse compassion. On se voit demain.

Capucine n'attendit pas qu'il la rejoigne pour se mettre en marche. Elle avait prévenu Quentin qu'elle récupérait Noé puisqu'elle avait un rendez-vous sur Paris. Elle savait que le type qui la suivait depuis Saint-Germain leur emboiterait le pas pendant que celui de Noé poursuivrait avec Kelya.

— Alors ta journée ? lui demanda-t-elle quand il arriva à sa hauteur.

Le sourire de Noé se fit encore plus chaleureux.

— Beaucoup plus intéressante maintenant que tu es là.

Il cala son sac à dos un peu mieux sur son épaule.

— J'ai failli m'endormir cet aprem. Rien de bien passionnant. Et toi ?

— J'ai poussé Alexis a accéléré le rythme.

La matinée avec lui avait été épuisante.

— J'ai fais quelques photos que j'ai envoyé à Marcello pour qu'il commence à réfléchir à ce que je voulais.

— Alex t'a pas trop emmerdée ?

Noé se demandait où il allait s'installer. La chambre d'Eric était la plus grande, à moins qu'il ne se décide pour celles du palier, avec la grande baignoire, ce qui ferait râler Bo. De toute façon, aucune solution ne devait plaire à Alexis.

— C'est Alex...

Elle y était habituée. Ça rentrait pas une oreille et ça ressortait par l'autre. Elle ne l'écoutait plus depuis longtemps.
Elle s'arrêta devant l'arrêt du bus et écrasa sa cigarette.

— On a juste un changement, dit elle en montrant le bus.

Elle n'avait pas envie de prendre le taxis.

Noé était surpris. S'il avait l'habitude de prendre les transports en commun, ce n'était pas vraiment le cas de Capucine.

— Si on pouvait semer notre Men in Black perso...

Mais Quentin et Ahmed seraient encore plus pénibles après et lui colleraient deux agents pour le prix d'un.

— De toutes manières, il ne pourra pas nous suivre aux archives. Il va nous perdre dans le cimetière.

Elle sortit un ticket de son portefeuille. Preuve qu'elle utilisait les transports en commun malgré ce qu'elle annonçait à tout le monde. D'un autre côté, elle n'avait pas le permis de conduire et il savait aussi que parfois ses finances étaient justes.

L'avantage du bus, c'était qu'ils pouvaient s'installer l'un à côté de l'autre et se toucher sans que ça soit suspect pour le monde entier. Noé ne s'en priva pas, collant son genou contre le sien.

— J'aime beaucoup ta tenue, lui fit-il alors que le bus démarrait.

Capucine était toujours très élégante, choisissant ses fringues avec un soin particulier, toujours coordonnées jusqu'au bout des ongles. Cela lui avait toujours beaucoup plu.

Elle tourna son visage vers lui et lui offrit un léger sourire.

— Merci, dit elle. Il me semble que t'étais en retard ce matin au petit déjeuner...

Elle l'avait entendu descendre mais en s'était pas levée. Elle avait préféré rester au lit à rêvasser et attendre qu'Annie lui monte son petit déjeuner une heure plus tard.

Il détourna les yeux en haussant les épaules. C'était un peu gênant qu'elle puisse savoir qu'il avait été troublé par ses rêves de la nuit, aussi valait-il mieux le passer sous silence.

— J'ai eu un peu de mal à me lever, oui.

Il lui sourit légèrement.

— T'as pas trop de courbatures ?

— Paracétamol, séance chez ma masseuse avec des huiles essentielles et repos... Je pense que je finirai par un bain très chaud ce soir et tout sera oublié.

Elle caressa le bord de sa main de son petit doigt alors qu'elle regardait par la fenêtre.

Noé apprécia son geste. Il déplaça son sac à dos d'entre ses pieds à ses genoux afin de poser sa main sur celui de Capucine, son pouce caressant lentement sa peau. Retrouver ce simple contact lui fit comme un courant électrique dans tout le corps et il prit sur lui pour regarder ailleurs, son regard glissant sur les autres passagers sans les voir.

Elle sourit même s'il ne put le voir. La caresse de sa main était très agréable. Bien plus qu'elle ne l'aurait cru pour un geste aussi simple.
Son téléphone portable sonna. Elle le chercha dans son petit sac à main et eut une hésitation en voyant le nom d'affiché. Finalement, elle décrocha et le ton de sa voix était redevenu beaucoup plus artificiel.

— Oui. J'ai vu tes messages mais je n'ai pas eu le temps de te répondre. Je suis en Bre... Ah. Et qui t'a dit que j'étais rentrée ? Alexis. Tu discutes avec Alexis Bergerac ?

Vu qu'il était proche, Noé entendait que c'était une voix masculine mais pas très assurée.

— Il m'a dit que tu étais très déprimée et que tu n'osais pas m'appeler. Du coup, j'ai déplacé mon voyage d'affaire et je passerai te voir demain soir.

— Tu passeras me voir, répéta Capucine perplexe.

Depuis quand Thierry prenait il des initiatives ? Qu'est-ce qu'Alexis avait bien pu lui dire juste pour la faire chier ?

Noé lui jeta un coup d'oeil attentif. Il avait arrêté de caresser son genou, écoutant la conversation. Qui était ce mec à l'autre bout ? Noé n'avait aucun doute sur le fait que Capucine plaise aux hommes et il savait bien qu'elle avait des prétendants, qu'elle avait eu des liaisons, mais il sentit une toute petite pointe de jalousie à l'idée qu'un de ces types puisse surgir.

— Qui c'est ? demanda-t-il dans un murmure.

— Je ne suis rentrée qu'hier et je suis tombée... Je préférerai que tu ne me vois pas comme ça, Thierry, dit elle en guise de réponse pour Noé.

— Oh arrête voyons, je suis sûr que tu es magnifique comme toujours. Et puis on est pas obligé de sortir. Gwen m'a dit la dernière fois qu'elle serait ravie de m'inviter à dîner.

Capucine n'aurait jamais cru qu'il puisse s'inviter de la sorte mais surtout connaissant Alexis s'il s'était amusé à appeler Thierry pour qu'elle l'ait dans les pattes alors il avait pu dire à Gwen qu'elle serait ravie qu'il vienne dîner...

— On a de la famille à la maison en ce moment. La compagne de Quentin et son frère. C'est pas une bonne idée, protesta Capucine.

Thierry Brunchtruc. Une lueur de contrariété passa dans le regard de Noé à la mention de son soupirant, de ce mec que les parents de Capucine aimeraient bien qu'elle épouse. Il ne manquerait plus qu'il vienne à la maison !

— Vraiment pas bonne, non, fit-il sur un ton qui valait bien ce qui se passait dans ses yeux.

— On pourra sortir, ma puce... Écoute on en discute demain parce que là je vais rentrer en réunion. Mais je ne veux plus que tu te prennes la tête sur notre dernière dispute. C'est déjà oublié pour moi et je n'avais absolument pas pris ombrage de ce que tu as pu me dire sur le coup de la colère. Bisous.

Capucine fut encore plus perplexe par le "bisou" que par le reste. Elle rangea son téléphone et soupira.

— Alexis perd rien pour attendre...

— Il va pas s'inviter, "ma puce" ?

Mais c'était quoi ces familiarités débiles avec Capucine ? Et pourquoi Alexis s'en mêlait ? Est-ce que c'était juste pour emmerder Capucine ou est-ce qu'il se doutait de quelque chose ?

— J'en sais rien. C'est pas son genre. Il ne prend jamais d'initiative, dit elle toujours perplexe.

Elle soupira.

— J'espère qu'il est pas possédé par une ombre lui aussi...

Le pire étant qu'on ne pouvait évidemment pas l'exclure. Noé soupira et reprit sa caresse sur le genou de Capucine.

— Tu vas faire quoi ?

Il était mal placé pour s'en mêler et il y avait des tas de raisons pour qu'il ne le fasse pas : il n'avait pas rompu avec Clémentine, ils ne sortaient pas ensemble, ils n'avaient rien dit sur l'exclusivité, il ne voulait pas se prendre la tête avec des étiquettes ou des conventions...

— Je verrai en rentrant avec Alexis ce qu'il a pu lui dire... Chaque chose en son temps. Si Olivier a parlé à...

Elle s'interrompit juste avant de dire Gauthier avec un sentiment de malaise. Elle détestait ne pas dire la vérité à Noé.

— A son chef... Alors ce serait logique d'envoyer quelqu'un pour voir comment je me suis protégée de lui.

Noé nota l'hésitation, mais ne releva pas. Quentin avait dit ne pas savoir qui était le responsable du merdier qu'étaient devenus leurs vies à tous, mais il avait sans doute des suspects. Il devait en avoir parlé avec Capucine et Ahmed, au moins, mais l'avait laissé de côté. Il essaya de dissimuler sa frustration à cette idée alors que cette affaire le concernait tout autant que son frère.

— Oui, c'est vrai.

Noé ne pouvait nier que ça se tenait. C'est même la première chose qu'il ferait s'il était le chef de Dark Olivier.

— Il faudrait trouver un moyen de détecter si ça arrive, réfléchit-il tout en ignorant que c'était ce que Quentin avait demandé à Capucine le matin-même.

— Je coucherai avec lui. D'après Bo, on voit tout de suite la différence. Il parait que les Dark sont plus sauvage et bestial, dit elle. Ce qui est l'inverse de Thierry...