Chapitre 3 - L'attaque

— J'en avais pas pour longtemps ! Le Kebab était censé être à quelques rues !
— Ce qui est le cas, fit remarquer Bo.

Alexis lui adressa un nouveau regard noir. Il pouvait de moins en moins l'encadrer.

— Et ben pas d'après google maps qui a pas arrêté de me faire tourner en rond ! Et après y avait la queue... Je devais faire une pause d'une demi-heure à tout casser !

Bo se pencha vers Quentin.

— Toutes manières, je crois pas que ce soit l'absence le problème le plus flagrant avec ce type, lui dit elle sur le ton de la confidence.

Dimitri s'était renfoncé dans son siège, laissant le chien remonter sur la banquette. Ses brûlures recommençaient à lui faire mal, mais il n'en disait rien.
Quentin regarda Bo, mais ne répondit rien à sa remarque. Le problème d'Alexis ne reposait pas que sur son incompétence ou sur sa facheuse tendance à vouloir imiter Eric, mais il ne voulait pas parler du reste devant eux.

— Nous réglerons ça plus tard, dit-il revenant à Alexis.

Il jeta un oeil à sa main gonflée et soupira avant de redémarrer.

— Je m'occuperais de ça aussi.

Il sentait qu'il allait être crevé une fois qu'il aurait soigné tout le monde et il ne pourrait même pas dormir pour récupérer correctement.

— Et ça, fonctionne comment ? demanda Bo en se penchant entre les deux sièges.

Alexis s'écarta contre la vitre pour qu'elle ne le touche pas. Même s'il loucha un peu sur le décolleté de sa chemise de nuit. Bleu nuit, il y avait un dessin représentant une fille de dos tenant un coquillage en l'air sous une pluie d'étoiles devant la mer.

— Vous avez fait un pacte avec le diable ?

Parce que souvent elle avait pensé que c'était ça le truc avec Eric. LE diable était venu chercher son âme.

— A l'échéance vous êtes possédé et vous butez tout le monde pour manger leurs ovaires ?

Elle le vit froncer les sourcils.

— Les ovaires ? Pourquoi les ovaires ?

Le coeur, il pouvait comprendre. L'âme aussi. C'était courant dans la littérature et la fiction.

— Ben pour engendrer des créatures démoniaques. Il y a rien de mieux qu'un ovule, c'est le symbole de la vie et en plus quand ça saigne ça rend les femmes hystériques. C'est typiquement un truc très faustien je trouve.

Elle regarda Alexis.

— Faust c'est un type qui a conclu un pacte avec le diable...
— Je sais qui est Faust !
— On ne le voit pas dans Harry Potter, se crut quand même obligée de dire Bo.

Cela fit rire Dimitri.

— Et c'est pas non plus un personnage de dessin animé, hein, ajouta-t-il.
— Est-ce qu'il serait possible de...

Quentin ne finit pas sa phrase. A la place, on entendit le chien vomir.

— Rich' ! T'as failli m'en foutre plein les pieds ! râla Dimi en ouvrant la fenêtre.

Les doigts de Quentin se resserrèrent sur le volant et il fallut qu'il se souvienne de tous les enseignements de son père pour garder son calme durement malmené ces dernières minutes.

— Un costume neuf, la voiture de location... Ce sera quoi la prochaine étape dans votre plan ? laissa-t-il échapper.

Bo l'embrassa sur la joue et lui murmura :

— Il n'y a rien auquel je ne sois pas prête pour vous renvoyer chez vous, Monsieur de Lyonesse.

Elle se laissa retomber sur son fauteuil et soupira.

— J'ai pas de chaussettes, pas de chaussures. A peine une petite culotte, c'est mince pour être civilisée quand même.

Quentin s'était raidi à son geste. Personne ne l'embrassait pas surprise de cette façon. Joanna s'en amusait parfois, juste pour le plaisir de le provoquer, mais il avait fini par s'habituer à son côté tactile, même si cela avait pris du temps.

— J'irai vous acheter ce qu'il faut demain matin. Nous vous prêterons de quoi vous changer.

Il avait un pyjama de rechange. Le tshirt serait bien trop grand pour elle, mais ce serait sans doute mieux que rien. Alexis devrait prêter quelque chose à Dimitri.

— Absolument pas, vous la gardez bien au chaud dans votre portefeuille, dit Bo. Vous soignez mon frère et demain matin quand il fera jour et que les monstres seront loin, on rentrera chez notre père.

Elle regarda Dimitri.

— J'irai chez Irina sinon on sera vraiment à l'étroit...

— On se sépare pas, répondit Dimi avec sa détermination habituelle. Quoi que si un golem débarque chez Irina, il aura peut-être assez peur d'elle pour foutre le camp.

Leur mère ferait fuir n'importe quel monstre sain d'esprit, il en était certain.

— Toi chez Irina, ce serait pire que ce qui s'est passé cette nuit...

Elle le regarda dans les yeux.

— Papa et Mary n'ont pas besoin de nous deux... Mais si on y va pas, il va culpabiliser d'avoir un appart si petit et pourri. Alors sois sympa et vas-y. Toutes manières, je suis sûr qu'il y aura quelqu'un qui me surveillera chez maman...

— Quelqu'un d'efficace, tu veux dire ? railla-t-il en regardant Alexis.
— Je poserais des protections pour que votre famille ne soit pas inquiétée, répondit Quentin.

Peut-être qu'il devrait aussi mettre un ou deux autres agents de sécurité en place pour surveiller tous les Hendricks.

Bo n'enchaina pas. Elle était fatiguée. Elle appuya sa tête sur l'épaule de son frère. Elle n'avait pas envie de retourner vivre chez sa mère mais ce serait provisoire. Enfin, il fallait espérer que l'assurance fonctionnerait. Elle savait cependant de source sûr que son ancienne maison était toujours à louer. Elle y passerait demain dans la matinée. Le vieux Hallinger l'avait à la bonne. Elle avait bien rafraichi le logement quand même.

Ce fut donc dans le calme, et l'odeur de vomi du chien, qu'ils arrivèrent enfin à l'hôtel et à son unique suite. Les Hendricks étaient dans un état pitoyable, avec leurs vêtements roussis, voire brûlés, leurs blessures et leurs visages plein de suie. La réceptionniste les regarda avec effarement lorsqu'ils passèrent dans le hall, mais Quentin demanda simplement à ce qu'on leur amène à boire et à manger. Si les chiens n'étaient pas admis dans l'établissement, il ajouta qu'il paierait pour le nettoyage supplémentaire que cela occasionnerait.

— Va mettre de la glace sur ta main en attendant que je te soigne, fit Quentin à Alexis tout en envoyant un sms à Joanna pour la rassurer alors qu'ils entraient dans la chambre.

Il y a eu une attaque. Tous sains et saufs. Te rappelle demain.

Dimitri s'était déjà effondré dans le fauteuil alors que Richard reniflait partout. Quentin posa son portable sur la table du petit salon où Bo était arrivée en furie le matin-même et se débarrassa de sa veste et de son gilet.

— Êtes-vous blessée ? demanda-t-il à Bo en remontant ses manches.

Dimitri souffrait, cela se voyait à son teint pâle et aux brûlures sur son bras gauche, mais Quentin était bien plus préoccupé par Bo.

— Non. Occupez vous de mon frère, dit elle. Je vais prendre une douche, dit elle.

Elle ajouta en tendant la main.

— Un chemise s'il vous plait.

Il l'entraina jusqu'à la partie chambre où était sa valise. Il en sortit le tshirt de son pyjama de rechange et une chemise. Il voulait bien lui concéder la chemise pour cette nuit. Il n'était plus à ça près.

— Il y a un peignoir et des serviettes propres dans la salle de bain.

Il avait toujours du mal à la quitter des yeux, c'était agaçant. Il se rendait bien compte que ce n'était pas de la même façon que lorsqu'une femme attirait son regard d'ordinaire. C'était autre chose, mais il n'arrivait pas à déterminer quoi et cela, ce n'était pas normal.
Il posa sa main sur son épaule doucement. D'ordinaire, il n'aurait pas initié le contact, mais il lui fallait tester si elle était une sorcière. Il lança sa magie vers elle discrètement.

— Je suis vraiment navré pour ce qui est arrivé.

Bo possédait bien une signature magique qui lui était familière. Elle ressemblait tellement à la sienne, comme avec Eric ou Noé... ou le bébé. Cet enfant était donc bien son neveu et il possédait déjà sa propre magie.

Elle soupira et haussa les épaules.

— J'ai l'habitude. Quand ça va trop bien, ça me rend nerveuse.

Le pire c'est que c'était vrai.

Il ne savait pas quoi répondre à cela.

— Vous êtes en sécurité ici.

Il la relâcha sans comprendre encore une fois pourquoi il le regrettait. Il allait devoir vraiment faire un check-up pour s'assurer qu'il n'était pas victime d'un sortilège.

— Je vais soigner votre frère.

Elle le laissa filer dans le salon pour entrer dans la salle de bain.
Elle fit couler la douche et y resta une bonne vingtaine de minutes. L'eau chaude lui fit beaucoup de bien. Elle se sécha dans la salle de bain et regarda ses brûlures. Quelques mèches avaient pris et elle serait bonne pour couper un peu ses longs cheveux en optant pour un léger dégradé. Elle frotta son bras du bout des doigts. Cela lui faisait plutôt comme une grosse pelure qu'une brûlure.

— Peut être que toi aussi rien ne peut te tuer... Si on essayait ?

Elle chassa la voix d'Eric de sa tête. Si elle commençait à se laisser assaillir par ses souvenirs, elle ne fermerait pas l’œil de la nuit. Quoique avec la vision du Golem, c'était pas dit non plus.
Elle sortit de la salle de bain en terminant de boutonner la chemise. Laissant deux boutons d'ouvert.

Quentin venait de terminer de soigner Dimitri qui regardait son bras à nouveau intact avec de grands yeux.

— En fait, vous êtes spécialistes en rénovation, c'est ça ?

Il fixait maintenant Quentin de ses yeux clairs. Dimitri avait toujours été persuadé que la magie existait, sinon comment expliquer le pouvoir de Bo ? Mais cela ne l'empêchait pas d'être surpris. Il préférait cependant ce pouvoir-là à celui permettant de leur envoyer un golem tueur.

— Eric pouvait faire la même chose que vous ? demanda-t-il finalement.

Quentin s'était assis en face de lui. Entre le chien et Dimitri, la fièvre commençait à se manifester et il devait encore s'occuper d'Alexis. Sur son bras gauche, on pouvait voir des plaques rouge vif, miroir des brûlures disparues chez Dimitri.

— Oui.

Bo éclata de rire.

— La bonne blague... Pardon.

L'idée qu'Eric puisse soigner au lieu de trucider ne pouvait faire rire qu'elle hélas. Elle s'approcha pour regarder Quentin.

— Les effets secondaires se limite à ça où vous allez vous changer en truc qui fait peur ?

Il leva ses yeux bleus vers elle, se demandant si elle plaisantait ou pas. Il rabattit sa manche pour couvrir les plaques rouges.

— Je ne fais pas dans la mutation.

Il soupira et désigna la trace de sa brûlure.

— Cela vous fait mal ?

— Je me passe très bien de la magie. Je ne prends que les massages et vous n'êtes pas en état. Allez vous coucher. Venez, je vous aide, dit elle en lui prenant le bras pour qu'il la suive.

Il avait sauvé son chien et son frère. S'il était dangereux, elle verrait plus tard.

— Et mon poign...
— C'ets ta punition pour tirer sur des gens. Il te soignera quand il ira mieux, coupa Bo.

Alexis bondit de son fauteuil.

— Mais tu te prends pour qui là ?
— te veux que je te montre ? répliqua Bo avec une menace non voilée.

Quentin avait encore une fois été surpris par sa façon de faire.

— On se calme. S'il vous plait.

Il posa sa main sur celle de Bo et réussit à lui sourire légèrement.

— Merci, mais ça va aller. J'ai l'habitude. Je vous laisse mon lit à tous les deux. Il y a un pyjama sur le lit si vous voulez, fit-il à Dimitri.

Il regarda Alexis.

— Va dans ta chambre, j'arrive. Je vais poser quelques sceaux protecteurs avant.

— Il ne mérite pas que vous le bichonniez même si vous avez l'habitude de ressembler à un lépreux ! dit Bo en croisant les bras.

Elle soupira et se laissa tomber sur le lit.

— Mais c'est vous qui voyez.

Elle était trop fatiguée pour essayer de convaincre qui que ce soit. Il lui restait à peine assez d'énergie pour taper sur le crétin.